C’est un festival qui va tenir sa douzième édition cette année, mais qui ne cesse de se remettre en question. Dernière évolution en date : l’arrivée du metal dans une programmation jusqu’alors plutôt dominée par les musiques urbaines, comme pour ouvrir un nouveau chapitre qui coïnciderait avec une nouvelle décennie de Nuits Carrées.
[Entretien avec Sébastien Hamard par Philippe Jawor – philippe@metalobs.com]
Voilà plus de onze ans que les Nuits Carrées existent à Antibes, mais revenons à leur genèse : qu’est-ce qui a motivé la création de ce festival, en 2007 ?
Le point de départ indéniable, c’est le lieu : l’amphithéâtre du Fort Carré, situé en bord de mer et au pied d’un monumental fort Vauban, était inexploité jusqu’à sa réhabilitation en 2007. On nous a proposé de réfléchir sur un projet artistique, un évènement culturel, et à l’époque, on ne parlait même pas d’un festival. On est partis de la découverte de ce lieu, en se demandant ce qu’on pouvait y mettre qui pourrait à la fois respecter ce lieu et répondre à la demande d’une manifestation qui n’existait pas sur le territoire.
Outre le lieu, élément incontournable du festival, d’autres éléments sont caractéristiques des Nuits Carrées : le positionnement sur le dernier week-end de juin, et une politique tarifaire attractive. À quoi sont dus ces choix forts ?
Une fois qu’on est partis du lieu, il a fallu réfléchir au contenu. Pour nous, le choix du dernier week-end de juin visait à proposer quelque chose aux publics du territoire : en 2007, aucun évènement culturel d’envergure, dans le département des Alpes-Maritimes, ne se déroulait au mois de juin. D’ailleurs, tout le monde nous prédisait qu’on allait se casser la gueule : si on voulait monter un festival, il fallait absolument qu’il se tienne pendant la saison estivale, où il y avait déjà pas mal d’offre, et face à laquelle on n’était pas forcément armés à l’époque.
Concernant la politique tarifaire, elle fait elle aussi partie des fondements initiaux du festival, et elle s’est affinée avec le temps dans sa philosophie : on est partis du principe que le premier moteur de la création de cet évènement c’était la collectivité, qui nous avait ouvert les portes de cet endroit, et qui nous a aidés financièrement pour monter cette opération. On partait du principe, et ça l’est on ne peut plus vrai aujourd’hui, que comme on reçoit un soutien de financement public, on se doit de rendre cet argent public au public. Aujourd’hui, le modèle a changé puisque les collectivités publiques ne sont plus le seul moteur de ce festival, mais plus que jamais on se dit que le Festival des Nuits Carrées se doit de porter une idée du service public culturel ; c’est la moindre des choses que les gens puissent accéder facilement à un évènement qui reçoit de l’argent public.
Au cours de ces douze ans, il a pourtant eu de l’évolution : quels en sont pour toi les moments les plus marquants ?
Je vois deux paliers d’évolution majeurs, qui séparent la timeline du festival en trois parties claires et nettes : de 2007 à 2010, on a voulu développer quelque chose de pluridisciplinaire, en accueillant de grosses compagnies de théâtre, des compagnies de danse, un ciné-concert, bref des propositions artistiques qu’on avait plus l’habitude de voir en salle, mais les contraintes du plein-air se sont vite imposées à nous ; à partir de 2011 on est passés à un festival tout musical, avec beaucoup d’évolution dans la programmation jusqu’en 2017, qui marque l’apparition d’une troisième soirée, dédiée aux esthétiques rock et alternatives, et notre volonté de positionner le festival sur ces musiques-là.
Justement, qu’est-ce qui fait arriver le rock parmi une programmation plus « urbaine », si on peut la qualifier ainsi ?
Moi, je reste un enfant du rock : quand j’étais ado, j’étais un immense fan de Guns’n’Roses, Led Zeppelin, j’ai glissé vers le metal quand j’ai acheté le premier album de Soulfly en édition limitée – que j’ai toujours à la maison – puis j’ai évolué vers le jazz, pendant très longtemps, pour revenir sur la black music qui en découle un peu de fait et revenir ensuite à la pop, au rock, etc. Ça c’est pour le côté affectif. Pour le côté plus professionnel, on s’est dit qu’on commençait une nouvelle décennie de festivals, qu’il fallait continuer à se remettre en question et innover pour nos publics : on avait envie de faire une troisième soirée, mais pas de faire un copier-coller des deux soirées déjà en place, il fallait proposer quelque chose de complémentaire, qui répondrait aussi à une carence du territoire. En s’appuyant sur des collègues du secteur, on s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup d’initiatives très dynamiques dans les musiques alternatives, mais très peu d’événements d’envergure ; il était temps de porter par chez nous quelque chose qui a enfin de la gueule, en s’appuyant aussi sur l’expertise de nos confrères, qui ont de très bonnes initiatives mais qui restent hélas très isolées sur la région PACA.
