Si Rhapsody a longtemps dominé le monde du metal symphonique italien, Elvenking s’avère être son digne successeur au vu de la qualité de son impressionnante trilogie dont la première partie, Reader of the Runes – Divination, est parue en 2019. Imposant un folk power metal de haute volée développé au fil des ans, la formation transalpine nous offre à présent Reader Of The Runes – Rapture, second volet de cette ambitieuse saga haute en couleur, et ce, pour notre plus grand plaisir. [Entretien avec Federico « Aydan » Baston (guitare/chant/claviers) par Pascal Beaumont – Photos : DR]
Vous avez participé du 30 janvier au 3 février 2023 à la fameuse croisière 70 000 Tons Of Metal. Comment avez-vous vécu ces quelques jours de festivités metal en mer dans les Bahamas ?
C’était incroyable ! C’était la première fois que nous y participions, c’était très spécial et très différent des autres festivals. Le groupe et le public sont réunis sur le même navire et cela crée un lien d’intimité unique. Tu peux te promener et aller nager dans la piscine au côté des gars de Dragonforce ou Nightwish. C’est fantastique aussi pour le public comme pour les musiciens, tu voyages en mer, tu vas faire tes balances, tu profite des escales. Il y a des concerts en permanence, vingt heures par jour. Pour nous et tous les fans de metal, c’est fabuleux de pouvoir voir autant de combos sur scène ou dans la piscine ! (rires) C’était juste magique.
Avez-vous eu l’opportunité d’y jouer quelques nouveaux titres en avant-première ?
Oui, on a joué deux nouveaux morceaux : les singles qui étaient sortis à l’époque « Rapture » et « The Hanging Tree ». C’était la première fois que nous les jouions sur scène. Le public a bien réagi. Il connaissait ces deux chansons, ils avaient vu les clips aussi.
Quatre ans après le premier volet de la trilogie Divination, vous voici de retour avec la suite : Reader Of The Runes – Rapture. Comment est né ce projet en fin de compte ?
Au départ, on voulait juste faire un album concept, cela faisait des années que l’on y pensait. On est de très grand fans de ce genre d’opus comme ceux de King Diamond ou Savatage… On voulait faire le nôtre. Mais il fallait trouver la bonne histoire à raconter, quelque chose d’assez épique qui pouvait fonctionner. On a commencé à y réfléchir et s’est mis à écrire énormément. Très vite, on s’est rendu compte que l’on ne pouvait pas développer toute cette saga sur un seul opus. Alors on a choisi de le diviser en trois chapitres comme pour un livre. La première partie Divination est sortie en 2019, et nous comptions sortir le second volet beaucoup plus tôt mais le covid est arrivé… La seule chose que l’on a pu faire pendant cette période a été de s’asseoir et continuer à écrire. Pour nous, c’était naturel d’écrire les deuxième et aussi troisième chapitres car on avait énormément de temps libre vu qu’il n’y avait plus de concert nulle part. On en a aussi profité pour enregistrer ces deux parties ensemble. La suite de Rapture est donc déjà partiellement enregistrée et devrait sortir l’an prochain.
Federico, tu t’es chargé encore de la production avec Davide « Damnagoras » Moras, votre chanteur. J’imagine que ce ne doit pas être de tout repos d’assurer à la fois le rôle de producteur et musicien ?
En effet, lui et moi nous produisons nos albums depuis de nombreuses années. On a débuté en 2006. Quand je réécoute nos premières productions, je ne dirais pas que j’en suis totalement satisfait car on n’avait certainement pas assez d’expérience à cette époque. On a toujours essayé de se produire nous-mêmes. On a parfois travaillé avec d’autres producteurs comme Dennis Ward (Ndlr : en 2010 sur Red Silent Tides). On a toujours aussi choisi de très bons ingénieurs du son au niveau du mixage comme Scott Atkins (Cradle of Filth, Behemoth) pour Rapture. Maintenant, Davide et moi avons acquis un niveau professionnel en tant que producteur et on peut dire que l’on est complètement satisfait. Avec ce nouveau disque, nous avons obtenu le meilleur son possible.
