Co-fondateur de Biohazard, Billy Graziadei poursuit sa carrière solo avec son second effort : Leaders and Liars. Ses quinze morceaux sont autant de raison de descendre dans la rue et brandir le poing. En plein lancement de son nouveau single « Blackout », Billy, homme engagé et artiste accompli, nous parle de son approche de la musique et de la vie en toute franchise comme à son habitude. [Entretien avec Billy Graziadei (chant/guitare) par Marie Gazal – Photos : DR]
C’est déjà ton second album pour le projet « BillyBio », doit-on en conclure que tu aimes être un artiste solo ?
Pour moi, c’est comme brancher un câble électrique directement à mon cœur et à mon âme. Le donner à quelqu’un qui écoute, c’est partager mes émotions et sentiments les plus profonds. C’est pur, c’est honnête, c’est vrai, c’est authentique, c’est moi ! Je suis fier de tout ce que j’ai fait par le passé avec Biohazard, Powerflo et les autres groupes, mais être un artiste solo, c’est comme être un peintre qui fait une peinture. Un peintre ne file pas le pinceau à ses potes, avec une bière en disant : « Vas-y, change ce que tu veux ! Modifie ma peinture en fonction de ce que tu penses qu’elle doit être ». En tant qu’artiste solo, ma vision reste intacte, ce que j’essaie d’exprimer est honnête à 100%. Quand j’ai sorti le premier album Feed the Fire, quelqu’un m’a demandé pourquoi j’avais attendu vingt ans pour sortir un album solo. J’ai toujours été un artiste solo dans un sens, j’adore jouer avec Biohazard, j’adore faire partie d’un groupe avec d’autres créateurs, des amis, de la famille. Mais j’ai toujours été capable de faire des morceaux, de les enregistrer, de les remanier techniquement, donc de prendre mes idées, de les enregistrer et de les partager. Je suis à l’aise avec cette partie de la production. Avec Biohazard, chacun ajoutait sa touche et ça devenait les morceaux du groupe. Je l’ai fait, mais je préfère, surtout maintenant après tant d’années à partager mes idées, cette forme d’expression pure qui fait que ce que j’ai dans ma tête, dans mon cœur et mon âme donne la peinture finale qu’on accroche au mur.
C’est quoi le plus difficile dans le fait d’être en solo ?
Il n’y a rien de difficile. Je devrais avouer qu’il n’y a personne à qui déléguer. Mais même dans Biohazard j’étais toujours le gars responsable de l’organisation : les répèt’, les setlists, le merch… Normalement, quand d’autres personnes sont impliquées, quelqu’un peut prendre en charge telle tâche ou aider à telle tâche, mais moi je dirige mes vidéos, je produis mon album, je fais l’artwork, je communique sur les réseaux sociaux, je m’occupe du marketing. Je ne vois pas ça comme un taf, mais plutôt comme un projet à une seule voix, l’expression d’un art vivant, dont font partie la musique, l’artwork, l’aspect graphique… même ce qui s’est passé l’autre jour lorsque je parlais de l’Ukraine. J’apprécie le soutien de tout le monde, sauf des gens qui veulent crucifier les autres juste parce que leur opinion diverge. J’ai posté des choses qui me feront sans doute perdre des internautes, mais je m’en fiche. Je veux secouer l’arbre et faire tomber les fruits pourris.
Justement, à ce propos, quelle est ton opinion sur la guerre en Ukraine ?
C’est juste horrible. A ce moment de l’histoire, de ne pas être capable de s’assoir et de discuter entre humains ? C’est juste hallucinant, putain. Je pense que Poutine a perdu la boule, qu’il veut regagner le pouvoir que la Russie avait trente à cinquante ans auparavant. C’est fou. Mon problème, ce sont les gouvernements et les politiciens, pas les gens. Les gens qui me connaissent savent que je suis anti-guerre, et contre Poutine qui investit l’Ukraine. Cela ne signifie pas que je suis anti-Russie. Mais qui serait pour la guerre, d’abord ? Personne ! Je suis pour la défense. Si quelqu’un arrive chez moi et veut faire du mal à ma famille et à moi, c’est mon droit de les protéger. Mais mon voisin qui va chez mon autre voisin pour imposer sa façon de penser et de vivre contre son gré, je suis contre.
