Le Raismes Fest : vous connaissez sûrement le nom de ce festival nordiste, surtout si vous êtes férus de hard rock et de heavy metal depuis de longues années. En place depuis 1998 à Raismes près de Valenciennes, il est l’un des plus vieux événements du genre, précurseur du style en France. Se déroulant cette année du 9 au 10 septembre 2023, son organisateur, Philippe Delory, a accepté de nous dévoiler les secrets de son organisation. [Entretien avec Philippe Delory (organisateur) par Aurélie Cordonnier – Photos : DR]
Le Raismes Fest existe depuis 1998. C’est l’un des plus vieux festivals de musique rock/metal de France. Comment est né le festival au départ ?
Au départ, c’est un groupe d’amis à Raismes qui avait envie de monter un festival, avec le soutien du service culturel de la ville. Ça a démarré tout petit, ils avaient trois groupes dans une salle de sport. Comme il y a un jumelage avec une ville allemande, il y a des groupes allemands qui sont venus. Cela s’est fait comme ça, deux années dans une salle de sport à Raismes. Ensuite le festival s’est fait en plein-air, depuis l’an 2000, dans le parc du château de la Princesse.
Quel est votre secret pour continuer à exister depuis toutes ces années ?
Ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre (rires). Le secret c’est les finances, avoir une bonne gestion. On a vu des tonnes de festivals se monter avec des ambitions affichées dès le début de ramener 5 000 personnes en deux ans ou des trucs comme ça. Trois ans après ou quatre ans après, le festival disparaît, car il y a eu des pertes financières, le public n’a pas été au rendez-vous… Nous on a un seuil de rentabilité qui est bas, ce qui nous permet d’amortir les frais. On fait très très attention. Surtout que les subventions peuvent être aléatoires, il n’y a rien d’automatique. On ne prend pas des têtes d’affiche à un prix exorbitant. Et on a un public fidèle aussi.
Avez-vous eu des craintes quant à sa survie quand d’autres festivals du genre sont apparus ?
Oui. Au début, il n’y avait que le Raismes Fest au niveau de la région. En 1998, il n’y avait pas beaucoup de festivals orientés metal. Au fil des années, il y a des festivals qui se sont montés à droite et à gauche, y compris dans le département du Nord-Pas-de-Calais, des festivals spécialisés metal plus extrême. Nous on avait quelques groupes de metal plus « rentre-dedans », mais quand ces festivals sont apparus, on n’en a plus programmé. Les gens qui venaient pour voir ces groupes là trouvaient qu’on en faisait pas assez. Payer l’entrée pour voir un ou deux groupes dans ce style là n’était pas valable, donc ils se sont tournés vers les festivals orientés metal extrême. Donc là, on a perdu des spectateurs. Mais on s’est recentré sur une programmation plus hard rock classique/heavy metal. C’était en 2012. On est reparti de zéro cette année là, car l’année précédente, on a eu une baisse de moitié des subventions de la municipalité, qui fait que le festival n’a pas eu lieu.
Pourquoi il y a eu cette baisse ?
On n’a jamais réellement su pourquoi. On suppose que c’était dû aux difficultés financières de la municipalité… C’était en 2011, l’affiche était prête et on a su au mois de mai qu’il y avait une baisse de subvention. J’avais modifié l’affiche en conséquence. Du fait de cette baisse, il y a des partenaires qui travaillaient avec nous depuis plusieurs années qui n’ont pas suivi. On est reparti de zéro. J’ai pris la présidence de l’association à ce moment-là. On a redémarré avec une seule journée parce que jusqu’en 2010, on était à deux journées complètes, le vendredi soir et le samedi pendant quatre ans, puis on est revenu à deux journées, comme le festival marchait bien et qu’on ne perdait pas d’argent. Ça a permis de repartir sur de bonnes bases. Il y a un cap que l’on n’arrivait pas passer à cause des finances justement, alors en 2018 on a fait un crowdfunding, qui nous a permis de prendre des groupes un peu plus importants en tête d’affiche, ce qui fait qu’on a augmenté l’affluence du festival a augmenté de 25 %.