Avez-vous écrit beaucoup de morceaux puis fait une sélection par la suite ? Comment ça s’est passé sur ce nouveau chapitre ?
D’habitude, nous écrivons beaucoup et ensuite nous les meilleures idées. On n’a pas changé cette méthode. On a abandonné certains titres parce que l’on ne les trouvait pas assez bons. Après plusieurs années, parfois, on peut retrouver de vieilles démos que finalement on juge alors assez bonne même si à l’époque on les avait mises de côté. On se dit que l’on pourrait peut-être en faire quelque chose en les retravaillant. Durant toute cette période d’écriture on a eu énormément d’idées mais toutes n’ont pas donné et abouti à un morceau. On en a laissé beaucoup sur le côté que peut être l’on retravaillera plus tard…
Tu produis donc toi-même les albums d’Elvenking depuis ces dernières années. Mais dans le passé, Dennis Ward avait produit votre sixième album studio Red Silent Tides en 2010. Quels souvenirs gardes-tu de cette expérience en studio ?
Ce fut une énorme expérience, c’est un des meilleurs producteurs sur la scène hard rock et meta !. Je pense qu’avec lui, on a enregistré notre album le plus mélodique. On était dans une période où on expérimentait beaucoup, on voulait montrer différentes facettes de notre musique. Cet opus était plus dans un esprit hard rock et Dennis était le choix parfait pour ce type de musique. C’était très intéressant de travailler avec lui. Il demandait beaucoup, il nous a énormément poussés dans un certain sens en studio. Il a beaucoup d’expérience, tu sais, et les derniers albums qu’il a produit avec Helloween sont tout bonnement incroyables.
Sur les onze morceaux que l’on trouve sur ce second volet Rapture, je suppose que certains ont dû te demander un investissement plus important que d’autres, non ?
Oui, bien sûr, certains chansons étaient très exigeantes au niveau du jeu de guitares, d’autres étaient plus faciles. Il y a aussi beaucoup d’arrangements et d’orchestrations sur cet opus. Certains morceaux étaient plus difficiles concernant le jeu de guitares comme je te le disais, par exemple la chanson « Covenant ». Et « To The North » a été aussi un vrai défi pour nous afin de faire sonner les guitares de la meilleure façon possible.
Pour votre premier single « Rapture« , vous avez tourné un vidéo clip qui ressemble à un court métrage. C’est vrai que ce concept se prête bien à ce genre d’exercice !
Oui, on a choisi « Rapture » comme single ce qui est d’ailleurs un peu étrange parce que c’est la chanson la plus longue de l’opus, elle dure plus de six minutes. C’est un peu risqué de la choisir comme single après quatre ans sans album. On voulait revenir avec quelque chose d’épique et de grandiose qui pourrait indiquer ce que on peut trouver sur ce nouveau disque. Rapture , comparé à Divination, est plus obscur. Il développe une atmosphère très sombre parce qu’il continue l’histoire qui devient de plus en plus violent et noir. Tous les titres sont plus heavy. C’est ce que nous voulions aussi représenter dans la vidéo, on a essayé de la rendre très sombre avec ce vaudou très effrayant. Ce fut une expérience incroyable à faire. Personnellement d’habitude je n’aime pas tourner les clips parce que cela prend énormément de temps. On attend pour tourner, il y a beaucoup de travail, les journées sont très stressantes en général. Attendre longtemps pour pouvoir finalement tourner très peu… Mais cette fois-ci, c’était beaucoup mieux et on est très heureux du résultat. (sourires)
Vous aimeriez aller plus loin au niveau cinématographique avec cette trilogie ?
