CEPHEIDE : Échappée(s) en solitaire

Le split EP partagé entre Time Lurker et Cepheide en 2019 nous avait fait davantage découvrir l’univers solitaire du très productif Gaëtan Juif alias « Joseph Apsarah » (des groupes/projets que sont Baume, Basilique, Rance, Scaphandre…). S’exprimant à travers un black metal atmosphérique très personnel avec Cepheide, l’artiste parisien se dévoile encore un peu plus aujourd’hui sur Les Échappées, second long essai réalisé entièrement seul, bien évidemment… [Entretien avec Gaëtan Juif (multi-instrumentiste et chant) par Seigneur Fred – Photos : DR]

Peux-tu revenir sur la genèse du groupe Cepheide, ou plutôt de ce « one man band » ?
Lors de mon arrivée à Paris, je cherchais à créer un groupe dans la continuité de mon one man band de l’époque (Scaphandre). Je cherchais aussi à rencontrer des musiciens pouvant apporter de nouvelles influences et un rythme différent au projet. Cepheide a eu une configuration dite « classique » de groupe jusqu’à l’album Saudade en 2017 ; la chanson « Lucide » (extraite du split avec Time Lurker en 2019) ayant été la première sortie uniquement studio réalisée à deux. Aujourd’hui, pour de multiples raisons, et bien que le projet ait pu s’enrichir des personnes qui y ont participé, Cepheide est devenu un one man band.

Qui est Joseph Apsarah au juste ? Un pseudonyme pour Gaëtan Juif, à moins que ce ne soit l’inverse ?! Et qui a participé à l’enregistrement de Les Echappées ?
Au départ, pour des raisons éditoriales  entre autre, Joseph Apsarah  est mon pseudonyme pour mes travaux de peintures et récemment pour mes recueils de poèmes. Le groupe ayant changé de configuration (Ndlr : en solo maintenant), je souhaitais marquer cette évolution et signer tous mes différents projets sous le même nom pour une question de clarté et de cohérence. De ce fait, désormais, ce sera sous le nom de Joseph Apsarah et non plus Gaetan Juif (même si cela reste un détail dans la globalité  du projet Cepheide).

Le split EP avec Time Lurker paru en 2019 chez Les Acteurs de l’Ombre Prod. a-t’il été une expérience inspirante tant artistique que commerciale pour Cepheide permettant ainsi déboucher sur cette suite Les Echappées publiée sur un label et non en indépendant/autoproduction comme Saudade en 2017 ?
Ce split  a été une expérience assez particulière au début, rien que par le fait de tout enregistrer en home studio, ce n’était vraiment pas habituel. La démarche initiale était très différente également car nous nous étions imposés des contraintes, comme celle de temps et de sonorité, par exemple, afin de proposer un split le plus équilibré possible avec Time Lurker. Au final, cela s’est très bien passé et cela m’a beaucoup aidé dans la composition des Echappées. Pour la collaboration avec Les Acteurs de l’Ombre, effectivement, cela a ajouté une finalité vraiment stimulante pour cette sortie et c’est toujours agréable d’être compris et soutenu par un label, surtout quand celui-ci propose des choses innovantes et très qualitatives.

S’il fallait résumer les influences de Cepheide, quelles seraient-elles ? Les albums plus atmosphériques et expérimentaux de Blut Aus Nord, Thorns, Burzum peut-être aussi, mais sans les claviers ?
Il y a des claviers maintenant dans Cepheide, ha ha ! (rires) Plus sérieusement, mes influences seraient plutôt un mix de groupes comme par exemple Yellow Eyes, les Polonais de Furia (l’album Marzannie, królowej Polski surtout !), Bolzer, Atriarch, Fell Voices ou Planning for Burial (pour le côté expérimental). Après globalement, j’écoute énormément de choses, allant du post rock au rap, de la musique à textes, etc. Je pense donc que tout cela aussi à une certaine influence sur mes compositions, même si je les mets moins en avant que pour un projet comme Baume par exemple (mon autre projet solo plus expérimental).

Les six chansons de ce nouvel album sont assez longues, et leur titre commence systématiquement par l’article « L’ », traduisant un état de mal être, une sensation, une expression… As-tu essayé ici de développer un concept lyrique avec une connexion entre chaque chanson ?
Le terme « Les Echappées », du nom de l’album, symbolise ici les réactions émotionnelles ou résultantes suites à des émotions fortes d’un individu dans un environnement ressenti comme inapproprié. De ce fait, même si bien sûr, les musiques ont été écrites de façon indépendante, leurs titres illustrent certaines de ces réactions ou résultantes,  et les lient entre elles autour de cet album conceptuel.

Dans la biographie de Cepheide faite par le label LADLO, il est dit : « Les Échappées s’intéresse aux réactions émotionnelles du corps dans la multiplicité de ses pulsions, offensives ou défensives, dirigées vers “l’autre” ou vers soi-même. » Le black metal véhiculant souvent un sentiment de misanthropique, penses-tu alors que, comme disait Jean-Paul Sartre dans sa pièce de théâtre Huis Clos (1947) : « L’enfer, c’est les autres ! » ? (rires)
Le sujet n’est pas la misanthropie (thème auquel par ailleurs je ne suis pas sensible) mais plutôt à la solitude. Initialement, et ce sera peut-être le cas pour les lives, l’album devait commencer par un texte dont voici le début : « Nous sommes une masse de chairs vivantes, d’édifices non consenties, de vibrations déshéritées, d’aspirations non recensées. Nous sommes des formes anonymes, des reflets solitaires et bien qu’ankylosés par nos corps dits « asymétriques », nous comptons bien malgré toutes les embûches, arriver à nos fins ». En résumé, ce serait : comment nous réagissons ou nous pouvons agir dans un environnement qui nous paraît inapproprié et en question sous-jacente : est-ce cet environnement qui est inapproprié ou bien est-ce nous ?

