JINJER
Rencontre au Motocultor Festival 2018

Formé en 2009 du côté d’Horlivka en Ukraine dans une région très industrialisée toujours en proie à l’hégémonie russe, Jinjer a vite gravi les échelons sur la scène Djent/Metalcore internationale. Fort de plusieurs victoires musicales en son pays et auteur de trois albums dont Cloud Factory réédité cette année (Napalm Records), le quatuor ukrainien délivre généralement des prestations live musclées et techniquement irréprochables. Nous avons donc profité de leur passage cet été au festival Motocultor pour dégoter un tête-à-tête exclusif avec son talentueux bassiste et sa chanteuse Tatiana au charme russe, euh non ukrainien… (A noter que Jinjer sera en tournée début 2019 en Europe en ouverture des Scandinaves d’Amorphis et Soilwork).

[Entretien avec Tatiana Shmailyuk (chant) et Eugene Abdiukhanov (basse) par Seigneur Fred – Photo : J-C Beaugé & Seigneur Fred]

 

 

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Vous venez juste de vous produire au festival Motocultor, quelles sont vos impressions à chaud sur votre prestation deux heures après alors qu’entre-temps vous avez effectué une séance de dédicaces auprès de vos fans français ? Etes-vous satisfaits ?

Tatiana : Bien sûr ! En fait, on jouait hier soir au Summmer Breeze Festival en Allemagne, et on y a rencontré les gars de Betraying The Martyrs qui nous ont confié que le Motocultor était super génial, et que c’était comme le petit frère du Hellfest en quelque sorte, plus petit avec une programmation riche et variée, ayant évolué en même temps sur la scène des festivals français de Métal. On espère bien y jouer d’ailleurs un jour, peut-être l’an prochain, au Hellfest ! (sourires) On était donc rassuré et plein d’espoir en arrivant ici. Le public ne nous a point déçus. On était même surpris que la foule réagisse aussi bien. En général, le dimanche, en fin de festival, c’est tranquille, les gens sont fatigués ou saoûls, et là non !

Eugene : C’est vrai que comme on jouait donc la veille au soir au Summer Breeze Festival, en Allemagne, ce qui était bien mais court pour nous étant donné que l’on enchaînait deux concerts consécutifs en moins de vingt-quatre heures (hier soir Summer Breeze vers 22h00 et là on joue à 13h), on ne s’attendait vraiment pas à ce qu’un dimanche en début d’après-midi on reçoive un tel accueil, c’est cool. On est donc très satisfaits du show que l’on vient vient de donner ici au Motocultor. Et on n’a pas traîné sur la route pour venir, j’ai moi-même conduit le van donc à présent on va se reposer et profiter un peu ! (rires)

 

Pensez-vous que le public vous attendait alors de pieds fermes, notamment vos fans, ou bien que la plupart des festivaliers découvraient votre musique ?

Eugene : Je dirais moitié moitié. Certains nous découvraient et nous voyaient la première fois sur scène n’ayant jamais entendu parler de nous d’autres, et il y avait pas mal de fans sinon. On a vu ça durant la session de dédicaces tout à l’heure…

 

Pensez-vous alors avoir conquis de nouveaux fans durant ce festival ici en France aujourd’hui ?

Tatiana : Oui, absolument !

 

Ce n’était donc pas votre premier concert en terre française alors ?

Eugene : Non, c’est au moins la troisième tournée que l’on fait ici. Toi tu nous a loupés plusieurs fois en concert !! (rires) Là on joue sur quatre dates en France cette fois durant l’été en plus de ce festival Motocultor : on a fait Paris, Lyon, Toulouse, Montpellier.

 

Peut-on revenir sur vos prix (awards) que vous avez reçus et gagnés dans votre pays en Ukraine car c’est assez impressionnant ? Qu’avez-vous gagné au juste ?

