Reb Beach, guitariste virtuose reconnu pour ses performances dans des groupes emblématiques comme Winger et Whitesnake, a traversé plus de trois décennies dans le monde du rock. Son style unique, mêlant technicité et émotion, font de lui une figure incontournable du genre. Avant de monter sur la scène du mythique Spirit of 66, fief de Francis Géron, puis d’enflammer l’Elysée Montmartre de Paris le 11 novembre 2024 avec les Dead Daisies (lire leur interview ici), Reb est revenu sur sa double tournée en Europe tout en livrant des anecdotes savoureuses qui n’ont rien à envier à ses solos. [Entretien avec Reb Beach (guitare) par Philippe Saintes – Photos : Enzo Mazzeo, Tyler Bourns, DR]
Reb, qu’est-ce qui t’a motivé à lancer le projet Reb Beach and The Bad Boys ?
Avec l’arrêt temporaire de David Coverdale pour des raisons de santé, Michele Luppi, un autre membre de Whitesnake, et moi avons décidé de continuer l’aventure et de jouer les classiques de Whitesnake. On fait en sorte de garder l’esprit du groupe bien vivant sur scène, avec des solos percutants et des voix fidèles à l’original. L’énergie est là, et on donne tout pour que les fans retrouvent l’intensité de chaque morceau.
Comment décrirais-tu l’accueil des fans européens lors des concerts ?
Les fans européens sont incroyables : ils chantent chaque chanson, connaissent chaque titre. C’est vraiment fascinant de voir à quel point ils sont passionnés ! Leur énergie est unique. Même quand des imprévus surviennent, comme des soucis de santé ou des contraintes, le public est toujours là aussi pour nous soutenir. Par exemple, notre chanteur Fabio Dessi a récemment dû se retirer pour une urgence familiale, donc maintenant c’est juste Michele et moi. Ce soir, avec mon rhume, je ne suis même pas certain de pouvoir chanter correctement. On finira peut-être avec un seul chanteur ! Mais le public ne s’en soucie pas vraiment. Les gens viennent pour le rock, pour la musique. Et il faut dire que les musiciens qui m’accompagnent sont fantastiques : notre batteur Paolo Caridi est exceptionnel, et le guitariste Khaled Abbas est peut-être même meilleur que moi ! La grande force du groupe, est que nous sommes comme les Bee Gees, tu sais, avec trois gars ayant de fortes voix. Les fans sont si investis et si passionnés que l’essentiel est de jouer avec tout notre cœur. C’est une expérience inoubliable pour eux comme pour nous.
Et ce soir quels titres allez-vous interpréter par exemple ?
Principalement des classiques de Whitesnake, puisque c’est avant tout un hommage au groupe comme je le disais, mais nous incluons également des chansons de Winger et de Dokken. Le public adore ça. En Europe, les gens connaissent surtout « Madeleine » et « Miles Away » de Winger. Chaque fois qu’on joue « Miles Away », c’est touchant de voir à quel point cette chanson résonne, surtout auprès des hommes. Ils pleurent et chantent, surtout quand ils sont un peu ivres. Bizarrement, ce sont plus les hommes que les femmes qui s’identifient à cette chanson.
Pour toi, cette tournée a-t-elle une dimension professionnelle, ou est-ce plutôt une escapade musicale ?
C’est avant tout pour le plaisir et, disons-le, pour mettre un peu d’argent de côté. Avec les trajets interminables en van et le budget limité, chacun essaie de tirer son épingle du jeu. Mais surtout, nous sommes de très bons amis. Cette camaraderie fait toute la différence.
Combien de guitares as-tu emporté avec toi ?
Une seule ! Impossible d’en prendre plus. Chaque guitare coûte environ 100 dollars par vol, et avec tout le matériel, je n’ai de toute façon pas assez de mains. Je déteste les étuis doubles, ils sont énormes et difficiles à transporter.
