Continuant sa quête à travers les âges et les mythes de ses aïeux slaves (tendance forte en ces temps de crise), Hate ne chôme pas et évolue encore, contrairement à ce que l’on pourrait croire. Le quatuor polonais accouche de Rugia, une douzième terrible offrande qui prolonge ainsi l’expérience de son prédécesseur Auric Gates Of Veles, en attendant de retrouver la scène, on l’espère, l’an prochain… [Entretien intégral avec Adam « Atf Sinner » Buszko (guitare/chant) par Seigneur Fred – Photos : DR]
Depuis l’album Tremendum, Hate semble se concentrer sur ses racines slaves et sa mythologie offrant des sujets très intéressants dans tes chansons et paroles. Pourquoi tout d’abord cette fascination pour cet ancien temps et les peuples slaves à travers la musique de Hate ? As-tu des origines slaves dans ta famille ?
Oui, tout à fait. Pour moi, c’est comme un voyage personnel au cours duquel je redécouvre mon « moi intérieur » plus profondément. Je pense que tout le monde a une identité plus profonde, que l’on peut appeler, (à défaut d’un meilleur terme), je dirai, une « âme païenne ». Cette identité est profondément enracinée dans le monde naturel, fortement liée au Cosmos, à la Terre Mère et à d’autres entités vivantes et non vivantes. Si vous rejetez toutes les conneries religieuses, les dogmes et les étiquettes qui fonctionnent dans notre soi-disant « monde civilisé », on a alors l’occasion d’aller à l’essence de l’être et de voir à quel point toutes choses sont liées. Ensuite, à toi d’expérimenter les énergies qui existent au-delà du bien et du mal, s’exprimant dans un langage universel. La musique, et d’autres formes d’art, sont un moyen de nous rapprocher de cet état d’esprit, de ce genre d’expérience.
Musicalement justement, si l’album Tremendum était plus sombre et froid avec ses sonorités électroniques/industrielles, l’album suivant Auric Gates Of Veles était peut-être plus organique et direct. Cela sonnait plus typiquement blackened death metal comme on dit, délaissant ces expérimentations dark indus. À la première écoute de ce douzième album studio Rugia, Hate semble suivre ce même chemin vers un black/death cependant plus profond et plus lourd que jamais même si certaines ambiances demeurent… Es-tu d’accord avec cette première description de l’évolution de Hate au cours de ces dernières années ?
Eh bien, je pense que d’un côté, il s’agit d’un retour à nos racines musicales, c’est-à-dire le death metal des années 90. Tu peux l’entendre principalement dans la production de l’album déjà, car il a un caractère assez brut. D’un autre côté, il y a beaucoup d’éléments orientés black metal et encore des samples fonds ambiants qui constituent notre style. Je dirais que c’est une conséquence naturelle de nos précédents albums Tremendum (2017) et Auric Gates of Veles (2019), qui combinent l’agressivité avec un caractère épique des chansons. Rugia n’est pas si différent. Il a beaucoup de pièces monumentales. Nous sommes encore quelque part entre le death et le black metal, oui, mais nous essayons d’exprimer notre propre langage individuel. Le son du nouvel album est plutôt dur et sombre (semblable à Auric Gates of Veles), avec une forte touche ambiante cependant. Mes vocaux sur Rugia sont aussi beaucoup plus diversifiés que sur nos précédents disques. J’ai utilisé trois timbres différents, parfois assemblés comme trois couches de lignes vocales. C’est comme si trois personnes différentes faisaient des voix sur la plupart des chansons. Je voulais enrichir le récit et renforcer au maximum certains chœurs.
Avec toute cette fiche crise sanitaire causée par le virus Covid-19 engendrant la pandémie que l’on connaît, je suppose que comme tu ne pouvais pas jouer en live chez toi en Pologne ni partir en tournée à l’étranger, tu as donc profité pour composer et écrire Rugia. Ainsi, tu as donc pu y mettre toutes tes frustrations, ta colère, et t’exprimer à travers ces nouvelles chansons puissantes et épiques ?
