EVILDEAD : Bienvenue à Toxicity

L’histoire d’Evildead n’est pas banale, voire insolite, et se solde par un parcours en dents de scies. Formé en 1986 à Los Angeles, ils ne publieront que deux albums au début d’une carrière pourtant prometteuse : Annihilation of Civilization (1989) et The Underworld (1991), avant de splitter en 1993. Il faudra attendre vingt-neuf ans avant que le groupe américain ne publie United $tate$ of Anarchy en 2020, après sa reformation en 2016. Quatre ans et une pandémie plus tard, ils nous offrent Toxic Grace, un véritable manifeste de thrash US à l’ancienne comme on n’en fait plus. Puriste, vous avez dit puriste ? [Entretien avec Juan Garcia (guitare) par Pascal Beaumont – Photos : DR]

La saison des festivals commence, et l’an passé, vous avez d’ailleurs participé au Wacken Open Air le 2 août 2023, un festival légendaire en Allemagne. Comment avez-vous vécu ce moment ?
Le Wacken Open Air était génial. Nous étions en tête d’affiche de la scène Wasteland et avons eu la chance d’utiliser la pyrotechnie avec le feu. On a également présenté l’une de nos nouvelles chansons « Bathe In Fire » qui était appropriée. Il y avait beaucoup de pluie et de boue, mais on sait que le spectacle doit continuer coûte que coûte. Les organisateurs de Wacken nous ont très bien traités et nous avons passé un bon moment.

Comment définirais-tu un bon concert d’Evildead ?
Je pense que c’est lorsque nous avons un bon son et des lumières, que la liste des titres est bien choisie. Au Wacken, j’ai vraiment aimé « Future Shock » issu de notre premier album, ainsi que quelques chansons plus récentes comme « Word of God » et « Napoleon Complex » aussi, tirées de notre opus précédent que l’on avait sorti en 2020. Bien sûr, des chansons comme « Annihilation of Civilization » et « Gone Shooting » ont fait bouger le mosh pit ! (sourires)

Depuis votre reformation en 2016, vous avez donc publié United $tate$ of Anarchy en 2020. Par conséquent, comment avez-vous abordé le processus d’’écriture de ce nouvel opus appelé Toxic Grace ?
Je pensais que nous étions un peu plus préparés à enregistrer Toxic Grace que notre album précédent, mais j’avais tort. Ce nouvel opus était beaucoup plus difficile à enregistrer pour diverses raisons. L’écriture était très bien car Albert Gonzales (Ndlr : le guitariste) a beaucoup apporté aux chansons, et nous avons bien travaillé ensemble, de même Rob, notre batteur, qui, d’un point de vue instrumental, nous a beaucoup apporté au niveau des arrangements et des rythmes de batterie. Phil a écrit la plupart, sinon toutes les paroles, et Karlos (Ndlr : le bassiste) a livré de vraies lignes de basse solides et orientées groove avec beaucoup de précision. La partie difficile résida plus en fin de compte dans le processus d’enregistrement parce que nous avons fait une pause à mi-chemin de l’enregistrement pour effectuer une tournée en Europe, mais une fois de retour, nous avons recommencé à travailler sur les morceaux. Les choses se sont bien déroulées ensuite, et nous avons pu respecter les délais de l’enregistrement. Le processus d’écriture a été fluide et je suis fier de la contribution de tout le monde à la matière.

Comment vous organisez vous pour l’écriture des textes ? Je veux dire, avez-vous des thèmes de prédilection ?
Phil Flores a écrit quatre-vingt-dix-neuf pour cent des paroles, les paroles sont très typiques d’Evildead comme certains des sujets abordés sur cet album qui traitent ici de l’expérience humaine, du suicide, des affaires politiques, bref, un peu de tout vraiment. C’est une forme d’art et nous aimons laisser à l’auditeur le soin d’interpréter la chanson par la suite.

Vous avez travaillé dans deux studios différents avec Dave Casey au Phase 66 et Rob Hill au X Music Studios. Qu’ont-ils apporté sur cet opus et au groupe en général ?
Dave Casey était très professionnel et j’ai trouvé qu’il a fait un travail incroyable d’ingénierie, d’enregistrement et de production sur la voix de Phil Flores sur « Raising Fresh », « Fear Porn », « Poetic Omen », « F.A.F.O. » et « Rêverie ». Rob Hill a conçu et produit « Bathe In Fire », « Subjugated Souls », « The Death & Resurrection Show » et « Stupid On Parade » sur lesquels il a fait un excellent travail. Nous avons travaillé avec deux producteurs cette fois-ci c’était une idée unique pour nous, c’était imprévu mais cela à jouer en notre faveur car cela nous donne un disque au son unique. Mais le challenge évident était de travailler avec deux producteurs à mi-chemin du processus d’enregistrement avec de nouveaux titres. Il fallait trouver la bonne sensation avec eux au niveau des tempos et trouver les tons de guitare adéquats. C’est tout un défi, mais c’est un processus amusant, surtout avec la technologie d’aujourd’hui.

