KAMPFAR : Til Klovers Takt

Til Klovers Takt - KAMPFAR
KAMPFAR
Til Klovers Takt
Pagan black metal
Indie Recordings

Longtemps qualifié de pagan black metal, Kampfar s’est pourtant peu à peu éloigné de ses racines pour évoluer vers un black metal plus magistral et mélancolique, presque sophistiqué, symphonique, sur ses derniers méfaits après le départ de son guitariste Thomas Andreassen en 2010 et sa dernière collaboration sur l’album Heimgang.

Néanmoins, cette vieille formation fondée en 1994 et originaire de Fredrikstad en Norvège, captive toujours autant quand on prend le temps d’écouter ce neuvième album. Si Kampfar avait pu parfois sembler tourner un peu en rond dans le passé après le très bon Mare (2011), elle offrait dans tous les cas aux fans un haut standing de black metal question qualité. Son précédent opus Ofidians Manifest nous avait d’ailleurs séduits par sa noirceur et son côté lourd, oppressant.

À présent, il semblerait que le chanteur Dolk et sa bande veuillent renouer quelque peu avec leurs racines naturelles d’antan, sans pour autant insérer des instruments folk à tout va, chanter tout nus dans les bois, et jouer des parties de guitare acoustiques en dansant avec Bragi (dieu nordique de la poésie et de la musique) et des walkyries autour d’un feu de camp. En fait, à l’instar de ses confrères irlandais de Primordial, Kampfar possède cette classe naturelle d’insuffler cette essence païenne dans sa musique extrême en revisitant son folklore patrimonial, ses légendes, tout en interprétant un black metal typiquement scandinave depuis près de trente ans, sans tomber dans les stéréotypes du genre. Replongez-vous par exemple dans leurs deux premiers chefs d’œuvre Mellom Skogkledde Aaser (1997) et Fra Underverdenen (1999), puis plongez dans ce Til Klovers Takt (signifiant en norvégien : « Au rythme du trèfle ». Et non, nous ne sommes point ici en Irlande justement mais en Norvège ! L’artwork (une peinture du nom de « Village Fire at Night » de l’artiste bavarois Heinrich Bürkel (1802-1869)) renvoie tout droit aux fêtes traditionnelles célébrant le solstice et début de l’été (24 juin ou Fête de la St Jean, à l’origine païenne puis chrétienne), comme l’évoquait aussi cette année Kreator (lire notre interview 2022) de manière sanglante dans son clip de « Midnight Sun », lui-même inspiré du film américano-suédois Midsommar (thriller/horreur psychologique narrant les péripéties d’une bande de jeunes en vacances en Suède durant l’été victime d’une secte traditionnelle, filmé avec une lumière photographique hollywoodienne léchée).

Quelques arpèges commencent sur « Lausdans under stjernene », accompagnés de claviers plombés et mortuaires, puis le cri déchirant de Dolk survient. On est très proches ici de la tonalité d’Ofidians Manifest, la transition est donc parfaitement réussie. Si un ou deux breaks permettent quelques respirations sur les longues plages sonores généralement composées par Kampfar, les hostilités s’intensifient assez vite, et l’on retrouve ce grain de guitare saturé, ces screams violents, et cette batterie très lourde.

Un certain élan épique domine sur ce premier morceau accrocheur, presque hypnotique, comme souvent chez Kampfar. Les claviers sont beaux, avec ce côté dramatique, et rappellent presque les meilleures productions de Summoning, mais avec cette touche norvégienne. En seconde position, le single « Urkraft » découvert cet été sur internet, est lourd, presque martial, sur son intro, avec ce travail de percussions du batteur Ask sur ses toms, lui qui remplace derrière les futs le chanteur Dolk depuis 2003. Le refrain justement chanté par son frontman au teint toujours blafard derrière ses corpse paints se veut assez classique avec ses relents très heavy et oppressants. Là encore, le métronome s’accélère et les riffs de guitare sonnent typiquement true Norwegian black metal, comme ses compatriotes de Gorgoroth dans les années 90. Quelques chœurs en chant presque clair sont criés au loin, et répétés sous forme d’échos, comme pour nous inviter à cette transe que créée les roulements de toms d’Ask, assurant également ces chœurs ici. La fin d’« Urkraft » est tout bonnement intense et finit en apothéose, dégageant une grande puissance. Kampfar est en forme olympique.

