ULCERATE
La mort vous va si bien

C’est à l’autre bout du monde, pour nous Européens, que le talentueux trio de Death Metal néo-zélandais œuvre et expérimente toujours un peu plus en profondeur en étudiant la condition humaine et ses maux au gré d’albums studio de haute volée. Basé à Auckland depuis 2002, Ulcerate nous livre aujourd’hui Stare Into Death And Be Still (en français : « Regarde la mort et reste tranquille »), un sixième opus légèrement plus affiné et mélodique dans la droite lignée cependant de son prédécesseur, l’excellent Shrines Of Paralysis. Et quand on écoute plus en détails ce nouvel album (à ne pas mettre cependant entre n’importe quelles oreilles), le son est tout simplement dantesque, totalement adapté à la puissance tellurique que dégage Ulcerate avec sa musique à la fois technique et extrêmement sombre… [Entretien avec Jamie Saint Merat (batterie) par Seigneur Fred – Photo : DR]

Tout d’abord, comment ça va en Nouvelle-Zélande dans ce contexte de pandémonium mondiale ? Es-tu en bonne santé, toi et les autres gars d’Ulcerate ? Êtes-vous touchés par l’épidémie de Covid-19 aussi comme nous en Europe et dans le monde plus généralement car vous n’êtes pas très loin de l’Asie d’où c’est parti ?
Nous sommes en sécurité, mais dans un confinement national aussi. Les autres membres dans le groupe vont bien également, merci, mais nous avons dû annuler ou essentiellement reporter tous les projets de tournée pour cette année, ce qui est frustrant.

Il y a quatre ans Jamie, nous nous étions entretenus pour votre précédent album Shrines Of Paralysis paru chez Relapse Rec., c’était donc en 2016. Alors, comment pourrais-tu résumer ces quatre dernières années ?
Durant ces quatre dernières années, nous n’avons jamais autant tourné justement et fait de concerts un peu partout dans le monde. Le groupe a joué en Amérique du Nord, trois fois en Europe 3 fois, en Australie et en Asie également, trois fois aussi.

Penses-tu que la notoriété d’Ulcerate a progressé sur la scène Métal internationale où la compétition est rude car ce n’est pas si facile pour un groupe néo-zélandais comme vous d’arriver à exporter sa musique notamment en Europe et d’y percer ?
En termes de notoriété, c’est toujours difficile à dire de notre point de vue. Je dirai qu’à chaque fois que nous partons en tournée pour un nouvel album, les shows se multiplient et grandissent en termes d’impact, ils sont plus intenses, et les tournées dans leur ensemble deviennent beaucoup plus faciles pour nous, notamment en termes de gestion et de logistique. En termes de compétition sur la scène Métal, on s’en fout ! Ce n’est pas un sport et on ne fait pas une course pour être le « meilleur ». On fait ce qu’on fait, après les gens aiment ou détestent.

Pourquoi avez-vous quitté le label Relapse Records après la sortie de Shrines Of Paralysis ou à moins peut-être que ce soit l’inverse et que ce soit eux qui aient décidé de mettre fin au contrat avec vous après cet album ? Relapse Rec. est un super label pourtant, non ?
Relapse est un super label, oui, mais peut-être pas un super label pour nous… Ils étaient très désireux de travailler avec nous au-delà de notre album Shrines (…) mais je sentais que nous devions travailler avec un label qui nous semblait plus petit, à échelle humaine, comme fait à la maison en quelque sorte avec, conceptuellement  et moralement parlant. Relapse Rec. a cependant été transparent et professionnel avec nous, et chaque personne avec qui nous avons travaillé est devenue un ami par la suite. Mais avec Debemur Morti Productions à présent, nous sommes plus en phase, et c’est beaucoup plus confortable pour nous et où nous en sommes en tant que groupe.

