« Total regression ! », pourrait-on s’écrier en anglais à l’écoute de ce dix-neuvième album studio du fameux duo norvégien ! En effet, comme sur ses précédents méfaits The Underground Resistance, Arctic Thunder, ou Old Star, on baigne ici encore une fois dans un retour total aux racines des années 80 où le Heavy Metal était alors en plein essor et que le Thrash bousculait tout, et que le Death apparaissait à partir de la seconde moitié de cette décennie culte. Mais allait alors émerger la première vague, non pas de Covid-19, mais de Black Metal avec les formations qui deviendront rapidement cultes par la suite : Venom, Bathory, Celtic Frost, Mayhem, Mercyful Fate (pour l’aspect lyrique et le maquillage surtout de King Diamond), plus tard suivi à l’aube des années 90 par un certain groupe de Death Metal baptisé Darkthrone. Après l’enregistrement de quatre démos et d’un premier album, Soulside Journey, Darkthrone changea vite son fusil d’épaule dès son second album, A Blaze In The Northern Sky entrecoupé d’une démo issue d’une répèt’ nommée Goatlord… Ce petit rappel historique étant fait (non sans une once de nostalgie), il faut bien avouer que l’on n’attend guère d’innovation depuis bien longtemps du côté de Kolbotn, fief du batteur Gylve Nagell (et élu du conseil municipal à ces heures perdues quand il ne travaille pas à La Poste locale…) alias « Fenriz », qui aime à se replonger, donc, dans ses vieux vinyles lors de ses émissions de Métal sur le web. D’ailleurs, lors de l’une de nos dernières interviews avec Fenriz (ce devait être de mémoire pour l’album The Underground Resistance en 2013), il nous avait transmis sa nostalgie envers les vieux groupes de Heavy Metal comme Black Sabbath, Saxon, Iron Maiden, Omen, mais aussi de Doom Metal (Candlemass en premier lieu), et les groupes scandinaves en général bien de chez eux parfois moins connus. Cet hommage continue de plus belle en 2021 sur Eternal Hails… où la production sonore renvoie aux premières démos du groupe, avec une basse (jouée par son acolyte Nocturno Culte) bien présente, et une production minimaliste, enfin comme d’habitude chez Darkthrone, me direz-vous, même si finalement il y a du mieux depuis l’époque Punk/Black’n Roll et ses albums enregistrés en 24h chrono dans leur cave (Necrohell II Studio). D’un autre côté, c’est aussi ce qui a toujours fait le charme des disques de Darkthrone. Ne pas céder au modernisme des techniques studio et informatiques actuelles, ne pas céder non plus aux modes musicales, rester simple (mais pas simplet) et authentique. Côté artwork, celui de Eternal Hails… rappelle fortement celui de Total Death avec son atmosphère froide et spatiale. En fait, Fenriz a demandé pour l’occasion les droits à un certain David A. Hardy. pour utiliser une de ses œuvres nommée « Pluto And Charon », celle-ci étant présentée comme le sombre compagnon de la planète Pluton, très éloignée de notre système solaire). Cet artiste britannique est très réputé dans ce genre d’œuvres.
Revenons au contenu à présent de ce cru 2021 plutôt qu’à son contenant. Si Fenriz se fait plus discret côté chant cette fois (il n’apparaît que sur la dernière chanson à travers quelques meuglements), c’est donc Nocturno Culto qui occupe tout l’espace vocal sur les cinq morceaux qu’offre Darkthrone aujourd’hui. Mais attention, ce sont de longs morceaux de « Epic Black Heavy Metal » comme le mettent clairement en exergue nos deux lascars norvégiens au verso de l’album. Eh oui, depuis l’album The Underground Resistance, Darkthrone ne joue plus vraiment du True Norwegian Black Metal qui fait peur comme jadis, et a laissé tomber le maquillage et les corpse paints depuis plus de vingt ans. Exit donc le slogan qui ornait encore l’album Total Death en 1996 : « Darkthrone plays unholy Black Metal exclusively » (suivi d’une phrase provocatrice à l’égard des faux groupes de Black Metal et autres poseurs de l’époque : « The envy of loosers we piss on »)…
- Le premier titre, « His Master’s Voice » avec son riff menaçant, renvoie tout droit à un vieux Motörhead qui aurait plu sans aucun doute à notre défunt ami Lemmy Kilmister (R.I.P.). La rythmique est enlevée et Fenriz fait le boulot sans trop en faire non plus derrière ses fûts (on parle bien de batterie ici, et non pas des fûts de bière même si l’homme est amateur de bières et crédite notamment « Flag Beer » dans le livret de l’album. Ce premier morceau est long, très lourd au niveau du rythme et de la guitare de Nocturno Culto qui semble ensuite, lui, rendre hommage au Black Sabbath de Toni Iommi (également crédité dans l’album parmi les maîtres.
