Qu’est ce qui peut rassembler deux groupes comme Karras et Blockheads sur une même tournée dans l’Hexagone ? La passion, bien sûr, l’amitié aussi, tout ça autour de mêmes valeurs communes liées au death metal mais aussi surtout au grindcore. Plutôt que nous entretenir séparément avec chacune des parties, nous avons improvisé cette rencontre dans les coulisses de la célèbre salle orléanaise de L’Astrolabe pour prendre la température avant la chaude soirée qui nous attendra, et en savoir davantage sur nos compères qui sont passés à table au micro de Metal Obs, quelques heures avant de monter sur scène… [Entretien avec Diego Janson (basse/chant- KARRAS), Xav (chant – BLOCKHEADS) et Raph (basse/chant – BLOCKHEADS) réalisé à L’Astrolabe d’Orléans le 29/10/2022 par Seigneur Fred – Photos : DR]
Tout d’abord, comment se passe cette tournée Grind To The Void Tour 2022 ? Et s’agit-il d’un report de l’année 2021 à cause de l’épidémie de Covid-19 étant donné que vos albums respectifs sont sortis en 2020 et 2021 ?
Diego : Non, non, il n’y a pas eu de report. En fait ça a germé dans nos têtes. Xav et moi, on se connait depuis longtemps dans la scène grindcore. Auparavant, je jouais déjà dans un groupe de grind, Sickbag, et à l’époque j’avais déjà fait des premières parties de concerts de Blockheads. Il s’avère que Xav a rencontré le tourneur de Karras lors d’une date de concert. Ils ont parlé tous les deux. Et l’idée est née comme ça. En plus, comme on se connaissait avec Xav, alors on s’est appelé. Après tout, pourquoi pas faire un plateau Blockheads/Karras ?? Sur le papier, ça le faisait. Alors après, let’s go !
Xav : De toute façon, c’est aussi le fruit d’un réseau d’amis, fait de potes de longue date qui viennent de la scène. A chaque fois, au fil des rencontres, naissent d’autres rencontres. Romain, le tourneur de Link Productions, va ainsi faire du booking pour Karras, Blockheads, et pour plein d’autres projets, on l’espère. Il a trouvé avec nous tous que ce serait une affiche intéressante, avec que des gens bien, entre potes. Il y a ce côté un peu équipe, « crew », comme une grande famille. Tourner est une chose, mais tourner entre amis avec des gens qui nous sont chers, c’est plus facile.
Diego : Tout est plus facile. En général, quand tu tournes avec d’autres groupes que tu ne connais pas trop personnellement, il faut toujours au moins cinq ou six dates de chauffe, de préparation, pour que les liens de fassent, alors que là, on se connaît tous, et dès le premier soir, on se retrouve et on boit un coup. Avec Xav, on se connaît depuis longtemps mais ça faisait longtemps aussi que l’on ne s’était pas vu. C’est comme si je l’avais quitté la veille. (sourires)
Xav : Dans cet entre-deux, on a plein d’autres amis en commun, provenant d’autres scènes, comme les gars de Hangman’s Chair (Ndlr : à venir prochainement à L’Astrolabe également), mais aussi Loudblast, et plein d’autres…
Diego : J’ajouterai qu’en première partie, à chaque fois, dans la mesure du possible, on essaie d’être cohérent et toujours faire jouer un groupe local, que l’on connait, qui convient au style, grâce à notre réseau.
Xav : Mais en fait tout ça se fait naturellement en fin de compte.
Du fait de sa jeune activité, Karras n’avait jamais joué ici, mais Blockheads n’était jamais venu jouer à Orléans jusqu’à aujourd’hui ?
Xav : Eh bien non, c’est la première fois. Il y a une première fois à toute chose… (rires)
A ce stade de cette tournée commune, très fraternelle, y’a-t’il déjà des projets de collaborations qui peut-être naissent dans vos esprits durant cette proximité, comme enregistrer un duo ensemble, avec l’un en guest sur une chanson de l’autre comme on va le voir sur scène, ou bien carrément enregistrer un split EP ou LP ensemble ?
