SHEWOLF : Féministe et grunge jusqu’au bout des ongles

C’est lors de l’ouverture du festival eurélien L’Paille À Sonique à Luisant le 10 février dernier, en banlieue de Chartres (28), que nous avons eu l’occasion de faire connaissance avec le trio féminin SheWolf. Assurant la première partie locale des punks des Sales Majestés et Ramoneurs de Menhirs, elles ont pu ainsi présenter leur rock grunge engagé à l’image de leur second album Parasite (paru chez Tadam Records en 2021), et ce, dans de superbes conditions scéniques devant un parterre bien rempli. Après leur concert, nous avons réussi à interroger ces trois drôles de dames en coulisse pour mieux découvrir leur personnalité et leurs convictions. [Entretien avec Alice Adjutor (Guitare/Chant), M-C Martine (Batterie/Chant), Fanny Amand (Basse) par Seigneur Fred – Photos : DR – Photo live : Seigneur Fred]

Shewolf

Pour commencer, faisons les présentations si vous le voulez bien avec chacune. Et comment s’est formée la meute féminine de SheWolf un beau jour de 2015 du côté de Nogent-Le-Rotrou, dans le Perche ? (sourires)
Alice :
En fait, l’histoire de SheWolf, pour être exacte, on s’est rencontré à Paris. On sortait chacune de plusieurs années de vie à Paris, certaines comme moi pour nos études, le travail, etc. et on a fondé ce groupe à Paris. Et peu de temps après, on a décidé toutes ensemble de partir en province. Moi, j’ai choisi d’aller m’installer en Eure-et-Loir car j’avais une perspective de vivre au sein d’une communauté. En fait, c’était un projet d’habitat collectif dans le Perche, à Vichères précisément, un joli petit village à côté de Nogent-Le-Rotrou, avec plein de reliefs. C’est d’ailleurs là le point culminant du département, la colline de Rougemont (285 m). Et voilà, j’ai trouvé ça hyper intéressant. Ensuite, Marie-Claude et Fanny m’ont suivi rapidement car elles voulaient aussi quitter Paris. Quant au groupe, il existait déjà auparavant sous forme de quatuor depuis quelques années avec une autre guitariste à la base. On avait déjà des compositions, et donné des concerts à Paris. C’est juste qu’à un moment, on avait toutes la volonté de s’y mettre à fond, de faire de la musique et essayer d’en vivre, et construire un modèle de vie en phase avec nos convictions et avec lequel on puisse se passer du salariat pour vivre de peu, et passer tout notre temps à développer SheWolf.
Fanny : Moi, Fanny, je suis arrivée qu’après, à la basse, un an après, en 2016.
M-C : Et moi, c’est M-C, la batteuse. Je m’occupe aussi des enregistrements du groupe en studio.

Du coup, êtes-vous intermittentes du spectacle pour essayer de vouloir vivre de votre musique car sans cela, ça me paraît très difficile, surtout dans le rock grunge de nos jours ?
M-C :
Alors, moi je le suis déjà personnellement, quant aux filles, elles vont l’air prochainement cette année. Mais après, c’est vrai qu’au départ, on n’a pas trop voulu être intermittents pour ne pas rentrer dans un système, mais bon là, quand il n’y a plus eu de concerts (à cause de la crise sanitaire liée au covid-19), là on s’est dit que c’était vraiment dommage quand même car pour continuer à vivre, il y a eu des aides quand même durant cette période d’inactivité. En fait, on n’est pas simplement un groupe qui chante des textes, mais on veut vivre les choses et les textes que l’on chante. Je sais que l’on est un peu vu comme des « rock farmeuses » pour dire vulgairement, il n’y a qu’à voir mes mains, dans le sens où tu vois, on a des poules, des toilettes sèches (rires). Et on a aussi toutes des convictions politiques. En tout cas, on essaie d’être le plus proche de nos valeurs et le plus sincère possible.

Je pense que tout ça se ressent bien d’ailleurs à travers vos chansons et vos clips vidéo, comme « Pages » ou « Monster » avec un côté do it yourself…
M-C :
Oui, voilà. Et la politique aussi, c’est important. Selon moi, la politique ne peut passer que par la démocratie. Pour que ce ne soit pas juste un vain mot, on essaie d’y participer. Par exemple, Fanny et moi faisons partie du Conseil Municipal de notre village car on veut s’impliquer démocratiquement dans la vie de notre commune.

Mais cela prend beaucoup de temps tout ça, non ?
M-C :
Oui, beaucoup de temps, et on apprend car tout ça, on ne connait pas trop comment ça marche. C’est vrai qu’en général, ce sont souvent les retraités qui prennent ça en charge car ils ont plus de temps et sont plus expérimentés. D’ailleurs merci à eux. Voilà, tout ça fait que l’on essaie d’être en accord avec les valeurs que l’on défend avec SheWolf. On n’est pas juste un groupe de rock en fait.