Pourrais-tu me parler des sujets que tu abordes dans ton nouvel album ?
Bon… Combien de temps tu as devant toi ? [Rires] Il y a beaucoup de sujets. J’ai sorti une vidéo aujourd’hui pour un morceau appelé « Blackout », le premier sur l’album. Quand tu grandis, tu apprends les valeurs et la morale de tes parents, de ta famille, de tes amis. Plus tu vieillis, plus tu sais qui tu es, quelles sont les valeurs que tu soutiens et auxquelles tu crois. Il y a un titre appelé « Lost Horizon » qui parle de ces gens qui les ont oubliées. « Generation Kill » traite de ceux qui s’en fichent, qui sont tellement pris dans la volonté de combattre les gens qui ne pensent pas comme eux ou qui ne suivent pas les mêmes croyances. Ils vont faire tout ce qu’ils peuvent pour les détruire plutôt qu’essayer de les comprendre. Qui veut vivre dans un monde où tout le monde pense de la même manière ? Pas moi. J’adore Metallica, j’aime aussi Megadeth. Je ne veux pas vivre dans un monde où il n’y a que Metallica ou que Megadeth. « Blackout » parle de traiter des situations d’une façon plus juste, de rester calme et de comprendre plutôt que de bouillir à l’intérieur.
Je sais que tu es un artiste prolifique, comment as-tu choisi les quinze morceaux figurant sur l’album ?
Je n’ai pas le sentiment que mes morceaux aient été choisis, mais plutôt qu’ils m’ont choisi. J’écris et je crée tout le temps. Et vient un moment où soudainement tous les morceaux s’emboîtent et prennent vie pour me dire : « Nous sommes un album et nous allons nous appeler Leaders and Liars ». Je ne force rien, en fait je me focalise uniquement sur ce que je crée à ce moment et quand je juge que ce moment est capté avec pureté et authenticité, ça devient une chanson. Un petit paragraphe devient un chapitre d’un plus grand livre. Les morceaux semblent s’attirer les uns les autres comme des aimants pour former cette image et cette image s’appelle Leaders and Liars, quelques années plus tôt c’était Feed The Fire, et je suis déjà en train de travailler sur le prochain chapitre de BillyBio, et qui sait ce que ce sera ? Cela fait partie de ce que je suis, je me mets dans une situation où je suis vulnérable. Être un véritable artiste, c’est être plus soucieux de l’authenticité que de vendre et d’être populaire, de combien de likes tu as ou de combien de gens te suivent…
As-tu expérimenté d’autres choses sur cet album ?
Pour ceux qui comprennent la musique, il y a en réalité douze notes. Dans notre échelle moderne, huit de ces notes sont en clés, donc il n’y a qu’un certain nombre de notes que tu peux combiner de différentes façons. Parce que ces douze notes sont très limitées, je recherche toujours la treizième note, je cherche quelque chose de différent, d’original. Je vais te raconter une histoire. J’ai fait une interview il y a longtemps avec Kerry King de Slayer. J’adore Kerry King, J’adore Slayer. Je pense que ces mecs ont changé la vie de beaucoup de gens. Le journaliste demande à Kerry : « Kerry, ce nouvel album, il sonne comme Slayer » et Kerry a répondu : « Je sais ce que les fans de Slayer aiment, donc je sais quoi leur donner ». Puis, le journaliste s’est tourné vers moi et m’a dit « Billy, tous les albums que tu fais sont un peu différents. Ils ont toujours cette touche qui t’est propre, mais de manière différente. » Et j’ai dit, avec respect pour Slayer : « Pourquoi je voudrais réécrire les mêmes morceaux encore et encore ? » L’approche est la même, mais je ne réécris pas les mêmes morceaux. Je reste focalisé sur le moment et je laisse sortir ce qui est à l’intérieur de moi, ce qui est authentique. Donc est-ce que j’expérimente ? Je ne ferme pas de portes, je ne regarde pas les choses en disant « Arf, je ne sais pas ». On me demande souvent « Comment tu sais que ce morceau deviendra un morceau de BillyBio, Biohazard ou Powerflo ? » Je ne sais pas et je ne m’en inquiète pas, je laisse les choses venir.