J’imagine que les sessions de studio n’ont pas dû être toujours simple ?
Je suis un peu pointilleux sur les tons de guitare, et j’aime utiliser des couches de tonalités différentes ensemble donc cela peut prendre du temps à harmoniser tout ça, il faut donc de la patience. Nous aimons nous pousser dans nos retranchements, et parfois de se mettre au défi. La partie importante est de ne pas oublier non plus de s’amuser dans le processus.

Qu’est-ce qui vous a poussés à avoir envie de travailler avec eux ?
Je voulais travailler avec Rob Hill depuis un certain temps. J’aime beaucoup son dévouement et son éthique de travail. Dave Casey, Je ne le connaissais pas du tout jusqu’à ce que je le rencontre par l’intermédiaire de Phil Flores, notre chanteur, qui a travaillé avec lui dans le passé. Dave a une bonne oreille, il est un excellent ingénieur et a de bonnes idées en studio d’enregistrement. Il est très humble et perfectionniste et, surtout, il a une grande personnalité. Ce qui est important.

« Subjugated Souls » est le tout dernier single sorti, qu’est ce qui a motivé ce choix ?
Bonne question, je voulais plutôt « Rêverie » comme single, le label voulait « Raising Fresh Hell » comme premier extrait. Nous avons donc publié « Raising Fresh Hell » en mars 2024, puis nous avons poursuivi avec « Subjugated Souls » il y a quelques semaines. Je pense que Rob notre batteur voulait que ce titre soit justement publié en tant que single. N’oublions pas que nous avons déjà sorti « Bathe In Fire » l’an dernier juste avant notre tournée européenne pour informer nos fans que nous étions en train de travailler sur de nouveaux titres. Les paroles de « Subjugated Souls » parlent de la dépendance aux médias sociaux et de la facilité avec laquelle les gens sont influencés ou manipulés par les pouvoirs en place.

Le tout premier titre que vous avez proposé au public, c’était donc « Bathe in Fire ». Il y a une raison particulière ou c’est simplement le seul dont vous disposiez à l’époque ?
Oui, c’est ça « Bathe In Fire » était la seule chanson qui était prête à sortir à l’époque, c’est pourquoi elle est sortie en premier et nous voulions un morceau pour promouvoir la tournée et pouvoir être jouer sur scène. « Raising Fresh Hell » constitue ensuite un autre titre solide avec un hymne et notre maison de disques a choisi celle-ci, décision que nous avons validée. Nous voulions quelque chose de plus up tempo pour le troisième morceau et « Subjugated Souls » semblait être le bon choix avec un message fort. Le reste de l’opus possède d’autres bon morceaux pour headbanguer à coup sûr. « Raising Fresh Hell » a été écrit dans le garage de Phil pendant que nous échangions des idées musicales. Je pensais que les riffs de guitare étaient solides comme ceux d’Albert (Ndlr : Albert Gonzalez, guitares). Puis Albert et moi avons travaillé sur une partie de guitare mélodie accrocheuse et Phil a écrit leurs paroles. Rob a ajouté quelques grands rythmes de batterie et un chœur vocal cool aussi. Le titre est épique et j’ai vraiment hâte de la jouer en live.

Tu me parlais du morceau « Rêverie », te souviens-tu comment est née cette chanson ?
Albert Gonzales, l’autre guitariste, a eu l’idée initiale du riff principal de guitare. Moi et Rob, notre batteur, l’avons aidé à arranger la chanson, j’ai ajouté une partie de guitare supplémentaire pour le rythme sous le compromis de guitare solo, puis nous avons donné le titre à Phil pour écrire les paroles. Nous avons laissé beaucoup de place à Karlos Medina pour ajouter ses lignes de basse. J’aime beaucoup ce titre, il est original et lourd.