Tu reviens dès la semaine prochaine en Belgique et en France avec The Dead Daisies, en remplacement de Doug Aldrich. Comment se remet-il de l’intervention chirurgicale faisant suite à son cancer de la gorge ?
Doug se porte bien, heureusement. Son opération s’est bien passée, et il est en voie de guérison.
A-t-il demandé personnellement à ce que tu le remplaces ?
Oui, lui et quelques autres gars m’ont contacté. Après toutes ces années, l’amitié est toujours forte entre nous. On s’envoie des messages chaque fois que les Pittsburgh Steelers jouent contre les Philadelphia Eagles. (rires) La dernière fois que je l’ai vu, c’était lors d’un dîner ensemble pendant une croisière musicale.
Mais as-tu eu le temps de répéter les chansons des Dead Daisies ?
Pas encore. Après ce concert, je compte m’attaquer à une nouvelle chanson. Il me reste quatre morceaux à maîtriser, donc les jours à venir seront consacrés à répéter la setlist sans relâche, partitions sous les yeux ! Au total, il y a dix-huit chansons à apprendre. Croisons les doigts ! (sourires)
Comment appréhendes-tu le remplacement de Doug ?
Je joue d’une manière assez différente de Doug. Il est un adepte du modèle de guitare Les Paul, avec un son massif, alors que je me situe plutôt du côté Stratocaster, avec du tapping. Nos styles sont distincts, mais nous avons en commun cette émotion que la musique exige. On doit maîtriser les bases du blues et jouer avec sincérité. Personnellement, je pense que je peux honorer ce rôle.
Quand rejoins-tu les Dead Daisies sur la route ?
Je termine cette tournée la semaine prochaine, puis j’aurai une répétition avec eux le 30/10, ce qui me réjouit, et nous avons un concert le 1er à Eschende. Après cette tournée avec les Bad Boys, j’ai un clinic le 28/10 et je prends ensuite l’avion le 29/10 pour les Pays-Bas.
En mars dernier, Jeff Pilson (Foreigner, Dokken) m’a signalé que vous étiez ensemble en studio pour enregistrer des parties de guitare pour le nouvel album de Black Swan. Peux-tu m’en dire plus sur ce disque ?
Oui, bien sûr. L’album devrait sortir l’été prochain, probablement en mai ou en juin 2025. J’ai déjà terminé mes parties, même s’il est possible que j’ajoute quelques guitares supplémentaires après l’enregistrement des voix, peut-être quelques boucles dans les refrains ou en fin de morceau pour accentuer certains passages. Pour l’instant, tout est entre les mains de Robin (McAuley, chanteur) et Jeff. Ils m’envoient des versions, je donne mon avis, et nous ajustons les morceaux ensemble.
Donc, c’est avant tout un travail collaboratif ?
Oui, absolument. Avec Jeff, c’est une sorte de démocratie. On est vraiment bons pour trouver des compromis entre nous. La musique est vraiment solide, mais je n’ai pas encore entendu toutes les paroles, ni les voix. Mais d’après ce que j’ai pu écouter jusqu’à présent, il y a déjà quelques très bons morceaux.
Tu as mentionné avoir rejeté beaucoup d’idées avant d’arriver à ces morceaux ?
Oui, c’est vrai. J’ai jeté jusqu’à soixante ou soixante-dix idées. Il faut souvent écrire beaucoup de mauvaises choses avant de trouver la bonne idée. C’est un long processus, tu sais.
As-tu utilisé des idées que tu avais écrites à l’origine pour Winger sur cet album de Black Swan ?
Pour les deux premiers albums de Black Swan, oui, surtout le premier, qui comportait principalement des idées que Winger avait écartées. Le second était un mélange d’idées issues de Winger et de nouvelles compositions. Mais pour ce nouvel album, tout est neuf, rien n’a été repris de Winger. J’ai commencé avec dix chansons, et nous avons progressé à partir de là. Le son est vraiment le mien, avec mon style distinctif. Il sera intéressant de voir comment cet album sera accueilli. Il est différent des deux premiers, mais cela reste bien sûr du hard rock mélodique.
