Né de l’union de différents talents de la scène black/pagan et death metal suédoise, Fredlös nous a séduits en ce début d’année 2023 de par ses mélodies sombres ponctuées de folklore scandinave. Comprenant des membres de Wormwood, Månegarm et Entombed, leur premier effort s’avère captivant du début jusqu’à la fin narrant une sorte de chasse aux sorcières dans le nord de l’Europe à la fin du Moyen-Âge. L’un de ses trois guitaristes nous a présenté sa bande de troubadours basée à Norrtälje (nord-est de Stockholm) où le folklore et le metal ne font qu’un. [Entretien avec Tomas Karlson (guitare) par Seigneur Fred – Photos : DR]

D’où vient le nom du groupe Fredlös ( « hors-la-loi » en suédois) ? Est-ce en rapport avec la récente chanson « Fredlös » de Thyrfing ?
Le mot « fredlös » signifie plus ici « paria ». Avant le christianisme et longtemps après, nous avions cette « punition sociale ». En l’absence d’un État fort, il s’agissait d’une punition où l’individu était chassé de son contexte social, banni de sa communauté. Dans la plupart des cas, cela a entraîné la mort. Personne n’abriterait, ne cacherait ou ne nourrirait un(e) paria. On a appris plus tard que Thyrfing a nommé aussi, en effet, une chanson « Fredlös », mais il s’agit donc là en fait d’une pure coïncidence.
Et comment est né au juste ce projet en 2021 en Suède ? Était-ce pendant votre temps libre à cause du confinement suédois (plus léger que chez nous) que vous avez vécu durant la pandémie de Covid-19 ayant contraint au silence vos groupes respectifs (Wormwood, Månegarm, Entombed) qui ne pouvaient alors se produire en live ?
Le groupe a débuté en fait dans des aventures musicales antérieures. Robert, Fredrik, Liv, Victor et moi-même avons créé le groupe Barbro Say No qui était un groupe de rock/metal plus traditionnel. J’ai décidé que je voulais écrire des paroles en suédois et on avait tous envie de créer une musique plus sombre. Nous avons recruté un nouveau batteur, Iman Zolgharnian. Puis j’ai rencontré Alex Hellid (Entombed) et il a aimé notre travail et rejoint le groupe. Erik Grawsiö (du groupe Månegarm) n’est pas membre de Fredlös mais a contribué sur deux morceaux et a bien sûr été une grande inspiration. Quant à Tobias Rydsheim de Wormwood, est un ami et a eu un impact majeur en nous conseillant.
Doit-on considérer Fredlös par conséquent comme un simple projet parallèle pour tous ses membres, notamment pour Erik Grawsiö (Månegarm) et Alex Hellid (Entombed) ?
Non. Le groupe est notre projet principal. Alex est vraiment attaché au groupe, mais Entombed sera toujours son premier-né. Erik est un ami très cher et nous espérons qu’il reviendra sur de futurs albums de Fredlös. C’est un musicien très talentueux et un chanteur brillant. Il n’est pas membre permanent du groupe comme je te le disais précédemment.
Bon, on ne va pas se mentir, on a véritablement craqué sur vos mélodies, cette mélancolie mystérieuse omniprésente, vos vibrations folk, ces riffs lourds de guitare et la belle voix de Liv Hope. Globalement, votre objectif principal était-il au départ de mélanger tous ces éléments ?
Merci. Mes préférences musicales et littérales ont toujours été sombres et mélancoliques. Depuis l’enfance, l’histoire revêt un grand intérêt pour moi. Je voulais raconter quelque chose dans un contexte historique du point de vue des gens ordinaires. Robert et moi avons écrit quelques chansons et les avons présentées au groupe (alors appelé Barbro Say No) et les autres ont accepté. On a eu une longue conversation et on a décidé de nous concentrer sur des tonalités sombres, des riffs lourds et la voix de Liv dans le but de créer une atmosphère avec ce sentiment de reconnexion au passé, à l’Histoire.