Xav : Ah, euh… Sur scène, oui, il y a déjà des invitations. Diego vient chanter à la fin sur un titre avec Blockheads, mais sinon, non, tout est assez improvisé. Tout se fait à l’instinct en fait.
Diego : Non, il n’y a pas de business plan préétabli à ce niveau-là… (rires) Pas dans le grindcore, du moins. (rires)
Xav : Moi hier, par exemple, j’avais envie de me faire un vol sur du Karras. Eh bien, je me suis offert deux beaux slams pendant leur concert ! (rires) Et ce soir, Diego, va peut-être venir chanter sur l’un de nos titres. Après, on ne voit plus loin.
Diego : Après tout est faisable. Faut que ça se fasse naturellement. Je ne vais pas par exemple demander à Xav, comme ça fait longtemps que l’on ne s’est pas vu, lui demander, tiens, de figurer sur le prochain album de Karras, tu vois. S’il vient à la maison, et que l’on a envie, pourquoi pas, mais rien de planifié.
Xav : Ouais, les plus belles choses de toute manière c’est quand ça se fait naturellement, tout simplement…
Alors ça veut dire qu’il y a déjà un second album en préparation dans les tuyaux pour Karras si je comprends bien ?
Diego : Ouais, on a enregistré le nouvel album de Karras. Il est prêt, et déjà masterisé. À présent, ce qui nous gêne, ce sont les délais de pressage pour les vinyles, c’est très long et compliqué. Et puis on change de label, il y en aura plusieurs selon les versions et distributions, mais ça va se faire, l’an prochain. Avant mai 2023, ça serait bien qu’il sorte. En fait, un peu comme Blockheads avec Bones Brigade et Lixiviat Records, on va sortir le second LP en co-release comme on dit, il y aura deux labels au moins, et nous, avec ma structure en asso, je garde cinquante pour cent de la production. Ce sera distribué par Season of Mist, c’est tout ce que je peux te dire. Comme ça, je garde une certaine indépendance. En fait, Verycords nous a bien dépannés sur notre premier album None More Heretic, je les remercie vraiment d’ailleurs, mais ce n’est pas un label qui nous correspond.
C’était le contexte sanitaire et culturel assez exceptionnel dû au covid-19 que le premier album de Karras est sorti chez Verycords justement ? Peut-être aussi en lien avec Yann (Heurtaux), guitariste de Karras (absent ce soir pour cause de concert avec son principal groupe Mass Hysteria), que vous aviez signé avec ce label français pas vraiment spécialisé en death metal ?
Diego : C’était du dépannage, mais c’est pas leur truc le death metal, ni le grindcore. Mais en fait, là encore, c’était aussi une question d’amitié. Yann est pote avec le boss du label, Simon, qui lui a alors dit : « Si tu ne peux pas sortir ailleurs ton album et ne trouve pas de label pour Karras, alors je peux t’aider et te le sortirai ». C’est ce qui s’est passé.
Malgré le contexte à sa sortie, globalement les retours furent très bons pour ce premier album de Karras, non ? (lire notre précédente interview et chronique en 2020)
Diego : Ouais, mais ce qui nous a peu freinés, l’album devait sortir le 27/03/2020, or on a été confiné dès le 20/03/2020, alors il a été repoussé à mai, mais donc pour la promotion et les concerts qui en découlaient, ce fut limité. Pour un nouveau groupe, avec un premier album, ce ne fut pas l’idéal. Donc en fait, le prochain et second album à paraitre l’an prochain, ça va être un peu comme notre premier véritable album pour Karras car il sortira dans un meilleur contexte, enfin du moins je l’espère.