Eugene : Oui, le prix du « meilleur acte Métal ». En fait, il y avait différentes nominations et on en a gagné deux sur trois : « Best Metal Act » donc, et « Best Metal Video » aussi pour la vidéo «I Speak Astronomy ». Ça c’était la dernière fois en 2016. Sinon, la toute première fois, ce fut en 2013 un peu après nos débuts, on remportait l’award du «Meilleur Groupe de Metal Ukrainien » du label InshaMuzyka à Kiev.

 

Est-ce que ces différents prix ont aidé au développement du groupe à l’étranger selon vous ?

Eugene : non, ce sont des prix locaux, chez nous en Ukraine. En revanche, le prix de la « Meilleure Vidéo Métal » oui car la vidéo a été mise en ligne sur internet et a été très diffusée et partagée sur les réseaux sociaux et YouTube donc le monde entier a pu voir cette vidéo et ça nous a permis d’établir des contacts à l’étranger.

 

Avec tous ces prix remportés, envisagez-vous à l’avenir de représenter l’Ukraine à l’Eurovision grâce à votre musique car le visage de l’Eurovision a évolué depuis la victoire des Hard-Rockeurs finlandais de Lordi en 2006 et leurs costumes ? Et puis l’Ukraine obtient souvent de très jolis scores à ce concours européen… (rires)

Tatiana : Eurovision ? Non, jamais ! (rires) Non, on est en dehors de tout ça. Faisons déjà notre musique dans notre milieu, chaque chose à sa place car on ne joue pas dans la même catégorie et ce que l’on fait à notre niveau nous va très bien. Et puis l’Eurovision, ce n’est pas qu’une question de musique, mais plus de business et de politique à vrai dire…

Eugene : Et honnêtement, l’Eurovision propose plus de la musique Pop, enfin le pire côté de la Pop, selon moi. J’aime bien la Pop, de la bonne Pop Music, mais pas celle présentée à l’Eurovision… (rires)

 

Plus sérieusement, qui écrit les paroles dans Jinjer car j’ai l’impression que la pollution, l’environnement, et tout spécialement la catastrophe de Tchernobyl en Ukraine durant les années 80 vous ont marqué et constituent des thèmes importants dans l’univers de vos chansons ?

Tatiana : C’est moi la plupart du temps ! Et parfois Eugene justement m’aide pour certains textes. Cela traite en effet des problèmes d’environnement de notre époque mais pas seulement…

 

Il y a d’ailleurs un logo de radioactivité sur scène à côté de vos amplis, et votre second album paru à l’origine en 2014, Cloud Factory, réédité cette année chez Napalm Records, pourrait faire référence à cette « usine à nuages » qu’est la centrale nucléaire de Tchernobyl et présente une pochette avec un squelette avec la forêt autour et de nombreuses têtes de mort…

Eugene : Ce n’est pas le symbole de la radioactivité à vrai dire. Il y a néanmoins une grande histoire à propos de nos logos présents à nos côtés sur scène… En fait cela fait référence à la foreuse, tu sais, d’une machine dans les mines sous Terre. Nous sommes tous issus plus ou moins de familles de mineurs. Nous vivons dans le sud-est de l’Ukraine qui est une grande région minière et industrielle alors que Tchernobyl se situe au nord dans une grande région forestière. Alors oui la pollution, les usines, les rejets dans l’air, ces nuages sombres, et donc nos parents qui revenaient de la mine et tous les problèmes de santé qui en découlent font partie de notre histoire. Tout est très pollué par l’industrie chez nous, c’est ce qui nous fait vivre mais aussi mourir à petit feu… Il y a de nombreux problèmes là-bas à ce sujet et de nombreux projets autour de l’industrie chimique par exemple. Tu sais, on vient en fait de la région de la ville de Horlivka, plus connu sous le nom russe de Gorlovka, à l’est de l’Ukraine. Et il y a là-bas une industrie très importante et polluante. Mon père est mineur, mon grand-père était mineur, mon oncle aussi, etc.

Tatiana : En résumé, les visuels sur scène font donc référence à une machine de la mine qui perce. Dans l’ancienne Union Soviétique, ce symbole était très important. On a tous grandi avec ça.

