UGLY KID JOE : Le retour des sales gosses de Californie

Cela faisait plus de sept ans que nous n’avions plus de nouvelles des sales petits garnements d’Ugly Kid Joe depuis la sortie d’Uglier Than They Used Ta Be en octobre 2015. Quoi de plus naturel d’effectuer leur retour en 2022, trente ans après la sortie du fameux America’s Least Wanted qui les avait alors propulsés sur le toit du monde du rock. Pour célébrer cet évènement, les Américains ont fait appel Mark Dodson, leur vieux compagnon producteur, pour mettre en boite leur nouveau méfait Rad Wings of Destiny. Un retour à la case départ symbolique ? Pas tout à fait…
[Entretien avec Whitfield Crane (chant) par Pascal Beaumont/Laurent Machabansky – Photos : DR]

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Le dimanche 26 juin 2022, vous avez pu fouler la mainstage du festival français Hellfest. Comment as-tu vécu ce moment ?
C’était vraiment très cool. Il y avait beaucoup d’artistes que nous apprécions ce jour-là comme Black Label Society ou Metallica. Ce fut un concert important pour nous, avec Sabaton, Black Label Society et Bring Me The Horizon juste avant Metallica. La scène était gigantesque, prête pour la tête d’affiche et il y avait ce fameux snake pit de Metallica. J’avais toujours rêvé de jouer devant. C’était aussi assez incroyable pour Ugly Kid Joe de jouer au Hellfest pour différentes raisons. Déjà il y avait eu le Covid qui a ralenti l’activité de tous les groupes mais aussi des techniciens, de tous ceux qui travaillent sur le marchandising, tout le personnel qui gravite autour des artistiques pour le faire fonctionner un show. Personne n’a pu travailler pendant deux ans. Et puis il y a les fans eux-mêmes, nous sommes tous des gamins, fans de groupes de rock. Ce jour-là, les gens étaient là pour apprécier non seulement notre concert mais des centaines de formations le temps d’un weekend. Chacun était libre d’apprécier la musique, de se retrouver, et de savourer ce festival incroyable, tranquillement et amicalement. On a donc passé un moment merveilleux.

Vous avez eu aussi l’opportunité de faire votre retour en Angleterre en ouvrant pour Thunder du 22 au 28 mai 2022 !!
Oui, ils sont très sympas, leur chanteur Danny Bowes est vraiment très bon, il a un style qui se rapproche de celui de Paul Rodgers. Je me souviens de Thunder en 1995, on avait alors joué avec eux en ouverture de Bon Jovi et Van Halen. On a ainsi pu jouer au stade de Wembley, c’était très fort pour nous, on venait de sortir Menace to Sobriety, alors rejouer avec eux vingt-sept ans après c’était très cool ! Ils étaient toujours là et jouent dans de belles salles. C’était très bien d’ouvrir pour eux, on avait ces dates, puis le Hellfest. C’est un très bon combo et les musiciens sont très sympas.

Vous revenez sur le devant de la scène, sept ans après Uglier Than They Used ta Be, avec Rad Wings of Destiny. Avez-vous travaillé d’une façon différente sur ce nouvel album cette fois-ci ?
En fait, ce n’est pas très différent de l’époque où nous étions jeunes à part le fait que nous avons tous vécu chacun notre vie depuis, mais le feeling des morceaux n’est pas différent de ce qu’il était à nos débuts en 1992. On a travaillé de la même façon, un peu comme le faisait Motörhead. On était tous ensemble, on a vu ce qui fonctionnait ou pas. J’ai écrit quelques titres, Dave Fortman aussi. On a subi la pandémie et chacun a pu écrire pendant cette période. Chacun a apporté sa pierre à l’édifice mais on a travaillé ensemble. On a composé puis regardé si c’était cool, si la chanson est assez forte pour figurer sur l’album. C’est ainsi que l’opus est né. Ensuite, on a fait appel à notre ami Mark Dobson qui avait travaillé avec nous en 1992 sur America’s Least Wanted. C’est un disque magique. Pour moi, ces dix morceaux sont incroyables. On voulait donc être là et travailler avec lui, trente ans après, et écrire ensemble. C’est différent bien sûr dans le sens où nous avons composé des chansons chacun de notre côté. Mais on était impatient de retravailler ensemble et de partir en tournée. Je pense que chacun de nous, et j’inclus là Mark Dobson, a apprécié de travailler sur cette nouvelle galette.