Quant à Blockheads, vous avez publié votre sixième album Trip To The Void (Bones Brigade/Lixiviat Rec.) en 2021 à une période là encore pas évidente pour les artistes, voilà pourquoi je croyais au départ que ce Grind To The Void Tour était un report de l’an passé…
Xav : Nous, en fait, on a surfé entre deux vagues. Et on a beau faire du grindcore et jouer des titres très speed en général, paradoxalement, on est très lents à la détente pour enregistrer et sortir un nouveau disque… (rires)
Oui, j’ai calculé, excepté à vos débuts dans les années 90 puis dans les années 2000 où vous avez sorti deux albums par décennie, à partir de 2013, vous avez sorti qu’un seul album par décennie en moyenne ! (rires) Soit This World Is Dead (Relapse Rec.) en 2013, et donc Trip To The Void l’an dernier, ça fait peu… (sourires)
Xav : Ouais, toujours est-il qu’avant la période de confinement et tout ce qui est arrivé, on avait écrit un petit message à notre label Relapse Rec. pour dire qu’on allait rentrer en studio pour un nouvel album qu’on venait d’écrire, ils nous ont alors dit : « stop, on met fin au contrat ». De toute façon, on était baisé, surtout qu’ils sont très procéduriers les Ricains. Bref, on l’a fait façon punk en se disant qu’on allait faire autrement et surtout se bouger les doigts du c** pour sortir ce nouvel album. On a donc profité du temps que l’on avait entre 2020 et 2021 pour enregistrer l’album Trip To The Void. On a alors pris notre temps, le projet s’étalant sur plus d’un an. De la composition, à l’enregistrement, l’artwork, on a en fait travaillé à fond chaque partie, en se disant que l’on pouvait mieux ici ou là. On a réfléchi où on ferait le mixage l’album, etc.
Raph : Les prises de son des guitares, rien que pour les réglages, ça a pris quatre jours ; la batterie trois jours. On a vraiment peaufiné chaque chose, ce que l’on ne faisait pas spécialement auparavant. Mais tout ça ne s’est pas fait en un seul bloc. Au final, ça a mis un an environ mis bout à bout.
Mais avec Blockheads, vous n’aviez alors pas de label et étiez libres du coup ?
Xav : À cette période-là, en effet, on ne savait même pas chez qui on sortirait l’album. On l’a enregistré sans label, en étant alors dans la réflexion à ce sujet. On s’est alors dit d’un commun accord qu’on allait revenir aux sources et à nos origines. On s’est adressé alors à Nico de Bones Brigade qui, direct, nous a recueillis de nouveau les bras ouverts. Ça c’était pour la promo, et la sortie physique et digitale, et pour l’édition vinyle, on a signé avec le label français Lixiviat Rec. qui est vraiment le label français grindcore désormais. Ce label est en train de monter en puissance sur le plan européen et international. Ils sont en train de récupérer plein de bons groupes à leur catalogue et de nouveaux artistes (Massgrav, etc.). En fait, c’est vraiment un réseau underground dans lequel on s’inscrit, et ce qui est super, c’est que c’est complémentaire avec le réseau de Bones Brigade qui lui a déjà une grande distribution dans les concerts punk/hardcore, grindcore, metal, etc. Pour nous c’est encore mieux.
Mais de nos jours, que ce soit Karras qui débute même si Diego et Yann et Etienne n’êtes pas des jeunes premiers, ou Blockheads qui existe depuis 1992 en vétéran de la scène grindcore, est-ce bien encore utile un label avec internet, et les systèmes de crowdfunding en 2022 ?
