NO TERROR IN THE BANG : La guérison par le 7ème art

No Terror in the bang a la particularité de se démarquer à bien des égards. D’abord par son metal cinématographique et progressif qui dégage une atmosphère unique et narrative pour vous emporter dans un univers sombre et hypnotique, mais aussi cette envie de développer quelque chose d’unique et d’atypique à travers une histoire scénarisée. Près de trois ans après son premier opus Éclosion, la formation rouennaise nous présente son deuxième concept album, Heal. [Entretien avec Alexis Damien (batterie) et Sofia Bortoluzzi (chant) par Pascal Beaumont – Photos : DR]



Vous avez eu l’occasion de donner des concerts depuis votre création en 2019. Comment avez-vous abordé la scène avec ce tout nouveau groupe ?
Alexis : Avec beaucoup d’envie mais surtout de concentration car c’est très technique, on joue au click, il y a des séquences, des choses qui se déclenchent, etc. Donc cela demande beaucoup de concentration.

Comment définiriez-vous les prestations scéniques de No Terror In The Bang en général ?
Alexis : Le jeu est assez fidèle aux originaux, il y a de la puissance, beaucoup d’entrain et de sueur pour ma part. Sofia s’amuse avec le public. C’est très fun, et rigoureux à la fois. On essaie de transmettre un côté immersif, comme sur l’album, avec bien sûr de la générosité physique, de la puissance.

Eclosion avait été conçu en pleine crise sanitaire. Quel impact cela a eu sur l’écriture, l’enregistrement, selon vous ?
Alexis : Cela nous a un peu ralenti, mais pas arrêté du tout, le morceau « Poison » a par exemple été composé pendant le confinement. Ça a aussi laissé à Sofia de quoi parfaire sa technique vocale pour ce qui est du chant saturé.
Sofia : Le covid a eu selon moi un impact plutôt positif sur le premier album car il a permis sa création, sa composition. Le maquettage s’est effectué durant cette période, nous laissant le temps de créer notre univers.

Et quel regard portez-vous sur cet album un peu plus de deux ans après sa sortie ?
Alexis : C’est un album très attachant, assez osé, qui mérite qu’on l’écoute attentivement, à fort volume ! On y découvre beaucoup de détails cachés, d’univers vraiment forts. Il faut aimer les montagnes russes, le cinéma et le metal. Si c’est votre cas, cet album est fait pour vous.
Sofia : En y repensant, ce premier album est en quelque sorte un bébé. Un petit embryon qui était annonciateur de quelque chose de beaucoup plus grand. Plus mature, plus solide.

Votre premier LP Eclosion est donc sorti en mars 2021. Comment avez-vous abordé cette fois-ci le processus d’écriture sur le nouveau, Heal ?
Alexis : j’ai composé la quasi-totalité d’Eclosion avec Sofia. Sur ce deuxième album, certains morceaux ont suivi le même processus comme « Heal », « Hostile », « Insolent », et d’autres ont été composés avec l’aide d’Etienne (guitare) ou Romain (claviers) qui ont apporté soit une partie, soit une ossature déjà avancée. Mais globalement, on part toujours d’une maquette que l’on améliore jusqu’à l’obtention d’une version avancée, une pré-prod’. Sofia pose son chant au milieu de ce chemin. Nous avons enregistré quasiment dans les mêmes conditions que le premier album mais sur un temps légèrement plus long (10 jours de prises).

En choisissant ce titre Heal pour ce disque, qu’aviez-vous envie d’exprimer à travers ce simple mot ?
Sofia :
Heal, c’est pour la guérison. C’est le passage d’un état fragile/fébrile, voire malade, à un état plus solide, plus puissant et grandi. Le premier album est un voyage introspectif et le second est régi sous le thème du combat, sous toutes ses formes. On rentre dans le grand bain, on passe de l’adolescence à l’âge adulte en volant de ses propres ailes. On affronte le monde, on tombe, on se blesse. On peine tant bien que mal à se relever… Parfois on n’y parvient pas, et puis finalement on persévère pour triompher.

