Le précédent album The Liberation de Disillusion fut véritablement, et littéralement, libérateur pour ses membres dont Andy Schmidt, son maître à penser. Si dans le passé, ce fantastique groupe de death metal progressif allemand a connu son petit succès, il n’a cependant pas toujours était reconnu à sa juste valeur, preuve parfois d’un génie incompris à son époque comme tant d’artistes (nous en voulons pour preuve leur album Gloria en 2006). À présent libéré, et passée une pandémie, Disillusion nous offre Ayam, un quatrième effort introspectif plus que réussi, bref nous avons là un nouveau chef d’œuvre… [Entretien avec Andy Schmidt (guitare/chant) par Seigneur Fred – Photos : DR]
The Liberation fut comme un nouveau départ pour Disillusion en 2019 sur Prophecy Productions. Son nom n’ayant pas été choisi au hasard… En es-tu toujours aussi fier trois ans après, et a-t’il vraiment créé une renaissance chez toi et Disillusion en quelque sorte ?
Oui, bien sûr c’était un album de retour après tant d’années de pause, qu’il était nécessaire de prendre pour plusieurs raisons. Lorsque nous avons décidé de refaire un nouvel album, il était très clair que ce serait un défi et qu’il faudrait qu’il soit vraiment bon et tout ce qui va avec. Après tout, je suis toujours fier de l’album et nous en jouons beaucoup en live. The Liberation nous a ramenés à la scène, et j’en suis très reconnaissant. Il est sorti fin 2019 et nous avons beaucoup joué live jusqu’au moment où la pandémie a frappé le monde… Comme pour tout le monde, il ne nous a pas été facile d’accepter que tout s’arrête. Il est donc difficile pour nous de dire ce qui serait arrivé à l’album et au groupe si la pandémie n’avait pas été là, mais personnellement, je pense que ce fut là un revers.
Si l’on regarde un peu plus dans le miroir du passé de Disillusion, j’aurai tendance à dire que l’album Gloria était un album de mutation, dans votre développement artistique bouillonnant. Qu’en penses-tu ? Peut-être n’a-t’il pas été bien compris à sa sortie en 2006 car c’était un disque trop avant-gardiste…
(Rires) Ouais peut-être que ça l’était… Mais à certains égards, après c’est juste arrive ainsi, tu sais… Bien sûr, nous voulions faire quelque chose de spécial avec Gloria, c’est-à-dire en d’autres termes, il n’y avait aucun moyen de juste continuer après notre premier album avec ce que nous y avons fait dessus. En fait, nous avions besoin de faire simplement autre chose, d’essayer de nouvelles idées, et de faire un long acte de foi. Et Gloria est sorti, alors oui c’est très expérimental et peut-être bien en avance sur son temps, oui.
Dans la biographie fournie par le label, votre album Gloria est justement un peu comparé à Magma de notre célèbre groupe de métal français Gojira. Je ne vois pas là tellement de similitudes musicales à vrai dire… Que penses-tu de cette comparaison et as-tu écouté leur dernier album Fortitude ?
Je sais et j’avoue que cette comparaison ne vient pas de moi… (sourires) Personnellement, je ne suis pas d’accord non plus, pour être honnête avec toi. Toutefois, Gojira est définitivement l’un de mes groupes préférés ou de nos moins préférés ! Et oui j’aime aussi leur nouvel album.
Quatre invités figurent sur certaines chansons d’Ayam : Birgit Horn (trompette, bugle) ; Clara Glas (violoncelle) ; Frederic Ruckert (claviers) ; Marek Stefula (triangle) contribuant à sa richesse. Comment les as-tu intégrés sur les nouveaux morceaux relativement complexes ?
Birgit et Frederic ont déjà fait partie de notre cosmos auparavant, Birgit et sa trompette est déjà apparue sur les trois dernières sorties de Disillusion, tout comme Frederic au piano. Eh bien, sinon, en gros, quand nous écrivons les chansons et que nous sentons qu’un instrument spécial pourrait tenir ici et là une place, alors nous l’ajoutons. Je voulais vraiment avoir un violoncelle sur ce disque, et donc Clara est arrivée. Le triangle était quelque chose de spécial qui s’est produit pendant l’écriture et qui ne pouvait pas être fait sans. (sourires)
Ayam semble être un album très introspectif et personnel, centré sur le « moi » comme on dit en philosophie, mais en fait « Ayam » signifie « Celui-ci » en sanskrit, mais aussi phonétiquement « Je suis ». Le titre évoque donc tout ça à la fois ?