Pourquoi avoir choisi d’organiser le festival à Raismes dans le Nord ? Est-ce un bon moyen de faire remonter le tourisme dans la région ?
Non, ça n’a rien à voir avec le tourisme. C’était juste des passionnés de musique qui ont essayé de monter un festival, ça aurait pu se faire n’importe où. Je suis dans l’association depuis 2005 mais je connaissais les organisateurs. Ils m’avaient demandé pour travailler avec eux au début, mais je ne pouvais pas m’impliquer les premières années, pour des raisons professionnelles et parce que j’avais quatre enfants en bas âge, je n’avais pas le temps. Quand j’ai eu un peu plus de temps, là je me suis mis dans l’association et suite à l’affaire de 2011, j’ai pris la présidence de l’association en m’assurant d’avoir un œil sur les comptes du festival. J’ai pris la présidence avec une dette importante à rembourser. Le Raismes Fest devait des sous à des partenaires. Quand j’ai repris l’association, ce n’était pas forcément évident. Il y avait 20 ou 30 000 euros à rembourser. On a mis quatre ans à rembourser, ça a été vite, mais pendant ce temps, on n’a pas pu réinvestir, les bénéfices du festival ont servi à rembourser la dette.
Cela ne vous a pas fait peur quand vous avez pris les rênes alors qu’il y avait une dette ?
Pas vraiment. Il y avait un problème de gestion qui n’a plus eu lieu après. Nous avons fait très attention aux finances, c’est pour ça que nous sommes encore là. On ne fait pas d’avance sur recette. On utilise de l’argent que l’on a, c’est tout. On ne compte pas sur les entrées pour rembourser des groupes chers. Il y a des festivals qui font ça mais c’est prendre un risque. S’il y a moins de spectateurs que prévu, c’est très risqué. Je ne veux pas tenter ça. En plus, on est un festival en plein-air donc on est tributaire de la météo. S’il pleut toute la semaine avant le festival et qu’on perd ne serait-ce que 2 ou 300 spectateurs sur les deux jours, on est mort.
En termes d’affiche, vous avez eu Epica, Saxon, Uriah Heep… Cette année, vous avez Ian Paice, H.E.A.T., Mike Tramp… Comment sont choisis les groupes à l’affiche ?
Déjà, on s’est calé sur un style hard rock 70/80, blues rock, classic rock, un peu de prog’ aussi. Après, c’est selon les disponibilités des groupes. Je reçois des demandes d’agences de partout. Le festival, depuis le temps, est quand même connu dans le milieu. (rires) J’ai des demandes dans le monde entier. Soit je travaille directement avec les groupes, soit avec les agents français ou étrangers.
Quel budget représente un festival comme celui-ci ? Que ce soit en termes d’organisation ou pour faire venir les groupes ?
Le budget artistique s’élève en gros à 60 000 euros. Certains autres festivals se demandent comment on fait. (rires) Ce n’est pas si énorme que ça. Jusqu’en 2017, il s’élevait encore à 25 000 euros. Depuis 2018, on l’a doublé pour pouvoir assurer plus de demandes. Le budget global du festival est de 160 000 €. On a à peu près 20 % de subventions et tout le reste ce sont des recettes propres (la billetterie, le bar, les stands de nourriture…)
Le festival est organisé cette année du 9 au 10 septembre, soit après que la saison des festivals soit passée. Pourquoi ce choix ? Est-ce que c’est stratégique et vous permet d’avoir plus de festivaliers que si vous l’organisiez en même temps que tous les autres ?
Non, ça se fait en septembre depuis 2001. Au début, c’était au mois de juin. Il y avait un festival à Hirson dans l’Aine qui avait le même genre de programmation que le Raismes Fest et qui était aussi au mois de juin. Du coup, on avait décalé le festival en septembre et c’est toujours rester comme ça. C’est vrai que c’était plus difficile d’avoir des artistes en septembre parce qu’une fois l’été passé, les groupes ne tournaient plus. C’est moins le cas maintenant. Pour nous, c’est plus intéressant et économique, comme ça ils ont déjà leurs véhicules, on n’a plus besoin de faire les navettes. Et en juin, il y a tellement de festivals… Quand on a démarré, il n’y avait quasiment que le Raismes Fest. Maintenant du mois de mai jusque début octobre, il y a un ou deux festivals dans un rayon de 100 ou 150 kilomètres. La concurrence est très rude. (rires)
Vous organisez un tremplin, le Ch’ti Rock. Quand et comment avez-vous eu l’idée de l’ajouter ?