 

Alors justement, parlons de cette réédition par Napalm Records de votre second album, Cloud Factory, cette année. Qu’apporte-t’elle de plus à vos fans hormis sa meilleure distribution et nouvelle disponibilité ? Cloud Factory contient-il de nouveaux éléments ?

Eugene : Cette réédition inclut un nouveau mastering et tracklisting pour la version vinyle de Cloud Factory. Et sur la version CD, on a rajouté deux titres live en bonus, c’est tout.

 

Ce fut difficile pour Jinjer à vos débuts de sortir un album et d’exporter votre musique ? Dès le départ, vous avez décidé de chanter en anglais afin de percer plus facilement en dehors de l’Ukraine ?

Tatiana : Au tout début du groupe, en fait Eugene et moi n’étions pas dans le groupe. Mais ils avaient décidé oui dès le départ de parler enfin de chanter en anglais. Quand on a rejoint le groupe, lui à la basse en 2011 et moi au chant auparavant en 2010, tout était déjà ainsi donc la question du choix de la langue n’eut pas lieu. On ne voulait pas de toute façon être limité par la langue même si le russe demeure notre langue maternelle. On veut être un groupe international donc tant mieux comme ça ! (rires)

Eugene : Oui, on ne voulait pas se limiter au public ukrainien de toute manière. Et je crois aussi, étant donné que tu me poses la question maintenant que nous sommes dans le groupe depuis quelques années, que cela serait difficile pour nous de chanter en russe dans un groupe de Métal selon moi. Dans d’autres styles ok, pourquoi pas, mais dans le Métal, non, surtout dans un groupe ukrainien bien qu’on parle tous russe en fait.

 

Mais avez-vous déjà tourné en Russie en fait ? Comment ça se passe là-bas pour vous ?
Eugene : oui, on l’a fait déjà. C’est drôle que tu poses la question de la langue russe car on est ukrainien mais on parle tous russe, tu sais !

 

Comment est la situation actuellement pour vous et vos familles en Ukraine ? Quelle est l’ambiance dans votre pays justement ? C’est difficile au quotidien ? On en entend beaucoup moins parler à présent par chez nous…

Eugene : C’est difficile, très négatif… (soupirs) C’est une question tranchante et problématique à vrai dire. Nous on vient de l’est de l’Ukraine qui est une région désormais actuellement sous le contrôle des Séparatistes. Personnellement, je n’ai rien contre la Russie, j’ai une culture russe, je parle russe, etc. Cela fait partie de ma culture. Bien sûr que je n’aime pas Poutine et son gouvernement si tu me demandes ce que j’en pense. Tous ces politiques assoiffés de sang, ce sont tous des enfoirés qui décident de tout et veulent le contrôle de notre région car il y a beaucoup d’industries…

 

Et toi Tatiana, qu’en penses-tu ? Tu as des origines eurasiennes peut-être ? (NDLR : Tatiana est habillée en sari indien avec un maquillage faisant ressortir ces traits eurasiens)

Tatiana : Moi ? Non, je viens de la même région qu’Eugene. Mes parents sont également russes. Après mes origines, je ne les connais pas trop, elles sont diverses en effet. Mais je n’ai pas grand-chose à dire là-dessus ni sur Poutine…

Eugene : En fait elle ressemble surtout à une gitane habillée ainsi !!! (rires)

 

A propos de ton chant Tatiana, tu es vraiment impressionnante tant sur disque qu’en live sur scène. Tu es capable de passer de growls Deathcore, Hardcore à un chant clair Pop ou Jazz puissant et vraiment touchant. Comment fais-tu ? Comment te prépares-tu ? Quel est ton secret ?? C’est naturel ? Travailles-tu beaucoup ta voix ?

Tatiana : Merci. Personnellement, je ne m’échauffe pas spécialement avant les concerts, je ne m’entraîne pas non plus. C’est naturel pour moi. Actuellement nous tournons beaucoup et jouons chaque soir, donc mes cordes vocales sont certes très sollicitées mais pas besoin d’entraînement au quotidien ni de truc de respiration. Je n’en ai pas besoin par exemple actuellement. La seule chose dont je fais attention, c’est ma santé par rapport à la météo, des choses toutes simples donc de ma grand-mère. Je me couvre bien s’il fait froid, etc. afin de ne pas tomber malade surtout par chez nous en Ukraine quand les températures baissent l’hiver.