Raph : Oui, ça aide pour faire les choses que l’on n’a pas le temps ou que l’on ne sait pas faire (promotion, etc.). Mais tu peux faire plein de promo de ton côté sur internet, tu peux réaliser tes vidéos, les mettre en ligne
Diego : Oui, car en fait tu es quand même assimilé à un groupe, à une structure, qui a une identité. Par exemple, pour nous Karras, le label Verycords ne nous correspondait pas, et voilà pourquoi on en change et que l’on va vers quelque chose d’assimilé. Tu peux faire plein de promo de ton côté sur internet, tu peux réaliser tes propres vidéos, les mettre en ligne, etc., c’est sûr, mais en fait, c’est encore un peu à l’ancienne, si les gens savent que tu es sur tel label, ils vont fouiller et voir ce qu’ils font. Ça donne une direction au public, donc je pense que c’est encore important. Tu es labellisé justement.
Xav : Tu vois, au début, quand on s’est mis à travailler sur le dernier album, on s’est dit : « Voilà, avec Relapse Rec. c’est mort, est-ce que l’on va vers des plus gros labels étrangers, etc. ? ». Mais en fait non, ce serait la grosse erreur, car on serait noyé parmi d’autres sorties et artistes dans un gros label même spécialisé. Il vaut mieux travailler et s’entourer des bonnes personnes dans notre réseau qui sont là actuellement au sein de cette scène. Avec Relapse Rec., ce qui est bien par contre, c’est que l’on a été propulsé internationalement.
Diego : Si tu regardes bien, Blockheads, c’est le seul groupe français qui figure sur le catalogue de Relapse Rec.
C’est drôle car j’ai entendu le même discours à ce sujet lors de mon dernier entretien avec Nostromo l’été dernier quand j’ai demandé à leur guitariste Jéjé (guitare) pourquoi ils n’avaient pas relancé Relapse avec qui lui et leur batteur Mike avait déjà bossé avec Mumakil pour sortir leur nouvel album Bucephale… Ils ont préféré un label de leur pays, proche d’eux.
Diego : Vaut mieux être tranquille sur un petit label cool, et être premier et pas non plus noyé parmi les autres sorties sur un gros label, qui plus est étranger.
Xav : De toute façon, pour nous, ce sont des questions qu’on s’est posées, on a cité ces labels, et directement cela a été exclu. Avec Bones Brigade et Lixiviat Rec., ce sont des anciens et des nouveaux sur la scène, ça se complète parfaitement, et Lixiviat, pour eux, c’est un challenge d’avoir Blockheads à leur catalogue, et comme c’est des battants, alors c’est donnant/donnant.
D’ailleurs, vous avez joué dernièrement à Genève il y a deux jours (Ndlr : le 27/10/22). Les locaux de Nostromo sont-ils venus vous rendre visite à votre concert même s’ils sont bien occupés avec la sortie de leur nouvel album ?
Xav : Ouais, Jéjé (guitare) et Jaja (chant) sont venus nous voir, mais ils ne sont pas montés sur scène. De toute façon, ce sont des potes, tu sais. On rejouera avec eux, Nostromo/Blockheads/Karras en fin d’année, en décembre, à Genève. Ça va être chaud. Pour le public, c’est servi sur un plateau, car c’est une super affiche !
Au niveau de la set-list, Karras et Blockheads, quel est le menu ? Diego, allez-vous jouer que votre premier album uniquement de Karras ?
Diego : On joue des titres de None More Heretic, et aussi déjà des nouveaux. On mélange.
Et Blockheads : allez-vous et pourriez-vous jouer live le dernier album Trip To The Void intégralement ?
Raph : Oui, on pourrait mais on ne fait pas ça. Et je ne pense pas que ce soit forcément intéressant, enfin personnellement, c’est pasmon truc. On a envie aussi de jouer des anciens morceaux, et je pense que le public attend ça aussi. Comme sur les albums de Blockheads de toute façon il y a toujours beaucoup de morceaux, du coup, tu peux toujours te débrouiller pour en jouer un que tu n’as pas interprété depuis longtemps, etc. (rires)
Xav : C’est vrai que comme tout groupe qui a un peu de bouteille, on joue des titres que le public attend. Donc voilà, faut le satisfaire aussi. Si tu vas un concert de Napalm Death et qu’ils ne jouent pas « Suffer The Children » ou « Scum », bah, tu serais déçu, et dirais merde… On pioche donc un peu dans toute la discographie de Blockheads.
