MEMORIAM : A la vie, à la mort !

Certains artistes ne se posent pas de question et entreprennent ce qu’ils savent faire de mieux depuis des années. Parfois, l’usure, le manque d’inspiration surviennent, même chez les plus grands, des breaks s’imposant alors. Et puis des circonstances inattendues provoquent une étincelle de créativité, de renaissance, et ça repart comme en 40, ou plutôt comme à l’époque d’un certain Bolt Thrower dans les années 90. C’est exactement ce qu’il se passe pour son ancien chanteur Karl Willetts depuis la fondation de Memoriam en hommage au dernier batteur de Bolt Thrower, Martin « Kiddie » Kearns, mort en 2015 durant son sommeil à l’âge de trente-huit ans seulement…

Depuis, Memoriam a sorti une série de démos (les sessions Hellfire) et déjà pas moins de quatre albums studio dont le nouveau : l’excellent To The End. C’est installé devant la webcam de son ordinateur que notre homme, très bavard, nous attendait de pieds fermes, une bière à la main, afin de discuter tout simplement de Death Metal et des actualités de notre bas monde, comme si l’on était dans un pub anglais au coin d’une rue de Birmingham… [Entretien avec Karl Willetts (chant) par Seigneur Fred – Photo : Timm Sonnenschein]

Comment ça va en ce moment en Angleterre alors que l’on ne peut pas faire d’interview en face-à-face ni de concert comme au bon vieux temps ? (sourires)
Eh bien, ça va, même si, ici, je me sens un peu isolé, moi qui aime parler avec mes amis irlandais, français, ou européens plus généralement mais à cause de ce putain de Brexit, ça complique les choses, en plus de tout ce qui se passe déjà avec le covid-19 depuis un an… Cela fait du bien de parler un peu à d’autres même si on ne peut se rencontrer pour de vrai. Il faut envisager toutes les options, et notamment pour les médias, on y arrive. Et puis discuter avec toi est un plaisir. En plus, ton accent français est plutôt sexy !! (rires)

Pour les chauffeurs routiers et transporteurs, les pécheurs, etc., le Brexit n’arrange guère les choses, ni pour toi non plus en tant qu’artiste anglais, même si des négociations finalement ont lieu pour faciliter le déplacement des musiciens à l’avenir… C’est bien compliqué tout ça mais bon cela a été voté à la majorité en Grande-Bretagne. Quel est ton opinion là-dessus ?
Tout à fait. C’est compliqué… Disons que c’est un résultat qui découle d’une série d’actes populistes dans le pays et ce, dans un contexte croissant de xénophobie, de nationalisme économique, de repli sur soi, avec en plus cette pandémie qui renferme les gens et accentue la peur envers l’autre, et finalement tout ça nous désociabilise un peu plus chaque jour. C’est triste et difficile à dire, à vivre. Mais il y a aussi des voix dissonantes, tout le monde n’est pas d’accord ici en Angleterre, ou bien en Ecosse par exemple. Et les Irlandais sont inquiets du rétablissement des frontières. Pour Memoriam, par exemple pour notre merchandising, la vente de merchandising est compliqué, il faut tout déclarer, on croirait revenir en arrière et on fait plus de paperasse administrative, de même pour nous voyager en tournée, quand ce sera possible avec ce corona, il y aura comme des check points pour valider nos papiers pour les artistes, etc. Il y a aura un assouplissement si on reste trois semaines par exemple.

Par contre, comme la Grande-Bretagne a toujours regardé davantage vers l’ouest, politiquement, économiquement, et culturellement, ce sera peut-être plus facile d’aller voyager et jouer aux États-Unis avec maintenant Joe Biden à la présidence, non ? Memoriam s’est-il déjà produit là-bas d’ailleurs ?
Non, nous n’avons jamais eu d’offres sensiblement intéressantes pour ça en fait. On se restreint à certaines conditions à notre niveau. Mais tu sais, je ne suis pas spécialement intéressé d’aller jouer là-bas à vrai dire ! (rires) Les États-Unis sont un vaste territoire, et ça prend du temps pour tourner là-bas, et puis ça coûte cher. Memoriam est un petit groupe. À côté nous avons tous un job et une famille aussi, donc c’est difficile de s’absenter longtemps. Économiquement c’est compliqué de partir loin, plus les visas à faire, etc. Cela requiert un réel investissement d’aller jouer là-bas même si on a des fans. Déjà, pour l’heure, si on peut repartir jouer en Angleterre, puis un peu partout en Europe, on serait content car la situation sanitaire actuelle a beaucoup d’impacts sur les groupes.