L’album a été produit par Sébastien Langle, qu’attendiez-vous de lui et que vous a-t-il apporté musicalement ?
Alexis : Sébastien a produit le premier album Eclosion, et c’est naturellement qu’on lui a confié le deuxième, car outre ses qualités de mixeur, il a beaucoup d’expérience et de visions lors des prises. Il a apporté quelques idées dans les détails, et Dieu sait que le diable se cache dans les détails. (sourires)

En tant que batteur, Alexis, quel a été ton défi personnel à travers l’enregistrement ou l’écriture de ce second volet ?
Alexis :
L’écriture de cet album a en effet été un long processus car il y a de multiples détails, comme des orchestrations que j’ai dû détailler (« Heal », « Hostile », « Monster »…). La forme des morceaux n’est pas simple également, on est loin des standards pop couplet/refrain, mais plutôt sur des structures non académiques, progressives. Si au premier abord cela peut
sembler compliqué ou déroutant, sur le long terme, cela est beaucoup moins lassant. C’est ce qui rend les morceaux narratifs et ludiques. À enregistrer, cela a été un travail de précision, mais comme les maquettes étaient très travaillées, il suffisait en quelque sorte de repasser au feutre sur un dessin crayonné.

On vous définit comme un groupe de « metal cinématique ». Qu’essayez-vous de développer dans cet esprit-là ?
Alexis :
Nous avons mis cette étiquette en avant, mais on peut parler aussi de metal progressif, alternatif. Certains passages lorgnent vers du metalcore également. Je crois surtout que c’est notre aspect narratif qui justifie ce qualificatif. Chaque morceau
est différent, dans la forme, dans le rythme, l’harmonie, la construction, et cela donne une histoire, ou un conte unique. Comme une série de petits courts-métrages différents, mais raccords entre eux.

Au niveau du son, aviez-vous envie de développer un style particulier ?
Alexis : Nous voulions une continuité, comme un Tome II. Je crois que de ce point de vue, c’est réussi, les deux albums forment un diptyque, et on espère pouvoir faire une trilogie. Nous voulions un son d’aujourd’hui, détaillé et puissant, comme certains groupes de prog’/post metal. J’aime beaucoup le son de Haken par exemple ou de Pain of Salvation.

« Retch » est votre premier single. A-t-il une importance particulière à ce titre à vos yeux ?
Alexis : « Retch » est un titre amené par notre claviériste Romain et qui est le plus progressif de l’album ; Il a certains passages assez rapides, des harmonies vraiment atypiques, il envoie une énergie certaine, cela nous a semblé être une bonne entrée en matière dans l’album.

A travers cet opus qui est un concept album, y abordez-vous un thème en particulier ?
Sofia : Le thème du deuxième opus : le combat. Cet album est un album engagé. On y parle à la fois de la guerre dans le monde, des injustices. Il évoque le combat contre ses propres démons. Celui contre les fantômes du passé qui viennent vous hanter tels les syndromes post-traumatiques. Le combat contre la vie, notamment la question du suicide. Le combat contre la mort…

Il y a un deuxième single sorti en décembre 2023 : « Warrior ». C’est votre devise, être des « Warriors » en quelque sorte ? (rires)
Sofia : « Warrior », c’est le grand final. C’est l’accomplissement. Ce fameux moment où l’on se rend compte de toutes les épreuves que nous avons traversées et de la bravoure avec laquelle nous y sommes parvenus, tout en sachant qu’il y en aura bien d’autres dans le futur… C’est un merci à soi-même. On a parfois tendance à s’auto-flageller et on oublie trop souvent de s’auto-remercier. C’est important, ça fait du bien et c’est une nécessité.

Quelle est l’idée développée à travers la pochette de Louise Dumont ?
Sofia : Le premier opus, c’est l’œuf. Le fameux embryon. Le second, ce sont ces corps entremêlés, déconstruits qui ne font qu’un. On ne sait pas trop s’ils se battent ou bien se soutiennent… Peut-être un peu des deux ? Libre à vous de l’interpréter à votre guise…

L’album suit-il un fil conducteur et quelles sont les thématiques abordées par vos textes ?
Sofia : Les deux albums sont des concept-albums. Il y a un scénario, un fil conducteur. Il y a tant des messages engagés et d’autres plus personnels. Chacun est libre de les expérimenter à sa guise et d’imaginer sa propre histoire. S’il y a une chose à retenir, je dirai que c’est la notion de courage et de persévérance.