Raph : Quand tu fais déjà un nouvel album, tu répètes les morceaux, encore et encore, etc. Tu fais que ça, donc c’est bien aussi en tournée pour nous de jouer aussi d’autres choses et de sortir un peu la tête de là, et mélanger les plaisirs, en somme.
Comment vous, Xav et Raph, expliquez la longévité de Blockheads avec trente ans au compteur, et comment ça se fait que certains qui écoutent du métal depuis longtemps ne vous connaissent pas toujours sur album ou ici en concert, en France, par exemple ?
Xav : Blockheads, c’est une barre d’énergie primitive, c’est pas de l’énergie drink seulement (rires), car y’a autant à boire qu’à manger. En fait, c’est comme un cocktail Molotov en pleine face. Ça fonctionne comme un interrupteur on/off ou un moteur qui monte très rapidement dans le compteur tours. C’est punk, violent, et radical, et tu vas te prendre un truc en pleine tronche ! (rires)
Raph : Ouais, c’est pas mal ça comme définition. Sinon, c’est intéressant ta remarque à propos de tes proches qui ne nous connaissaient pas ce soir, car tu as dit que « certains qui écoutent du métal ». En fait, Blockheads vient de la scène punk/hardcore à l’origine, et non pas strictement métal, donc voilà pourquoi ils ne nous connaissent peut-être pas. Et on a évolué sur la scène grindcore.
Et donc, comment vous expliquez une telle longévité pour Blockheads alors ?
Xav : La longévité du groupe, je pense qu’elle va de pair avec plusieurs choses : la passion, l’amitié, qui dépasse la musicalité, comme on l’évoquait au départ. Pour nous, c’est une passion vitale. Il y aussi la notion de partage. On partage ça avec un public qui est toujours là, qui dépasse une génération. Au concert de Nancy par exemple, des enfants avec, bien sûr, un casque anti-bruit, étaient sur les épaules de leurs parents en concert, et tout le monde était bienveillant, aucun geste déplacé, et pourtant ça slamait de partout, une putain n’énergie grindcore, mais c’était bon enfant justement. En fait, en concert, on constate qu’il y a différentes générations maintenant qui se mixent, ce qui fait qu’il n’y a jamais eu l’envie d’en faire quelque chose de professionnel, mais uniquement une pure passion, communicative, avec le public, et entre nous. Par exemple, dans le temps, on aurait pu chacun lâcher à un moment donné le groupe, en finissant par se lasser de notre musqiue, mais non, il y en a toujours un d’entre nous qui va relancer le truc, pendant que d’autres sont moins disponibles. On a tous nos jobs et nos personnalités différentes, mais on se retrouve tous avec une énergie commune dans Blockheads. Aussi, je dirai qu’il y a toute une équipe qui nous suit et nous entoure, que ce soit les ingés son, ou les chauffeurs quand on tourne, et tout ça fait quelque chose de très sain et nous permet de nous faire plaisir avant tout chaque soir depuis des années.
Et toi, Diego, comment définirais-tu la musique de Karras avec tes propres mots ?
Diego : Si tu veux, j’appellerai ça un « power trio de death metal à l’ancienne ».
C’est vrai qu’en trio, ça dégage là aussi une certaine énergie ?
