THE ACACIA STRAIN : L’espoir et l’échec

Il est facile de succomber au rythme rassurant de la production d’un album, de sa sortie, puis sa tournée. Mais cette facilité répétitive, The Acacia Strain n’en veut plus ! Le groupe de Chicopee (Massachusetts) parvient quelque peu à s’extirper de ce cycle artistique linéaire. En 2019, les Américains avaient initié la démarche avec la sortie surprise d’It Comes in Waves, suivi en 2020 par cinq EP’s aux titres énigmatiques D, E, C, A et Y, présageant l’opus Slow Decay. Une fois n’est pas coutume, en 2023, c’est avec non pas un mais deux albums qu’ils récidivent : l’un direct, dans la lignée des précédents, et l’autre plus expérimental. Un même talent au service de deux approches. [Entretien avec Devin Shidaker (guitare) par Marie Gazal – Photo : DR]

Vous sortez la fois Step Into the Light et Failure Will Follow. Comment en êtes-vous venus à produire deux albums en même temps ?
On a beaucoup travaillé sur notre écriture pendant la période covid, c’est tout ce que nous pouvions faire d’ailleurs. D’habitude, il s’écoule environ deux ans entre deux albums, mais nous avons sorti It Comes in Waves et Slow Decay rapidement l’un après l’autre. Et cette fois, nous avons décidé de les sortir en même temps, afin que les deux albums s’influencent l’un l’autre et même se mélangent l’un à l’autre. Nous sommes un groupe capable de créer des sons différents et en sortant deux albums différents, on peut vraiment se focaliser sur chacun. C’est pourquoi nous avons décidé d’en faire deux et de les sortir simultanément.

Peux-tu nous parler de ces « sons différents » plus en détail, s’il-te-plaît ?
Step Into the Light est plus agressif, rapide et court, direct. Au lieu de tourner autour du pot, si nous avons un message à passer, nous le faisons en une minute trente, c’est le morceau, nous n’avons pas besoin de l’étirer sur trois ou quatre minutes. Nous avons même demandé à Kevin Boutot(batterie) de jouer des blast beats, ce que nous avions fait par le passé. Tout ce que nous avons fait avec le groupe n’a fait que s’étendre, repousser les limites de ce que nous savions faire. Donc ce n’est pas un gros changement pour nous, nous essayons toujours de faire quelque chose qui sort de l’ordinaire. Quant à Failure Will Follow, il se concentre plus sur notre côté doom-sludge metal et sinistre. Parfois nous terminions des albums avec un morceau de doom un peu comme nous l’avons fait sur It Comes in Waves qui était expérimental, alternant parties rapides et parties doom. Il y a beaucoup de choses dans cet album : des éléments post-rock, des guitares en son clean et d’autres choses qu’on ne s’attend pas à retrouver dans la musique de The Acacia Strain, mais qui sonnent quand même comme tel.

It Comes in Waves est paru en 2019, suivi de Slow Decay en 2020. Et en 2023, vous sortez donc deux albums le même jour : Failure Will Follow et Step Into The Light. Rien que ça ! Est-ce que vous souhaitez révolutionner la manière dont les groupes sortent leur musique, d’une certaine façon ?
J’ai remarqué que beaucoup d’artistes sortaient un album traditionnellement, se concentrant sur les singles en les créant individuellement. Si c’est ce qui leur convient, tant mieux, mais les albums sont encore importants. C’est un travail massif, de cohérence, c’est plus difficile à écrire. Écrire une dizaine de morceaux qui vont si bien ensemble qu’ils résonnent comme un tout et te font écouter l’album entièrement, c’est plus difficile qu’en écrire un seul. Je pense que ce que nous avons fait en sortant par surprise It Comes in Waves, en sortant lentement Slow Decay, tu sais, morceau par morceau avant de te rendre compte que c’est censé être un album complet, en faisant des choses comme ça, nous maintenons l’intérêt des gens éveillé. Annoncer l’album et sortir les singles, c’est ennuyant, on sait ce qu’il va arriver ensuite, alors que là, ils voient un premier album annoncé puis découvrent qu’il y en a un deuxième. On ne pourra plus jamais sortir un album normal à nouveau, nous devrons toujours arriver avec quelque chose de marrant, de bizarre, qui rassemble les gens. Il faut le faire pour entretenir la connexion avec les fans, ils sont intéressés et ont l’impression de participer à ce que tu fais. Sortir l’album, partir en tournée pour le jouer pendant durant ans et recommencer, ça devient ennuyant alors que ce que nous faisons semble imprévisible.

Dans Slow Decay, vous parliez de la Terre et de comment nous lui avions fait atteindre ses limites. De quoi avez-vous choisi de parler cette fois ?
La première fois que nous avons eu cette idée de faire deux albums, Vincent (Bennett, chant) avait en tête ce leitmotiv où Step Into the Light traitait des humains qui cherchaient à prolonger leur durée de vie jusqu’à l’infini à travers la technologie et toutes ces avancées qui rendront ça possible un jour. Et ça peut être envisagé de différentes manières : garder nos corps vivants, télécharger notre conscience dans un cloud, éviter la mort… Failure Will Follow parle quant à lui de ceux qui refusent ça et qui acceptent leur sort parce que même si tu prolonges, tout finit par se terminer. On vit et on meurt. Si tu choisis de vivre, tu finiras quand même par mourir. A quoi bon le prolonger ?

Et tu fais partie de quel camp ?
Je ne sais pas ! J’aime bien les ordinateurs ! (rires) Dans le groupe, personne n’a vraiment pris position, c’est juste un débat très intéressant.

THE ACACIA STRAIN

Enfin, un mot à propos de vos deux artworks: on y voit la nature et ses processus de naissance, de vie, de décomposition, de mort… Pourquoi avoir choisir ces deux visuels ? De manière très basique, je trouve que ça rend bien. Mais au-delà de ça, j’aime l’idée qu’on regarde la pochette sans pouvoir deviner qu’il s’agit d’un album de deathcore. C’était l’idée avec ces deux pochettes. Sur la première, tu vois cet oiseau qui nourrit ses oisillons. Sur la deuxième, tu vois cette biche morte qui pourrit à l’air libre et tu peux voir l’oiseau sur son cadavre, avant de comprendre qu’il nourrit ses petits de sa chair. C’est le lien entre les albums. Ce n’est pas brutal comme la couverture des albums de death metal qui montrent des corps démembrés. La nature est déjà brutale en elle-même, pas besoin d’en rajouter une couche. La mort est autour de nous en permanence.



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