ABDUCTION
Les maîtres de l’ombre

Si le nom d’Abduction ne vous est pas très familier, nous vous conseillons vivement d’aller écouter « Naphtalia » extrait de leur premier album Une Ombre Régit Les Ombres. Ainsi, vous pourrez appréhender en toute sérénité la lecture de cette interview ou le carabin Morgan Velly nous livre tout sur la genèse de ce disque magnifique, mais aussi les perspectives du groupe. Instant vérité !

[Entretien avec Morgan Velly (batterie) par Julien Meurot – julien@metalobs.com]

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Votre premier album vient tout juste de sortir cinq après la sortie de votre premier EP. Comment as-tu vécu ces longues années ?
À l’époque, la démo avait été plutôt bien accueillie dans les quelques sphères qui avaient eu vent de notre travail. Nous étions euphoriques à l’idée de se lancer dans ce nouveau projet et de proposer notre vision de la musique de manière plus aboutie et travaillée. La composition de l’album était déjà avancée avant même la sortie de la démo et en 6 mois tout était prêt pour l’enregistrement. Mais plus nous avancions dans ce projet, plus les difficultés et remises en question se sont accumulées. Quelque temps auparavant, Guillaume Roquette a quitté le groupe, mais très vite François est venu grossir les rangs de manière quasi-naturelle en fait. Je dirais surtout que les principales difficultés liées à ces cinq ans ont été le temps justement, le même qui parcourt les différents titres de l’album, thème central de l’album. Les différents soucis d’agenda lié à l’enregistrement ont mis nos nerfs à rude épreuve et ce temps vacillant peut parfois avoir des répercussions malsaines sur notre perception de notre propre travail : retravailler encore et encore ce qu’on a fait devient vite un cercle vicieux. Ça a été un long voyage parsemé d’embûches, mais au final, on est vraiment très content du résultat.

Il semblerait que vous ayez rencontré quelques soucis techniques pour la production de votre album…
Au tout départ, nous étions partis pour travailler en auto-production comme pour la démo, mais il s’est avéré que nous n’avions pas suffisamment d’expérience pour aller dans la direction que nous souhaitions. Nous n’étions pas satisfaits de la production au final et après tout ce travail depuis tant d’années, ça en était d’autant plus frustrant. Mais nous avons reçu l’aide de personnes désireuses de travailler avec nous, des amis, des connaissances devenues des amis. C’est aussi ça qui nous a permis d’avancer et de concrétiser cet album. Ce fut une expérience extrêmement enrichissante sur le plan humain, mais aussi musicalement parfois même sur les aspects les moins intéressants mais obligatoires quand on se lance dans un projet pareil. Aujourd’hui, nous savons exactement quel genre de travail nous attend pour le prochain album et comment atteindre les objectifs que nous nous serons fixés.

Finalement, l’album est produit par Déhà et son apport est indéniable. Comment qualifierais-tu votre relation ?
La symbiose.
Véritablement, travailler avec Déhà s’est fait si naturellement que toutes les difficultés passées ne rendaient la chose que plus simple. Il a fallu parfois reprendre certains détails techniques importants au niveau structure des morceaux notamment, mais Déhà avait une telle facilité pour s’imprégner de notre travail que ces contraintes s’estompaient rapidement. Certains éléments qui auraient pu prendre des semaines ont été finis dans la journée. Ce fût vraiment un énorme plaisir et un honneur de travailler avec quelqu’un comme lui, avec cette vision des choses et ce respect du travail d’autrui. Au final, le résultat est l’aboutissement parfait de ces cinq longues années.

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Guillaume compose tout ou presque dans le groupe. À notre connaissance, seule la batterie reste ton domaine. Les autres membres ont-ils une marge de manœuvre ?
En effet, Guillaume compose les structures des morceaux et une fois que les principales guitares dessinant ces structures sont achevées, je m’attèle à la composition de la batterie ce qui peut amener quelques changements dans les morceaux et aiguille les arrangements futurs pour les guitares créant parfois des jeux guitare/batterie se faisant écho le long de l’album. Cela reste un véritable échange, nous travaillons de cette façon comme pour la démo et de nouvelles idées émergent régulièrement.
Par la suite, Mathieu écrit la plupart de ses lignes de basse et possède ce don naturel pour l’écriture des paroles. Avec Guillaume, ils retravaillent ensuite les différentes ébauches ensemble afin d’obtenir le résultat adéquat.
Les lignes vocales sont pour la plupart le fruit du travail de Guillaume. François est arrivé alors que le travail sur l’album était assez avancé, mais ça n’empêche pas qu’il puisse apporter ses propres idées notamment sur le chant clair.
Tout le monde est impliqué à 100 % dans le groupe, on est une bande d’amis qui partage la même vision de la musique et de ce qu’est Abduction. Une musique riche émotionnellement où se mêle mélancolie et violence, tempête et accalmie. C’est intéressant de voir comment composer et enregistrer une chanson peut nous faire mûrir la pratique de notre instrument et provoquer une réelle excitation sur notre approche de ce qu’est la musique, notre musique.

