De toute la programmation prestigieuse de cette édition 2016 du Hellfest, la présence du groupe Jambinai se présente sans le moindre doute comme étant la plus surprenante et remarquable. Après une série de dates ayant déjà fait forte impression auprès du public et des médias européens, le groupe de post-rock coréen aux sonorités orientales traditionnelles aura fait carton auprès de l’audience du festival de l’enfer. Qui plus est, cette belle démonstration coïncide avec la sortie de leur second album en date A Hermitage, leur première sortie officielle sur le territoire européen. Compte tenu de la rareté du groupe (issu, rappelons le, d’un pays injustement réduit à la facette de sa musique pop en Occident) l’occasion était trop belle pour passer à côté d’une opportunité d’interviewer le groupe, qui a eu la gentillesse de nous accorder un entretien après leur set.
[Entretien avec Ilwoo Lee (Guitare), Bomi Kim (Haegum), Eun Young Sim (Geomungo)
par Robin Ono]
Tout d’abord comment s’est passé votre set au Hellfest Open Air?
Ilwoo Lee: C’était vraiment super. On était un peu inquiet de la réaction du public étant donné qu’on n’est pas un group de metal, mais le public nous a très bien reçus, mieux que n’importe quel autre festival de rock en fait. C’était un de nos meilleurs concerts de la tournée.
Vos réseaux sociaux listent 3 membres dans le groupe, mais aujourd’hui vous étiez 5 sur scène. Est-ce que les deux autres sont des musiciens live ou alors des membres nouvellement recrutés ?
Ilwoo Lee: Ce sont des musiciens de tournée, mais ce sont quasiment des membres à plein temps, on reste très proches d’eux.
Vous écrivez ensemble ? Ou est-ce seulement vous 3 ?
Ilwoo Lee: J’écris la plupart des idées de base pour les morceaux et on développe chacune de nos parties en répétition avec des séances de jam et d’impro. On écrit en tant que trio.
Étant donné que vous jouez au Hellfest, est-ce que vous êtes proche de la scène metal ?
Ilwoo Lee: Je suis en réalité un grand fan de heavy metal et j’ai été un grand fan de hardcore, j’adore ce style de musique ! Beaucoup de personnes pensent que les instruments traditionnels coréens sont très limités en possibilités, qu’ils sont impossibles à concilier avec le heavy metal. Ils ont tendance à penser que la musique traditionnelle coréenne n’est qu’une musique de vieux, et je voulais briser ce stéréotype. C’est pour ça que j’ai décidé de combiner ces sonorités avec des influences de heavy metal et de hardcore.
En parlant justement d’influences, pourriez-vous nous parler un peu de vos profils musicaux ?
Ilwoo Lee: J’écoute généralement énormément de musique metal et de musique moderne comme du Hip Hop et de la musique électronique… et bien évidemment de la musique traditionnelle coréenne.
Eun Young Sim: J’écoute de la musique d’avant-garde, de la musique minimale, du metal…
Bomi Kim: En grandissant, j’ai beaucoup écouté de musique classique et de musiques venant du monde entier, comme le Tango, la Chanson Française…
Aujourd’hui marque également la sortie de votre premier album sur le territoire européen, A Hermitage. D’où vient le titre de l’album?
Ilwoo Lee: En Corée, ”ermitage” se dit Eunseo (隱棲). C’est notre manager qui a nommé l’album. Selon lui, Jambinai est une force dont le potentiel n’est pas encore pleinement dévoilé au monde entier. C’est assez compliqué à expliquer, mais en gros Eunseo se traduit par “existence cachée”, et notre manager trouvait que ça décrivait notre statut assez bien.
Est-ce qu’il y avait un concept particulier derrière l’écriture de cet album ?
Ilwoo Lee: Je ne pense pas. Après, c’est moi qui écris la plupart des morceaux et au moment où je les avais écrits, j’étais vraiment frustré par mon travail. Je haïssais mon dernier boulot, ce qui pourrait expliquer pourquoi cet album est plus agressif et plus sombre que le précédent.
Le clip pour « They Keep Silence » débute sur une citation de Martin Luther King Jr “Nos vies prennent fin le jour où nous nous taisons sur les choses qui comptent”. Pourquoi cette citation ?
Ilwoo Lee: « They Keep Silence » parle du gouvernement qui cache et fait taire la vérité. Il y a deux ans il y a eu un accident majeur en Corée avec le naufrage du ferry Sewol. Le gouvernement n’a pas réagi du tout et les gens ont commencé à exiger des réponses. Les gens voulaient savoir pourquoi le gouvernement n’a pas réagi au drame, mais les autorités sont restées muettes. Ça m’a vraiment mis hors de moi et je tenais à expliquer la situation avec notre musique. C’est pour ça qu’on a choisi d’utiliser la phrase de Martin Luther King Jr.
Est-ce qu’il y a des thèmes particuliers qui sont abordés sur l’album ?
Ilwoo Lee: Je ne pense pas que l’album ait un message en particulier. On veut simplement briser les stéréotypes actuels sur la musique traditionnelle coréenne. Il n’y a pas de message particulier concernant le monde ou la politique.
Il est rare de voir un groupe coréen se donner en concert en occident. Peux-tu nous dire quelques mots sur la scène musicale indépendante en Corée du Sud ?
Ilwoo Lee: En Corée du Sud, on a toutes sortes de scènes musicales, que ce soit dans le punk, le hip-hop, le jazz… on a de tout. Le souci, c’est que la scène indépendante est très petite. La plupart des gens et le gouvernement se focalisent surtout sur la Kpop, ce qui rend la survie au sein de la scène musicale coréenne très difficile. En ce moment, il n’y a pas beaucoup d’artistes Coréens qui essayent d’exposer leur musique à un public occidental. La Corée du Sud est un pays particulièrement petit comparé la Chine et au Japon, du coup c’est assez dur pour le public occidental de connaitre la musique Coréenne.
Est-ce qu’il y a des groupes en particulier que vous aimeriez amener avec vous en tournée pour faire découvrir au public occidental ?
Ilwoo Lee: Il y a ce groupe de musique électronique Coréen qui s’appelle Idiotape qui donne pas mal de concerts en Europe en ce moment. Sinon t’as aussi un groupe de Scream qui s’appelle 49 Morphines.
(les autres membres du groupe commencent à rire)
Manager: C’est son autre groupe!
Bomi Kim: C’est un super groupe.
Manager: Sinon t’as des groupes comme We Hate JH et Billy Carter.
Pour finir, pourriez vous nommer vos albums, films et bouquins préférés ?
Ilwoo Lee: En terme de bouquins, je dirais Le Nom de la Rose d’Umberto Eco. Sinon en ce moment je suis un grand fan de la série télévisée Game of Thrones. En terme d’albums, en ce moment j’écoute le groupe Norvégien Wadruna, qui ont réalisé la BO pour la série Vikings. Ils jouent de la musique traditionnelle. C’est pas du metal, mais les metalleux adorent leur musique en général.
Eun Young Sim: De mon côté, je recommanderai un groupe coréen qui s’appelle Deul Guk Hwa (들국화), plus particulièrement un de leurs titres appelé « Don’t Worry, My Dear » (걱정말아요 그대) issu de leur comeback album Deul Guk Hwa sorti en 2013. En terme de films je vais partir sur The Hours.
Bomi Kim: Film – Happy Together de Wong Kar-Wai, Bouquin – Zorba le Grec de Nikos Kazantzakis, Album – Lateralus de Tool.
Publicité