Quel est le texte dont tu te sens le plus proche et pourquoi ?
Sofia : Je dirais que c’est « Warrior » car une fois de plus, c’est le résultat d’un long chemin parcouru qui laisse place à de nouvelles aventures. Ce n’est pas une finalité, au contraire. Le message tend vers la continuité et vers la sagesse. Il s’agit de puiser dans ses faiblesses pour en faire une force. Pour citer les textes de cette chanson : « But you’ve gone through a lot, right on the target you’ve been shot. The remembrance that kills won’t ever be the final dot ».

Vous citez souvent Alfred Hitchcock. Que représente-t-il pour vous et quelle influence a-t-il eu sur votre univers cinématique ?
Alexis : C’est surtout sa citation qui est remarquable: « There is no terror in the bang, only in the anticipation of it ». Disons que j’adore les groupes qui ne lâchent pas tout immédiatement, qui gardent une certaine tension et de la dynamique. C’est ce que l’on essaie de faire…

Sofia, tu as vraiment une voix impressionnante qui colle parfaitement aux ambiances développées sur ce second album. Comment travailles-tu et que recherches-tu à exprimer à travers ton organe vocal ?
Sofia : J’ai carte blanche pour ce qui est de la partie vocale. Je m’inspire beaucoup de mes sentiments et de ce qui se passe au fond de mes tripes. C’est assez mystique en fait. Alexis me fait aussi parfois des suggestions et on avance ensemble en étant à l’écoute. J’incarne souvent des personnages ou « entités » pour interpréter les textes, ce qui rend parfois notre musique plus théâtrale, plus cinématique.

Quels sont les films qui vous inspirent et vous incitent à écrire des morceaux ?
Alexis : Je suis attentif à la musique des séries TV qui sont toujours plus fouillées et excitantes. Récemment, la série Bodies par exemple… Cependant, les sons des séries sont devenus parfois assez lisses et se ressemblent, comme si les compositeurs spécialisés se copiaient tous les uns les autres, pour ne former qu’une seule et même patte. C’est l’uniformisation capitaliste. On est très loin d’Ennio Morricone. Au cinéma cependant, il existe des compositeurs extraordinaires comme Atticus Ross et Trent Reznor, Nick Cave & Warren Ellis…
Sofia : Je suis une véritable fan de Harry Potter dans l’âme. L’univers de la magie me fascine et m’inspire beaucoup. Il en va de même pour Game of Thrones et Hunger Games. J’adore aussi les sagas du genre Millenium ou encore les aventures du professeur Langdon dans Da Vinci Code, Anges et Démons, etc… C’est sombre, intrigant et mystérieux.

Quel est votre rapport avec le cinéma et les films qui vous ont marqués ?
Alexis : Il y avait chez moi, enfant, un rapport au cinéma très pratique puisque mon père faisait des films (en amateur très éclairé), avec une attention particulière au choix des musiques. Enfant, des films comme Le Dernier Empereur, Elephant Man, Greystoke qui m’ont fortement marqué, puis Le Parrain, Dracula (de Coppola), la série des Alien… Je pourrais aussi citer les films de Clint Eastwood en général, récemment ceux de Christopher Nolan… Mais avec l’âge, on se tourne plus vers du Ken Loach ou du Michel Gondry que du Stallone quoi… Quoique, toute l’époque des Bruce Willis, l’apogée des films d’actions des 80’s et des reprises de Steven King m’avaient beaucoup marqué ado…

Comment vous êtes-vous rencontrés, est-ce une histoire d’amitié à la base, comment est née l’idée de créer ce groupe ?
Alexis : Tout le monde se connaît à Rouen dans le milieu de la musique. J’ai eu l’idée de rassembler des têtes nouvelles dans le metal pour sortir des clichés du genre.

