Troisième échappée en solitaire pour notre ami Karl Sanders, co-fondateur de Nile et guitariste/chanteur, mais ici multi-instrumentiste. Bien souvent les side-projects dans le metal peuvent décevoir et manquer d’audace, constituant simplement des sortes de prolongement de ce qui n’a pas été retenu en studio sur les albums d’un groupe principal dont un musicien (ou chanteur) fait partie. Mais avec ce véritable projet éponyme entamé il y a déjà vingt ans par l’artiste américain avec Saurian Meditation (Relapse Rec.) et perpétué sur Saurian Exorcisms (The End Rec.) en 2009, Sanders y développe une réelle saga fictive emplie de mysticisme et d’aventure autour de la civilisation saurienne et du voyage fictif du Dr Eduardo Lucciani. Celui-ci est l’un des rares survivants de l’autodestruction de l’humanité, qui sombre dans la folie après avoir découvert les violentes horreurs commises par les maîtres sauriens sur Terre. Si spirituellement on retrouve plusieurs points communs mythologiques et ésotériques avec Nile, on dépasse l’univers des maîtres égyptologues américains.
Musicalement, les fans des intros d’ambiance et autres interludes instrumentaux typiques de Nile seront aux anges mais pas que. Excepté sur la huitième plage plutôt tranquille intitulée « Divergence: The Long Awaited Third Primordial Ascension » où se côtoient de manière plutôt inédite instruments folkloriques et un solo de guitare électrique en shredding de Karl Sanders, tout le reste est essentiellement acoustique. Outre la guitare, la basse et les claviers, le maître de cérémonie Sanders assure aussi les parties de bağlama (luth turc), de sistre (instrument recréé provenant de l’Égypte Ancienne), de doumbek (tambour à gobelets du Moyen-Orient), ou encore du glissentar (sorte de guitare électro-acoustique moderne à la mode composée de onze cordes inspiré du oud traditionnel), et même du gong pour une ambiance tibétaine voire asiatique sur « Mask of Immutable Self Delusion ».
Divers invités peu connus figurent sur l’album comme Mustafa Stefan Dill que l’on entend jouer du oud sur le mystérieux « An Altered Saurian Theta State ». Si l’essentiel de Saurian Apocalypse est instrumental, il y a tout de même un rare chant et diverses incantations interprétés une nouvelle fois par Mike Breazeale, présent sur les deux précédents albums. On le retrouve habituellement dans divers vocaux sur les albums de Nile, et il avait participé à l’album solo Invictus (Season of Mist) de George Kollias en 2015. Ici ou là, on note quelques chœurs féminins qui viennent charmer l’auditeur dans des rites païens plus ou moins calmes.. Et sur l’épilogue « No Creature More Deserving of Cataclysmic Annihilation », c’est le batteur grec Jonathan Garofoli alias « Asmodeus Draco Dux » des excellents et regrettés black metalleux Naer Mattaron (brutal death metal autrefois signés chez Black Lotus Records) qui interprète la voix du personnage principal Dr. Eduardo Lucciani.
Le seul titre immédiat et plus « commercial » de Saurian Apocalypse réside peut-être dans le troisième single très réussi « The Evil Inherent In Us All », sorte de chanson tribale très dynamique et rythmée, inspirée (copiée, diront certains) par « Ratamahatta » de Sepultura du fameux Roots des Brésiliens (Roadrunner Rec. 1996). On retrouve ici deux invités connus des fans : Pete Hammoura (ancien batteur de Nile) aux percussions, et l’excellent guitariste texan Rusty Cooley (Day of Reckoning, et artiste solo) sur les parties acoustiques très groovy. Quant au chant, Mike Breazeale fait ici un peu office de Carlinhos Brown pour un résultat très catchy. Cette chanson a été soi-disant inspirée par une nuit tristement célèbre au Caire lorsque l’artiste de métal égyptien, l’imprésario et la légende underground du métal égyptien Nader Sadek ont emmené Karl Sanders, Derek Roddy (ex-batteur de Nile sur l’album Black Seeds of Vengeance, ex-Hate Eternal, ex-Malevolent Creation, Menace…) et Mahmud Gecekesu à une représentation de l’authentique musique d’exorcisme nord-africaine… Alors si certains pourront dire qu’il s’agit là d’un album solo à ranger au rayon disques de chez Natures et Découvertes, préférant attendre un prochain album de pur brutal death metal technique de Nile, aucun problème, et votre serviteur attend aussi un successeur à Vile Nilotic Rites. Cependant, cette récréation personnelle de Karl Sanders constitue une pause spirituelle, mentale, nécessaire à son auteur comme il nous l’avait confié en interview dans le passé, lui qui n’écoute quasiment pas de metal et sature presque tellement il baigne là-dedans déjà tout le temps en tournée, ou quand il est chez lui et compose du côté de Greenville (Caroline du Sud). De plus, il y a aussi une réelle recherche musicale dans l’utilisation des instruments ici, grâce à la collaboration de divers artistes talentueux. Cela fait vraiment plaisir d’entendre de nouveau l’ancien batteur américain d’origine iranienne Pete Hammoura, tout à fait légitime sur Saurian Apocalypse (également aux percus sur « The Sun Has Set on the Age of Man »), ou l’actuel batteur grec de Nile, George Kollias sur « An Altered Saurian Theta State », qui a sacrément dû s’impatienter à Athènes durant l’épidémie de covid-19… Et puis, ne dit-on pas selon certaines prophéties ou sagas païennes, qu’après l’apocalypse, survient un nouveau monde ? Alors profitons de l’instant présent en savourant ce troisième essai dépaysant avant d’écouter le dixième album de Nile à venir chez Napam Records également, et ce, pour des hostilités nettement plus metal. [Seigneur Fred]
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