Tu as tout à fait raison dans l’analyse du titre du disque. Et oui, comme l’album a été écrit presque entièrement à l’époque de la pandémie puis des confinements où beaucoup de questions se sont posées à nous tous, sur nous-mêmes, comme qui nous sommes ?, où nous voulons aller ? Personnellement et en tant qu’humanité…
Oui, l’album est devenu très introspectif mais aussi à plus grande échelle. Aussi, nous voulions repousser toutes les limites musicales à l’extrême autant que possible, rendre les parties difficiles plus difficiles, rendre les parties émotionnelles plus émotionnelles, plonger davantage dans tout. Je pense que nous y sommes très bien parvenus.
Plus globalement, comment la période de crise sanitaire liée au Covid-19 a-t-elle pu influencer l’écriture de ce nouvel album alors ?
Avant que l’album ne soit entièrement écrit à l’époque du Covid et outre les grandes questions et les incertitudes auxquelles tout le monde ou la plupart des gens étaient confrontés, nous devions également adapter radicalement notre façon d’écrire pour un nouvel album. Il n’y a eu que quelques fois où nous nous sommes rencontrés dans la salle de répétition ou en studio, beaucoup de choses se sont passées numériquement.
On a eu beaucoup de sessions à distance et de discussions sur Skype. Généralement je vais dans un endroit isolé dans la forêt pour écrire de la musique, ce que je ne pouvais pas faire, car voyager n’était pas possible. Donc, il s’est passé beaucoup de choses à la maison, mais pourtant ce disque est le plus grand effort de groupe que nous ayons jamais fait, ces temps nous ont rapprochés, et tout le monde fut impliqué à chaque instant. Donc en résumé, c’était à la fois exigeant et inspirant en même temps.
Le premier extrait d’Ayam est la très longue chanson « Am Abgrund » d’environ onze minutes. Ça veut dire « Dans les abysses » en allemand… Ne trouves-tu pas que ce soit trop long pour un single et une façon très sombre d’ouvrir l’album ?
Eh bien ! Oui « Am Abgrund » est une chanson longue et intense, sans aucun doute. Si tu me demandes maintenant s’il avait été stratégiquement préférable de commencer par une piste plus courte ? Honnêtement, je m’en fiche un peu, d’un point de vue artistique, c’est la meilleure façon de commencer l’album pour nous, du moins pour nous justement. Mais il n’y a jamais eu de doute que ce soit en numéro un sur le disque pour débuter. Après, bien sûr, je ne nie pas que ce n’est pas exigeant pour l’auditeur. (sourires)
On a évoqué le titre, mais de quoi parlent précisément tes paroles sur Ayam ?
Je fais un détour : quand je suis allé dans la forêt pour écrire les paroles en mars 2022, je savais que ça allait être un travail difficile cette fois. Les deux dernières années, les amitiés brisées, les rêves qui ont disparu, tous ces changements, les incertitudes et bien sûr la guerre et tout ce qui s’est passé politiquement – tout cela aurait alors une influence de près ou de loin sur les paroles… Et en effet, tout ça en ont eu une. En dehors de cela, les paroles du groupe sont également très pittoresques et lyriques, il s’agit plutôt de ne pas trop décrire ce qui est exactement dit, mais plutôt le ressentir.
Alors, est-ce que pour autant Ayam est un album conceptuel comme le rock progressif et le métal aiment à en avoir ? Parfois, j’y retrouve des similitudes avec l’album Scenes From Memory de Dream Theater, certes, dans une approche différente des paroles (pour Dream Theater, c’était un thriller), mais dans son développement narratif et la construction des différents passages des huit chansons. C’est un peu comme une odyssée musicale…
Oui, je pense que je vais devoir réfléchir à la comparaison (sourires), merci. Mais dans tous les cas, pour moi du moins, nous ne proposons jamais juste une collection de chansons. Ce n’est pas non plus une véritable histoire conceptuelle comme chez DT. Mais disons que ce nous voulons faire, c’est créer et proposer des albums qui ressemblent un peu à un film, c’est-à-dire une heure complète de développement, de drame, de sortie ou épilogue, en gardant toujours un œil sur le sentiment général prédominant sur l’album.
Disillusion serait-il capable de composer et d’écrire une bande originale pour un film par exemple ? Recevez-vous des offres cinématographiques de ce genre ? Je trouve que ta musique pourrait très bien s’y prêter, par exemple sur une série télé allemande comme Dark sur Netflix…
Ha oui, tu as bien compris et vu les choses… Alors oui j’aimerais beaucoup le faire. (sourires) Après, qui sait ce qui peut se passer à l’avenir ?