Donc c’est tout ça à la fois, SheWolf, si je comprends bien ? Au niveau discographique, vous avez donc publié déjà deux albums, c’est bien ça ?
M-C :
Ouais, c’est tout ça. Et nous avons sorti deux albums autoproduits : le premier en 2017, Sorry, Not Sorry ; et le dernier, Parasite, en 2021.
Alice : On a enregistré les deux LP dans notre home studio dans une vieille grange. Il y avait une asso derrière, oui. Et c’est notre batteuse donc, M-C, qui s’est occupée de l’enregistrement et du mixage. On fait tout nous-mêmes. On est même enregistré à la SACEM. C’est pas parce que l’on n’est pas signé sur une major que l’on ne peut pas faire les choses bien. (sourires)
Fanny : Avec le soutien des gens qui achètent les albums. En fait, on fait un système de préventes qui financent nos enregistrements. Il y a eu un système de collectes sur internet (crowdfunding), et ça marche bien, comme sur Patreon, Ulule, etc. par exemple. Mais attention, on ne demandait pas non plus des sommes pharamineuses.

Ce système de crowdfunding vous aide donc à financer vos enregistrements comme le petit dernier Parasite, et à vous équiper en studio en ajoutant par exemple des boîtes à œufs sur les murs de votre home studio pour un meilleur rendu phonique ? (rires)
M-C :
Oui, ça nous a aidés. (rires) Mais non plus sérieusement, quand j’étais à Paris, j’étais ingé son et j’avais du matériel en studio. Et il s’avère qu’un des colocs d’Alice est dans le son aussi. Donc on a fait un studio à quatre en fin de compte qui nous sert de home studio pour SheWolf.

Ce n’est pas un certain Laurent de Soras par hasard ?
Alice et Fanny :
Ah ah ! Un vrai petit journaliste. Il a bossé son sujet !! (rires)
M-C : Oui, c’est lui. Ce gars-là est un vrai petit génie de la musique et du son. Il a notamment inventé, avec d’autres, les plugins numériques. C’est un peu notre ange gardien. Il collabore avec nous et nous aide beaucoup.
Alice : Et c’est un ami avant tout.

N’est-ce pas lui qui vous a aidés à concevoir votre propre pédale d’effet de distorsion Distopia à la guitare s’inspirant de la célèbre DS-1 de chez Boss utilisée un temps par Kurt Cobain (Nirvana) ? Pouvez-vous m’en dire davantage là-dessus ?
M-C :
Ouais, en fait, je faisais de l’électronique aussi à la base. J’étais pas contente de la pédale DS-1 en fait, et ce pour plein de raisons, donc voilà, on s’est dit qu’on allait essayer de prendre la même distorsion du son mais en mieux.

C’est-à-dire en creusant plus les médiums peut-être ?
M-C :
Disons… On voulait que le son soit un peu moins compressé, et que ça sonne plus naturel. Et là, c’est Laurent de Soras qui m’a proposé de faire un mix, c’est-à-dire garder ce son de distorsion et aussi couplé à un son plus naturel, qui permet surtout à la basse de mieux ressortir par rapport à la guitare, tout en gardant le son naturel de la basse, car si on mettait une distorsion qu’utilise parfois Fanny, ça écrase. Bref, on a fait des essais et il a créé cette pédale Distopia pour nous. C’est tout de même fou qu’on se retrouve à vivre dans le même village, dans la même ferme qu’Alice. Il a bossé notamment avec The Prodigy, Trent Reznor, et est le fondateur de Ohm Force.

Et toi, Fanny, dis-nous en plus sur ton arrivée au poste de bassiste dans le groupe et ton background ?
Fanny :
Oui, je joue donc de la basse. Mais au début je les filmais en concert car j’aime beaucoup ça. Et j’adorais déjà le groupe. J’ai alors vu leur potentiel, leur énorme potentiel. (rires) Là je me suis dit qu’il leur manque une… bassiste !
M-C : En fait, on avait déjà une bassiste qui était géniale aussi, mais qui avait d’autres projets, et on s’est séparée d’elle, un peu à regret au début, mais on a finalement trouvé ensuite Fanny.
Fanny : Oui, et je me suis installé aussi à Vichères (28).