La pochette est excellente, très humoristique. Elle a été réalisée par Dan Goldsworthy (Haken, Accept, Corpsegrinder, Alestorm…), il y a ce personnage incroyable que l’on retrouve un peu partout sur vos designs depuis vos tout débuts ?
Ed Repka a créé toutes nos pochettes d’albums dans le passé. Mais sur ce nouvel opus nous voulions aller dans une direction légèrement différente et je pense que Dan Goldsworthy a effectué un travail incroyable. Il est un fan du travail d’Ed Repka tout comme nous. Phil Flores est venu avec le concept de couverture originale. Le personnage se nomme « Evil Fred » et il figure sur toutes les artworks de nos albums depuis le début. Sur celui-ci, il est un présentateur d’infos délivrant des nouvelles toxiques très gracieusement.

Selon toi, qu’apporte de plus ce nouveau disque par rapport à United $tate$ of Anarchy paru quatre ans plus tôt ?
Je pense que la principale différence est la production ; sur ce nouvel album, nous avons un son plus complet. Nous avons pris notre temps avec ce nouvel enregistrement pour nous assurer que nous étions satisfaits de notre sonorité en constante évolution, mais pas pour nous laisser emporter par nos racines thrash metal.

Remontons le temps si tu veux bien… Qu’est-ce qui vous a poussé à jeter l’éponge en 1995 seulement après deux albums enregistrés ?
Nous étions un peu déçus par l’industrie de la musique à l’époque, nous n’avions pas de management et manquions de soutien. Beaucoup de choses ont changé à cette époque, le mouvement grunge est arrivé et est devenu très populaire en Amérique à l’époque. Je pense que si nous avions été basés en Europe à ce moment-là, nous aurions continué sans nous séparer… Qui sait ?

Et qu’est-ce qui vous a poussé à revenir en 2008/2009, puis en 2016, pour finalement aboutir à la réalisation d’un nouveau disque, le premier en vingt-six ans ?
Nous avons été contactés par un promoteur pour faire la tête d’affiche d’un festival à Los Angeles et cela a fait avancer les choses. Nous nous sommes tous réunis et avons commencé à répéter les chansons et ça sonnait génial ! C’était un super live, c’était complet et c’était amusant de revisiter le catalogue Evildead et de livrer un set de thrash metal aux fans. Et oui, en 2016, nous nous sommes réunis une fois de plus pour un concert et nous avons ensuite décidé d’écrire de nouveaux morceaux. Nous avons enregistré des démos avec Bill Metoyer, ce qui nous a amenés à entrer en studio et à enregistrer l’album United States of Anarchy quelques années plus tard pour notre label. L’expérience a été positive, c’était beaucoup de travail mais nous aimons travailler musicalement parlant.

Le groupe existe depuis trente-huit ans. Comment analyses-tu ces décennies consacrées à Evildead ?
Je n’ai pas l’impression que cela fait trente-huit ans ! Le temps passe vite, c’est sûr ! Je suis reconnaissant d’être ici maintenant et de pouvoir contribuer à créer de la musique que j’aime écouter et j’espère que les fans de metal l’apprécieront autant que nous.

Quels sont tes meilleurs souvenirs que tu as vécu au sein de Evildead ?
Il y en a quelques-uns, probablement l’enregistrement de notre premier album aux studios Music Grinder en 1989 qui a été un moment spécial. Aussi notre premier concert à Fenders Ballroom en 1987 avec Dark Angel, Cryptic Slaughter et Possessed. Dernièrement, le fait de jouer au Festival Alcatraz en Belgique était un moment spécial. La foule était déchaînée et son retour envers nous était intense. Encore une fois, je suis reconnaissant et j’ai hâte de revoir les fans à l’occasion de la sortie de ce nouvel opus.

Es-tu surpris qu’Evildead soit toujours présent, et bel et bien vivant en 2024 ?
La vie nous donne des leçons, nous avons appris. Parfois, les choses semblent difficiles, presque comme une montagne géante à escalader et tu dois escalader cette montagne. La persévérance a été notre manière d’exister et c’est pour cela que nous sommes encore présents. Nous aimons aussi la musique. J’essaie de vivre ma vie sans drame et sans environnement toxique.

Vous avez sorti deux opus au début de votre carrière Annihilation of Civilization etThe Underworld. Que représentent-ils à tes yeux ?
Annihilation (…) marquait notre début dans le metal, il est intemporel. The Underworld était un solide disque, peut-être un peu trop poli, mais il y a des titres très forts, c’est devenu un classique. J’aimerais d’ailleurs ajouter quelques morceaux de The Underworld à notre set list en concert prochainement. Nous effectuerons occasionnellement des changements.