Diego : En fait, quand j’ai monté le projet au début avec Etienne (Sarthou, batterie), moi j’étais à la guitare, puis je me suis mis au chant. Au début on tâtonnait un peu, après je me suis mis à la basse car c’était plus simple pour moi assurer en même temps le chant. Puis Yann Heurtaux (Mass Hysteria) est arrivé. Un autre bassiste nous a entraidés entre-temps. Mais après, je me suis dit, on va faire un trio, car on est un groupe qui va à l’essentiel, et c’est vrai que j’adore les groupes qui évoluent en trio, comme Unsane, ou évoluaient, comme Nasum, ou Venom à l’époque au début. Tu te concentres ainsi à l’essentiel. Y’a pas de chichi. Et chez nous, y’a peu de solo de guitare, même pour du death à l’ancienne.
On ressent chez Karras tout de même une grande influence du death suédois d’Entombed, période death’n roll, avec leurs albums cultes Wolverine Blues et To Ride Shoot Straight And Speak The Truth…
Diego : Ah, Entombed, c’est mon Graal en quelque sorte… (sourires)
Avais-tu déjà rencontré et connu personnellement Lars Goran Petrov, leur ancien chanteur, puis chanteur d’Entombed A.D. suite aux problèmes de désaccord avec Alex Hellid sur le nom et leur séparation ? Le pauvre, c’était un chouette gars, emporté rapidement par la maladie en … De mon côté, la dernière fois que je l’avais interviewé au téléphone, c’était pour son side project Fireswpawn puis son dernier album Bowels Of Earth avec Entombed A.D. Mais la dernière fois que je l’avais vu c’était au Motocultor 2014…
Diego : Oui, enfin pas personnellement, mais je l’ai vu plusieurs fois en concert, bien sûr. Il était comme nous, c’était un type adorable. J’avais bu des coups avec lui. Une fois même, il était tellement bourré, il m’avait offert un t-shirt. Il était cool. En fait, ce que j’aime bien chez Entombed, même si l’on dit souvent que c’est du death metal, mais en fait pas vraiment. Bon, ça a évolué avec le temps, passant du death old school à des influences punk et rock’n roll, puis plus thrash sur la fin, mais dans l’esprit, c’était pas vraiment du death metal. Il y avait ce côté rock’n roll, un peu à la Motörhead. J’avais été les voir une fois en Suède, sur un bateau, il y avait une reformation. J’étais avec un pote batteur Meddy, et il m’avait dit, viens, on va les voir, et j’avoue que j’étais bluffé et on les avait rencontré, il y avait alors Alex Hellid (guitare) et Ulf Cederlund (guitare). Les mecs, c’était des crèmes.
Et vous, Blockheads, vous avez déjà tourné et les avait déjà croisés, je présume ?
Xav : Ouais, on les avait croisés pas mal de fois, en festivals essentiellement, au Fury Fest, au Hellfest, etc.
Parlons guitares à présent. Comment êtes-vous accordés en général dans Karras et Blockheads car vous ne sonnez pas de la même manière ? Plutôt en accordage de La, voire Sol, pour Karras ? Et Blockheads un drop de Do (C) peut-être ?
Raph : Ah, oui, on n’est pas accordé pareil, ça c’est sûr… (sourires)
Diego : Alors, je commence. Nous, on détune. Contrairement à l’accordage standard, avec Karras, la grosse corde de Mi est accordée en La. On est en drop de La (A) si tu veux. Ainsi, on joue des accords barrés principalement.
Avec une pédale de distorsion Boss, la fameuse HM2 pour obtenir ce grain sonore suédois, c’est ça ?
Diego : Ouais, mais une made in Japan ! (rires) Notre guitariste qui remplace ce soir Yann en est équipée. En fait, ça se joue à des détails mais c’était tout un truc à l’époque au début du death suédois des années 90. Il s’avère juste que les Suédois étaient fournis par des pédales Boss made in Japan, alors que nous, autes pays européens, on avait ces pédales en provenance d’Indonésie ou Taiwan qui n’avaient pas tout à fait les finitions et composants, d’où la légère différence de son.
Raph : Quant à nous, dans Blockheads, on est accordé en Ré standard. Notre autre guitariste qui nous accompagne ce soir est accordé en Drop D parfois, mais ce soir, on est tous les accordés en Ré standard, Fred ne pouvant pas tourner avec nous actuellement. Mais j’assure la basse ce soir.
