Alors que son précédent album Carnivore Sublime avait fait saigner moult cages à miel dans le pit hexagonal donnant naissance ainsi en 2015 au premier album live de la formation stéphanoise à l’occasion de ses quinze ans (avec un peu de retard), Benighted continue aujourd’hui son parcours sans faute. Regonflés à bloc grâce à l’arrivée de nouveaux membres dont le prodige Romain Goulon (ex-Necrophagist, ex-Agressor…), remplaçant de Kevin « Kikou » Foley (ex-Abbath, ex-Nightmare…) derrière les fûts, nos Français accouchent d’un huitième opus studio toujours plus dérangé, brutal et « in your face » : le monstrueux Necrobreed. Va y avoir encore du sport chez nos amis nécrophiles !
[Entretien intégral avec Julien Truchan (chant) par Seigneur Fred – photos : Morgane Khouni]
En 2015, vous avez sorti votre premier album Brutalive The Sick restituant parfaitement la puissance et la folie de Benighted sur scène. Qu’est-ce qui a motivé un tel enregistrement : votre label, la demande des fans, ou bien vous-mêmes alors qu’avec l’ère d’internet, on trouve déjà plein de concerts sur Youtube ?
Hé bien, la motivation première était la volonté de célébrer les quinze ans d’existence du groupe, mais avec toute la préparation et l’organisation autour du précédent album Carnivore Sublime paru en 2014, on n’a pas vraiment eu le temps ni l’occasion de fêter comme il se doit cela avant, or on voulait vraiment marquer le coup. Et puis l’idée du live est venue tout naturellement pour nous, car en effet, c’est sur scène que l’on s’exprime le mieux et où préfère être. Enfin ce qui a fini de nous décider a été notre confirmation en 2014 à l’affiche du festival Sylak Open Air tout près de chez nous dans l’Ain (01), au côté de supers groupes. En plus, on les connaît très bien les organisateurs. Alors on s’est dit si on doit enregistrer un concert, c’est bien là : c’est comme à la maison, le cadre est super, les copains sont là, et la qualité était au rendez-vous, car le son était énorme. On a donc fait ce CD/DVD live sorti sur notre label Season Of Mist qui nous a conseillé de sortir plus qu’un simple DVD live, l’album live étant le bonus en quelque sorte pour fêter nos quinze ans même si finalement les quinze ans étaient déjà passés… (rires)
Vous faites un peu comme Metallica qui célébra ses vingt-ans du Black Album en 2012 au Stade de France, mais le temps qu’ils tournent un peu partout dans le monde, cela faisait vingt-et-un ans, et vous cela faisait dix-sept ans… (rires) Tiens, as-tu écouté justement le nouvel album de Metallica ? Tu aimes toujours ce qu’ils font ?
Pour l’instant, j’ai juste écouté un titre à la radio suédoise quand on était à Stockholm il y a quelques semaines pour jouer là-bas. Et le promoteur local dans son van nous a fait écouter ça. Ça avait l’air pas mal, assez scolaire. Ils ne veulent pas décevoir, mais rien de vraiment nouveau. Metallica, j’ai été très fan jusqu’au Black Album et puis après j’ai un peu laissé tomber comme pas mal de personnes à vrai dire…
Vous avez donc beaucoup tourné pour Carnivore Sublime, vous n’arrêtez pas… Quel regard portes-tu sur ce précédent album et avez-vous rencontré des problèmes de censure avec la pochette représentant une femme aux seins nus et un enfant immaculés de sang, car j’ai cru voir deux versions ?
Sur Carnivore, on n’avait pas le même line-up à l’époque par rapport à aujourd’hui, il y avait donc une nouvelle couleur, quasi Hardcore. Et même si la colonne vertébrale du groupe était toujours présente, il y avait l’influence très bonne des musiciens d’alors dont le nouveau guitariste en la personne d’Adrien qui est parti ensuite. On aime faire un album différent pour Benighted à chaque fois. À propos de la pochette, on a été emmerdé par la pochette soft en fait paradoxalement et non par celle très gore qui du coup recouvrait tout. En fait, on y voyait le téton de la femme et ça a fait tout un foin sur Internet. Facebook nous a supprimé la page une première fois, puis on a eu définitivement notre page de supprimée par Facebook le jour de la sortie de Carnivore Sublime en février 2014 alors que directement, on y pouvait rien, on récoltait juste les avis et les publications des autres qui comme toi avait chroniqué l’album par exemple… Bref, on a été dégoûté sur le moment et on a dû tout recommencer et par conséquent, ça nous a fait un gros buzz avec un bel élan de solidarité : plein de fans et de groupes comme Aborted nous alors ont supporté, etc. Bon après il y a des règles sur ce genre de sites, donc on les connaît, mais autrement il n’y a pas eu de problème.
