Increvables sont nos trois Irlandais ! Infatigables, inusables pourrait-t’on même ajouter comme qualificatifs, après avoir connu de beaux succès commerciaux avec leurs deux albums majeurs les plus populaires, à savoir l’intemporel Troublegum (1994) et le plus pop/rock Infernal Love (1995), succès qu’ils ne rencontrèrent jamais par la suite. Et malgré les années, leur discographie n’a jamais faibli. Question productivité, Therapy? continua à enchaîner les albums comme on enchaîne les pintes au pub du coin, cela avec plus ou moins de visibilité (la faute à d’éternels changements de labels) et donc de succès aussi, se produisant dans les plus grands festivals de la planète comme les Monsters of Rock à Donington (l’actuel Download Festival) en Angleterre deux fois de suite dans les années 90, le Wacken Open Air en 2016 et 2022 en Allemagne, et notre Hellfest national en 2014, tout en écumant les nombreux clubs à travers l’Europe dans un van pour finalement jouer parfois le soir venu devant une dizaine de fans seulement, comme un certain Billy Bio dernièrement à La Laiterie de Strasbourg, mais ça c’est une autre histoire encore…
Si le trio de Belfast n’est jamais tombé dans la facilité en publiant un Troublegum 2, il a attendu sagement 2020, soit vingt-six ans après, pour simplement réenregistrer quelques-uns de ses hits extraits de cet album culte aux mythiques studios d’EMI où passèrent The Beatles ou Peter Gabriel. Ce fut d’ailleurs sa dernière publication en date, un best of intitulé Greatest Hits (The Abbey Road Session) jusqu’à ce Hard Cold Fire, véritable nouvel et quinzième album studio de Therapy?. Comme sur le réussi Cleave paru en 2018, Andy Cairns a demandé au formidable producteur et ingé son Chris Sheldon, normalement retraité, de reprendre du service. C’est pourquoi l’on retrouve le célèbre producteur à succès du groupe (Troublegum, Semi-Detached…, mais aussi Foo Fighters, Biff Clyro…) aux manettes dans les Marshall Studios à Milton Keynes (Angleterre). Sur un sample déformé de la voix de son célèbre guitariste/chanteur s’ouvre la première chanson «They Shoot the Terrible Master » au refrain typique et entêtant sur un riff assez heavy, rappelant un peu la chanson « Church Of Noise » de l’album Semi-Detached en 1998. Le chanteur/guitariste au bouc vieillissant, âgé de bientôt 58 ans tout de même, assure avec son énergie punk habituelle et bonhomie charismatique. La frappe de l’excellent cogneur Neil Cooper contribue à la dynamique du morceau. Il en va de même sur le titre suivant « Woe » avec un format typique de trois minutes où Therapy? excelle toujours. On (re)découvre le premier single « Joy » dévoilé en début d’année sur la toile, qui là encore rappelle assez un album comme Semi-Detached avec ses sonorités power pop et punk rock signées Chris Sheldon en studio.
Puis « Bewildered Herd » par son groove très dansant, comme souvent chez Therapy?, renvoie plutôt au récent Cleave. Son rythme est très accrocheur, et le refrain d’Andy Cairns fait mouche. Le riffing nerveux et mélodieux de « Two Wounded Animals » s’avère intéressant, et pose un peu les choses. Quelques courts passages en shredding ponctuent cette chanson facilement mémorisable, et prouve qu’en matière d’écriture et composition, Andy Cairns et Michael McKeegan en ont encore sous le coude avant de partir en retraite. Pour le plus massif et sombre « To Disappear », son leader confiera avoir été inspiré par le groupe de punk américain Big Black (de Steve Albini) de l’ère Touch And Go Records (label fondé au début des années 80), ainsi que Die Kreuzen. Les vieux fans de la première heure (1990-1992) retrouveront une once du principal riff de guitare d’« Opal Mantra » mais aussi de « Nausea » sur le sombre couplet de « Mongrel » au refrain catchy une nouvelle fois. Les paroles abordent le sentiment d’être irlandais avec un côté philosophique épuré, minimaliste dans son expression, à la manière du dramaturge irlandais lui aussi, Samuel Becket. À l’origine, cette chanson s’appelait « An Irish Exit ». Sur une petite intro légèrement orientale, « Poundland Of Hope And Glory » amorce un titre énergique power pop/rock, dénonçant la marchandisation de l’empire britannique face à l’Europe et la fin d’une utopie à cause du Brexit, utopie à laquelle s’accroche de vieux nostalgiques de l’ère coloniale. Un peu plus loin, c’est plus du côté de Black Sabbath avec une touche moderne que nos trois rockeurs viennent lorgner avec un riff typique de Tonny Iommi sur le refrain d’« Ugly ». Cette chanson interroge sur notre monde post-covid qui a, certes, éloigné un peu les gens et accentué les distances dans notre société individualiste, mais et si ce virus n’était devenu qu’une fausse excuse à cet isolement social toujours plus grand ? Enfin, l’album s’achève sur un faux air de Weezer avec « Days Kollaps » à la mélodie entêtante, assez dissonante, avec une basse à la fin évoquant The Cure période D. Une petite lueur d’espoir, un brin d’optimisme ressort de cette chanson et aussi, en fin de compte, de l’ensemble de ce quinzième long effort studio, à la fois vite avalé mais aux mélodies vraiment réussies qui donnent envie d’appuyer immédiatement sur « Repeat ». Maintenant, reste plus qu’à aller découvrir ces nouveaux morceaux en live. Vous savez donc quoi faire, et même si Andy Cairns ne chantait pas toujours juste parfois dans le passé sur scène, Therapy? n’a jamais triché et donne toujours tout en concert avec sueur et sincérité. Nos buveurs de Guinness ont un cœur (de rockeur) gros comme ça, et non un cœur de pierre, quoiqu’en disait le poète nord-irlandais Louis MacNeice comparant la force de ce peuple au basalte, et qui a inspiré ce titre d’album Hard Cold Fire. [Seigneur Fred]
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