Que répondez-vous aux réfractaires qui disent que le grindcore c’est du bruit ? Car jouer comme vous le faites, c’est un truc de dingue, faut savoir enchaîner et être propre un minimum, tout en bougeant sur scène… C’est bien plus technique et sportif qu’on le pense !
Raph : Ouais, c’est bien… (rires) Après c’est un truc assumé, je veux dire, c’est un genre de musique barrée, symbolisait justement par cette note de musique rayée. Cela fait partie de l’esthétique sonore aussi du grindcore, ou du death metal.
Diego : En fait, c’est pareil pour tout le monde. À moi, si tu me fais écouter du jazz, par exemple expérimental, où ça part dans tous les sens, je vais peut-être rien y comprendre mais pourtant je ne vais peut-être pas dire que c’est de la merde. Juste que c’est une musique d’initié, et je n’ai peut-être pas tous les codes pour la comprendre. Le but avec notre musique, c’est pas forcément que les gens comprennent et retiennent tous les riffs, mais surtout y voient une énergie qui se dégage en concert.
Xav : Ouais, voilà. C’est comme et avant tout une performance en live, en fait.
Raph : En toute modestie et sans comparaison, c’est comme Ornette Coleman, tu sais, le saxophoniste américain. J’adore Ornette Coleman. Mais honnêtement, la toute première fois que tu écoutes, tu te dis : « ouah, c’est quoi ce truc ». La première fois que j’ai écouté du free jazz, j’ai eu cette réaction, avec une sorte de rejet presque physique. Après, tu rentres peu à peu dans le truc, mais c’est un goût que tu cultives progressivement, tu t’assimiles à force d’en écouter. C’est un peu pareil pour le grindcore aussi, on va dire ! (rires)
Pour conclure sur l’actualité et futur des deux groupes, je voulais revenir sur la pochette du dernier album Trip To The Void de Blockheads. C’est étonnant comme elle fait tristement écho à l’actualité et cette jeune femme iranienne, Mahsa Amini, qui, certes, ne s’est pas immolée, mais est morte à 22 ans emprisonnée pour une histoire d’accoutrement et de « vêtements non conformes » dans la rue en septembre dernier. On est tout de même en 2022… C’était pour dénoncer ce genre de choses qui arrivent encore dans le monde ? Vous n’avez pas eu de problème de censure autour de cette pochette une nouvelle fois sans compromis chez Blockheads, après celle de This World Is Dead en 2013, quasiment sans retouche, qui montrait une famille mexicaine après un séisme, auprès d’une falaise dans un cimetière au sol sec et truffé de cercueils… ?
Xav : Ouais, enfin je te dirai que depuis le début, et je suis là depuis le début en tant que co-fondateur de Blockheads, l’esthétique d’un groupe, dans sa globalité, comme on le disait pour Karras tout à l’heure avec Diego, l’aspect visuel est très important aussi. Bien sûr, on parlait de musique à l’instant, mais l’esthétique est tout aussi importante. Personnellement, j’ai fait les Beaux-Arts, et travaille de nos jours dans le monde des arts visuels. Tout ça fait que, d’un commun accord, tout le monde dans le groupe contribue à cela, et ça doit être raccord avec notre musique. Côté médié et direction artistique, ça doit avoir du sens et rejoindre notre musique, mais en aucun cas être choquant de manière gratuite. Dans Blockheads, il y a un message, on essaie de donner du sens avec cette vision que l’on a de l’humanité, sans pour autant de partir dans des montages à tout va à outrance, qui seraient mensonges. La nouveauté, pour le dernier album Trip To The Void, on s’est dit, ce qui serait bien ce serait de confier la pochette à un artiste, respecter son travail, le comprendre, afin que son œuvre soit raccord avec mes paroles. En fait, il s’agit là d’un concours de circonstance, car c’est par la rencontre avec ce photographe mexicain. On a voulu quelque chose de sobre et épuré, sans le logo Blockheads justement. L’image est tellement forte que l’on n’a même pas besoin de mettre un logo. Avec les années qui passent, on n’a même pas besoin de mettre notre logo. Là, c’est vrai, c’est plus un feu intérieur, mais oui, ça rejoint ce que tu disais. Plus généralement, sur la pochette de Trip To The Void, un être humain naît dans un paysage dans lequel il va vivre, évoluer, puis mourir tôt ou tard. Mais mettre le feu, à travers cette image et métaphore, ça veut aussi dire protester, ou aussi subir quelque chose qui nous emmène irrémédiablement vers l’extinction de l’Homme. Il y a donc cette ambivalence ici.
