Sorti de la brume auvergnate, Gravenoire semble d’ores et déjà gravir des sommets. Détaché de tout fanatisme fataliste et ténébreux, ce super combo, comprenant notamment dans ses rangs RMS Hreidmarr (ex-Anorexia Nervosa, The CNK, Glaciation…) et Vicomte Vampyr Arkames (ex-Seth, Diablation…), fait preuve d’originalité et d’audace sur la scène black metal actuelle française face à leurs jeunes compères avec un superbe premier opus intitulé Devant la Porte des Etoiles. En intégrant leurs aspirations et leur philosophie à travers une vague musicale très old-school, les membres de Gravenoire dénotent et intriguent en cette fin d’été 2024. [Entretien avec RMS Hreidmarr (chant) et Vicomte Vampyr Arkames (chant) par Louise Guillon – Photos : DR]
Histoire de faire une rapide présentation, bien que tous issus de différentes formations musicales déjà connues, pourriez-vous nous introduire Gravenoire, son projet musical, sa genèse ?
Hreidmarr : D’un côté Maximilien et Emmanuel avait enregistré quelques morceaux que nous trouvions tous excellents mais qui ne collaient pas à BÂ’A, d’un autre côté je discutais avec Maximilien d’un vague projet black metal aux ambiances un peu psychédéliques, et d’encore un autre, nous évoquions avec Arkames l’éventualité de monter un projet ensemble. Tout cela a fini par se rassembler sous la bannière Gravenoire, qui nous a permis de réaliser tout ce que nous avions en tête avec une liberté totale. Avant d’en arriver là, il y a eu plusieurs phases, les premiers jets étaient curieusement plus dans une veine black/death primitif, aux relents de Celtic Frost, premiers Mayhem, voire Sarcofago. Pas mal de monde est passé par le groupe, notamment Stefan Bayle (Au Champ des Morts, ex-Anorexia Nervosa), il a même été brièvement question que Blasphemer (Vltimas, Earth Electric, ex-Mayhem, ex-Ava Inferi…) fasse quelques solos, avant que le line-up ne se stabilise autour de nous quatre, mais depuis le début, l’idée était dans tous les cas de faire quelque chose d’old-school.
Le nom Gravenoire est-il un emprunt du nom d’un volcan situé dans la chaîne des Puys (le Puy de Gravenoire) en Auvergne, ou bien est-ce une création originale ?
Hreidmarr : Oui, c’est exactement ça, le Puy de Gravenoire, qui est également le nom d’un village dans les environs. L’Auvergne, qui est ma région natale, regorge de lieux aux noms lugubres, et celui-ci me trottait dans la tête depuis un certain temps. Quand nous avons commencé à envisager ce nouveau projet, qui se voulait profondément enraciné, je l’ai naturellement suggéré. Le clip de « France de l’Ombre » a également été en grande partie tourné dans les volcans d’Auvergne.
Qu’est ce que cela signifie pour vous de signer ce premier LP avec un label d’origine française (Marseille) comme Season of Mist à l’heure où il devient de plus en plus difficile de se faire une place sur la scène metal extrême et de se démarquer des autres groupes et productions dans cette jungle internet ?
Hreidmarr : C’est eux qui nous ont démarché en fait, nous n’avions contacté qu’un tout petit nombre de labels, et des beaucoup plus underground. Nous pensions que d’énormes machines comme SOM seraient trop grosses pour un groupe comme Gravenoire. Donc ça a été une excellente surprise qu’un tel label s’intéresse à nous, le genre d’offre que l’on ne refuse pas. Certains diront que c’est un label trop « commercial » pour un groupe de black metal, moi je pense que c’est un label qui a des couilles, pour se permettre de sortir des artistes comme Enthroned, Revenge, Craft, Profanatica, Deathspell Omega ou Baptism…
Cet album intitulé Devant la Porte des Etoiles, est quasiment un album incluant six morceaux, si je ne me trompe pas. Il a été produit sans artifice particulier ni retouche. Toutefois, comment expliquez-vous le fait d’obtenir un son aussi audible contrairement aux albums de black métal des années 90 produits selon les mêmes principes ? Les conditions, les utilisations de matériel et les techniques ont-elles fortement évoluées à ce sujet ?
