Après un silence long de sept années, Acédia est enfin de retour. À l’image de ses prédécesseurs, leur troisième opus Fracture dépeint un monde en proie à l’horreur et aux vices de la nature humaine. Fidèle à ce tableau noir et malgré un changement de line-up, la formation québécoise de black metal se renouvelle en nous livrant une musique plus personnelle. [Entretien avec Pascal Landry (basse, guitare, chant), Marc-André Bérubé (guitare), et Cadavre (batterie) par Louise Guillon – Photos : DR]
L’anglais est depuis longtemps une langue dominante dans l’univers musical. Est-ce que le choix de chanter en français vous permet de vous exprimer pleinement ? La langue française est-elle pour vous un moyen de faire part de certaines nuances qu’il vous serait impossible de transmettre en anglais ?
D’abord, merci beaucoup pour l’intérêt que vous portez envers notre projet ! Le choix de chanter en français n’en a jamais vraiment été un, en fait. On se n’est jamais posé la question à savoir si l’anglais était adapté ou non pour porter le projet musical d’Acédia. Il ne s’agit pas pour nous d’évaluer et de choisir entre deux langues pour constater que l’une d’elles est plus adaptée à transmettre les nuances d’un message spécifique, mais bien plutôt d’utiliser notre langue maternelle et courante. Sans jouer la carte identitaire ou nationaliste, et sans vouloir non plus hiérarchiser la valeur de l’utilisation d’une langue plus qu’une autre, ici, beaucoup de groupes québécois de métal extrême chantent en français, pour diverses raisons. Il s’agit d’une posture plutôt admise.
A ce sujet, la scène métal québécoise est riche et dense. Selon vous, pour quelles raisons ? Vous qui êtes acteurs de cette scène musicale, le Québec est-il une terre propice à un tel développement de cette musique extrême ?
Effectivement, la scène métal québécoise m’apparaît comme riche et porteuse d’une qualité musicale énorme. Je crois que cette reconnaissance s’élargit de plus en plus au niveau international. Plusieurs groupes d’ici se produisent régulièrement sur des scènes notables, ou voient leurs enregistrements connaître un bon succès. Les raisons spécifiques sont difficiles à généraliser. Il s’agit probablement d’un ensemble de facteurs individuels qui poussent beaucoup d’artistes à utiliser le métal comme véhicule d’expression. Le fait qu’il s’agisse d’un style respecté et utilisé favorise certainement, par effet d’entrainement, certaines personnes à s’y intéresser. On observe toutefois un certain essoufflement au niveau de la relève musicale, du moins dans la ville de Québec. Pour ceux qui voudraient plonger dans cette question, Méi-Ra St-Laurent a écrit une thèse de doctorat qui porte sur la manière dont certains groupes de black metal au Québec partagent leur identité en adaptant les codes de la culture québécoise.
Est-ce que le message que vous faîtes passer auprès du public va de pair également avec la musique que vous jouez et notamment cette ambiguïté constante entre les sous-genres du black metal ?
Notre principal outil de création demeure la musique. Je ne sais pas à quel point on pourrait parler de « message » passé à travers celle-ci, mais le résultat sonore de notre projet est certainement un élément essentiel à l’interprétation qu’on peut en faire. Pour nous, il n’est pas question d’essayer délibérément de virevolter entre différents sous-genres du black metal. Notre rôle, nous croyons, est de créer une musique authentique et personnelle. Que cette musique se joue un peu des dénominations de style ne nous cause aucun problème.
Dans votre biographie, il est dit, je cite, que : « Sur ce troisième album, Acédia signe une musique plus personnelle et aboutie ». Cet album est-il finalement celui de la réconciliation avec vous-mêmes, si on peut parler de conflit intérieur musical bien sûr ?
Cet album Fracture a été créé effectivement, avec un peu plus de réflexion quant à notre identité musicale. Je crois que cela résulte surtout du passage du temps et d’un intérêt soutenu pour les pratiques artistiques et musicales marginales. Ce sont donc des musiciens plus matures qui s’y sont consacrés. Cela dit, il était important pour l’histoire du groupe de débuter avec une musique qui correspondait à des instincts plus directs et peut-être plus naïfs. Ce n’est peut-être pas de la réconciliation avec des conflits musicaux intérieurs dont il s’agit, mais sûrement d’une certaine évolution en tant que musiciens et individus qui nous permet de prendre une distance relative avec nos précédents albums. Cette distance sera la même avec notre dernier album quand il sera temps de diffuser un nouvel opus, ce qui est dans nos projets.
Acédia est un groupe qui a changé de formation au cours de sa carrière et qui expérimente sans cesse les limites musicales. Cette « hyper » activité est-elle le moteur essentiel de votre travail ?
Le groupe a été créé en 2011, il y a plus de onze ans donc. Il y a eu un épisode de changement de personnel qui a marqué l’histoire du groupe, et qui explique en partie le silence de sept ans entre nos deux derniers albums (Les Supplices de l’Apathie et Fracture). La réponse à la question est double. Ce changement a d’abord été le commencement d’une période d’instabilité de notre line-up qui a perduré sur une ou deux années. Le renouveau, initié par notre batteur actuel, Cadave, qui n’était alors pas dans le groupe, nous a donné un second élan qui s’est concrétisé par une période de création très satisfaisante pour les membres. Cet élan demeure, et nous sommes plus motivés que jamais à créer de nouvelles pièces. Pour ce qui est des expérimentations, il s’agit d’une posture plutôt naturelle que nous avons vis-à-vis des matériaux musicaux proposés.
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