Alors, comment avez-vous préparé ce nouvel album studio Stare Into Death And Be Still ? Comment avez-vous travaillé ensemble sur les nouvelles compositions durant le processus créatif ? Avec la même méthode que sur Shrines (…), c’est-à-dire tous ensemble, Michael (guitare), Paul (basse/chant) et toi à la batterie ?
Essentiellement avec le même processus que toujours en termes de construction de chansons. Cette fois cependant nous avons passé en gros la première moitié de l’année 2018 essentiellement à expérimenter avec une direction plus mélodique mais toujours aussi à cheval entre la laideur et la propreté, le brut, la noirceur, et la lumière,  la beauté, chose que nous aimons chercher et trouver. Avec ce nouveau matériel servant de base pour notre nouvel album, nous avons également passé un temps fou presque excessif sur les nuances de l’interaction musicale uniquement instrumentale, en termes d’harmonie et de mélodie afin de maintenir ce ton dur et sombre, sans jamais (espérons-le) virer vers l’excès ou aller dans des territoires pompeux et faciles. En raison de l’approche mélodique déjà amorcée sur le précédent album Shrines (…), le chant devait prendre une approche plus leader, accompagné d’un processus d’enregistrement et de mixage des arrangements ici relativement long et exténuant, mais ce fut finalement très utile pour l’ensemble.

Justement, à propos de votre son en studio maintenant. Stare Into Death And Be Still est un disque tout aussi puissant que ses prédécesseurs, il est extrêmement lourd, et sonne fort, très live. Avez-vous changé quelque chose dans le processus d’enregistrement en studio ? Avez-vous de nouveau travaillé aux studios MCA pour le chant et la batterie (l’endroit où vous répétez, il me semble) et aux Depot Studios pour les parties de guitares et de basse comme sur Shrines Of Paralysis ? Il y a un petit quelque chose en plus pourtant…
C’est vrai, nous avons eu recours exactement aux mêmes lieux en termes de studio mais nous avons toujours fait de notre mieux pour avoir chaque nouvel album aussi bien voir meilleur que ses prédécesseurs. Sur le plan du son et de la tonalité, nous avons opté pour un split Marshall 5150 + pour l’ampli des guitares, et un split Sunn + TC Electronics pour la basse. Le mixage est également complètement différent de toutes nos versions précédentes. On a changé quelque peu notre philosophie à ce sujet. Cet album se devait de sonner dense, mais ouvert, dense, avec les basses conduisant le bas des gammes et notre manière de riffer au niveau des guitares sonne d’une manière que nous n’avons jamais explorée auparavant. Une grande partie du son de guitare est en fait définie par le ton des basses, et c’était quelque chose dont nous avions parlé très tôt en préparant le nouvel album il y a déjà deux ans. Pour la batterie, le son a été également dicté par le besoin d’espace, et de puissance, j’ai donc opté pour un mixage avec plus d’espace que d’habitude dans notre travail sonore. Donc oui, il y a une approche plus propre cette fois que sur nos deux derniers albums en termes d’enregistrement, ça c’est sûr. Cela assure ainsi une respiration suffisante et un plus grand espace pour chacun des instruments.

Au niveau des guitares, Michael Hoggard utilise-t-il une guitare à sept ou huit cordes peut-être sur album et en concert afin d’obtenir ce son si dense comme tu disais ? Qu’en est-il précisément sur ce nouvel album ? Et quelle est ton opinion sur cet instrument et ses perspectives sonores qu’il peut offrir en particulier dans votre style musical qui est sombre et lourd car parfois la technicité peut servir mais aussi faire le contraire et desservir l’émotion dans les chansons ?
Non, notre guitariste n’en utilise jamais, seulement des guitares six cordes. Aucun de nous n’est intéressé par ce type de son (notamment avec la huit cordes). Personnellement, j’ai vraiment détesté ce son accordé bas juste pour le plaisir, parce que c’est à la mode. C’est devenu si commun de nos jours. On a longuement parlé du fait que nous n’avons jamais vraiment été groupe qui veut sonner absolument heavy, et aller dans une surenchère là-dedans. Nous n’avons certainement aucun intérêt à utiliser ce son comme une béquille car le jour où tu n’as plus de béquille, si tu n’es pas suffisamment solide, tu tombes ! Donc, partant de ce principe-là, nous avons décidé d’aller dans notre propre voie sur cet album Stare Into Death And Be Still. Et nous sommes accordés Drop D sur la corde la plus grave (Mi) sur la plupart des morceaux, c’est tout. A ce stade, c’est suffisamment à notre goût et nous apprécions vraiment le son. Cela vous oblige également à penser complètement en dehors du paradigme « lourd », « heavy » de manière collective, tous ensemble car on ne peut compter que sur nous pour sonner naturellement lourd et obtenir cette puissance intrinsèque sans faire une compétition pour qui parmi les groupes sonnera plus lourd qu’un autre grâce à son instrument.