Quelqu’un nous a demandés si nous avions l’intention de tourner un film avec cette trilogie. Bien sûr, cette histoire pourrait se transformer en un bon film mais je pense que c’est impossible de travailler sur un tel projet en raison du budget qui serait énorme. En revanche, on pourrait tourner un dessin animé ou en faire un jeu vidéo, on nous a proposé cette idée. Bien qu’un film serait bien évidemment exceptionnel comme projet, mais je ne pense pas que ce soit raisonnable.
Après cette trilogie, n’as-tu pas envie de continuer cette histoire pas une autre série d’albums ?
(rires) Rhapsody l’a déjà fait avec cette énorme saga si longue. Mais pour moi produire trois opus qui développent une seule et même histoire, je trouve que c’est assez parce c’est aussi très difficile à mettre en place. Il faut trouver des liens entre chaque morceaux, que le texte soit cohérent, développer une atmosphère, cela te donne très peu de liberté pour t’exprimer toi-même. Les textes doivent tous être en relation avec ce que tu y développes. S’il y a certaines idées que tu as envie de développer, tu ne peux pas le faire car tu dois rester collé à l’histoire. Après la dernière partie de la trilogie, nous reviendrons à une totale liberté d’écriture.
Vous avez toujours eu de nombreux invités sur vos albums. Cette fois-ci c’est l’artiste sud-africaine Heike Langhans (:LOR3L3I:, Remina, ex-Draconian) qui est venue chanter sur le single « Bride Of Night ». Belle surprise !
Tout d’abord, la première chose que je tiens à te dire c’est que nous avons lu certains mauvais commentaires lorsque on a sorti la vidéo pour ce morceau sur laquelle nous annoncions sa participation. On a reçu des critiques qui stipulaient que son implication n’était pas aussi importante que ce que l’on pouvait attendre. Je ne suis pas d’accord, elle chante sur le refrain et elle assure les chœurs et c’est exactement ce que nous attendions d’elle. On voulait une voix féminine angélique très soft qui devait se combiner avec la voix de Damna et ce qu’elle a fait est excellent. C’est ce que nous cherchions, on n’essaye pas d’avoir un invité pour avoir plus de vue ou de streaming, on ne s’intéresse pas à cela. On cherchait juste un type d’effet. C’est une amie, on adore sa voix. Peut-être que sa voix n’a pas été assez mise en avant mais ce n’est pas le principal personnage de cette chanson, ce n’était pas notre intention d’utiliser sa voix en lui donnant une place importante. Ces critiques sont parues sur internet, de nos jours n’importe qui peut écrire et parler derrière un ordinateur, c’est tellement facile…
Vous avez aussi eu Jon Oliva comme invité sur le morceau « I Am The Monster » et « Forget Me Not » (sur l’album Era en 2012). J’imagine que pour toi c’était un rêve qui devenait alors réalité !?
Oui, c’était incroyable. Jon Oliva est un de nos héros. Depuis mon enfance, je suis un énorme fan de Savatage. Streets pour moi est un des meilleurs albums de tous les temps. Tous ceux avec Chris Oliva (Guitares) sont juste fantastiques comme Edge Of Thorns. On a eu la chance en 2006 d’ouvrir pour Jon Oliva en solo. On a fait une tournée européenne à ses côtés. Il a été si gentil et sympa avec nous. On était juste une bande de gosses qui débutait sans expérience, on a voyagé dans le tour bus avec lui et son groupe. C’était fantastique comme expérience. On est resté en contact avec lui de nombreuses années. Quand on a écrit ces titres, on pensait qu’il était parfait pour sa voix. On lui a demandé s’il voulait bien chanter dessus et il nous a répondu très gentiment : « bien sûr ». On a envoyé les morceaux pour lui, et les parties où je chanterais dessus. On était très heureux, il a été extraordinaire, c’est mon héros. (rires)
Vous êtes italiens comme Måneskin qui a remporté l’Eurovision en 2021. Quel est ton sentiment face à la victoire d’une formation rock italienne ?