Le chant est relativement en retrait, et je n’arrive pas à distinguer si tu « cries » en français ou une autre langue ?! (rires) Plus sérieusement, cela devient de plus en plus courant, avec des groupes comme Seth il y a déjà vingt-cinq ans, Alcest, ou Glaciation, par exemple, que la langue de Molière attire les artistes de black metal et les fans aussi, même en dehors des frontières de la France.  Pourquoi ce choix d’expression pour Cepheide du coup ?
Alors il y a deux choses, qui misent ensemble sont en fait assez paradoxales pour ma part, tu vas comprendre. Pour le choix de la langue premièrement, les textes des morceaux sont plus là pour accompagner plutôt que des réelles paroles de chansons. J’entends par là que j’écris des recueils de poèmes en français  depuis très longtemps et que si certains textes trouvent une cohérence par rapport à un morceau, je les utilise à ces fins, mais cela m’arrive pendant les enregistrements ou autre, de ne pas tenir compte du texte ou de le modifier. Faut voir ça plus comme une base de travail, mais mes textes sont avant tout écrits de façon indépendante pour mes recueils. Pour le second point, pour le mixage, c’est une volonté. J’ai sorti ma première démo en 2011 et au départ, même si la première volonté était de «  dissimuler » ce que je criais pour des questions de pudeur, j’ai très vite préféré mettre le chant très en retrait afin de garder une part d’interprétation pour l’auditeur. Je prends la voix comme un instrument parmi les autres, voire en second plan. Lors de la composition d’un album par exemple, le chant arrive en tout dernier, même après le mix général établi parfois, car à chaque album, je ne suis  pas sûr d’en mettre ou pas. Je parlais de paradoxe, donc, parce que je mets énormément d’énergie et prends beaucoup de temps à écrire car cela me passionne, mais dans le rendu général pour Cepheide, afin que tout le monde puisse avoir sa part d’interprétation, je souhaite qu’il soit presque inaudible.

La production sonore de Cepheide sur Les Echappées est relativement brute, crue, notamment au niveau des guitares et de la batterie. Emploies-tu une basse et ou un clavier pour rendre ta musique plus atmosphérique ou bien tu restes sur une formule guitare/batterie/chant comme Inquisition mais dans un registre plus atmosphérique, bien sûr ? Pourrais-tu envisager une production sonore plus feutrée pour Cepheide afin de rendre les chansons plus mélodieuses aux oreilles des néophytes ?
Au fil des albums, je trouve que le son est quand même de plus en plus « lissé », du fait d’avoir réussi à épurer certaines choses et apprendre à faire travailler mon oreille. Et je crois que pour le moment, bien que je préfère mon son actuel par rapport aux précédentes sorties, je pense que je ne souhaite pas un rendu sonore plus « propre », ou ce n’est pas dans mon but en tout cas. Les groupes qui me touchent ont généralement une production ultra «  neigeuse » ou très low-fi. Je trouve qu’écouter un morceau de Ars Diavoli ou Ustalsot, par exemple, a quelque chose de très berçant dans les fréquences. En comparatif, Cepheide sonne déjà bien suffisamment pop pour le moment, ha ha ha ! (rires)

J’aurai aimé savoir qui a composé et surtout enregistré les parties de batterie sur ce second album Les Echappées ?  On dirait une boîte à rythme mais j’ai un doute… As-tu eu recours à une batterie acoustique ou électronique avec une boîte programmée pour la batterie ?
Vu que cet album avait aussi pour but de reprendre le chemin des concerts, et, évoluant en solo, pour une question pratique et financière, cette fois la batterie est uniquement numérique. Mise à part la chanson « Lucide » (figurant sur le split avec Time Lurker), toutes les nouvelles chansons des albums ont été enregistrées en studio sur une batterie acoustique, y compris sur Les Echappées. Étant batteur au sein d’autres formations comme Rance ou Basilique par exemple, la démarche initiale était de jouer sur une batterie acoustique mais cela m’aurait pris un temps monstre. Etant donné que j’aurai de toute façon dû tout retranscrire en numérique pour les lives, je trouvais que ça n’avait pas forcément de sens. On verra pour le prochain album… (sourires)

Sinon, te sens-tu personnellement proche, artistiquement parlant, de toute la scène actuelle post black metal et d’artistes français comme Déluge, Regarde Les Hommes Tomber, etc. ?
Globalement, je peux trouver une certaine sensibilité commune avec certains groupes de post black metal en termes de sonorité et d’énergie, mais pas spécialement avec les groupes cités ici.

Enfin, quels sont les projets de Cepheide pour fin 2021 et 2022 ? Y’at-il des projets de concerts, même limités et à petite échelle, comme Borgne par exemple le fait aussi tout en demeurant un groupe créatif essentiellement de studio, ou bien à l’instar de Darkthrone, Cepheide cantoné exclusivement un groupe de studio ? (sourires)
C’est depuis longtemps un souhait de sortir de la configuration « uniquement studio », alors pour cet album, j’ai beaucoup travaillé à des supports vidéo pour chaque morceau afin de pouvoir construire un set live avec des projections, pour que même en solo, je puisse proposer, du moins je l’espère, quelque chose d’intéressant. Mes premiers concerts seront au mois de novembre 2021, et j’espère pouvoir en faire d’autres courant 2022 ! Enfin dans la globalité, j’aimerai bien composer un nouvel EP de Cepheide pour fin 2022 en proposant quelque chose de nettement différent.

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