C’est la deuxième fois que vous travaillez avec Jens Bogren pour le mastering de l’album, avec déjà l’album The Liberation. Mais cette fois, il a produit Ayam en fait. Pourquoi ce choix et as-tu encore supervisé et également coproduit Ayam au Fascination Streets Studio en Suède ? Aviez-vous déjà fait une pré-production de faite à ton home studio, le Kick The Flame studio, à Leipzig ?
Eh bien, oui ! C’était incroyable de travailler avec Jens, mais il n’a pas produit l’album cette fois, en effet. Il l’a mixé et le mastering a été fait par Tony Lindgren. Ce fut une expérience incroyable de travailler avec lui et toute l’équipe du studio, avec leur savoir-faire et la compréhension musicale qu’ils possèdent sont tout simplement incroyables. Et oui, j’ai produit le disque au préalable dans mon studio et tout enregistré ici à Leipzig, y compris la batterie comme tu l’as dit.
Je suis encore une fois surpris par ta voix, Andy, sur l’album. Bien sûr, il y a aussi beaucoup de chœurs dans les chansons de Disillusion, mais en live, ce n’est pas trop difficile d’être concentré et de chanter comme ça, en alternant growls et voix claires (et narrations parfois aussi) et en même temps jouer de la guitare sur scène ?! Quelle énorme performance !!
Oui, c’est un défi de tous les jours. (sourires) mais encore une fois, nous le faisons depuis un certain temps. Sur cet album, Robby Kranz est à la basse et aux chœurs. Il nous a rejoint fin 2019, puis la pandémie est arrivée, mais il assure beaucoup de chœurs ici qui s’adaptent étonnamment bien à l’ensemble, et je peux à peine imaginer maintenant comment Disillusion sonnait avant son arrivée… (rires)
Récemment, vous avez joué comme dans ton pays (Allemagne) et en France aussi avec les deux groupes Obscura (allemand également) et Persefone (Andorre). Comment s’est déroulée cette tournée européenne ? Avez-vous déjà pu tester de nouvelles chansons sur scène en avant-première avant la sortie d’Ayam ? Quelles ont été les réactions ?
Oui, nous avons tourné en Europe pendant presque un mois en septembre dernier, et ce fut une expérience énorme et incroyable aussi de rencontrer les gars des deux groupes. On est devenus amis avec tout le monde. C’est absolument magnifique. Bien sûr, nous avons joué des nouvelles chansons, notamment les singles que nous avions sortis jusqu’à présent, et on a également testé une ou deux autres chansons live. Je crois que les commentaires furent très très bons pour nous.
Sinon, j’ai remarqué sur le deuxième single intitulé « Tormento » que toi et Ben jouiez sur guitare Ibanez à 7 cordes et j’ai été un peu surpris. Pourquoi l’usage d’une guitare 7 cordes ? Quels sont les avantages et les inconvénients de jouer sur cet instrument selon toi, surtout dans votre genre de musique (death metal progressif) ?
Oui, c’est vrai et dans la mesure du possible, nous essayons de l’éviter. (sourires) Pendant de nombreuses années, nous avons essentiellement utilisé un seul accord de guitare sur les disques et sur scène – c’était le drop C (Do). À un moment donné sur l’album précédent, nous avons alors déjà essayé de nouvelles approches et nous nous sommes retrouvés avec la chanson « The Mountain » qui était en A (La mineur), ce qui nous a amené à utiliser une septième corde pour la première fois. Sur la chanson « Tormento », on est également en La mineur, nous avons simplement besoin de la septième corde pour transporter l’ambiance de la chanson. Bien que je ne sois pas un grand fan des guitares à 7 cordes…
Quels sont les projets de Disillusion pour le reste de l’année ? Et allez-vous bientôt revenir en France ? L’année prochaine ? Peut-être des festivals d’été déjà de confirmés ?
Malheureusement, rien n’est encore réservé pour la France mais comme nous avons eu des expériences vraiment incroyables à Paris, Toulouse et Lyon lors de la tournée européenne en septembre dernier, nous serions très heureux de revenir bientôt ! En fait, à cause de la pandémie et de tous les shows reportés de la tournée pour The Liberation et des autres shows, nous aurons une sorte de pause après la sortie du nouvel album le 4 novembre 2022, ce qui est bien d’un côté et de l’autre côté, bien sûr, on aimerait jouer beaucoup plus de concerts pour soutenir le nouvel album, mais cela arrivera un peu plus tard. Merci à toi et prenez soin de vous !!
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