D’où vient le nom SheWolf au fait ? J’ai deux hypothèses mais l’une ne coïncide pas chronologiquement : la chanson de Shakira datant de 2009 ce qui serait plausible vu que votre groupe s’est formé en 2015 ?
Alice :
Oublie cette hypothèse… (rires)

Ou bien est-ce un clin d’œil à la super-héroïne She-Hulk, cousine de Hulk dans Marvel, dont la série TV a commencé sa diffusion l’an dernier sur Disney+ mais n’a pas brillé par sa qualité et aurait mieux fait de s’appeler « Shit-Hulk » mais bon ça c’est une autre histoire…
Alice :
Alors c’est limite vexant, mais non plus. Oublie ça aussi. Bah, en fait, quand on a fondé le groupe, on ne trouvait pas de nom (libre), or on avait déjà fait plein de répèts, donné des concerts, et on n’avait toujours pas de nom. Et sur l’un de nos premiers morceaux qui s’appelle « Red Moon Slave » disponible sur YouTube, extrait de notre premier EP, enregistré alors en Allemagne mais ça c’est secret (rires), et un jour si on a le temps on te racontera son histoire… Bref, dans ce single, dans les paroles que je chante, il y a un moment donné : « Don’t mess with the she-wolf » (NDLR : en français, « ne plaisante pas avec la louve »). Un soir, M-C m’envoie alors un texto en me proposant ce nom, SheWolf, qui figure dans nos paroles et correspondrait bien.
M-C : Ouais, la meute, la louve, à la fois la féminité et le côté sauvage, la mère, la prostitution, etc. De toute façon, de tout temps, dès qu’une femme devient un peu trop indépendante, on la traite de… Donc il y a tout ça derrière ce choix de nom…


Quelles sont vos principales influences musicales sinon ? Comme ça, j’aurai tendance à dire Hole, The Breeders, Pixies, un peu de L7, Veruca Salt, Mudhoney… Qu’en dites-vous ?
M-C :
C’est drôle là car tu cites là que des groupes féminins quasiment… Après, oui, la plupart que tu cites, mais personnellement, même si ça ne s’entend pas forcément, je suis fan de Trent Reznor et Nine Inch Nails : des albums tels que The Downward Spiral, The Fragile… Moi j’aime bien le rock/indus. Après on est deux à composer dans le groupe, Alice étant très influencée par le grunge…
Fanny : Kurt Cobain et Nirvana… (rires)
M-C : C’est toujours compliqué les influences. Après, si les gens retrouvent certaines influences comme celles-ci, ça va, c’est bien, après, quand on compose, enfin je parle pour moi car Alice fonctionne peut-être autrement, on ne se dit pas : « Tiens, faisons comme Nirvana là, ou Hole », etc.
Alice : (d’un air ironique) Ah tiens, et si on faisait comme un tel… Pour moi, Nirvana, oui c’est une influence importante car j’ai simplement beaucoup écouté ça, mais je ne me suis pas dit que j’allais refaire la même chose. Le but est de créer à sa manière en apportant sa patte, et non de refaire ça, mais forcément, on a toutes des influences conscientes ou inconscientes en nous.
Fanny : Et pour moi, c’est Clauclau… (rires)

Shewolf

C’est facile de jouer du grunge en France en 2023 et quand on vient du Perche ? (rires) Car ce genre musical n’est plus vraiment à la mode de nos jours…
M-C :
Clairement, non… Surtout que le rock n’est plus à la mode, alors le grunge, c’est mort…
Alice : Le rock propre est revenu à la mode.
M-C : En fait, les groupes de rock nés dans les années 90 qui sont toujours là, comme No One Is Innocent, Lofofora, etc., remplissent des salles, ok, car il y a déjà un public, qui les a connus à l’époque, et qui revient les voir, et les programmateurs de festivals et concerts, comme ça, ne prennent pas de risque en les mettant à l’affiche. Mais quand tu commences en tant que jeune groupe de rock dans les années 2000/2010, alors là, tu n’as pas de place. Priorité aux groupes déjà connus, et il y a très peu de groupes émergents de programmés, et on va plutôt pousser et accompagner des artistes hybrides, électro par exemple. Et en plus on joue du grunge qui, oui, est quelque part démodé, donc c’est vraiment la galère bien souvent pour nous. Par conséquent, c’est vraiment difficile quand on veut jouer et se produire quelque part, mais bon on a choisi ce style, on a choisi notre vie, donc on ne se plaint pas.

Avez-vous déjà participé à des tremplins à des festivals comme le Printemps de Bourges en région Centre ?
Alice :
Oui, c’est déjà arrivé, en 2019 je crois, avant la crise du covid-19. On avait joué sur la scène ouverte du Berry Républicain au Printemps de Bourges mais c’est vraiment particulier.
M-C : Ouais, il y a tellement de groupes que c’est un peu un marché de la musique. Il y a beaucoup de codes dans la profession. On a joué avec un décompte, heureusement le public nous a soutenu, et c’est surtout ça qui compte.

