Les cultures évoluent, l’impact environnemental devient exponentiel et les percées technologiques sont plus rapides que jamais (pour exemple, prenons le gouffre creusé entre le premier micro-ordinateur Apple et le casque de réalité mixte Vision Pro en l’espace de seulement 50 ans !) C’est avec cette thématique que le collectif allemand a décidé de clore son cycle d’albums retraçant les temps géologiques ouvert en 2007 avec Precambrian, suivi onze ans plus tard par le diptyque Phanerozoic I (2018) et Phanerozoic II (2020), qui avait pour folle ambition de résumer l’ensemble des ères géologiques, remontant pour cette occasion plus de 550 millions d’années en arrière… D’ailleurs, les fans les plus attentifs se rappelleront certainement de l’ultime morceau « Holocene », qui jurait d’ailleurs un peu avec le reste de Phanerozoic II, avec son chant clair posé, ses synthés subtils et sa partition de violoncelle ? Eh bien, ce morceau annonçait la transition thématique et le parti pris musical vers l’avenir ! Avec ce dixième opus studio Holocene sorti en mai 2023, bienvenue dans l’époque de l’Holocène tel que conceptualisé par The Ocean. Dès les premières paroles de « Preboreal », la comparaison avec Tool ne pourra être évitée. Mais bon sang, que c’est beau !! Ces harmoniques discrètes aux synthés et les parties de guitare en palm mute infusent une musique organique portée par la voix sensible du Suisse Loïc Rossetti. Ce morceau d’ouverture intègre aussi un éloge du plagiat, de la paraphrase, en bref la libre inspiration.
Cet aveu non-déguisé de leur processus créatif invite l’auditeur à chercher des inspirations, et nous en avons projeté quelques-unes ! Les claviers légers et mélodieux de Peter Voigtmann sur « Boreal » nous rappellent le Marbles de Marillion, et « Subboreal », quant à lui, est teinté d’influences Nine Inch Nails, tandis que le chanteur versatile dévoile des intonations de voix à la Jonathan Davis (Korn) et même à la Joe Duplantier (Gojira) à la fin d’« Atlantic » qui explose de manière intense après un paisible départ. Décidément, quel chanteur ! Katatonia non plus n’est pas loin, d’autant plus au regard de leur récent Sky Void of Stars sorti en janvier dernier. On se rappelle au passage des participations de Jonas Renkse à « Devonian : Nascent » et « Jurassic | Cretaneous » issus des deux Phanerozoic. Mais cette fois-ci le Suédois n’est pas venu au micro, cédant la place à Karine Park sur « Unconformities » dont la voix peut paraître surprenante à la première écoute, mais qui se révèle finalement d’une évidence frappante.
Rapidement, le djent de « Parabiosis » sur fond d’instruments à vent nous plonge dans un tout autre univers. La fin de l’Holocène justement, univers développé sur le morceau suivant, « Subatlantic ». Celui-ci est peuplé de hurlements douloureux, comme chez Meshuggah, traduisant bien toute l’horreur de l’action de l’Homme sur son environnement avec un clin d’œil au méchant virus qui a bouleversé notre quotidien ces dernières années… Cette œuvre sensible, cathartique presque, profonde et méditative offre un final magnifique pour clore le cycle fascinant entamé par The Ocean à travers les ères terrestres. Le groupe berlinois, toujours mené par son sympathique leader Robin Staps, a su mettre à profit pour ses collaborateurs un ensemble d’inspirations toutes plus brillamment orchestrées les unes que les autres. D’ores-et-déjà album majeur du millésime 2023, Holocene représente un voyage à la fois temporel, géologique, mais aussi humaniste, et bien entendu musical à travers des millénaires, et qui devient une vraie leçon de metal prog’ contemporain à écouter sans retenue. [Marie Gazal]
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