As-tu des nouvelles de Biohazard ?
Bien sûr, Danny [Schuler], Bobby [Hambel] et moi sommes très proches, on se voit deux à trois fois par semaine ou par mois. On a ressorti d’ailleurs Urban Discipline sur vinyle. Il a des morceaux bonus et une version alternative de « Five Blocks to the Subway » qui est très cool.
Que penses-tu de la scène hardcore actuelle ?
L’un des morceaux sur Leaders and Liars s’appelle « Our Scene », qui parle de ce que je ressentais quand j’étais adolescent, que je n’appartenais à rien, que je grandissais auprès de gens que je ne comprenais pas ou que je ne voulais pas comprendre. Les choses que j’aimais étaient différentes des leurs. Je me sentais comme un étranger. Puis, j’ai découvert la scène hardcore, pop-rock, underground et d’un coup je me suis senti chez moi, avec des gens qui me ressemblaient, avec qui je me sentais bien et avec qui je pouvais être moi-même. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à me sentir bien dans ma peau. Cette scène musicale dont je fais partie depuis longtemps a toujours été accueillante. Même si le monde change et évolue, ce sentiment d’appartenance, ce sentiment de famille, a toujours été présent en 1979, 1989, 1999, et sera là en 2029. J’adore ça, je le soutiens, je le vis, je le respire et je mourrai en soutenant ce genre. J’ai dédié ce morceau à mon amour pour cette scène musicale.
D’après toi, quels sont les éléments essentiels pour faire un bon morceau de hardcore ?
Je pense que l’authenticité est l’élément le plus important. Comme je l’ai dit, il n’y a que douze notes que tu peux combiner. Je n’aime pas l’idée d’être influencé par des groupes comme Minor Threat, mon groupe préféré quand j’étais ado, ou Agnostic Front, Cro-Mags, Black Flag, Discharge, il y a tellement de groupes. Tu peux faire beaucoup de trucs avec ta guitare, mais c’est vraiment l’authenticité qui te permet de faire un truc unique.
Quels sont tes prochains projets ?
Pour l’instant, je suis vraiment occupé à faire la promotion de Leaders and Liars, les vidéos, etc. Je fais tout moi-même. Ça prend beaucoup de temps. Mais j’ai été un peu frustré parce que j’ai deux tournées mondiales qui ont été annulées. Je travaille à une tournée cet été, mais maintenant que le Covid se calme, une troisième guerre mondiale semble sur le point d’exploser, donc… C’est difficile de se projeter, de mettre de l’énergie à préparer et organiser pour que ça ne se fasse finalement pas. Je vais continuer à écrire et voir ce qu’il se passe.
Pur hardcore new-yorkais, BillyBio (plus connu pour sa contribution au culte de Biohazard) nous gratifie de son second album solo, quatre ans après avoir mis le feu avec Feed The Fire. Sur Leaders and Liars, retrouve quinze morceaux puissants comme autant de coups de gueule. Billy emprunte à des icônes du métal (Iron Maiden ou Black Sabbath), les clins d’œil sont fins et complètement intégrés dans son style à la croisée du punk, du hardcore et du métal, le tout constituant son ADN depuis toujours. La fusion de l’ensemble de ses éléments aboutit à un album court et dense, qui prend véritablement aux tripes et donne envie de brandir des banderoles en criant dans la rue ! Toujours fidèles à ses valeurs et à ses combats, les morceaux sont à la fois politiques (« Fallen Empires »), sociaux (« Looking up »), personnels et introspectifs (« Cyanide », « Turn The Wounds », « Our Scene »). Bref, c’est brut, c’est bon, c’est bio, c’est BillyBio ! [Marie Gaza]
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