Karl Willetts, chanteur de Memoriam et ex-Bolt Thrower

Je me souviens qu’en 1998 tu avais obtenu un diplôme universitaire à Birmingham et avais alors quitté Bolt Thrower à l’époque pour finir tes études entre-temps… Es-tu devenu professeur peut-être depuis, et enseignes-tu de nos jours ? Quel est ton travail au quotidien ?
Non, pas du tout, je n’enseigne pas. J’avais quitté les études à cause des tournées avec Bolt Thrower qui étaient vraiment intensives, mais plus tard en 1995, je m’y étais remis, revenant un peu, plus tard en 1997-1998, car oui, j’avais décidé de retourner sur les bancs de l’université de Birmingham pour finir ce que j’avais alors abandonné. Ce fut intéressant comme expérience. Je m’étais alors remis dans les livres. J’avais étudié la philosophie, j’étais alors jeune et naïf, plein de rêves et d’espoir. Et en 1998 j’ai décroché mon diplôme d’études culturelles [NDLR : nous n’avons pas trouvé l’équivalent exact de ces études en France]. Par la suite, j’ai eu plusieurs jobs successifs… Mais mon travail quotidien sinon, aujourd’hui je suis administrateur en fait, plutôt manager de terrain, disons pour faire simple. Je ne regrette cependant pas d’avoir repris ces études pour les finir.

Revenons si tu veux bien sur le précédent album Requiem Of Mankind qui a reçu de très belles critiques en 2019. Avez-vous beaucoup tourné pour Requiem of Mankind et comment le considères-tu par rapport à The Silent Vigil que j’avais trouvé assez différent, plus Thrashy et complexe dans ses structures de morceaux et riffs un peu à la Voivod, et pour lequel je m’étais entretenu avec ton batteur d’alors Andrew Whale (ex-Bolt Thrower aussi (1986-1994)) ?
Oui, tout à fait. Alors j’aime encore cet album. (rires) Tu as raison, était différent du précédent The Silent Vigil. En fait on a été plutôt prolifique avec Memoriam enchaînant les albums, quatre maintenant en l’espace seulement de cinq ans si je compte bien car nous sommes plutôt inspirés à vrai dire, constamment, et ce, dès nos débuts à partir des sessions de Hellfire Demos en 2016. Tout s’est passé en fait très vite, on fait ce que l’on a envie de faire, il y a une véritable passion, presque fanatique, dans ce que l’on entreprend avec Memoriam. Alors tant que ça fonctionne, on continue. Une fois un album fini, on n’attend pas, et on pense déjà au prochain, on regarde plus loin… Cela prend forcément un peu de temps le temps d’imaginer et développer les choses, et définir le son de Memoriam. Cela a pris le temps de deux albums. Mais l’on a trouvé rapidement, je pense, notre son, avec différentes techniques, et je dirai à partir de ce troisième album Requiem of Mankind. On a atteint un autre niveau tout en respectant le lien avec notre passé. On a pas mal tourné oui pour celui-ci, on n’est pas non plus obstiné, et on fait en fonction de notre agenda. On a participé à divers festivals (Bloodstock Festival ici en Angleterre), le temps de quelques weekends et ça a plutôt bien fonctionné, je crois. On continue alors avec le succès de cet album, on a rejoué en Angleterre, puis au Danemark mais après tout s’est arrêté. On va voir à présent pour To The End, dès que ce sera possible. Cela nous a permis de peaufiner par contre le concept de ce nouvel album qui sort à présent. On essaie d’en profiter au maximum à défaut de concert…

Au fait, pourquoi ton vieil ami et batteur Andrew Whale (ex-Bolt Thrower aussi), qui avait répondu à notre interview pour la sortie de The Silent Vigil, a-t’il quitté Memoriam l’an dernier ? Il avait un problème à l’épaule, je crois…
Absolument. Ces dernières années, il a eu tout un tas de problèmes à son épaule. En fait, c’est un muscle qui est touché. Il n’est plus tout jeune, tout comme moi, tu sais, et jouer de la musique extrême depuis une trentaine d’année à ce niveau-là n’arrange guère les choses. On était triste qu’il arrête Memoriam, mais on est toujours bons amis, tu sais. Il a dû prendre cette difficile décision. En fait, il peut continuer à jouer de la batterie mais pas continuellement, de temps en temps oui. Il est suivi par un kinésithérapeute. Il a dû arrêter la batterie pendant six mois. Il ne pouvait donc pas participer à l’enregistrement du nouvel album To The End. Et en plus le confinement nous aurait bloqués pour les répétitions. En fait, Spikey Smith du groupe Sacrilege a écrit la plupart des parties de batterie et les a enregistrées. Spikey est un musicien complet. Il a fait un travail splendide en seulement quelques semaines (six semaines si ma mémoire est bonne).