En 1986, penses-tu que pour une formation de thrash telle que la vôtre, c’était une époque plus simple et facile ?
Bien sûr, c’était un peu plus facile en 1986 pour un groupe de thrash parce qu’il n’y avait pas autant de groupes que cela sur la scène, et nous n’avions pas internet, tout passait par les disques et les K7, la communication par presse et nous étions un peu plus mystérieux. La scène metal était florissante à Los Angeles dans les années 80, il y avait beaucoup de grands groupes comme Dark Angel, W.A.S.P., Slayer, Megadeth, Malice, Abattoir, Agent Steel, Holy Terror, Hirax. Ils sont tous issus de la scène de L.A. en fait. Ce fut une grande expérience d’être présent à cette époque. Je chérie ces jours…

Quels sont les héros musicaux qui un jour t’ont donné le virus du metal ?
J’ai été inspiré par Ace Frehley (KISS), Michael Schenker (UFO), KK Downing et Glen Tipton (Judas Priest), Adrian Smith et Dave Murray (Iron Maiden) à cette époque. Ils m’ont alors donné la motivation, l’envie de jouer de la guitare et de composer des chansons avec mes amis dans le monde du metal.

En 1982, si ma mémoire est bonne, tu jouais au sein d’Abattoir au côté de Ron Gonzales, votre batteur actuel. Puis tu as rejoint en 1984 Agent Steel. J’imagine que c’était une belle époque pour toi ?
Abattoir a été mon premier combo et j’ai toujours trouvé que c’était un grand groupe. Notre premier album, Vicious Attack, était mortel. Cela m’a ouvert la voie pour lancer Agent Steel et livrer Skeptics Apocalypse en 1985.

Depuis 2013, tu es aussi le guitariste de Body Count. Comment t’es-tu retrouvé impliqué dans cette aventure ?
Je travaillais dans une maison de disques à l’époque et j’étais intéressé par le combo, alors ils m’ont envoyé une démo et je l’ai transmise à des amis à moi et Sumerian Records les a signés. Puis ils ont eu besoin d’un guitariste pour un show qu’ils faisaient à Austin (Texas) sur un festival avec Slayer, alors ils m’ont demandé de jouer avec eux. Ensuite on m’a demandé de rester dans le groupe et le reste c’est de l’histoire, on sort un nouvel opus intitulé Merciless très bientôt, et je serai en tournée avec Body Count en Europe à partir du mois de juin et ce jusqu’en juillet 2024. (Ndlr : nouveau single « Psychopath » à découvrir ici)

Je suppose que jouer au sein de Body Count est une expérience très différente d’Evildead musicalement et humainement ?
Body Count est une formation très professionnelle et j’apprécie vraiment comment les choses sont organisées. Musicalement, j’étais fan du combo dès la première fois où je les ai entendus. Humainement, ils sont froids, professionnels mais aussi très amusants.

Lors d’un festival autrefois, tu as rencontré Uli Jon Roth un guitariste immense. Que représente-t-il à tes yeux ?
Uli Jon Roth est une légende ! J’ai grandi en écoutant Scorpions Tokyo Tapes et Uli est un guitariste incroyable doublé d’un être humain inspirant. Je l’ai déjà rencontré il y a une dizaine d’années. Quelle personne incroyable et quel musicien ! Il y a d’autres monuments. Kiss Alive était un album live à couper le souffle pour moi. Même chose avec le premier Van Halen, et aussi Black Sabbath. Rencontrer Gene Simmons et Paul Stanley à l’époque était une chose incroyable puisque j’étais un grand fan de KISS. Voir aussi AC/DC live avec Bon Scott, c’était juste fantastique.

Quels sont les souvenirs que tu gardes de ta jeunesse en Californie ?
J’aimais les sports comme le baseball et le skateboard. J’ai commencé la musique plus tard, puis j’ai arrêté le sport. Le son rock/metal live et la puissance de la musique m’ont donné envie de prendre une guitare électrique.

Enfin, te rappelles-tu du premier concert que tu as donné et de ta première composition ?
C’est flou à ce stade ! (rires) Pas vraiment. Je me souviens qu’Abattoir s’est produit au Troubadour à Los Angeles et qu’on m’a demandé d’ouvrir pour W.A.S.P., voilà. Je me souviens aussi de beaucoup de bons shows avec Abattoir en tête d’affiche mais aussi en support de Metallica. Je crois que l’une de mes premières créations musicales a été « Screams From The Grave » avec Abattoir pour la compilation Metal Massacre IV de Metal Blade Records.


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