Après A Distant (Dark) Source paru en 2018, Hypno5e récidive avec Sheol qui s’inscrit en fait comme préquel au diptyque passionnant et passionné entamé sur A Distant (Dark) Source justement. La formation montpelliéraine nous amène de nouveau avec lui autour du lac Tauca, cette fois pour retracer l’histoire de ce qu’il y avait avant autour du lac, et avant l’épisode de la fameuse nuit évoquée dans le précédent album… Un homme revient sur le lac à la recherche de l’ombre de la femme qu’il a aimée. Si les deux-pièces sont les faces d’un même univers sombre, l’opposition est tout de même bien marquée puisque Sheol est, à la différence du précédent, un album plus lumineux et chaud. L’aspect cinématique, si caractéristique à la musique d’Hypno5e, est maîtrisé à la perfection. Si l’album n’est pas forcément facile d’accès à sa première écoute, notamment pour ceux qui découvriraient seulement cet excellent groupe méridional avec son sixième opus (mieux vaut tard que jamais !), une fois que l’on est pleinement plongé dedans, on découvre alors un monde sublime sur fond de musique progressive. L’imagination de l’auditeur est invitée à divaguer au fur et à mesure que les chansons défilent. Dès lors, la représentation mentale de l’atmosphère recherchée par les musiciens est instantanée. « Atmosphère ? Atmosphère ? Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère », vous direz-vous, comme disait Arletty dans Hôtel du Nord… Explorons alors cette atmosphère si mystérieuse…
Le disque débute avec le titre « Sheol, Pt. I – Nowhere », qui vient directement faire écho à A Distant Dark Source Pt. I, avec ses guitares aigues, presque étranges. La mélodie possède ce côté un peu « western », le rythme est lancinant et progressif, comme si le protagoniste errait dans un désert. Cette atmosphère si particulière est renforcée par des discours récités en espagnol. Dès les premières notes, la visualisation est directe, l’auditeur a le sentiment d’être plongé dans une espèce de film western expérimental et allégorique, semblable au célèbre El Topo d’Alejandro Jodorowsky. Ensuite vient la seconde partie, « Lands of Haze », avec ses guitares métalliques, mordantes à l’oreille. Un titre aux riffs bruts et mélodieux, ainsi qu’au groove de batterie bien rythmé.
Quelques sonorités viennent flirter avec des airs de black metal et d’autres qui ne sont pas sans rappeler le génie pink floydien, celui de la période Atom Heart Mother. D’ailleurs, cela se ressent également sur les pistes « Tauca, Pt. I – Another » et « Slow Steams of Darkness, Pt. I – Milluni ». Comme le groupe l’a mentionné lui-même, Sheol est : « une plongée dans la source sombre du lac Tauca, pour y retrouver de vibrantes visions d’un souvenir à la fois distant et brumeux, mais chaud et évocateur. » Une description parfaitement retranscrite dans ce nouveau disque, l’auditeur étant réellement happé par cette source, par cette vision. Le rendu est brillant et cinématique. Ainsi, bercé par les flots, la troisième chanson, « Bone Dust », démarre sur un air doux, mélancolique, presque émouvant. Les riffs de guitares montent progressivement, accompagnés très vite par une batterie massive. Une véritable explosion musicale. Puis, aux airs progressifs très 70’s encore du quatrième titre, « Tauca, Pt. I – Another », amenés par une mélodie à la guitare acoustique, viennent se mélanger des sonorités plus modernes, lesquelles sont sublimées par l’ajout du piano et par la voix berçante et nostalgique d’Emmanuel Jessua. Il s’agit sans aucun doute de la plus belle chanson de cette galette.
Après ce court instant de calme, « Lava from the Sky » se lance, portée par la voix plaintive de Jessua. Après deux minutes seulement, la voix est screamée et la musique se fait plus dure, avant de retomber sur une mélodie à la guitare acoustique. L’alliance des rythmes lents et rapides est maîtrisée. À ce moment, le chant redevient plus calme, vibrant et chaud, tandis que des chœurs envoûtants résonnent. On se laisse porter et a envie de les rejoindre, comme si, à ce stade, les visions évoquées précédemment prenaient réellement vie. Par ailleurs, l’ajout d’un chœur donne au morceau un aspect presque religieux ; un choix intelligemment pensé lorsque l’on sait que le nom de l’album fait directement référence au lieu où toutes les âmes se retrouvent après leur mort, pour rester en silence et redevenir poussière, dans la Bible hébraïque.
Sur « The Dreamer and His Dream », Hypno5e réaffirme son talent en tant que groupe de metal avant-gardiste et cinématique, puisque ce sixième titre est le plus cinématique de l’album. Pendant les deux premières minutes, la progression des cordes est lente, avant que la batterie ne démarre et vienne donner de l’ampleur au morceau. Le tout est alors puissant et lourd. L’œuvre se clôture sur « Slow Steams of Darkness, Pt.II – Solar Mist » (la première partie, Milluni, est jouée par un piano mélancolique), qui allie riffs progressifs et énergiques, avec des riffs distordus. Tout se mélange et une voix récitant ces mots, « j’appartiens désormais à l’autre monde », laisse comprendre à l’auditeur que désormais l’univers de Sheol disparaît pour laisser place à A Distant (Dark) Source.
Sheol s’avère donc un album harmonieux, mélodieux, cohérent. Les transitions avec A Distant (Dark) Source, ainsi qu’entre les différents titres de l’album lui-même alternant à chaque fois entre sections calmes et d’autres plus rapides, sont tout bonnement efficaces. Sur ce sixième opus, le groupe français a réussi avec brio à créer une atmosphère pleinement satisfaisante à la palette sonore riche et vibrante originale et personnelle, rappelant toutefois un peu musicalement The Ocean (ils ne sont pas signés sur le label de Robin Staps (The Ocean) pour rien). Si le génie et la densité musicale de nos Montpelliérains restaient encore à prouver auprès de certaines auditeurs perplexes, désormais ils sont indéniables chez Hypno5e. [Aurélie Cordonnier]
Publicité