Pourquoi Winger ne tourne-t-il que rarement en Europe ?
Winger n’a pas vraiment percé en Europe. On vient de faire une tournée aux États-Unis avec Steel Panther, et c’était incroyable, mais même là-bas, beaucoup de gens ne connaissent pas Winger. Beaucoup de jeunes nous ont découverts pour la première fois. Ils ont adoré et ont même chanté avec nous sur « Miles Away », mais financièrement, on n’a rien gagné avec cette tournée. Steel Panther a été génial, ils sont même montés sur scène avec nous, mais ce n’était pas viable économiquement. Je ne pense donc pas que nous reviendrons en Europe, sauf miracle. Quant à Kip, il ne veut plus chanter « She’s Only Seventeen ». Il est maintenant compositeur de musique classique et a même été nommé aux Grammy Awards. C’est ce qu’il veut faire aujourd’hui. À 63 ans, il n’a plus envie de tourner en rond en chantant des chansons sur les filles. C’est un homme extrêmement talentueux et intelligent, qui reste passionné par le rock, même si c’est devenu très difficile de chanter ce type de morceaux aussi aigus.
As-tu une anecdote à propos du début de ta carrière avec Winger ?
Oui, ça remonte à l’époque où je me trouvais dans les studios d’Atlantic Records avec une artiste appelée Fiona. Ce jour-là, il y avait des grands noms comme Chaka Khan, Howard Jones, et ils m’ont entendu jouer. Ils ont dit : « On veut que ce gars joue un solo à la Eddie Van Halen ». Du coup, j’ai fait des sessions pour des artistes comme Kenny Loggins et Roger Daltrey. J’étais devenu ce « gars des solos à la Eddie Van Halen » ! Un jour, je jouais de la guitare en studio, juste pour passer le temps. Beau Hill, le producteur, est passé et m’a dit : « Qu’est-ce que c’est que ça ? » Je lui ai dit que je jouais simplement de la guitare. Il m’a répondu : « Non, ça, c’est une chanson ! Tu as besoin d’un arrangeur. » Et là, il a ajouté : « Il faut que Kip Winger s’en occupe. » Je ne pouvais pas le croire, parce que je ne supportais pas Kip à ce moment-là !
Ah bon ?
Oui, on n’était pas amis. Je le trouvais ennuyeux, avec sa passion pour la musique classique. Mais on s’est retrouvé dans une pièce ensemble et, il est devenu mon meilleur ami. Depuis, on ne s’est jamais quittés. C’est un génie. Ce jour-là, on a écrit « Time to Surrender », « 17 » et une autre chanson. Je n’oublierai jamais ça. Et quand l’album est sorti, il n’a pas fait de ventes. On pensait que c’était fini. Mais MTV a accepté de passer notre clip une fois, à 1h55 du matin, dans l’émission Headbangers Ball. J’étais là, devant la télé, avec mes grands cheveux et mon spandex, en train de me dire : « C’est mon heure de gloire, je vais devenir une rock star ». Et ça a fonctionné ! Le lendemain, tout le monde parlait de Winger, et la chanson est entrée dans le top 20. « Madelaine » est vraiment ce morceau qui a changé ma vie. Écrire avec Kip, c’était fluide. Nous pouvions entrer en studio avec une idée, et en ressortir avec un tube. C’était comme si nous étions faits pour travailler ensemble.
Et Whitesnake ? Dans une récente interview, tu as déclaré la possibilité d’une résidence à Las Vegas pour marquer la fin du groupe.
Je savais dès que je l’ai dit dans une interview en Espagne que ça finirait sur Blabbermouth. Et je savais qu’ils étaient déjà en train d’écrire un article. Peut-être que David et moi ferons un concert à Las Vegas, dans le cadre d’une résidence. Je crois que c’est quelque chose que David pourrait envisager, mais rien n’est officiellement programmé.
