Fondé par Mattjö Haussy (ex-Skáld), Hrafngrímr (prononcer « Ravengrimar » ) traverse le temps dans un voyage onirique au cœur de la culture ancestrale nordique. L’expérimentation est à l’ordre du jour, naviguant entre éléments traditionnels (chant de gorge chamanique, percussions naturelles, instruments rituels) et démarche contemporaine, voire moderne. Après le Hellfest From Home en 2021 qui les a propulsés sur le devant de la scène virtuelle, plusieurs concerts très réussis, et une planification au Motocultor 2023, les voyageurs de Hrafngrímr sont prêts à s’envoler vers des horizons qui s’annoncent radieux ! [Entretien avec Christine Roche (chant), Mattjö Haussy (chant), Nicolas Derloin (percussions), et Vitaliy Pylypenko (oud) par Marie Gazal – Photos : DR]
Comment vous êtes-vous rencontrés autour de ce projet dingue ?
Mattjö : J’étais dans Skáld avant, et j’ai dû partir. Le lendemain de mon départ, j’ai voulu faire un groupe un peu différent, avec des inspirations communes. Pour sa composition, j’ai appelé des vieux copains que je connaissais depuis longtemps. Donc Vitaliy (Pylypenko) et moi, on était dans Madonagun avant. Après, on a demandé à Mus (Mostefa Elkamal) qui est le parrain de ma fille. Il qui était le guitariste d’Arkan. Et de fil en aiguille, se sont greffés au groupe des gens qu’on connaissait depuis un moment. Avec Christine Roche (chant), on se connaît depuis presque vingt-cinq ans et puis maintenant on est ensemble, donc c’est encore mieux ; et il y a Galya Pylypenko (claviers) aussi qui est la femme de Vitaliy que je connais depuis quinze ans. C’est un peu une histoire de famille.
Vous chantez dans une langue ancienne viking, qui est le vieux norrois. Comment écrivez-vous dans cette langue morte que vous faites revivre ?
Mattjö : Déjà, on ne sait pas le parler. Pour le prononcer, on s’est mis d’accord autour d’un manifeste que j’ai mis en place pour être le plus cohérent possible par rapport au vieil Islandais, contrairement à d’autres groupes qui ont choisi une prononciation islandaise moderne. Pour les textes, au départ, on a puisé dans un texte ancien, du XIIIe siècle, l’Edda, qui s’appelle l’Hávamál, que beaucoup d’autres artistes de cette scène utilisent. C’est pourquoi à un moment, on s’est dit qu’on allait passer à autre chose, donc maintenant on écrit nos propres textes et on les fait traduire par Jules Piet, qui est un universitaire strasbourgeois spécialisé dans les langues médiévales et nordiques.
Et Hrafngrímr, qu’est-ce que ça veut dire alors ?
Mattjö : Cela vient comme en anglais de « raven », le corbeau, et comme en français « se grimer ». C’est un prénom islandais qui veut dire « celui qui porte un masque de corbeau ».
« Hólmganga » est le morceau éponyme de votre dernier EP sorti en décembre dernier (2022). Qu’est-ce qui l’a inspirée ?
Mattjö : « Hólmganga » est une chanson atypique qui marque un tournant dans la musique de Hrafngrímr, parce qu’on est avec Christine au niveau du chant sur un pied d’égalité. Et « hólmganga » dans l’histoire des anciens scandinaves, c’était un duel judiciaire qui se passait souvent dans un espace limité, une petite île et on réglait nos comptes comme ça. Et là, on règle ses comptes avec soi-même, avec sa part de féminité aussi, donc il y a des questions-réponses et une lutte dans le chant avec l’intervention de Christine. Et ça marque le coup, car Christine est arrivée il y a un an. On l’avait invitée sur une chanson à l’époque et on avait donné un concert assez privé et Christine nous avait accompagnés et on s’est tous dit qu’il était impensable qu’elle ne participe pas au projet. Ça donne de la richesse parce qu’on a de nouvelles pistes et on s’écarte un peu du genre musical des autres groupes que l’on connaît. Ça apporte une vision un peu différente et moderne.
Et comment faites-vous pour composer sur des instruments anciens, dans une langue ancienne également ?
Vitaliy : Matt arrive toujours avec l’idée principale du morceau. Il m’envoie les croquis, je commence à faire les arrangements, à écrire les parties des instruments que je renvoie à Matt pour qu’il continue les arrangements. On fait quelques aller-retours pour obtenir une sorte de maquette qu’on enregistre ensuite définitivement.
Mattjö : Pour le choix du texte ou de ce que le texte peut nous inspirer, ça vient au fur et à mesure. On n’a pas le texte en premier, c’est la musique qui vient d’abord, et le texte ensuite. Il y a un album à venir, mais je ne peux pas encore donner la date et on essaie de toujours rester sur une base beaucoup moins construite qu’autrefois. Je m’explique. À la base, entre la démo et la version définitive, il y avait des différences, mais pas énormes parce que je mettais déjà tout ce que je pouvais dans la chanson. Aujourd’hui, maintenant qu’on est un groupe avec des membres solides et fiables, on essaie de faire en sorte que tout le monde puisse y mettre de sa patte et de son cœur pour donner cette richesse et cette authenticité.