- Plus c’est long, plus c’est bon, dit-on, alors on continue avec « Hate Cloak » et ses 9’15 affichées au chrono ! D’emblée plus mélodieux et épique, Darkthrone évolue ici en plein Heavy/Black aux accents Doom, et le slogan « Epic Black Heavy Metal » affiché au version de l’album n’est donc pas galvaudé sur ce Eternal Hails… Après un premier break, on retrouve les riffs plus typiques du duo norvégien. Le chant rauque et râpeux de Nocturno Culto et ses riffs de guitare rappellent aussi ce qu’il a pu faire dernièrement avec l’excellent side-project Sarke. Au passage, on note aussi un petit côté Celtic Frost sur le solo de guitare (à environ + 3’00). Tout cela sonne donc terriblement heavy, vintage et sombre, presque mélancolique, mais à des lumières du Darkthrone evil et en colère même si une certaine mélancolie typiquement scandinave figurait déjà sur de leurs célèbres classiques « The Pagan Winter » (de l’album A Blaze In The Northern Sky…).
- Sur « Wake of the Awakened », le tempo se veut plus soutenu, mais on reste sur un mid-tempo des familles. Le riff de guitare de Ted Arvid Skjellum, alias « Nocturno Culto », sonne plutôt simple et assez hypnotique, mais efficace. Un certain groove prédomine, rappelant quelque peu par la noirceur les albums d’obédience Black Metal plus basiques de Darkthrone comme Total Death ou Ravishing Grimness par leur noirceur. Sur le break central, on revient de nouveau au Heavy/Speed Metal typique des années 80 grâce à ses riffs de guitare. Un peu plus de variété vocale entre deux vociférations de Nocturno Culto aurait pu apporter davantage d’intérêt, avant un final lourd où le chanteur hurle un dernier « Wake of the The Awakened »…
- Après deux précédents albums déjà focalisés sur le nord et l’Arctique, nos deux comparses nous emmènent, une fois n’est pas coutume, vers un « Voyage to a North Pôle Adrift », chanson assez lente et monotone jusqu’à un sursaut sur la seconde moitié du morceau là encore très long (9’24) avec divers riffs signés Nocturno Culto. Très hypnotique avec son riff final, Darkthrone ne cherche plus à aller en l’essentiel mais aime prendre son temps aujourd’hui pour y développer ses mélodies et apporter ce côté épique.
- Cinquième et ultime chanson sur Eternal Hails…, « Lost Arcane City Of Uppåkra » a été écrite par Fenriz à son retour de vacances de Göteborg. Inspirée par les recherches du Suédois Jonas Svensson, elle traite du sentiment anti-chrétien toujours présent chez Fenriz à travers ici l’évocation du site archéologique viking d’Uppåkra, important village situé au sud de la Suède (dont a retrouvé les vestiges d’une cité antique habitée au Ier siècle avant J-C jusqu’au Xème siècle, dépassant le site archéologique contemporain bien connu de Birka). Plutôt heavy et énergique à ses débuts, « Lost Arcane City Of Uppåkra » évolue vers des horizons progressifs et assez inattendus chez Darkthrone, ouvrant peut-être une nouvelle ère pour nos deux artistes norvégiens qui arrivent encore à nous fasciner avec le minimum d’innovations tout en recyclant leurs influences musicales emplies de nostalgie.
Alors, avec près de trente-cinq années de carrière dédiées à leur amour du (Black) Métal au sens large, Darkthrone saura-t’il encore vous séduire ?
Clairement, si vous ne recherchez plus de True Black Metal brutal et evil comme c’était le cas durant les années 90, attendez-vous à simplement passer un bon moment de Heavy/Black Metal épique lancinant pour headbanguer tranquillement cet été, seul ou entre amis (et à bonne distance). Sinon, il faudra passer votre chemin ou bien juste se replonger dans les vieux albums du groupe, ou alors carrément s’orienter vers d’autres formations plus percutantes de nos jours, notamment parmi les dernières nouveautés françaises (Néfastes, Hegemon, Aorlhac, etc.), qui vous réveilleront de votre torpeur après l’écoute de ce dix-neuvième album Eternal Hails… à la fois fascinant et ennuyeux, mais qui dans tous les cas reste très abordable pour les fans (ou non) de Darkthrone. Hail Satan !! [Seigneur Fred]
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