On utilise le terme organique à tout-va, mais lorsque que l’on écoute le chant, on se dit qu’il colle parfaitement a cette définition. Est-ce vrai que vous avez poussé le Morticole François dans ses derniers retranchements ?
Oui en effet. Je pense que le travail au niveau du chant avec Abduction a été un véritable challenge pour François. Plusieurs fois, François s’est retrouvé à devoir repousser les limites de sa palette vocale pour pouvoir atteindre la tonalité et la prononciation parfaite sur chaque titre. Il est bien arrivé un moment durant l’enregistrement de Naphtalia où François était au bord de l’évanouissement. François est tellement passionné par ce qu’il fait, c’est aussi une source d’inspiration pour moi de voir quelqu’un vivre autant ces textes et la musique qu’il doit interpréter à sa façon.

Les textes en français semblent être une évidence pour vous. Pourquoi ? Et comment se passe la composition de ces derniers ?
Le français est notre langue maternelle et au vu des différents thèmes abordés, il nous semblait évident qu’il s’agirait de la langue la plus appropriée pour exprimer nos idées et transmettre de la manière la plus fidèle les émotions recherchées. Lexicalement, la langue française est tellement riche, chaque mot utilisé est unique là où la langue anglaise est sans doute plus « permissive » sur l’utilisation des mots.
Les paroles et textes sont essentiellement l’œuvre de Mathieu qui a ce don pour écrire et retranscrire l’Histoire qui est également signature chez Abduction. Il passe beaucoup de temps avec Guillaume pour retravailler les textes et les adapter à la musique. Le français est une langue assez peu évidente à mettre en musique sans tomber dans l’écueil des chansons à texte simplistes qui ne laisse que peu de place à l’imagination. C’est un peu comme résoudre une énigme. Il est intéressant de transmettre une idée puis de placer ici et là des clés permettant de saisir le concept sous-jacent, mais sans jamais ouvrir cette porte à la place de l’auditeur. Laisser libre à l’interprétation de chacun l’essence de ces textes, c’est permettre à chacun de ressentir la musique à sa façon.

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Tant au niveau des dénominations que du visuel tout est lié. Peux-tu nous en parler ?
En effet, le visuel a une portée toute aussi grande pour Guillaume. Il nous a transmis cette passion en nous détaillant ses idées sur le concept qu’il avait en tête. L’idée qui nous obsède est le temps, le temps qui passe et qui inlassablement dévore les pauvres ombres que nous sommes, mais aussi a une forme d’héritage, l’Histoire, ce passé qui fait le présent.
Guillaume est arrivé avec l’idée des costumes qu’utilisaient les médecins de la peste au XVIIe siècle. À cela, il avait envie d’avoir recours à des masques de « corbins » fabriqués de manière artisanale et qui étaient censés les préserver de la mort. En effet, ces derniers pensaient à l’époque que la peste se transmettait au travers de miasmes et c’est aussi pour cela qu’ils plaçaient des herbes aromatiques à l’extrémité du bec. Bien entendu, la grande majorité de ces médecins succombaient eux aussi à la maladie, tout en se révélant incapables de la soigner. Cet évènement est un épisode majeur de notre Histoire et empreint de références historiques essentielles à la compréhension de l’univers du groupe. En définitive, la mort triomphe toujours.
Évidemment, l’esthétique inquiétante de ces costumes sert également selon nous à merveille un propos aussi tempétueux que celui que véhicule le black metal. Nous aimons l’idée selon laquelle nous essayons, en tant que corbins, de dompter cette obsession du temps, bien que nous sachions que cela est vain.