Et pourquoi Kevin « Kikou » Foley a-t-il quitté le groupe en fin de compte pour aller jouer avec Abbath où il n’est finalement pas resté malheureusement par la suite… ?
Kevin est parti à la fin de la promotion de l’album avec les honneurs, et il nous a même accompagnés jusqu’à la tournée avec The Black Dahlia Murder il y a un an pour faire ses adieux comme il faut. La boucle est donc bouclée pour lui, il nous avait toujours dit qu’il voulait vivre de la musique de toute manière donc il n’y a aucun problème. Nous, à côté, on a un travail, lui, il veut être professionnel dans la musique, pas forcément dans le Métal extrême, donc on le comprend. Il n’est, en effet, pas resté depuis au sein d’Abbath, mais bon faut dire que le bassiste King n’est pas facile à vivre apparemment… (rires)
Peux-tu nous présenter son successeur, Romain Goulon, qui à son tour est loin d’être un batteur amateur à l’écoute de votre nouvel album Necrobreed ? (rires)
Selon moi, c’est le meilleur batteur que l’on puisse avoir à présent dans Benighted, et probablement même l’un des meilleurs sur la scène européenne ! Il a joué notamment dans Necrophagist et Agressor. Cependant, il n’a vraiment pas le même type de jeu de Kevin. Il joue avec une précision chirurgicale, très clinique, avec des qualités techniques monstrueuses, c’est impressionnant. Kevin joue plus au feeling, c’est différent donc. Et depuis que l’on a Romain dans le groupe, c’est un vrai bonheur, en plus il est très professionnel et c’est un mec adorable, d’une humilité incroyable, qui met la pilule à tous les batteurs extrêmes actuels. Pour preuve, quand on a discuté avec The Black Dahlia Murder lors de la dernière tournée avec Kevin en janvier/février 2016 à propos du remplaçant à la batterie, et qu’on leur a dit qu’un certain Romain allait nous rejoindre, les mecs n’en revenaient pas ! (rires) Ils nous ont dit que c’était génial d’avoir un tel nouveau batteur. Nous-mêmes, en répétition, on n’en revient toujours pas quand on se retourne vers la batterie et qu’on voit Romain avec ce sourire niais… (rires)
Comment s’est passé le processus de composition avec les nouveaux musiciens dont Romain ? Ils ont participé à l’écriture de Necrobreed ?
Oui, oui, mais notre nouveau guitariste, Manu, qui est arrivé en 2014, est devenu en fait le principal compositeur du groupe dorénavant. Ce mec est un vrai extraterrestre, il sort de nulle part. Il joue dans Horgoth, Deficience, et avant dans Furax du côté de Dijon. Et il a un vrai talent d’écriture avec une vitesse incroyable. Du coup, on a dû changer et réadapter notre façon de composer dans le groupe pour la première fois. D’habitude, on compose tous ensemble en répétition, mais là, du fait de la distance notamment avec Manuel, on a beaucoup bossé les uns les autres à distance par internet, chacun a mis sa patte, mais les riffs proviennent pour l’essentiel de notre guitariste Manu.
D’ailleurs dans ses riffs de guitare, et dans le son en général sur Necrobreed, j’ai trouvé une approche assez froide et direct, très agressive un peu à la Nasum… Un parfait exemple est ce second titre « Reptilian » après l’intro. C’était une volonté de sonner ainsi avec vos influences Grindcore moderne ? Avez-vous changé des choses en studio du coup avec cette nouvelle façon de composer et de travailler dans le groupe ?
Oui, je vois ce que tu veux dire. En fait, cela provient du son inspiré justement par le Death Metal suédois, bien gras et racé, puissant. Mais ce n’est pas du tout réfléchi à vrai dire. On a enregistré comme d’habitude au Kohlekeller Studio en Allemagne. On a beaucoup bossé les arrangements en studio et fait un gros travail sur les guitares et la basse. On voulait donc ce genre de son suédois très froid, agressif, qui renforce l’aspect très brutal et malsain de l’album. Avec les influences de chacun et comme les musiciens ont changé, l’album a une couleur différente par conséquent. On aime bien qu’il y ait une progression sonore également. Mais tout cela vient des tripes et ce n’est pas réfléchi.
Une fois n’est pas coutume, on retrouve quelques invités sur ce nouvel album dont justement le chanteur Trevor Strnad (The Black Dahlia Murder) mais vous n’avez donc pas fait appel à Niklas Kvarforth (Shining), pourquoi ?