Comment expliquer alors cette espèce de déficit de propositions rock/metal ?
Pour commencer, on est dans une région qui a un fort positionnement politique, tourné vers l’attractivité touristique. En ce qui concerne la diffusion du rock/metal, particulièrement dans les Alpes-Maritimes, on peut dire qu’il y a certainement un déficit de salles : c’est un département dans lequel il n’y a plus de SMAC – pas que les SMAC soient l’unique réponse aujourd’hui, mais historiquement elles ont porté les musiques actuelles au sens large du terme dans tous les territoires –, dans lequel il y a très peu voire pas du tout de salles de moyenne capacité (entre 250 et 500 personnes), donc on se retrouve soit avec des micro-initiatives privées de clubs, avec des gens qui se bougent énormément pour proposer des choses, comme l’Altherax de Nice, qui programment et accueillent des associations qui diffusent du rock, du metal, etc. Il y a aussi pas mal d’initiatives du côté de Marseille, mais je pense que c’est essentiellement une difficulté à installer des infrastructures de diffusion en dehors d’évènements ponctuels, mais aussi le fait que la plupart des acteurs locaux préfèrent se concentrer sur la musique électronique, dont la typologie du public va assez bien avec la typologie du public de la Côte d’Azur. Cependant, nous sommes persuadés qu’il y a aussi une demande plus rock, et la troisième soirée de l’année dernière nous a donné raison : les gens étaient là !
Comment sont opérés vos choix de programmation ?
J’allais faire une blague et répondre qu’on prenait ce que le Hellfest ne prend pas et/ou veut bien nous laisser ! (rires) Je dis ça en rigolant, mais ça reste une réalité du secteur aujourd’hui en France : il y a une industrialisation de l’offre, une très forte centralisation des choses, et aujourd’hui, se démarquer avec un festival intermédiaire pour accrocher tel ou tel artiste, il faut se lever tôt – en gros un an avant le festival – sinon il n’y a plus rien, et il faut réussir à installer l’évènement pour être identifié comme une scène essentielle. Pour la programmation, j’ai toujours fonctionné au coup de cœur et au sens qu’avait la programmation sur un plateau. Ce format nous permet justement d’avoir une soirée où on a Pleymo, que l’on avait confirmés très tôt, où il n’y a que des artistes français qui sont représentatifs de différentes esthétiques : on a Smash Hit Combo en ouverture qui fait le bon répondant de Pleymo sur le côté nu-metal à la sauce 2018, Dagoba qui en plus d’être de la région représente le penchant le plus metal, et Ultra Vomit qui vient ajouter le côté « on ne se prend pas au sérieux ». Je me bats pour avoir des plateaux qui ont du sens, qui puissent faire cohabiter plusieurs publics.
À quels autres projets peut-on s’attendre ?
On va continuer notre dispositif de découvertes parce que ça a été une vraie réussite cette année. Il y a une émanation du festival qui va voir le jour à la rentrée qui s’appelle Les Ateliers Carrés, qui est un dispositif de résidence annuelle pour des artistes en développement du territoire : on va faire profiter de nos infrastructures et de nos ressources professionnelles à des artistes. C’est notre rôle de rester proches des artistes tout au long de l’année. Enfin, on travaille pour l’année prochaine à l’installation d’une zone d’environ 1000m2 sur le festival, à l’écart du site, pour créer un véritable lieu de vie pour toute la famille, qui ouvrirait l’après-midi, avec des jeux pour enfants, du street art, du marché de disque… Des choses que l’on peut retrouver dans d’autres festivals mais qui existent assez peu chez nous. Un bon festival, c’est avant tout un bon lieu de vie.
Enfin, même après douze ans, quels peuvent encore être les écueils à éviter pour les Nuits Carrées ?
Il y en a plein. Je passe sur les histoires de météo : on en a assez souffert l’année dernière avec le vent. Le public n’est jamais acquis, donc il faut savoir se remettre en question d’année en année, ne pas se reposer sur ses lauriers. Il faut continuer à surprendre : cette année, on a fait le pari de proposer deux soirées très tournées rock, c’est un risque que l’on prend, mais il faut qu’à la fin les gens soient présents. Il faut arrêter de reporter la faute sur les publics : un évènement, quand il ne fonctionne pas, c’est de la faute des gens qui le portent, pas des publics. Nous ne sommes pas sur un territoire de festivals, avec un aspect communautaire fort comme on peut en avoir au Hellfest, aux Vieilles Charrues ou au sens large dans les festivals de Bretagne où il y a cette culture ; la confiance des publics se construit avec le temps. La plus grande difficulté, c’est de conserver cette confiance et ne pas décevoir ; c’est pour cela que l’on met la barre très très haut. On essaie d’être irréprochables pour respecter les attentes des publics.
Du 28 au 30 juin 2018
+ d’infos : nuitscarrees.com
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