Tu avais déclaré en 2016, Jamie, dans notre précédente interview pour Metal Obs à propos de votre précédent disque Shrines of Paralysis, que ce dernier allait ouvrir de nouvelles portes en termes d’expérience musicale pour Ulcerate, toujours Death Metal certes, mais avec votre touche très dark, oppressante, et une nouvelle approche plus mélodique ou atmosphérique dans votre style. Penses-tu que Stare Into Death And Be Still va dans ce sens à présent 2020, nous entraînant toujours plus profondément dans les abîmes de votre musique, brutale et technique mais pas trop, sans oublier de mettre des mélodies dans votre Brutal Dark/Death Metal ?
Cet album est un nouveau pas définitif dans cette voie pour nous, allant encore plus loin vers un son presque à cent pour cent dissonant. Shrines (…) nous faisait flirter avec ces idées, mais ce nouvel album enlève tout à fait le voile. Maintenant, dans mon esprit, ce contenu émotionnel plus sombre est plus fort et important que tout ce que nous avons fait. L’accent est mis complètement sur la puissance, sur le chaos, et cet album est juste à l’écoute beaucoup plus satisfaisant qu’autre chose. Bien sûr, on est conscient de proposer de la musique impénétrable, difficile, mais on y trouve une catharsis dans les moments les plus puissants ce qui est extrêmement agréable comme résultat. Nous avons donc décidé de voir si nous pouvions écrire un album qui aboutit presque exclusivement à ces moments.

Le titre de ce nouvel album est très pessimiste et peut-être ironique de votre part : Stare Into Death And Be Still. Que voulez-vous dire ici à travers cette phrase ? Voulez-vous que les gens qui écoutent votre musique ne prennent pas leur destin en main, ne prennent pas en charge leur destin et restent passifs dans leur vie face à la mort, ce qui est bien sûr imparable ? Je dois admettre être perplexe là… (sourires)
Il n’y a là aucune ironie. Le thème général de l’album traite du respect de la mort, inspiré de nos propres expériences profondément personnelles à nous tous. Au cours des deux ou trois dernières années, nous avons perdu beaucoup de proches. Nous avons assisté à la perte de personnes chères et la mort nous a donc affectés de près. Cela semblait être un sujet naturel à explorer à travers notre musique. Le titre de l’album parle de l’horreur passive d’être témoin de l’emprise de la mort sur quelqu’un que l’on aime. Elle nous prend lentement mais sûrement quelqu’un que vous aimez et un beau jour c’est vous…

Quand je t’avais interrogé au sujet de ton humeur quand tu composais de la musique ou écrivais des paroles, à quoi ressemblait ton état d’esprit à ce moment-là, tu m’avais répondu simplement qu’Ulcerate dépeignait selon toi « le monde qui s’effondre… ». Hé bien, nous y voilà en cette période d’épidémie mondiale et de récession économique à présent à cause du covid-19 ! Comment te sens-tu maintenant en 2020 à la veille de la sortie de votre sixième album ? Es-tu confiant dans l’avenir et les perspectives du groupe avec ce nouveau disque tout de même ?
L’ambiance en ce moment est surréaliste, j’avoue. Le nouveau titre de l’album ne pourrait pas être plus approprié à l’heure actuelle. Je suis confiant qu’il y aura un avenir ; mais ce sera différent. Je sais simplement que je ne suis pas le seul à ne pas savoir quelle forme le futur prendra. Aussi, c’est infiniment intéressant de voir à quelle vitesse la planète entière peut être amenée à un statu quo cependant, en l’espace de quelques semaines, et d’une manière relativement non violente aussi même si la mort n’est jamais une partie de plaisir. En fait, c’est la situation parfaite de la représentation de l’arrogance de l’Homme et de son pouvoir de sous-estimation envers son entourage.