Allez-vous porter ce concept sur scène ?
Oui, je pense même si ce ne sera pas forcément évident ! Il s’agit tout d’un même d’un costume qui laisse peu de place à une liberté de mouvement total et les masques peuvent être contraignants notamment au niveau de la respiration et de l’endurance. Mais, nous tenons à proposer cet aspect visuel de notre musique pour que l’atmosphère soit complète sur scène même si ça ne doit durer que l’espace d’un ou deux titres.

Au vu de la complexité de votre musique, il est nécessaire de trouver au moins un guitariste supplémentaire, or vous n’êtes que quatre. Avez-vous déjà réfléchi à cet aspect ?
Nous sommes effectivement à la recherche d’un second guitariste pour la scène. Notre musique impose de disposer de deux guitares, car nous développons de nombreuses harmonies. Il n’est, cela dit, pas impossible de nous produire avec une seule guitare dans un premier temps si nous n’avons pas le choix, mais nous préférons évidemment tenter de trouver rapidement un second guitariste qui soit à l’aise avec notre style musical et notre visuel, car il faudra probablement porter le costume.

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Les titres de l’album sont globalement assez longs, et l’on sent une réelle volonté de dépasser les structures. Pourriez-vous faire évoluer votre musique sur scène à l’image d’un The Devil’s Blood qui ne faisait jamais deux fois le même concert ?
Je pense que c’est tout à fait le projet. J’avoue n’être pas du tout adepte des prestations scéniques copies conformes de la version studio.
L’album a mis cinq longues années avant de finalement sortir et depuis, nous-même en tant que musicien et individu, nous avons évolué et il est fort possible que l’interprétation des titres soit différente aujourd’hui de la composition originelle. En tous les cas, recréer la musique sur scène, c’est aussi la laisser vivre en fonction des différentes émotions et expériences qui traversent nos vies.

L’album sort chez Finisterian Dead End qui n’est pas un à proprement parler un label orienté Black Metal. En revanche, c’est un label qui sort des groupes en lesquels il croit. J’imagine que tu dois être heureux de cette relation ?
Effectivement, ça, on peut le dire ! Avoir la marque d’une telle confiance et d’un tel respect pour notre travail, je crois que c’est ce que la plupart des groupes recherchent actuellement. Il n’y a pas de « preuves » à fournir sur notre qualité en tant que groupe, de « tests » pour savoir si ce que l’on propose vaut la peine que l’on s’y attarde.

La pochette est très sombre. Celle de votre EP Height’s Shivers était une peinture, est-ce le cas ici aussi ?
En effet, le visuel de l’album est inspiré de « L’Église d’Auvers-sur-Oise » par Vincent Van Gogh. Le booklet est issu d’un montage de photos issus de sessions promotionnelles du groupe, qui elles ont été effectuées à Rouen, et plus précisément à l’Aitre Saint-Maclou, qui fut un cimetière lors des épisodes de peste, par le photographe Manu Wino ainsi que de dessins, peintures et textes manuscrits réalisés par Mathieu, Guillaume, ainsi qu’un de nos amis, Franck.

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Il semblerait que vous avez déjà de quoi faire un deuxième, voire un troisième album. Infos ou intox ?
Oui, la composition du second est très bien avancée. Je devrais pouvoir reprendre les structures et composer la batterie très prochainement sachant que Guillaume travaille énormément les textes et les lignes de chant avec Mathieu au moment où je vous parle. Le concept est clairement dessiné et le visuel est arrêté. Nous sommes déjà en train de préparer le terrain et de faire des démarches en vu de l’enregistrement pour ne pas reproduire les erreurs passées
Quant à un troisième album, il se pourrait que des idées aient été avancées il y a peu, mais il serait trop tôt pour en parler !
On savoure à peine la sortie d’Une Ombre régit les ombres qu’on est déjà prêt à attaquer la suite. Vous n’attendrez pas cinq ans de plus pour nous revoir proposer notre musique, c’est certain !

Pour finir quel serait ton plus grand rêve concernant Abduction ?
Personnellement, je vis déjà ce rêve au travers de notre musique. Je n’ai pas d’attente particulière concernant le futur du groupe si ce n’est continuer de proposer notre musique le plus longtemps possible. L’inspiration n’est pas prête de se tarir, nous en sommes qu’à nos balbutiements, mais déjà il nous tarde de passer à la suite. On ne sait pas ce qui nous attend et c’est ça qui est génial !

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