Non, en effet ! (rires) Il y a trois nouveaux invités, mais on n’aime pas se répéter, tout simplement. Ce fut très sympa de collaborer avec Niklas de Shining sur Carnivore Sublime même s’il est, en effet, spécial. Il allait même jusqu’à s’étranger en studio avec sa ceinture pour nous faire des voix écorchées…. (rires) On reste toujours en contact avec lui et on s’écrit d’ailleurs. Alors sur Necrobreed, nous avons tout d’abord la chanteuse française Asphodel (Chenille) sur l’introduction de l’album « Hush Little Baby ». Elle ne fait pas du tout du Métal extrême à la base même s’il y en a un peu maintenant dans ce qu’elle fait de nos jours. Cette nana est un vrai OVNI sur la scène musicale et sait tout faire. On voulait vraiment coller une intro des familles bien déviante et étrange au début de l’album. Trevor de The Black Dahlia Murder, on l’a revu l’été dernier au festival Sylak et on lui a demandé d’enregistrer un titre pour nous. C’était un honneur pour nous et pour lui aussi ! Il a acheté un nouveau micro ensuite exprès en rentrant de tournée et il a enregistré sa voix au studio de leur guitariste Brian. Il a été vraiment à fond et adorable. Quant à Arno de Black Bomb A, ça fait longtemps qu’on voulait l’inviter à chanter sur un album précédent déjà, Icon. C’est rigolo en fait. Il n’y avait pas tous ces moyens pour se contacter à l’époque et on n’avait jamais eu de réponse à notre demande par e-mail. Je lui en ai reparlé quand on s’est croisé en concert et il était dégoûté de ne pas avoir travaillé avec nous plus tôt du coup. Et on a rattrapé l’occasion. Il chantera probablement sur une date dans le Nord de la France quand on tournera par chez lui près de Lille, avec pourquoi pas aussi Hervé Coquerel (Loudblast et Black Bomb A) à la batterie ! (sourires)
Le titre de cette chanson, « Cum With Disgust », est d’ailleurs un pur moment de poésie encore une fois parmi le répertoire de Benighted… (rires)
Oui, comme d’habitude ! (rires)
C’est drôle, car mélangeant Death Metal et Grindcore, vous n’abordez jamais de sujets politiques ou sociaux comme le font Brutal Truth ou Napalm Death, et dieu sait qu’en ce moment, il y a matière… Même pas à travers des métaphores. Pourquoi ?
Ah non, jamais, c’est vrai… Les histoires sont morbides en fait, et le concept du nouvel album, un peu comme sur chaque album de Benighted, parle d’une seule personne du début jusqu’à la fin. Necrobreed traite ici de schizophrénie en psychiatrie, car je travaille dans ce milieu (Julien est infirmier en hôpital psy de son métier, ndlr). J’aime écrire en fait des scénarios inspirés de faits réels, que j’ai vraiment rencontrés, pour en expliquer les effets, à la fois que les histoires collent au concept et que ce soit plausible, réel, avec de vrais symptômes dans la réalité psychiatrique, et non pas un simple dédoublement de personnalité imaginaire. Sur Asylum Cave par exemple, on s’était inspiré de faits réels avec l’affaire autrichienne de Josef Fritzl et le cas d’inceste sur sa fille Elisabeth Fritzl. Il avait développé une forme de schizophrénie et tout un délire autour de cela. Le message était que ce genre de choses, une fois médiatisées, peut perturber ensuite d’autres esprits fragiles. Là, sur Necrobreed à présent, un schizophrène se créé un délire sur une grossesse extra-abdominale en se cousant des animaux morts sur lui afin de vivre une sorte de grossesse comme s’il portait des enfants… Le message ici est de montrer tout ce que l’on peut vivre à travers des histoires horribles médiatisées, en devenant complètement désocialisé, dans la difficulté d’avoir de vraies relations sociales, sentimentales. Certains jeunes restent plantés nuit et jour derrière un clavier d’ordinateur ou de mobile et ne voient plus personne, sont paradoxalement déconnectées de la vie réelle et ne distinguent plus la réalité du reste, en étant incapable de se construire une vraie vie. Ils s’inventent tout un univers imaginaire, artificiel (des amis virtuels sur Facebook, etc.), sans même sortir de chez soi et avoir de vraies interactions avec autrui. On n’est plus suffisamment solides, avec la peur d’affronter la réalité et on vit les choses par procuration ce qui est triste de nos jours…
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