SOILWORK : Ne jamais abandonner ses rêves…

Dès la chanson-titre d’Övergivenheten (« l’abandon » pour ceux qui ne seraient pas encore à l’aise en suédois), les géants du death/thrash mélodique scandinave donnent le ton de leur douzième album. Inévitablement marqués par la pause forcée en 2020-2021, Björn « Speed » Strid et le guitariste David Andersson en ont profité pour prendre du recul et mettre ainsi de la perspective dans leurs paroles. Être abandonné ou abandonner les autres, avec tout ce que cela engendre en termes de craintes, de pensées noires et de mélancolie, voilà l’un des thèmes récurrents dans le nouvel album de Soilwork que son chanteur nous a aidés à décrypter.
[Entretien réalisé avec Björn « Speed » Strid (chant) par Zoom le 15/06/2022 par Marie Gazal – Photos : DR]

SOILWORK

2022 est une grosse année pour Soilwork : un changement de bassiste en janvier, un nouvel album en août et une tournée australienne en novembre. C’est énorme, comment te sens-tu vis-à-vis de tout ça ?
Je me sens bien ! Je suis super fier de l’album. C’était un véritable effort de le faire naître. Il y a plein de bonnes choses dans les tuyaux, comme tu l’as dit. J’ai hâte de sortir ce nouvel album. Je sors de répétition où nous avons joué « Övergivenheten », la chanson-titre, et « Nous Sommes la Guerre » pour la première fois ensemble. Ce sera un morceau extraordinaire à jouer en live. Et pour l’Australie, c’est incroyable, c’est toujours un plaisir de jouer là-bas. Il y a un très beau public.


Après autant de temps sans tourner, ressens-tu un peu d’appréhension à l’idée de retourner sur scène ?
J’avais peur de ne pas être capable de redevenir « cette personne-là » à nouveau, si tu vois ce que je veux dire ? (rires) J’avais besoin d’une pause. Bien sûr, je ne souhaitais pas une pandémie, mais à ce moment-là, j’avais définitivement besoin d’une pause. Et je pense que les gens peuvent comprendre ça. Heureusement, j’étais dans une situation où j’ai pu continuer à travailler depuis chez moi. C’était plus difficile pour les roadies. Mais je me suis vraiment dit : « comment diable vais-je redevenir ce musicien de tournée ? » Et je ne sais toujours pas, car là nous ne jouons que dans des festivals. Et c’est une chose. Les festivals peuvent être difficiles parfois, jouer une fois seulement par semaine tout l’été, mais je pense que c’est un démarrage facile, ça ne fait pas trop d’un coup et on peut savourer au lieu de devenir fous.


Övergivenheten est donc votre premier album depuis l’apparition du Covid. En quoi dirais-tu que l’album est marqué par la période ?
Peut-être au niveau du recul, beaucoup de gens ont pu s’y identifier, car ils ont eu besoin de faire une pause. Je n’ai pas fait de pause depuis vingt ans, tu sais. Et ça donne de la perspective, ça m’a fait réaliser ce que j’avais accompli en tant que groupe, en tant que chanteur, en tant que personne. J’ai grandi avec ce groupe, je n’ai pas eu de métier normal depuis 2003 quand j’ai quitté mon job pour vivre de ma musique, ce dont je suis très reconnaissant. Ce n’est pas facile. C’est un long voyage. Donc ça m’a permis de prendre du recul et ça m’a donné l’opportunité de simplement « être », c’est quelque chose que j’ai appris. Peut-être que ça se reflète dans les paroles, difficile à dire. David Andersson (guitare) n’avait pas besoin d’une pause. Il craignait plus la pause que moi. On a créé une dynamique intéressante au niveau des paroles, là où les miennes sont réjouissantes, même si elles ne le semblent pas de prime abord, David lui a traversé des choses difficiles, donc il parle de choses sombres et sans espoir.


De quoi votre album, dont le titre peut être traduit par « l’abandon », parle-t-il vraiment ?
C’est un mot intéressant. On est dans cette logique où nous nommons les albums par un terme suédois. Je ne pense pas qu’on écrira un jour toutes les paroles en suédois. On cherche des mots puissants en suédois qui peuvent résumer ce qu’on fait musicalement. L’« abandon »  est un terme intéressant parce qu’on peut le voir sous différents angles : la peur d’être abandonné, la peur d’être seul, de finir seul, d’être abandonné par quelqu’un que tu aimes, ça fait peur clairement ! Mais on peut aussi le voir comme la peur d’abandonner quelqu’un ou quelque chose. Et il y a eu plusieurs passages dans ma carrière où j’étais prêt à abandonner ce groupe, pour être honnête avec toi, mais il y a toujours eu quelque chose pour me retenir : un nouveau membre pour m’inspirer, quand David est arrivé, et Sylvain Coudret (guitare), et Bastian Thusgaard (batterie) qui m’ont mis une claque également dans la figure un jour en me disant : « Qu’as-tu fait de ce groupe ? » (rires). Il y a aussi Rasmus Ehrnborn (basse) aussi bien sûr, qui est fantastique. Je pense que l’abandon peut être perçu de plein de façons différentes et que les gens peuvent vraiment s’y identifier.

Pourquoi nommer alors vos albums en suédois et non plus en anglais dorénavant ?
Quelque part, c’est difficile de trouver un mot en anglais qui « connecte » de la même manière qu’un mot suédois. Il y a quelque chose de tellement plus mélancolique dans la version suédoise du mot. Comme notre précédent album, Verkligheten, qui veut dire « réalité » en suédois : c’est un mot si ennuyant en anglais, mais tellement plus puissant en suédois.