Il y a une dizaine d’années, on a fait un tremplin pendant cinq ou six ans. Il y avait six ou sept groupes. Ça demandait trop de boulot de préparation, de sélection des groupes, d’organisation… ça nous coûtait aussi de l’argent. A cette époque là, on avait une deuxième scène au festival, la scène découverte où jouaient des groupes amateurs ou semi-pros. Au début, c’était des groupes de la région, mais cette scène là, on l’a supprimé aussi. Le fait que le tremplin nous coûte de l’argent, on a arrêté. Il n’y a pas eu de tremplin pendant au moins six ans. Ça a été repris par le Ch’ti Rock, ce sont des amis qui organisent. Il l’a repris depuis 2017 mais en 2022 il n’y en a pas eu. C’est un partenariat avec des amis, le choix des groupes leur appartient.
Est-ce que le festival a permis à de jeunes groupes de se lancer et de gagner en popularité ? Si oui, lesquels ?
Il y a des groupes comme Existance ou Overdrivers, par exemple, qui ont fait quasiment leur première scène au Raismes Fest et qui ont bien marché par la suite. Epica ont fait leurs premières dates françaises au Raismes Fest, ils sont venus deux fois et la troisième fois, ils étaient tête d’affiche. En cinq ans, ils sont passés d’un statut inconnu à tête d’affiche chez-nous. Ensuite, ça a encore grossi et aujourd’hui, on ne peut plus les avoir, financièrement Epica c’est impossible, du fait notamment des subventions qui n’ont pas augmenté.
Vous ne proposez aucune musique extrême. Est-ce que le public est quand même varié ou est-ce qu’on reste sur un public de niche ?
On a des fans de musique extrême mais pas énormément. Mais une grosse moitié du public sont des habitués. Ils viennent pour l’ambiance qui est hyper conviviale, très familiale. Il y a beaucoup de gens qui viennent avec leurs enfants et même leurs petits-enfants. Comme c’est un parc avec des arbres, de la pelouse, quand il fait beau c’est super. Les gens pique-niquent dans l’herbe, les enfants jouent dans l’herbe un peu plus loin de la scène… ça fait une ambiance très conviviale. C’est un petit peu comme une grande famille, les gens sont contents de se retrouver chaque année. Ils viennent aussi pour les groupes (rires). Mais l’ambiance est très importante. Je ne vais pas dire qu’il y a beaucoup de jeunes de 20 ans qui viennent. On passerait du metal extrême ce serait le cas mais là, la moyenne d’âge est plutôt de 40 ans. On a quand même des jeunes de 18/20 ans et ça va jusqu’à 70 ans.
Quelle édition reste à ce jour la plus mémorable pour vous et pourquoi ?
C’est difficile, il y a eu tellement de bonnes éditions… Celle de 2008 avec Saxon et Gamma Ray, c’était bien. 2018 c’était bien, avec Rose Tattoo. C’est là qu’on avait fait notre crowdfunding qui avait bien marché, on était super content. Comme anecdote, en 2019, on avait Glenn Hughes et on avait un beau van pour aller le chercher à son hôtel. Il y avait un chauffeur qui conduisait le beau van et ma femme qui conduisait ma voiture, et en fait il est monté dans ma voiture. (rires)
Y a-t-il des groupes qui n’ont pas encore joué au Raismes Fest que vous aimeriez avoir ?
Il y en a plein (rires). Des groupes américains qui ne tournent quasiment jamais en Europe comme Styx ou Kansas… Blue Oyster Cult aussi, ça fait des années mais il n’y a jamais moyen. Rival Sons, j’aimerais bien les avoir, ils font des concerts en France mais ils sont trop chers pour nous. Et après il y a les gros : Maiden, Judas Priest, mais ce n’est même pas envisageable.
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