Donc, il n’y a aucun plan pour l’Europe ? Pas de nouveau matériel ? Tu n’as rien écrit avec David récemment ?
Non, il n’y a rien de prévu à l’heure actuelle. Donc pas vraiment… Peut-être que Joel (Hoekstra) travaille sur quelque chose avec David, mais je pense que ce serait plus pour un projet acoustique ou un album de Noël. Ce n’est que mon avis, bien sûr.
Quels sont tes projets en 2025 ?
J’aimerais enregistrer un nouvel album solo, dans la lignée de Masquerade, mon précédent disque instrumental, qui a bien fonctionné. Peut-être même former un groupe solo avec un chanteur. Je pense que ça marquerait la fin de ma carrière, à moins que j’aie une autre opportunité.
Tu sembles toujours apprécier cette vie de nomade après toutes ces années. Qu’est-ce qui te motive encore ?
J’adore jouer. C’est ce qui importe le plus dans une industrie musicale qui devient de plus en plus compliquée. Être musicien aujourd’hui n’a rien de facile. Les gens s’imaginent une vie de rock star pleine de fêtes et de confort, mais c’est surtout beaucoup d’attente dans les aéroports, de trajets, et peu de sommeil. Mais une fois sur scène, tout cela en vaut la peine, parce que je fais ce que j’aime. Voir les réactions du public, c’est vraiment ce qui compte.
Et en dehors des concerts, des studios d’enregistrement et de la scène, que fais-tu ?
Je suis paresseux. (rires) Je regarde du football, je bois de la bière, et j’adore sortir dîner. Parfois, je joue aux jeux vidéo, mais généralement, j’écris de la musique.
Et pour les repas en tournée, as-tu des préférences ?
Oui, en général, je prends des spaghettis bolognaise. C’est un plat que vous pouvez commander dans n’importe quelle langue, que ce soit en japonais ou autre. Ça reste toujours des spaghettis bolognaise. Il n’y a pas d’autre mot pour ça ! C’est difficile de rater ce plat, vous savez, c’est juste de la sauce tomate, du bœuf et des pâtes. C’est généralement ce que je prends, c’est simple et on ne peut pas vraiment se tromper avec ça.
As-tu des endroits de prédilection quand tu tournes en Europe ?
J’adore voyager en Europe, et particulièrement en Italie. J’y ai beaucoup d’amis proches, notamment à Viareggio, une ville sur la côte. C’est un endroit où je vais souvent. J’adore aussi Venise et Rome, bien sûr, mais chaque ville italienne a son propre charme. J’ai eu la chance de visiter des endroits comme Bologne et Pise, et je reviens toujours avec beaucoup de plaisir. En dehors de l’Italie, Amsterdam est une autre de mes villes préférées. Je m’y amuse toujours. Et puis, il y a Vienne, en Autriche, et Copenhague, que j’adore également. Chaque ville en Europe a une atmosphère unique, et c’est ce qui rend les tournées ici si spéciales.
Est-ce que tu as eu l’occasion de profiter des journées de repos pour visiter ces villes ?
Les jours de repos deviennent plus rares, car il est coûteux de payer des hôtels pour tout le monde. Mais avec Whitesnake, à une époque, David aimait prendre soin de sa voix, donc on avait souvent des jours de repos. Aujourd’hui, c’est moins fréquent, mais dès que j’en ai l’occasion, j’adore découvrir de nouvelles villes et rencontrer des gens intéressants.
As-tu des projets de t’installer en Europe un jour ?
Je vais probablement déménager là-bas un jour. Il ne me reste que quinze ou vingt ans à vivre sur cette planète peut-être, alors je ferais mieux de m’y mettre ! L’Italie a une place spéciale dans mon cœur. Entre la culture, la nourriture, et les paysages, l’idée de m’y installer un jour est séduisante.
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