« Fandens trall » et ses presque courtes cinq minutes nous hypnotisent un peu plus encore mais sur un tempo rapide et rageur. Les riffs de guitare d’Ole Hartvigsen sont véloces, et des chants d’outre-tombe, rappelant presque l’époque du magique Fra Underverdenen, viennent alors renforcer l’ambiance folklorique ici (Finntroll n’a qu’à bien se tenir !), les paroles renvoyant à des histoires de trolls…

On est six pieds sous terre, et les portes de Helheim s’ouvrent à nous. On baigne dans cette atmosphère typiquement scandinave. Durant près d’une minute, la lourde intro (dans le sens noble du terme, bien sûr, ici) de « Flammen fra nord » prépare le terrain vers un voyage effréné. Les flammes du nord éclairent brièvement mais de manière intense notre périple sonore dans ce monde sombre et si mystérieux. Des chants clairs, évoquant Grutle Kjlesson (Enslaved) sur Frost ou Eld, interpellent les Ases, puis une folle accélération voit s’énerver un peu plus Dolk et sa horde. On est très proche de la violence d’un « Baptism by Fire » de Marduk. Un break survient, comme si l’on pénétrait un peu plus encore dans cet univers brumeux. Divers cris et chœurs nous accompagnent, la folie nous gagne et seul l’étoile du nord peut nous aider à avancer dans ce dédale d’horreurs. Kampfar arrive à totalement nous subjuguer ici. « Flammen fra nord » continue avec de furieuses accélérations là encore et des riffs assassins ponctués de quelques courts soli en shredding.

Mais le point d’orgue de cet album réside incontestablement dans la cinquième et avant-dernière pièce « Rekviem ». Véritable prière à destination des morts, ce titre fait froid dans le dos et vous prend aux tripes. Lancé à toute allure, Kampfar attaque sauvagement le royaume de la déesse Hel, galopant sur une batterie en furie, telles les Walkyries emmenant les valeureux guerriers tombés au combat, et quand les choses se calment un peu, de superbes chœurs nous rappellent que nous sommes encore bel et bien vivants. Au milieu du morceau environ, un superbe break fait son apparition laissant une accalmie pour que Dolk et ses comparses développent une atmosphère pagan et totalement hypnotique. Les riffs de guitares sont d’une puissance inouïe. Dolk donne tout au micro, comme si c’était là son dernier chant du cygne jusqu’à l’outro. Des claviers et violons (samplés ?) nous emmènent alors au Walhalla. Durant près de huit minutes au total, nos quatre Norvégiens sont alors à leur apogée, livrant une fantastique pièce maîtresse qui sera peut-être difficile à défendre sur scène en condition live du fait  de sa longueur, mais son côté épique transcendera à coup sûr les fans dans le pit.

Enfin, « Dødens aperitiff » clôture cet intense bal noir et mortuaire pour un dernier banquet avec les morts et les dieux. On baigne dans l’étrange, le mythe, l’ivresse. Les riffs sont de nouveau lourds, le rythme est lent. Cet ultime chanson conclut les hostilités de fort belle manière, et l’on reste scotché jusqu’à la dernière note.
Né durant la seconde vague du black metal en Norvège, Kampfar demeure l’un de ses vétérans et fiers ambassadeurs, à l’image de ce nouveau chef d’œuvre Til Klovers Takt. Dolk maîtrise son art dramatique noir totalement envoûtant ici, et sa musique est d’une force incroyable, avec ce caractère nordique et épique inné chez nos quatre musiciens. À ne pas manquer en concert quand ils viendront rôder par chez nous pour brûler nos chapelles… Ah non, ça c’était à une autre époque, dans les années 90… [Seigneur Fred]

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