Line-up MEMORIAM en 2019
De gauche à droite : Scott Fairfax (guitare), Andrew Whale (batterie) parti depuis 2020,
Frank Healy (basse), et Karl Willetts (chant)

Mais il a rejoint Darkened cependant, un groupe international de Death Metal, et a même enregistré la batterie sur leur premier album Kingdom of Decay (Edge Circle Prod.) paru entre-temps en 2020 ?! Son épaule ne va donc pas si mal et il aurait pu le faire pour Memoriam ? (sourires)
Oui, il a enregistré la batterie avec  Darkened. Il s’agit d’un side-project en fait, comme Spikey joue avec Frank Healy, notre bassiste, dans Sacrilege. Et il n’y a aucun problème avec ça. Il avait enregistré ses parties pour cet album auparavant. Mais il va un peu mieux cependant et récupère donc avec son kiné, il doit vraiment faire attention et jouer moins longtemps. Pour les concerts en tournée, ça ne serait pas possible. En plus, avec son travail, ça n’arrange rien car il a un job assez physique. On sait tout cela, et je pense que nos chemins ne seront pas sans se recroiser à l’avenir…

Que penses-tu des concerts par internet sans public en live streaming que donnent la plupart des artistes mais aussi des concerts autorisés devant un public assis dans un nombre limité et avec distanciation et masques comme l’a fait Asphyx l’été dernier en Allemagne lors de quelques concerts tests ?
Les temps changent, on doit donc s’adapter en conséquence. Des concerts ont lieu ainsi mais pour le Death Metal old school comme on joue avec Asphyx, ce n’est pas adapté. Toute une économie est ainsi remise en question. Cela convient bien pour de la musique classique par exemple où l’on peut rester assis et respecter les distanciations. Mais jouer du Rock ou du Metal devant un public assis me paraît difficile. Sur internet, sans public en live streaming comme c’est devenu courant dorénavant, pourquoi pas, mais où est l’ambiance ? Où est ce sentiment spécial que l’on partage avec les gens ? On doit s’adapter, ça s’est sûr, et ne pas prendre de risque tant pour le public que pour les artistes. On vit dans un monde incertain. Mais je suis que l’on ressortira grandi de tout ça, enfin si l’on survit… (rires)

MEMORIAM To The End (artwork par Dan Seagrave)

À présent, peux-tu m’expliquer le titre de ce quatrième album To The End et tout le concept visuel que l’on peut admirer sur le superbe artwork une nouvelle fois signé Dan Seagrave ? On y voit une armée se groupant au pied d’une statue d’un officier militaire mort-vivant avec une épée et une boule d’énergie, sur les fonds et décors à présent en ruines des précédents albums où l’on assistait d’abord à l’enterrement d’une personne sur For The Fallen (2017), puis à une cérémonie géante autour d’une racine ou d’un arbre sur The Silent Vigil (2018), et enfin l’incinération du défunt sur Requiem for Mankind (2019). A la base, rappelons-le, Memoriam fut fondé en 2016 pour rendre hommage à la mémoire de Kiddie, dernier batteur en date de Bolt Thrower, décédé durant son sommeil en 2015. Alors To The End signifie t’il que l’on arrive vers la fin de Memoriam (split du groupe ?), ou la fin d’un cycle d’albums peut-être ?
Ouah ! Ah ah (rires) Très très recherché, je vois… Beaucoup de respect, tu as beaucoup réfléchi et n’a pas tort… Je pense que l’on peut définir les choses ainsi : nos trois premiers albums étaient une trilogie basé sur la mort. Il y avait donc autour de ce concept l’évocation du deuil, la tristesse, les funérailles, etc. Voilà. Sur Requiem of Mankind, on incinérait le cercueil au crématorium en plein air. Maintenant, j’ai décidé de développer un nouveau concept cette fois autour de la vie avec un terrain de bataille, un champ de morts, et parmi cette armée de morts-vivants, on y voit cette boule verte symbolisant d’une certaine manière la vie. Après le cycle de la mort, voici la vie. C’est donc le début, le préquel d’une nouvelle trilogie axée sur la vie ici. Tu sais, j’adore le fantastique, la guerre, la science-fiction, l’horreur, alors j’imagine tout ça à ma façon à chaque album. On veut expérimenter la vie ici. Sur l’artwork, on voit qu’il y a eu une grande et dure bataille, d’où les ruines, et le leader qui a conduit ses hommes à la mort, leur parle et les rassemble. Donc To The End est une célébration de la vie en quelque sorte à travers notre Death Metal. On revisite la vie à notre façon en partant sur une nouvelle trilogie.