La musique folk/metal de Fredlös est en effet sombre et lourde, en effet, avec des riffs de guitare très heavy, voire black (cf. la chanson « Missväxt » ) plutôt inspirés. (sourires) Qui les a composés ? Peut-être Alex Hellid tout seul, sans brancher sa pédale d’effet Boss HM made in Japan si populaire dans les années 90 avec son groupe Entombed ? (rires)
Malheureusement, Alex n’a pas apporté sa pédale Boss. (rires) Les riffs ont été créés par moi, Robert et Fredrik. Mais Alex y a contribué avec sagesse et conseils. Dans le prochain album, Alex aura sûrement un rôle plus important, je pense.
On ne connaît pas trop le background musical de votre chanteuse Liv Hope par contre… Sa voix me fait un peu penser à celle de Lindy-Fay Hella (Wardruna). Peux-tu m’en dire plus sur elle ? Est-ce qu’elle vient de la scène metal ou bien de la scène folk peut-être en Suède ? Sa voix sied à merveille avec votre mélancolie sous fond de folklore et de metal…
Avec Liv, nous avons certainement trouvé la chanteuse idéale, le ticket gagnant en quelque sorte. Elle a en effet une voix unique et une très grande personnalité qui se transpose dans son expression musicale. Elle vient de la scène « auteur-compositeur-interprète » et de la scène country. Avant notre précédent groupe Barbro Say No, elle avait très peu d’expérience dans la musique metal. Elle a eu cependant un impact majeur dans le processus d’écriture des chansons en raison de sa capacité unique à créer des mélodies.
Qui joue du violon et de la vieille à roue sur certains morceaux sur ce premier album ?
Le violon sur toutes les pistes est interprété par Martin Björklund. Martin est en fait également musicien live pour Månegarm et Wormwood. Il possède son propre groupe, Mercury X, et est basé à Norrtälje comme le reste d’entre nous en Suède. La vielle à roue est jouée par moi et Victor cependant.
Concernant les influences musicales de Fredlös, on retrouve le chant et les éléments folk de Månegarm, la férocité du black metal mais avec des mélodies de Wormwood, et tout cela sonne si naturel. Mais j’ai noté des similitudes avec Storm, l’ancien side project de Satyr (Satyricon) et Fenriz (Darkthrone)… Connais-tu cet ancien groupe auteur d’un seul album et d’une compil chez Moonfog Prod., le label de Satyr ? Sois honnête ! (rires)
Bingo ! Tu as vu juste là ! Je suis un grand fan de Darkthrone. La chanson « Quintessence » est l’un de mes titres favoris et sûrement l’une des dix meilleures chansons jamais réalisées en black metal. Ses riffs ont inspiré le riff principal de notre morceau « Våt Varm Jord ». D’ailleurs, sur la chanson de Storm « Noregsgard », Fenriz et Satyr ont fait passer ce fameux riff de « Quintessence » à un niveau supérieur, d’après moi. Depuis lors, j’ai toujours eu à l’esprit que les tonalités sombres peuvent être encore plus sombres si vous ajoutez des chanteuses. Je voudrais mentionner que Myrkur a également été une grande source d’inspiration pour nous. Månegarm et Wormwood constituent aussi une grande source d’inspiration pour nous tous au sein de Fredlös. Ces gars-là sont des musiciens bourrés de talent.
La dernière chanson de l’album est très épique et spéciale… Elle s’appelle « Requiem », c’est-à-dire une musique dédiée aux morts… Peux-tu m’en dire plus là aussi ?
Cette chanson est comme une clôture de l’histoire et un épilogue à cette tragédie soldée par une défaite. Après la grande rébellion paysanne appelée « Dackefejden » (1542-1543), il y eut une période d’oppression en Suède. Le morceau est une chanson funèbre et un hymne à la mort d’une époque. Après cela, notre pays est entré dans la Renaissance, avec une concentration du pouvoir sur la couronne royale et une réforme a renforcé la capacité du gouvernement à contrôler l’esprit du peuple à travers la religion.