On vient de la même région que Rhapsody. Aujourd’hui, je suis à Trieste, c’est leur ville aussi, je les ai souvent rencontrés, tout comme Luca Turilli. On a aussi tourné avec eux dans le passé, on a de très bonnes relations avec eux. Honnêtement, Rhapsody est l’un des meilleurs groupes italiens. Aujourd’hui, la formation est scindée en deux comme tu sais mais ils font partie de l’histoire du metal italien. Leurs trois ou quatre premiers albums sont pour moi légendaires. Ils sont incroyables. Pour en revenir à Måneskin : c’est vraiment une surprise, ils ne jouent pas du metal, c’est du rock mais ils sont très bons et je suis très heureux qu’un groupe comme eux soit devenu aussi célèbre dans le monde, c’est mieux que tout ce rap, pop, etc. J’étais vraiment malade d’entendre ces dernières années ce type de musique. C’est bien que de nos jours ce genre de formations avec de vrais musiciens pratiquant la basse, la guitare, la batterie avec de vrais instruments deviennent célèbres. Måneskin pour le peuple italien est très connu parce qu’il a participé à des émissions de TV comme X-Factor alors qu’ils étaient inconnus. Ils n’ont pas gagné mais ils ont été un groupe majeur lors de cette émission et leur carrière a alors explosé. Je suis très heureux que finalement un groupe de rock gagne et puisse devenir une inspiration pour tous ces jeunes et les encourage à devenir musiciens, à jouer d’un instrument et créer leur propre formation. La nouvelle génération n’est pas intéressée par la musique, c’est ce que je constate. Lorsque j’étais jeune, tout le monde jouait d’un instrument, peut-être pas très bien, mais on voulait tous créer notre groupe. Quand je vois qu’aujourd’hui les jeunes ne s’intéressent plus à la musique, j’espère que Måneskin pourra vraiment leur envoyer ce message que jouer sur scène est quelque chose de cool, que l’on retrouve ces années lorsque j’étais un jeune musicien.
Cette année Lord Of The Lost (goth metal/rock-Allemagne) et Voyager (prog’ metal/synthwave-Australie) seront en liste de cette édition de l’Eurovision 2023 (Ndlr : interview réalisée en mars 2023). Alors à quand Elvenking ? (rires)
(rires) Je te répondrais que l’on risque de ne jamais nous voir parce que sur la scène italienne, cela serait très étrange d’avoir un tel combo ! Voir une formation rock comme Måneskin jouer à l’occasion de l’Eurovision, oui, mais on n’est pas un pays rock ou metal. Ici c’est le mainstream qui existe. Mais après la participation de Måneskin, ça va peut-être évoluer les choses, on verra ce qui arrive. Je suis heureux de voir que Lord Of The Lost participe au concours.
Elvenking existe depuis 1997 du côté de Sacile (Pordenone). Quel est ton sentiment sur toutes ces années passé au sein de la formation ?
D’abord je dirais que je suis un fan de metal. C’est la chose la plus importante. Je continue à écouter énormément de musique metal. Ma vie n’existerait pas sans cette musique. J’écoute des albums du matin au soir. C’est ma vie et c’est ce que je veux, un maximum de musique dans tous les styles de metal. C’est aussi pourquoi j’ai créé ce combo quand j’avais vingt ans, je voulais créer quelque chose que j’aurais aimé écouter. J’étais un grand fan de Skyclad, une formation anglaise certainement à l’origine de la scène folk metal. Je voulais alors proposer un style qui aurait incorporé, folk, power metal, ces courants musicaux issus des années 80 et 90 avec de la folk et de la fantasy. Quand on a débuté, il y avait Blind Guardian qui sont devenus très connus grâce à Imaginations From the Other Side. Lorsque j’ai écouté ça, je me suis dit que c’est ce que je voulais faire, ce style qu’ils jouaient auparavant. C’est la même chose qui me motive aujourd’hui. Bien sûr, on a enregistré de nombreux albums. Tout va de mieux en mieux pour nous, même avec le streaming où tout est moins clair. On ne peut plus parler de ventes de nos jours mais les gens vont aux concerts. Cela veut dire que quelque chose a été fait.
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