C’était l’une de mes questions « à quand le premier album ? » , donc vous êtes en cours d’écriture si je comprends bien ?
Mattjö : C’est ça, il y a des choses à explorer… On a déjà un bon fil conducteur, quelques titres et d’autres qui arrivent. On va voir ce qu’on peut façonner ensemble. Expérimenter des choses avec les voix féminines de Christine, au niveau vocal, ça m’intéresse beaucoup, et le chant metal de Vitaliy. On veut essayer d’aller vers autre chose. Car sur le premier EP, on entend beaucoup ma voix à moi où je fais les médiums, les aigus, les basses. Ça manque un peu de richesse dans le grain. On va essayer de faire participer tout le monde à la voix et aux instruments. On aimerait bien un album à la fin d’année.
Vous avez participé au Hellfest From Home en 2021. Quelles ont été les retombées pour le groupe ?
Mattjö : On existait officiellement depuis le 15 mars 2020, date de sortie du premier single. Ça faisait donc un an qu’on existait. Les retombées je ne me rends pas bien compte, parce qu’entre temps on a le titre « Rúnir » qui a explosé grâce à une vidéo qui s’appelait « Pass the Rune Challenge » où il y avait des modèles Instagram qui se passaient une rune sans make-up et après un voile noir, ils étaient complètement maquillés et costumés de manière fantaisiste mais inspirés de l’univers nordique fantasmé. À eux 10 ou 12, je ne sais plus combien ils étaient, ils avaient plus de 500 000 followers, donc ça a fait découvrir notre musique. Je crois que ça nous a permis de montrer ce que ça pouvait donner sur scène, ce que nous ne pouvions pas faire à l’heure du Covid parce qu’il n’y avait alors plus de concerts. On a eu des dizaines de concerts annulés. Ça a été une vraie chance d’avoir un clip live et une carte de visite géniale. Associer le nom Hrafngrímr à ce festival-là, c’était une grande chance ! Quand on est associé à ce nom-là, je pense vraiment que c’est un argument d’autorité. Ça fait de ton projet, un projet sérieux tout de suite. On va avoir trois ans, le groupe est encore un bébé !
Vous avez récemment joué au Cernunnos Festival à la Ferme du Buisson (Noisiel, 77). Comment ça s’est passé ?
Vitaliy : C’était cool malgré notre problème technique au début !
Nicolas : C’était sport, mais ça on ne le dit pas (rires). On a eu quelques galères techniques. Mais on a souri et ça s’est bien passé ! Le public ne doit pas voir ça !
Mattjö : En dehors de ces trucs techniques, ce n’est pas grave, on a su s’adapter et ça a prouvé qu’on avait bien bossé ensemble et qu’on a une expérience de longue date. La grosse surprise, c’est qu’on est un tout jeune groupe. Déjà quand on a été dans des tous petits festivals, on nous a accueillis, on nous a donné notre chance, l’été dernier. On a été agréablement surpris de voir un public de tout âge et de tout bord, de plein d’horizons musicaux différents, qui appréciait notre travail. Et là le Cernunnos, c’est un challenge parce que c’est un public averti, qui sait de quoi il parle, qui est initié, qui a déjà ses préférences. Et l’accueil a été incroyable ! Les ventes de merch ont été incroyables. C’est hyper encourageant pour nous, psychologiquement et matériellement parlant, d’avoir un soutien comme ça… Ça me dépasse un peu, c’est mon petit bébé tout ça. (rires) C’est une belle récompense quand on vient me voir et que les gens ont compris les émotions qu’on voulait transmettre alors qu’ils ne comprennent pas les paroles. Je trouve ça super cool qu’à travers la musique, l’interprétation musicale, à travers les voix, les gens aient vécu la même aventure que nous. Et ça, c’est juste sacré et privilégié.
Vitaliy : Et quand les gens viennent nous dire qu’ils ont écouté l’EP, mais qu’en live, ça sonne encore mieux, là, c’est vraiment notre but ultime !
Mattjö : On a pris énormément de plaisir ensemble sur scène. À cause du Covid, et même géographiquement parlant, on n’habite pas aux mêmes endroits, on n’a pas trop l’occasion de travailler ensemble. Et on fait de plus en plus de dates pour jouer ensemble. Composer ensemble chacun chez soi devant son ordinateur, c’est une chose, mais jouer ensemble, prendre notre pied sur scène et que le public le vive, ça, c’est plus délicat. On a vécu une belle expérience et c’est encourageant pour la suite. Donc le Cernunnos, gros coup de cœur et pour nous mission accomplie !
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