Hreidmarr : Alors oui, la technologie a bien entendu évolué, mais c’est surtout une question de choix de production, je pense. Dans notre cas, nous voulions une prod qui soit très « live », organique et agressive, mais qui reste tout de même compréhensible. Quand Ildjarn ou Gorgoroth ont parfois sonné de la manière qu’on sait, c’était clairement un choix délibéré, pas un accident. A l’inverse, beaucoup de prods des années 70 sonnent énorme, alors que les prises ont été enregistrées dans des conditions assez minimalistes. En tout cas, nous sommes hyper satisfaits du son de ce premier album, et le mérite revient en grande partie à Arnaud, qui a fait de la magie au mixage, et a parfaitement compris où l’on voulait aller.
Votre troisième titre s’intitule « Ordo Opera Cultura ». Il me semble qu’il s’agit d’une organisation religieuse. Ce morceau a-t-il un quelconque lien avec cette organisation ?
Hreidmarr : Alors non, il s’agit en fait de la devise de Charlemagne que l’on pourrait traduire par « Ordre, Travail, Culture ». J’ai toujours été très intéressé, voire fasciné par le Haut Moyen-Âge, qui à l’inverse de l’idée que l’on peut souvent s’en faire (grandement façonnée par l’éducation nationale et les médias) a été une période de notre histoire particulièrement riche et brillante. Comme le terme « Gravenoire », c’est quelque chose que j’avais en tête depuis un bon moment, j’avais même pensé le destiner à un genre de « fight club » à un moment. Et c’est donc devenu ce texte « coup de poing », qui s’insère parfaitement dans la thématique antimoderne du disque, un genre de profession de foi, qui fait le lien entre ma vision adolescente de la vie terrestre et de la mort, et celle que j’en ai maintenant.
Étrangement, en lisant et écoutant les paroles de vos chansons j’ai ressenti une certaine note d’espoir, et ce, en dépit de la noirceur de certains termes évoquant la mort et le style très sombre du black metal que vous proposez. Que diriez-vous de cette impression ? Est-ce une observation juste ou bien au contraire une mauvaise interprétation de votre travail ?
Arkames : Dans cet album, nous avons assumé le fait de déployer une pleine et totale liberté. Que ce soit dans l’orientation musicale, dans les thématiques abordées dans nos paroles ou dans le choix des mots. Ton analyse est donc juste : au fil les morceaux qui s’enchaînent, nous avons scrupuleusement dépeint des lieux, que nous souhaitons éternels, où se sont déroulés des moments cruciaux de nos vies respectives. Et pour les décrire, nous avons opté pour un champ lexical empreint de sincérité, pour que resurgisse ce qui se terrait au plus profond de nous. C’est probablement pour cela que l’auditeur peut ressentir, à la fois une
touche de nostalgie car nous regardons parfois ces paysages avec des yeux d’enfant, et en même temps, un espoir forcené de croire que c’est dans l’arrière-pays que l’homme renaîtra enfin. Ensuite l’espoir ou plutôt l’espérance dépasse largement l’homme qui, à l’image du monde moderne, se complet malheureusement dans le registre du naturalisme. Nous croyons au surnaturel, à ce qui nous attend aux fins dernières. Donc oui, il y a de quoi se réjouir car il y a un après : le titre évocateur « Debout devant la Porte des Étoiles » n’est, au fond, que le miroir de nos pensées.
Hreidmarr : « Et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas saisie. »
Vos textes sont écrits en français, pourquoi avoir choisi votre langue natale ? Cela sied-il davantage à vos aspirations musicales que l’anglais par exemple ?