Sur certains morceaux, on entend quelques bruitages (samples) d’ambiance de guerre, de transmissions radio, tout cela rappelle forcément ton passé avec Bolt Thrower, c’est quelque chose d’omniprésent dans ton travail d’artiste, y compris avec Memoriam maintenant…
La guerre a toujours été un de mes thèmes principaux favoris. On a des chansons plus directes et guerrières justement, comme notre premier single, « Onwards Into Battle » et le nouveau « Failure To Comply », mais encore une fois on y célèbre la vie aussi à présent. Les survivants d’une guerre célèbrent la vie autour de leur chef. Au niveau des paroles, les fans s’attendent à ce qu’il y ait ce genre de choses alors je continue. J’ai toujours fait ça, c’est vrai. Les gens seraient en colère si ce n’était pas le cas. (rires) Mais il faut y voir aussi une alternative à ce monde dans lequel nous visons, malgré tous les problèmes, notamment politiques dans le monde, on peut trouver des solutions et faire des choses, comment faire face, contre le racisme, etc. Il existe des droits.

La dernière chanson de l’album est très épique et très réussie. Elle s’appelle « As My Heart Grows Cold ». Peux-tu nous en dire davantage s’il-te-plaît ?
C’est quelque chose de différent que j’ai essayé de faire et j’en suis ravi. « As My Heart Grows Cold » sonne très épique, oui, c’est assez long. J’y évoque la vie donc à travers ce nouveau concept et début de trilogie. Il faut savoir profiter des bons moments de la vie, célébrer cela, autant que l’on peut, car le temps passe vite, et ce, malgré la situation actuelle. Avec bien sûr tout le respect pour les morts actuels, il faut continuer à se battre, à vivre. C’est donc la vie en général que j’évoque ici. Tant qu’il y a de la vie, il y a donc de l’espoir. On va donc développer cela dans les deux prochains albums de Memoriam…

Avant de conclure sur ce quatrième album To The End, j’aurai tendance à le décrire comme un disque de Death Metal old school très heavy, relativement groovy, épique, massif, une nouvelle fois excellemment produit avec un son très contemporain signé Russ Russell (Dimmu Borgir, Napalm Death, Tronos, Lock Up, etc.). Comment le décrirais-tu pour nos lecteurs avec tes propres mots ?
Avec le succès de Requiem of Mankind, on a donc trouvé notre son, je pense, mais on essaie d’aller plus loin sur To The End, d’expérimenter. Ce nouvel album est plus varié, il y a de la tristesse mais aussi de l’espoir. C’est très direct, typiquement Death Metal, mais parfois aussi plus Doomy. On fait du du Death Metal old school, bien sûr, mais on a essayé différentes choses. J’ai aussi essayé par exemple de chanter sur une chanson à la Killing Joke, ou Godflesh, ça s’appelle « Mass Psychosis ». Cela faisait longtemps que je voulais faire ça, et en plus là, avec Spikey qui a déjà joué au sein de Killing Joke notamment sur leur live japonais, donc ça ne pouvait pas coller mieux. Shane Embury (Napalm Death, Lock Up, Tronos, etc.) est venu en studio quand on faisait ce titre. Il y aussi ce titre final évoqué précédemment, « As My Heart Grows Cold » que j’adore. Ce fut très difficile pour moi d’écrire les paroles en fait, tu sais. J’ai dû travailler différemment et sortir ma zone de confort. Je pense donc que les gens aimeront cet album tout autant que moi à le faire. J’espère que To The End remportera autant de succès que le précédent Requiem of Mankind.

Enfin, comment expliques-tu une telle vitalité des groupes anglais comme Napalm Death, Benediction, Paradise Lost, My Dying Bride, qui ont tous sorti d’excellents albums encore l’an dernier, car vous êtes de vrais dinosaures sur la scène Métal européenne et internationale et semblez encore en pleine forme et plein d’inspiration tout en sonnant finalement très enclin avec votre époque ? Aaron Stainthorpe me confiait par exemple début 2020 lors de la sortie de leur dernier album en date The Ghost of Orion qu’il continuerait ainsi tant que le plaisir de faire de la musique serait au rendez-vous, probablement jusqu’à sa mort…
Je pense que c’est à cause de la résilience de la part de la scène britannique classique qui résiste…(rires) Quoi d’autre dire ? On est là depuis près de trente ans pour la plupart d’entre nous, et je pense que nous continuons car on aime ça. Benediction, Paradise Lost, Iron Maiden, Saxon, dans un registre Heavy Metal, etc. C’est ce sentiment britannique old school qui prédomine. Alors pourquoi arrêter ? On ne se force pas. On a divers projets, on ne s’ennuie pas, alors on continuera jusqu’à la mort.

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