Revenons sur votre second et dernier album en date, Parasite, paru en 2012 en autoprod’ sur votre propre label, Tadam Records. Il a plutôt eu un bon accueil. Récemment, vous avez signé avec On n’est pas des Machines. Est-ce que cet album va ressortir avec eux peut-être sous forme de réédition ?
M-C :
Non, car On n’est pas des Machines n’est pas un label mais un éditeur, qui peut nous permettre de passer à la radio, sur différentes plateformes, etc. C’est un éditeur et société de management.
Alice : Parasite est sorti juin 2021 et non, on n’a pas prévu de ressortir cet album, mais plutôt d’écrire et composer de nouvelles chansons en vue d’un nouvel album ou EP. Pour Parasite, on l’avait écrit en plein covid-19 et on a alors profité du temps que l’on avait pour le peaufiner. Bien souvent les premières prises étaient bonnes en plus… (sourires)

Vous n’avez pas trop subi du coup cette paralysie liée au covid hormis l’arrêt des concerts, bien sûr ?
Alice :
Cela n’a pas trop été une stagnation pour SheWolf car de toute façon on allait l’enregistrer ce second album. On a eu juste plus de temps pour le peaufiner. Le fait aussi que l’on vive en milieu rural, on était moins impacté, plus libre d’une certaine manière, car on ne s’est pas senti enfermés alors que d’autres ont bien plus subi ce confinement en ville notamment.
M-C : L’album a du coup était assez rapide à enregistrer, car on avait pris le temps d’enregistrer une maquette avant. Les prises de son ont été faites en live, et on a enregistré ensemble en jouant dans le studio, sauf les chants, et certains détails/arrangements.

Et personnellement, cette crise du covid-19 vous a-t’elle particulièrement marquée peut-être ?
M-C :
Hum… La crise du covid a surtout marqué l’absurdité d’un système capitaliste qui refait toujours les mêmes erreurs, qui ne comprend rien, incapable de réagir…
En fait, nous, on a beaucoup souffert du covid, mais pas par le covid. On a perdu des proches qui n’ont pas pu avoir leurs soins correctement, des examens déprogrammés, et qui sont décédés malheureusement (cancer)… Mais je n’ai pas envie de redébattre du covid, ça changera rien et c’est derrière nous à présent même si je ne suis pas d’accord sur tout ce qui a été fait sur la vaccination de la population sans avoir de recul dessus.

Shewolf


Malheureusement si l’on avait rien fait, la situation sanitaire aurait probablement été pire… Mais bon, c’est un grand débat, en effet, et il y a eu quelques effets secondaires après l’injection du vaccin (thrombose par exemple chez la femme). On ne connaît pas toutes les conséquences sur l’être humain de toute façon à moyen ou long terme. Vous êtes justement des artistes plutôt engagées. Concernant vos paroles, de quoi traitent-elles : nature (écologie), politique, féminisme… Là encore c’est tout ça l’attitude SheWolf. Comment vous procédez au sein du groupe ? Comment fonctionnez-vous ?
M-C :
En général, c’est soit Alice, soit moi qui compose et écrit une chanson, musique et paroles. Si on écrit une chanson, on fait tout, puis on propose aux autres et on réarrange si besoin. Des fois, je pars d’un texte, comme sur « Monster » où j’évoque les politiques. Là j’étais un peu énervée car c’était au moment où Christophe Castaner avait dit des manifestants que c’était des terroristes. Sur « Pause féminin(e) », là je parle de la femme comment elle est considérée, je suis partie d’un texte. D’autres fois, ça part d’un riff ou un rythme. Après Alice fonctionne autrement.
Alice : Moi, je commence par la mélodie, à la guitare.

Et toi Fanny, tu écris et composes un peu dans SheWolf ?
Fanny :
Non, moi je ne compose pas, mais j’aimerais bien écrire des paroles pour le prochain album. Je préviens les filles dès maintenant ! (rires)
Alice : Ah ok, et des fois elle nous corrige par contre, par texto ! (rires)

Enfin, pour conclure, quels sont les projets de SheWolf ?
M-C : On est donc au stade de composition pour des nouvelles choses à sortir prochainement…
Alice : Et des concerts à venir : le 03/03/2023 à Tours au Bateau Ivre, le 10/03/2023 à Orléans à L’Argonaute, puis Bourges le 18/03/2023. Puis une date est prévue à L’Entrepôt à Aarlon en Belgique le 25/03/2023.


Parasite - SHEWOLF
SHEWOLF
Parasite
Rock grunge
Tadam Records

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