Arkames : Faire honneur et rendre hommage à nos racines, me semble être, au-delà du minimum attendu, le plus bel acte que nous puissions effectuer pour saluer la mémoire de tant d’écrivains qui ont donné à la littérature française ses lettres de noblesse. La langue française est tout simplement magnifique et permet de ciseler des textes avec une précision incroyable, de livrer des nuances infinies et de projeter dans l’esprit de celui découvre nos phrases, des tableaux qui s’enchaînent au fil des narrations. Sauf erreur de ma part, à aucun moment nous ne nous sommes posés la question d’utiliser une autre langue que la nôtre.
Hreidmarr : Personnellement, j’ai commencé à intégrer le français dans mes textes aux alentours de 1998-1999, pour finir par totalement laisser tomber l’anglais, et ce quel que soit le projet concerné. C’est ma langue natale et, même si elle est plus contraignante que l’anglais à « faire sonner » sur de la musique metal, je suis naturellement beaucoup plus à l’aise en français. Au-delà de ce côté pragmatique, nous avons une vision très « enracinée » du black metal, et de l’art en général, « un peuple qui ne connaît pas son passé, ses origines et sa culture ressemble à un arbre sans racines ». Ce qui fait la beauté du monde, ce sont les différences culturelles, les particularismes, les traditions locales, que l’on essaie aujourd’hui de dissoudre par tous les moyens dans un mondialisme aseptisé, régressif et corporate. Non merci.
Peut-être est-ce maladroit de le demander ainsi mais Gravenoire est-il un projet de longue durée ou éphémère ? Avez-vous d’autres projets avec (un EP ou carrément un nouvel album, un split pour une collaboration avec d’autres artistes…) pour donner une suite à Devant La Porte des Etoiles ?
Hreidmarr : En ce qui me concerne, je suis incapable de m’investir dans un groupe en le considérant comme un simple projet secondaire, et les one-shots ne m’intéressent pas. De fait, nous considérons Gravenoire comme un groupe à part entière, et nous avons déjà commencé à travailler sur l’album depuis un petit moment, quelques titres sont d’ailleurs bien avancés. Mais nous ne nous précipitons pas, nous n’avons pas spécialement d’impératifs, et nous prendrons le temps qu’il faudra pour que tout soit à la hauteur de nos attentes. C’est un peu notre philosophie de toute façon : nous avons tous un métier qui
nous fait bouffer, nous ne cherchons pas à « faire carrière », de fait, nous pouvons nous permettre de ne faire aucun compromis, et c’est très bien comme cela.
Et avez-vous prévu une tournée, des dates, des festivals dans les prochains mois ?
Hreidmarr : Le live, ce n’est pas vraiment une priorité, nous ne nous le refusons pas, mais ce sera surtout en fonction des disponibilités, des opportunités et des conditions proposées.
Enfin, selon vous, est-ce que vos formations musicales précédentes respectives (encore actives pour certaines) ont été des sources d’inspiration pour Gravenoire ou au contraire, ont constitué un frein ?
Arkames : Au quotidien, j’ai l’habitude de me nourrir des expériences réussies (ou non) et de capitaliser afin d’en tirer les leçons appropriées. La musique ne déroge pas cette règle. Donc je crois sincèrement que l’ensemble des groupes auquel j’ai pu contribuer et les réalisations qui en ont suivi, ont œuvré à donner aux parties de chant et aux mots que j’ai écrit leur saveur et leur consistance. Elles n’ont donc pas été un frein. De là à parler d’inspiration … je dirais plutôt que cette dernière est née de la symbiose existante entre nous quatre : comme s’il était écrit que cet album devait voir le jour, et, qu’à un instant donné, nous devions nous rencontrer pour travailler ensemble : tout a été tellement fluide, logique et cohérent !
Hreidmarr : Pareil pour moi. La vraie valeur ajoutée, c’est l’expérience, savoir ce que l’on veut et que l’on ne veut pas. Savoir quand s’arrêter aussi, le « less is more » en musique, ce n’est pas forcément quelque chose d’évident.
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