Justement, retravailler en studio avec Mark Dobson trente après le succès de America’s Least Wanted a dû être quelque chose de particulier ?
En 1992, on avait 22, 23 et 24 ans lorsque nous avons enregistré ce disque. Trente ans plus tard, bien sûr, la synergie est différente et bien supérieure déjà parce que on se connaît tous depuis très longtemps. On a une merveilleuse confiance en nous dans notre manière de composer et aussi de jouer comparé à 1992. Par exemple, Dave Fortman notre guitariste a énormément appris et est devenu un très bon producteur, il a travaillé avec Slipknot, Mudvayne, Evanescence, Godsmack et beaucoup de super groupes. Il a travaillé comme producteur et a donc évolué, progressé. Il a aussi travaillé avec nous donc il a apporté beaucoup. Quand tu as quelqu’un qui peut t’apporter des choses, quelle que soit la nature de la relation, c’est important de le faire. On a apprécié cette expérience, et c’était très beau d’avoir Mark Dobson sur cet opus. C’est quelqu’un d’important pour nous dans sa façon d’aborder les choses, de nous apporter son savoir-faire. Il a travaillé en analogique un peu à la manière de David Bowie, des Who… J’apprécie cette façon d’enregistrer. Pro Tool c’est bien mais Mark vient d’une autre génération, il n’aime pas que tout soit parfait, il apprécie les imperfections qui créent un certain feeling. On a été très heureux de collaborer avec Mark.

N’es-tu pas surpris cependant de ce retour à l’analogique revendiqué par des formations qui ont usé et abusé des nouvelles technologies ?
Je ne sais pas si c’est vraiment étonnant car tout est question de cercle et d’un éternel recommencement, les périodes reviennent… Mais cela ne me surprend pas, le son analogique contient des imperfections, même pour la voix. Mais c’est humain et ça représente ce que nous sommes des artistes, nous sommes naturels et curieux en travaillant ainsi. La nature est imparfaite et a des défauts. Je ne suis pas du tout surpris que la nouvelle génération cherche ce son-là. Ils ont écouté les vieux Judas Priest, Led Zeppelin, Motörhead, AC/DC, Lynyrd Skynyrd, Jimmy Hendrix, Jeff Beck, Eric Clapton, ils ont grandi dans cette atmosphère. Les Beatles utilisaient des enregistreurs à bande, il fallait travailler beaucoup plus et donner le meilleur de soi-même. Il y avait des limites, c’est aussi ce que ces formations recherchent, le grand soleil des imperfections. (rires)

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Le premier titre, « That Ain’t Living » est clairement un vibrant hommage à AC/DC et à l’album Powerage !
Oui, j’ai composé le riff de cette chanson pour rendre hommage à Bon Scott et cet album Powerage. J’adore ce disque, il est incroyable. J’ai grandi en écoutant Judas Priest, Black Sabbath, AC/DC,Queen, Iron Maiden, Jimmi Hendrix, Led Zeppelin, Ozzy Osbourne avec Rhandy Roads à la guitare. Il y a de très bons chanteurs, ce sont ces héros qui m’ont donné envie de chanter. J’aime tous ces chanteurs : Bon Scott, Rob Halford, Ozzy Osbourne, Paul Dianno aussi, mais pour moi les trois qui m’ont influencé sont Bon, Rob et Ozzy.

Ugly Kid Joe a d’ailleurs eu cette opportunité incroyable d’ouvrir pour Ozzy aux USA en 1992 au côté de Motörhead !
Oui, définitivement. C’était une grande chance pour nous, un espoir aussi. On venait de Californie et je crois que l’on n’avait pas été plus loin. Six mois auparavant, on avait sorti notre EP As Ugly As They Wanna Been en 1991 qui a eu beaucoup de succès et qui nous a permis d’enregistrer un premier album : America’s Least Wanted. Tout à coup on se retrouve en ouverture d’Ozzy, on aimait le groupe, c’étaient des héros pour nous. On a appris à comment se comporter, on était très jeunes, des bleurs (rires), mais ils nous aimaient bien et c’était réciproque. On avait déjà cette attitude, Ozzy et Lemmy ont vu qu’il y avait quelque chose de spécial chez nous comme pour eux à leur début. On était donc très excité, nous n’avions jamais fait de scène comme celle-ci. On avait nos clips qui passaient en boucle sur MTV, on a eu notre premier tour bus. Nous n’avions rien de tel auparavant, on n’était jamais monté dans ce type de bus. Le premier nous a été fourni lorsqu’on a débuté la tournée Ozzy. On n’en croyait pas nos yeux, on en avait déjà vu bien sûr mais là on était tellement heureux de pouvoir monter dans notre tour bus et de faire cette tournée. Ils nous ont bien accueillis, ils nous observaient et Ozzy était présent à nos côtés. Ce sont des survivants, c’est incroyable, on s’est dit que si eux pouvait le faire, on pouvait le faire aussi.

America’s Least Wanted est sorti il y a juste trente ans cette année, allez-vous célébrer cet évènement ?
Oui, on va le faire en mettant en avant cet opus mais rien de plus. On a préféré retravailler avec Mark Dobson qui a créé America’s Least Wanted, c’est notre façon à nous de fêter les trente ans de ce disque justement. On est de retour avec lui à nos côtés comme à nos débuts pour retrouver ce son, c’est ainsi que l’on a choisi de rendre hommage à notre premier album. Nous sommes prêts pour le futur !