Pendant que nous parlons de langues, je dois te poser la question sur les morceaux « Nous Somme la Guerre » et « On The Wings Of A Goddess / Through Flaming Sheets Of Rain Goddess », parce qu’il y a des paroles en français dedans. Peux-tu m’en dire plus ?
Exactement. C’est le travail de David et j’aurais aimé qu’il soit là pour t’expliquer, parce que je ne suis pas certain du message derrière les morceaux ! Il est bon en français, il a un projet YouTube (Ndlr : SATI-X) tout en français avec une artiste française (Ndlr : la vidéaste Tabris). C’est très cool parce qu’on a un guitariste français comme tu le sais, donc avoir du français dans les paroles permet de représenter le groupe dans son intégralité.


Vouliez-vous expérimenter beaucoup de nouvelles choses sur cet album ? Je pense aux synthés de « Nous Sommes la Guerre », au violon sur « Electric Again », à la guitare acoustique et aux arrangements de piano…
On dit « oui » à tout. Ça vaut toujours le coup d’essayer et beaucoup de bonnes choses en ressortent, par exemple comme tu l’as dit le violon. Être dans The Night Flight Orchestra et voir à quel point ce groupe est sans limites, voir qu’on peut faire tellement de choses, c’est très inspirant, ça nous pousse à avoir une approche plus ludique même si c’est très important pour nous de séparer les deux groupes. Bien sûr qu’on veut faire plaisir aux fans et aux gens qui nous suivent depuis le début, mais quelque part s’ils sont toujours avec nous maintenant, ils seront sans doute avec nous pour toujours, donc il faut essayer, tout en restant authentiques et proches de là d’où on vient. Mais on se soucie moins de ce que les gens pensent de nous.


A propos de Rasmus, votre nouveau bassiste, comment s’est passé son recrutement ?
On le connait depuis un moment maintenant. Ça a commencé quand il a participé à des sessions de travail avec The Night Flight Orchestra au clavier, à la basse et à la guitare. On a vu ses compétences à ce moment-là et on a appris à le connaitre, on a bien compris que c’était une personne fantastique, émotionnellement intelligente.

Tu penses avoir trouvé le bon line-up pour Soilwork actuellement ?
J’espère, oui ! Ce n’est pas facile. J’ai démarré le groupe quand j’avais dix-sept ans et je vais en avoir quarante-quatre en septembre ! Il y a eu quelques changements de line-up mais je crois que c’est naturel, quelque part. Grandir avec un groupe comme ça, c’est un long voyage. Je suis toujours là et pour moi, c’est important que le groupe soit démocratique, je suis quelqu’un qui pense collectif. J’étais un joueur de hockey, c’était mon rêve, et je suis devenu chanteur par hasard. L’énergie qu’on ressent est tellement meilleure quand on la partage avec des amis.


Vous travaillez toujours avec Nuclear Blast, ce n’est pas si commun d’avoir une relation à si long terme avec un label. Comment l’expliques-tu ?
Bien sûr, nous avons connu des hauts et des bas, mais en général je pense qu’on a toujours eu une super communication. Et il y a des gens là-bas qui sont toujours là depuis 2001 quand on a signé avec eux. C’est super d’avoir une relation longue avec des gens comme ça, qui soutiennent ce qu’on fait et en plus Nuclear Blast n’a jamais porté de jugement sur nous en disant « Vous devriez sonner comme ci ou comme ça ». Ils ont toujours eu foi en nous et en ce que nous faisions et ça compte beaucoup pour nous. C’est un label très professionnel et ils font un travail fantastique, on leur doit aussi le fait que le groupe soit devenu si gros.

Une dernière question : nous avons appris dernièrement le décès de l’artiste français Guillaume Bideau (ex-Scarve, ex-Mnemic, ex-One-Way Mirror, etc.) en début d’année 2022… Il avait notamment joué au sein de Scarve autrefois, au côté de votre guitariste français Sylvain Coudret. Personnellement, quels sont les souvenirs que tu gardes de lui, vu que vous l’avez croisé à plusieurs reprises ?
Oh mon dieu, ça, ça a été vraiment dur. Je ne connais toujours pas la cause de son décès. Mais je sais qu’il a traversé une période difficile et qu’il a rencontré quelques problèmes. Mais on se rappelle de lui toujours souriant. Il était tout le temps joyeux. Et mon premier souvenir de lui, c’était pendant une tournée avec Mnemic en 2003 ou 2004, peut-être, ça n’a pas d’importance. Il était 7h du matin dans le bus de tournée et je me souviens d’un mec qui chantait à s’en casser la voix du Mickael Jackson, « Thriller » ou un truc du genre. Et je me suis dit « Putain, mais c’est quoi ce bordel ! ». Alors j’ai regardé par la fenêtre et c’était lui ! (rires) J’étais très en colère, mais quand tu le connaissais, c’était presque impossible de lui en vouloir ! (rires) Mais il était plein de malice, c’était un super chanteur. Notre ancien batteur Dirk Verbeuren (Megadeth, ex-Scarve, ex-Aborted, ex-Headline, ex-Artsonic…) a posté sur internet une histoire aussi sur la fausse main qui tombe quand on la serre (rires). Il lui avait fait le coup à sa rencontre. J’adore, c’était vraiment un personnage. On a même eu un faux groupe ensemble en tournée, Skull Fuckers Anonymous. Quand on était en tournée avec One-Way Mirror, on a créé ce faux groupe parce qu’on avait une première partie qui nous a lâchés au bout de quelques dates, donc on s’est dit qu’on allait créer notre propre groupe pour jouer en ouverture. On a prétendu être ce groupe russe, on a pris des sacs poubelle en plastique et on a créé ces personnages. On a même trompé des promoteurs pour être payés un peu (rires). Il doit y avoir des vidéos qui trainent quelque part sur la toile ! (sourires)

Publicité

Publicité