Alexis, tu as fait d’ailleurs partie de nombreuses formations (Pin-Up Went Down, Carnival In Coal en live, Void Paradigm, Wormfood, Superscream). Qu’est-ce qui explique cette frénésie artistique à jouer au sein de plusieurs combos ?
Alexis : Il faut préciser que je n’ai fait que la batterie en studio pour Superscream, je n’ai jamais fait partie du groupe. Carnival in Coal, c’était en 2006-2007, pour la tournée de l’époque uniquement. Void Paradigm est un groupe de black metal expérimental uniquement studio. Quant à Pin-up Went Down,ça reste le projet dans lequel je reste le plus identifié et écouté encore aujourd’hui et dans lequel je composais. Quand on aime, on ne compte pas, c’est impossible de s’arrêter. J’ai donc sorti une dizaine d’albums metal en indépendant, oui.

Et que t’apporte No Terror In The Bang comparé aux autres groupes auxquels tu as participé ?
Alexis : C’est un peu la synthèse de plusieurs années de recherches et d’efforts, et dans lequel je peux apporter une expérience froide et réfléchie dans la musique elle-même mais également dans les enjeux de structuration et de management du groupe.

Quelle était l’idée quand vous avez lancé No Terror In The Bang il y a quelques années ?
Alexis : Créer une musique de notre temps, sincère, singulière, que ça plaise ou non. Puis avec les concerts qui se passent bien, le projet se précise, nous avons envie de proposer un jour un spectacle encore plus visuel, peut-être même avec des projections.

Sofia, tu joues aussi dans un projet hip-hop-jazz, au sein du collectif La Charbonnerie. Est-ce que cela a eu un impact sur l’univers musical du groupe ?
Sofia : Oui, cela a un impact car on ressent énormément ce condensé de multi-influences dans les interprétations. Je pense que ça fait partie des éléments qui rendent notre projet aussi atypique et moderne/alternatif.

Alexis, tu as collaboré aussi avec Asphodel, aujourd’hui Sofia. Qu’est-ce que les voix féminines t’apportent au niveau de l’écriture et du groupe sur scène ?
Alexis : J’ai collaboré avec des chanteurs également, mais disons qu’en metal, les bons chanteurs sont assez difficiles à trouver. Une chanteuse qui maîtrise l’alternance entre chant saturé et clair offre des possibilités très grandes à la musique et je trouve ça très moderne.

Quelles sont vos ambitions à présent avec cette formation No Terror In The bang ?
Alexis : Nous aimerions déjà continuer à trouver notre public avec ce deuxième album. Si le public répond présent, à travers des commentaires, des témoignages, des streams, des ventes, cela renforce considérablement un groupe car cela donne de la force. Dans un second temps, ce sera de continuer à pouvoir réaliser des concerts dans des cadres professionnels, de trouver des co-plateaux ou des premières parties comme celle qu’on a pu faire avec Rise of the Northstar ou avec Mass Hysteria au 106 de Rouen le 02 février 2024. Enfin, ce sera de composer la suite, soit un album III, ou une autre surprise, nous verrons. Nous avons déjà quelques maquettes.

Et dans quel état d’esprit vous sentez-vous alors que la sortie de l’album approche ?
Alexis : Impatients et vraiment curieux d’avoir des retours de gens inconnus !

Enfin, comment vous sentez-vous à Rouen et en Normandie et sur la scène française en général ?
Alexis : Rouen est une ville incroyable, d’une très grande richesse culturelle. Nous sommes d’ailleurs dans le dernier carré pour devenir « Capitale européenne de la culture » (Ndlr : Bourges a été élue entre-temps pour ce titre en 2028). Il y a un niveau musical très élevé, et régulièrement des artistes rouennais font parler d’eux (Mnnqns, Violet indigo, We hate you please Die, etc.). Je pense que la France regorge de talents aujourd’hui avec des groupes qui rivalisent à l’international. Il est donc difficile de s’y faire une place, mais lorsque le projet est singulier, tout est possible. Mais ça, c’est le public qui décide !

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