Diego, cela te donne une idée aussi de ton côté pour le prochain arwork de Karras pour le second album à paraître l’an prochain alors ?
Diego : Ouais, ouais, c’est déjà plus ou moins prêt. On va faire un truc, je pense, en lien avec la genèse de L’Exorciste car on revient sur notre prochain album au fait divers qui a donné naissance justement au film, avec l’histoire vraie qui s’est passée aux États-Unis des années plus tôt, en 1949, je crois. Donc on se basera sur le personnage central de ce fait divers, et tout ce qu’il y autour. On restera donc dans le même thème, mais nous, dans Karras, on n’est pas politique, on est apolitique. On a tous nos idées, mais on n’est pas en capacité à les exprimer ici, enfin du moins, de mon côté, je n’assume pas de les exprimer dans ma musique. En fait, j’adore les vieux films et le cinéma, et du coup, j’incorpore plus ou moins des choses personnelles à travers des histoires inspirées de ces films des années 60, 70, à ma manière. C’est plus introspectif. Je raconte une histoire, et après je m’évade ailleurs. Je serai trop maladroit pour aborder des sujets politiques et sociaux, je pense.
Quant à Blockheads, quels sont les projets ? Déjà un nouvel album studio peut-être dans les tuyaux, comme vient de nous dire Diego pour Karras ?
Xav : Alors, les projets…En fait, on va enregistrer des morceaux très prochainement pour un futur split, EP ou LP, avec un groupe dont je ne peux te dire le nom pour l’heure… (sourires en coin). Ce sera des nouveaux morceaux originaux, et non des reprises de l’autre groupe en question. Ce sera dans l’idée comme les splits à l’ancienne : une face les copains, et sur l’autre face nous. Et idéalement, ce serait bien de le sortir assez rapidement, car Trip To The Void est sorti il y a déjà plus d’un an maintenant. Grâce à notre nouvelle collaboration avec le tourneur Link Prod, et aussi Lixiviat Records justement, et toujours Bones Brigade, cela nous permet de faire des choses et rester actifs. Car en fait il faut sans cesse avoir de l’actu, être présent sur internet, etc. En même temps, ce qui est super, c’est que l’on a toujours fait partie de cette scène punk/hardcore/grindcore comme on l’évoquait tout à l’heure, du coup on n’est pas poings et mains liés à notre tourneur, donc on peut trouver des dates aussi ailleurs à droite à gauche. En attendant, on devrait tourner aussi avec Pig Destroyer, Suffocation, accompagné de la distro de Bones Brigade…
Des festivals déjà pour l’an prochain peut-être ? Le Hellfest à ce qu’il paraît ?
Xav : On va faire l’Obscene Extreme Fest en 2023, qui est le rendez-vous des musiques extrêmes dont le grindcore, qui a lieu chaque année, en juillet, en République tchèque. C’est « The place to be » pour Blockheads, et comme tout reprend, on est sur une vague ascendante, donc on compte bien la prendre. Et peut-être aussi le Hellfest… (sourires)
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