Avant de conclure, que souhaites-tu ajouter à propos de ce nouvel album studio Stare Into Death And Be Still à destination de nos lecteurs ? As-tu quelques détails à son sujet à nous faire part ?
Je pense que c’est un album qui, espérons-le, intriguera à la première écoute et finira par révéler sa vraie nature au cours des mois d’écoutes répétées. Avec le temps, il se révèlera à vous, j’en suis sûr. Nous sommes très fiers de cette édition 2020, ce sera intéressant de voir ce que les gens feront des morceaux encore inédits, et on espère que les lecteurs apprécieront le nouvel album dans son ensemble, comme un tout.

Alors quels sont donc vos projets pour 2020 ou pour plus tard même si c’est difficile ? Allez-vous faire une tournée européenne plus tard dans l’année si cette pandémie s’arrête ?
Actuellement, tous les plans de tournées sont annulés et reportés jusqu’à ce que nous ayons une idée plus claire de ce qui est concrètement réalisable. Nous avons (ou avions) réservé des dates en Australie et Asie comme je te disais au départ, ainsi qu’en Amérique du Nord, tout est interrompu pour l’heure. C’est extrêmement frustrant, mais sur toute la planète entière, les mains sont liées. Nous nous tournons donc vers 2021 plutôt à présent, avec potentiellement une venue en Europe au premier trimestre. Aucune promesse évidemment.


ULCERATE
Stare Into Death And Be Still
Darkened Death Metal progressif
Debemur Morti Prod.
★★★★☆

Le trio néo-zélandais avait déjà placé la barre très haut avec Shrines Of Paralysis en 2016, abordant une direction légèrement plus mélodique et variée, avec toujours un fort niveau technique, rendant son Death Metal complexe et suffocant un chouia plus digeste. Si ses détracteurs depuis l’album Vermis (2013) restèrent sur leur faim, cette nouvelle galette d’Ulcerate va peut-être cependant réconcilier les anciens fans avec les nouveaux. Mais attention ! Quoiqu’on en dise, ce formidable groupe demeure si singulier et novateur qu’on ne peut les blâmer de continuer ici leur exploration artistique à travers les limbes du Death Metal le plus sombre et sinueux qu’il soit… Comme son prédécesseur, Stare Into Death And Be Still s’avère à son tour tout bonnement énorme. L’exemple parfait pourrait être résumer dans le morceau « Exhale the Ash » : riffs dissonants à tout va et leads dérangeants du guitariste Michael Hoggard, batterie ahurissante de Jamie Saint Merat avec ses nombreux breaks aux influences Jazzy mais à la puissance du Métal, longues plages abyssales (durée moyenne de 7 à 8 mn par chanson) où le chant caverneux de Paul Kelland n’écrase pas tout comme parfois c’est le cas dans le Death Metal, permettant ainsi le développement d’ambiances véritablement étouffantes et sauvages. Côté production sonore, on prend les mêmes (studios) et on recommence puisque nos trois gaillards sont retournés aux MCA Studios (leur lieu de répétition) pour la batterie et le chant, ainsi qu’aux Depot Studios pour les guitares et basse, donc peu de différence à ce niveau-là ni de prise de risque. Pourtant l’ensemble sonne encore à la fois plus clair. Il conserve cette texture lointaine et chaleureuse où chacun des instruments possède son espace sonore mais avec un rendu plus live. Du coup, les huit nouvelles chansons dégagent plus d’impact émotionnellement parlant. On peut ainsi pénétrer dans les tableaux sonores chaotiques et torturés d’Ulcerate qui dépeignent ici la faiblesse de l’Homme face à la mort (les musiciens ont perdu plusieurs de leurs proches durant ces dernières années) dans notre monde si fragile en ces temps incertains. Quatre ans après avoir paralysé la scène internationale du Brutal Darkened Death Metal, les maîtres néo-zélandais nous plongent dans un nouveau tourbillon de riffs puissants et de rythmes étouffants avec une expérience unique au son tellurique appelée Stare Into Death And Be Still.

[Seigneur Fred]

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