On peut dire ça, en effet. (rires) La situation de la pandémie a certainement eu un impact sur la façon dont le nouvel album a été créé. Nous essayions de tirer le meilleur parti du temps donné de cette façon. Nous avons également eu plus de temps pour répéter le nouveau matériel, apporter des améliorations, vérifier plus d’options d’arrangements, etc. De plus, les sessions d’enregistrement en studio pouvaient durer plus longtemps cette fois.
Pourquoi ton batteur Pavulon a-t’il quitté le groupe l’année dernière et peux-tu nous présenter ton nouveau batteur Nar-Sil qui a joué dans Hate ? Pavulon a-t’il eu le temps d’être impliqué dans la composition ou l’enregistrement en studio ou seul Nar-Sil joue et a éventuellement composé les parties de batterie sur Rugia ?
Eh bien, en fait, j’ai commencé à écrire le matériel de Rugia juste après la sortie de notre précédent album Auric Gates of Veles (Metal Blade, 2019). Certains des principaux riffs sont ceux que j’ai enregistrés en tournée. J’ai alors commencé à les arranger avec notre ancien batteur (Pavulon), qui a quitté le groupe à l’hiver 2019 en raison de graves problèmes de santé. Ensuite, on a eu une autre tournée européenne et Nar-Sil est intervenu pour remplacer Pavulon à la batterie. Lorsque la pandémie a commencé, nous avons décidé de nous concentrer sur l’écriture, puis l’enregistrement de l’album, qui n’était en fait pas prévu pour être créé si tôt. Nous voulions juste tirer le meilleur parti du temps dont nous disposions dans cette situation difficile. Nar-Sil est un jeune mais très talentueux batteur, et je pense qu’il a trouvé le bon groupe ici. Sur quelques concerts en direct que nous avons fait récemment, nous avons joué des chansons de Hate plus anciennes et plus techniques comme « Resurrection Machine » et « Omega » par exemple, et elles sonnaient parfaitement. Il semble qu’il n’y ait pas de limites au répertoire que nous pouvons jouer en live désormais.
Par conséquent, je trouve que la dynamique rythmique de la batterie et des percussions sur Rugia sonne un peu différemment. C’est toujours féroce et brutal, mais différent. Est-ce dû à l’arrivée de Nar-Sil aux percussions, et as-tu eu besoin d’avoir une approche de travail différente avec lui sur Rugia ?
Oui, je pense qu’il a apporté beaucoup d’enthousiasme au groupe ainsi que de très bonnes compétences techniques, que j’ai essayé de présenter tout au long de l’album Rugia. C’est pourquoi il y a des passages plus techniques plus typiquement death metal. Travailler avec lui a été assez facile car nous avons tous les deux des goûts musicaux similaires, surtout en ce qui concerne le death metal classique. Avant son arrivée, j’avais déjà prévu d’aller dans cette direction, et ses compétences m’ont donné un argument de plus pour le faire.
As-tu définitivement arrêté les parties électroniques et industrielles dans la musique de Hate car tu pouvais parfois en mettre sur des introductions de chansons mais pas à Rugia ? Pourquoi ? Cela pourrait-il encore changer sur le prochain album de Hate ?
Les sons ambiants, ou les paysages sonores comme nous les appelons, font toujours partie intégrante de notre musique. Cependant, nous les utilisons différemment de nos jours. Sur Rugia, il s’agit plutôt d’une atmosphère sombre mettant l’accent sur le caractère des chœurs. Mais bon, nous pouvons toujours revenir à des morceaux plus industriels et je suis sûr que nous le referons à un moment donné.
Que signifie exactement Rugia ? Est-ce la « Russie » en fait ? Ou est-ce en relation avec Rugia ou « Rügen » qui est l’île allemande située en mer Baltique ? Parle moi plus de ce titre d’album s’il-te-plaît. Peut-être s’agit-il d’ailleurs d’un album conceptuel ici ?