Les morceaux sont généralement très longs (7-8 minutes environ) chez vous, surtout le premier single « Vat Varm Jord ». Ne craignez-vous pas que les gens rencontrent des difficultés pour rentrer dans votre musique et la découvrir au début ?
À la fois oui et non je dirais. Certains ne l’aimeront pas mais certains l’aimeront encore plus, je pense. Mon point de vue personnel est qu’il faut du temps pour entrer dans l’essence sombre d’une chanson, et cela doit prendre ce temps. Il faut un certain moment pour vous faire ressentir quelque chose et de le faire s’emparer de vous. Quand la chanson s’achève, ça doit vous laisser avec quelque chose, une pensée ou même un sentiment d’espoir même si ce sont des choses assez sombres sur lesquelles nous écrivons. Le plus dur est de trouver l’équilibre et de garder les chansons suffisamment intéressantes et évolutives, et pas seulement être des répétitions. Je pense que l’on a réussi à faire cela et plus encore sur ce disque.

De quoi traite les paroles de ce premier album simplement intitulé Fredlös ? Sur le dessin de la pochette et dans la vidéo du premier single « Våt Varm Jord », tout cela semble lié à la religion chrétienne et au paganisme, ou plus exactement à la sorcellerie à la fin du Moyen-Âge car on y voit une femme condamnée à brûler avec des soldats face à la population, un peu comme l’histoire de notre héroïne française bien connue, Jeanne d’Arc, qui a combattu l’envahisseur anglais en 1429 et fût brûlée vive en 1431 à Rouen, jugée comme hérétique. Plus tard naquit l’Inquisition en Europe… Mais la Suède n’a pas vraiment rencontré ces problèmes religieux devenant luthérienne au XVIe siècle sous Vasa. Ce fut plutôt l’affaire de nos pays catholiques comme l’Espagne, l’Italie, et la France, non ?
Eh bien, la Suède était aussi catholique jusque-là, comme les autres au Moyen-Âge, avant de devenir protestante majoritairement. L’inspiration du texte vient de l’oppression religieuse qui s’est accélérée après la grande épidémie de peste au milieu du XIVe siècle. L’image de Dieu est devenue de plus en plus stricte. Le péché et la honte furent au centre des préoccupations. La vie était une vallée de deuil en prévision du purgatoire. La misogynie est devenue de plus en plus forte parmi les prélats sexuellement obsédés et s’est transformée en bûchers de sorcières ou en procès d’hérésie. L’exécution de Jeanne d’Arc est l’inspiration de la vidéo de la chanson, en effet. Mais d’une certaine manière tu as raison… La Suède n’a pas été aussi torturée par l’inquisition que l’Espagne, la France ou l’Italie. En Suède, les condamnations de sorcières au feu ont atteint leur apogée à la fin du XVIIe siècle. J’ai, comme le reste du groupe, une forte aversion envers la religion organisée qui imprègne d’ailleurs l’album. Quant à la pochette de l’album, elle a été conçue par mon ami Staffan Thorström. C’est une véritable petite œuvre d’art. Dans la pochette de l’album, on peut y suivre l’histoire des chansons comme une carte médiévale.
Avec ce premier album de Fredlös, quel public visez-vous en fin de compte ? Plutôt des fans de rock, de folk metal, ou un très large public en fait car votre label Threeman Recordings est géré par les membres d’Entombed, donc votre cible ne sera probablement que des métalleux ?
D’abord, c’est une sorte de voyage personnel, assez égoïste, que de faire un album comme celui-ci. Nous sommes humbles devant le fait que les gens semblent aimer les premières chansons que nous avons présentées. Je pense que l’on peut faire appel à de nombreuses formes de publics, du moment que les personnes aiment la musique en général. J’espère que Fredlös pourra atteindre à la fois les fans de metal, de rock, de hardcore, et en même temps diffuser le folk metal auprès d’un public plus large. On a aucune ambition d’être un groupe grand public ou quoique ce soit, mais je pense que notre public sera très varié et nous en sommes tous très heureux.
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