 

Pas de bon vin français pour chauffer ta voix au préalable ? (rires)

Tatiana : Je bois quelque chose oui, mais pas de vin, non. Disons quelque chose à 40 degrés éventuellement… (rires)

Eugene : Oui, je vois ce que tu veux dire : Vodka !! (rires)

 

Et toi Eugene, sur ta basse cinq cordes, t’entraînes-tu beaucoup pour jouer ainsi et assurer sur ton instrument car là encore tu m’as impressionné sur scène tout à l’heure ?

Eugene : Moi c’est tout le contraire de Tatiana qui elle est née avec un talent naturel. Elle est capable de tout faire tout en sautant partout sur scène. Elle est vraiment impressionnante et n’a besoin d’aucune leçon en fin de compte. Je m’entraîne tout le temps quant à moi. Chez moi : deux à trois heures par jour. En tournée, non, car on joue tous les jours quasiment. J’ai démarré à apprendre à jouer de la basse assez tard en fait, seulement à dix-sept ans…

 

Et quelles sont donc vos influences musicales à chacun car Jinjer présente un mélange musical vraiment riche ? Meshuggah peut-être ? Et du New Metal aussi pour ce côté fusion ?

Eugene : Meshuggah oui, j’adore ! C’est l’une de mes principales influences. En Néo-Métal, je suis surtout fan de Mudvayne, j’adore le bassiste. Mais mon groupe favori de tous les temps reste Opeth, j’adore…

Tatiana : Ok, Opeth… je vois… (rires)

 

Vous pourriez ouvrir et accepter une première partie pour Opeth si Mikael Åkerfeldt vous le demandait ? (rires)

Tatiana : Oui !!

Eugene : Malheureusement je doute qu’il connaisse l’existence de Jinjer… (rires)

 

Et toi alors tes influences Tatiana ? No Doubt ? Aretha Franklin qui vient de disparaître ?

Tatiana : Oh ! Quelle tristesse ! Aretha Franklin, oui, en Funk/Soul/Gospel, c’était la reine ! Il s’agit d’une grande tragédie dans le monde de la musique. Je suis plus Jazz sinon. En Métal, je suis fan d’Opeth également comme Eugene donc, et aussi Anathema. J’attends d’ailleurs leur prochain album à paraître fin octobre… On m’a donné le nouveau disque Internal Landscapes mais je n’ai pas de lecteur CD ici… (rires)

 

Et la période Doom/Death des débuts d’Anathema aussi avant leur évolution progressive ?

Tatiana : Oui, aussi, et sinon j’ai les albums aussi Serenades, Judgement, etc.

Eugene : Et tu oublies Alternative 4 !! Un classique !

 

Pas d’influence plus brutale vocalement ? Vous aviez tourné avec Arch Enemy il y a un an je crois par exemple…

Tatiana : Avant de les avoir vus en live, je n’aimais pas trop. Après avoir tourné avec eux, j’ai écouté tous leurs albums.

 

Enfin, quels sont les projets du groupe ? Un nouvel album peut-être car Cloud Factory est donc une réédition de 2014 et votre véritable dernier album, King Of Everything, remonte à 2016 à présent ?

Tatiana : On est en train de préparer quelque chose, on cuisine tout ça ! (rires) On a pas mal de nouvelles idées.

Eugene : Oui, on rentre dans une semaine à la maison. Ensuite on enregistre un nouvel EP en studio fin septembre avec cinq ou six nouvelles chansons. Cela sortirait avant le printemps ou au printemps. Après on se pose pour commencer à préparer un nouvel album pour 2019 avant une nouvelle tournée européenne en début d’année.

 

Quelle serait l’orientation musicale ?

Eugene : L’EP sera relativement progressif, avec tout un tas de structures, etc. Pour l’album, on n’en sait rien encore…

 

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