Rugia est un nom archaïque de l’île allemande aujourd’hui appelée Rügen dans la mer Baltique. Dans les temps anciens, Rügen ou Rugia, était un lieu de pèlerinage sacré pour le peuple slave païen. C’était le cœur même de la culture slave occidentale, abritant la légendaire forteresse d’Arkona. Ce fut le dernier bastion du paganisme pour les Slaves occidentaux à l’époque, perdurant jusqu’au XIIème siècle. L’album est à la base un hommage à Rugia et à ses tribus ainsi qu’à la culture qu’elles ont créée. Et oui, c’est la suite en fait d’Auric Gates of Veles, à la fois musicalement et en ce qui concerne le contenu.
La septième plage de l’album s’appelle « Velesian Guard ». Est-ce directement en lien là aussi avec votre précédent album Auric Gates Of Veles et la divinité obscure, ou diable (démon) appelée Veles dans la mythologie slave dont tu m’avais longuement parlé lors de notre précédent entretien ici pour Metal Obs en 2018 (version intw edit de Hate téléchargeable en page 36) ?
Cette chanson particulière parle d’une figure du Faune, ou plutôt de son équivalent slave. Il est le gardien de Vélès, la force obscure des mythologies slaves. Vous avez raison sur une connexion ici. La chanson, comme d’autres sur le nouvel album, est donc une continuation des thèmes originaires de Auric Gates of Veles. La chanson dont tu parles précisément, cependant, est la seule de l’album qui contient des paroles polonaises. Je pensais que certaines phrases importantes ne pouvaient être bien exprimées qu’en polonais. Il s’agit de passer de ce monde à celui des Dieux par les « Portes Auriques ». Je traite les mythologies comme une collection de vérités et de croyances universelles sur l’existence. C’est comme un cadre pour transmettre différentes significations, même les plus contemporaines en fin de compte.
Alors, êtes-vous prêts à jouer en live et à revenir sur scène et reprendre la route très bientôt afin de présenter Rugia en live ? Je pense que tu dois trépigner d’impatience chez toi. Et que voudrais-tu ajouter à propos de ce nouvel opus ?
J’attends avec impatience, en effet, notre retour sur les scènes. Rugia est bien sûr de la musique mais elle appelle aussi à la visualisation. C’est pourquoi nous avons réalisé deux clips vidéo pour l’album (‘Resurgence » et « Exiles of Pantheon »). Et nous utiliserons une scénographie spécialement conçue pour nos spectacles en live. Les concerts de Hate auront beaucoup de nouveautés à partir de maintenant.
Dans la droite lignée d’Auric Gates of Veles paru chez Metal Blade un beau jour de 2019, époque où l’on pouvait encore respirer sans masque, Hate persiste et signe un douzième effort studio puissant et épique, avec une rythmique peut-être plus foncièrement typique death metal, grâce notamment à l’arrivée du batteur Nar-Sil. Ceci étant dit, on n’est pas vraiment en terrain inconnu chez nos Polonais. Délaissant quelque peu les froides atmosphères dark indus de Tremendum au profit de passages plus fédérateurs et catchy (les très bons « Resurgence » ou « Velesian Guard »), Atf Sinner a décidé d’appuyer là où ça fait mail en développant encore son blackened death metal terrible et suffocant. Si certains crieront à l’hérésie, pensant que Hate est un ersatz de Behemoth, ils se trompent ! Les deux groupes polonais ont beau être contemporains, dès le départ Hate pratiquait un death metal massif et rageur, alors que Behemoth évoluait sur la scène black metal avant de muter progressivement à partir de l’album Satanica à la veille des années 2000. Alors rendons à César ce qui appartient à César, ou plutôt à Atf Sinner ici, et hâtons-nous de retrouver Hate en live pour exprimer nos démons intérieurs les plus profonds. [Seigneur Fred]
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