Le morceau « Dead Friends Play » est un hommage à tous vos héros partis trop tôt, c’est bien ça ?
C’est exactement cela. J’ai composé ce titre alors que je me trouvais au Costa Rica. Puis je suis revenu en Floride et je l’ai fait écouter à Dave Fortman et c’est devenu « Dead Friends Play » qui est une chanson pleine de respect pour tous nos héros favoris. Si tu écoutes Heaven And Hell de Black Sabbath, avec Dio qui en est le chanteur, il nous a quittés et ce qui est bien avec la musique, c’est que même si nos héros nous ont quittés, on peut toujours écouter leur musique.

« Long Road », votre nouveau single, aborde quel thème ?
C’est Dave Fortman qui a écrit cette chanson, je ne vais pas parler à sa place, c’est un morceau sur la procrastination…

Quel est le titre du nouvel album qui en studio a été le plus difficile à enregistrer vocalement ?
C’est très simple le morceau qui ouvre l’album, c’est la partie la plus Rock que j’ai jamais chanté dans toute ma vie. J’ai voulu le faire, c’est un défi très attractif. Sur la dernière tournée on a joué ce titre sur scène, je ne l’avais jamais fait auparavant, j’avais très peur mais tout s’est bien passé, je n’ai pas eu de problème, j’ai tout donné.

« Lola » est une reprise magnifique des Kings (parue sur l’opus Lola versus Powerman and the Moneygoround, Part On en 1970). Qu’est ce qui a motivé le choix de ce titre en particulier ?
J’adore les Kinks, et surtout Ray Davis. C’est un magicien. J’ai toujours voulu enregistrer les chansons des Kinks. Van Halen a d’ailleurs enregistré des morceaux de leur répertoire. Quand nous avons travaillé en studio, c’est plutôt une histoire amusante ; nous l’avons enregistré au studio d’El Paso au Texas qui s’appelle le Sonic Ranch au cœur d’une ferme de paons, perchée au milieu de nulle part. Tu vis là pendant des jours et des nuits avec la musique. Pour chanter, tu dois aller à El Paso en camionnette, alors nous étions ici pour faire une reprise et nous ne savions pas quoi choisir, ni faire. En chemin à El paso où nous allions faire un beau diner, je suis allé aux toilettes car j’avais une envie pressante d’aller pisser. J’ai demandé au gars de se garer et nous sommes allées au Burger King. Pendant que je me soulageais dans les toilettes, il y avait une musique qui passait dans les toilettes : c’était un morceau des Kinks. Et je me suis souvenu bien après que j’avais déjà voulu faire une reprise de « Lola ». C’est ce que je devais faire. Je suis sorti des toilettes et j’ai rejoint le groupe pour leur annoncer mon envie de faire la reprise « Lola ». Et tout le monde a dit « oui » avant de diner. Après manger, nous sommes retournés immédiatement au studio, nous avons un peu trainé dans les bars et pris quelques bières et enregistrer « Lola » avec Shannon Larkin (ex-Ugly Kid Joe, Godsmack) à la batterie. Tout était magique. C’est une chanson qui fait peur à chanter. Tu ne veux pas que ce soit de la merde par rapport au chef d’œuvre. Je pense qu’on lui a rendu justice et c’est une bonne reprise.

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Qu’est-ce qui différencie selon toi l’Ugly Kid Joe de 1992 et celui d’aujourd’hui ?!
Nous avons beaucoup plus d’expérience dans la vie. Des gens se sont mariés et d’autres ont divorcé. Premièrement des parents sont morts. Nous avons eu un grand succès avec Ugly Kid Joe. Nous avons arrêté de faire de la musique et nous sommes tous partis vers différentes directions. Dave a commencé à devenir un producteur, j’ai joué dans pas mal de groupes (Ndlr : Life of Agony, Medication…), Klaus (Ndlr : Klaus Eichstadt, le guitariste) travaille sur sa maison, Cordell (Ndlr : Cordell Crockett, le bassiste) vit à Hollywood et fait ce qu’il lui plait, Shannon (Ndlr : Shannon Larkin, à la batterie) et Zac (Ndlr: Zac Morris, batterie également) sont revenus dans le groupe, la différence est de ce que nous parlions au début, nous sommes collectivement conscients comme je le suis d’avoir le privilège de continuer et d’être là. Nous avons arrêté en 1997 et nous sommes revenus en 2012. J’ai vu ces gars bien souvent pour dîner ou autre mais cela n’a rien à voir sur le fait d’être réunis tous ensembles dans un groupe ou créer quelque chose ensemble. Maintenant que nous sommes ensemble et que nous créons de la musique et nous apprécions vraiment le processus de ce que nous faisons, nous sommes conscients de ce privilège là et je suis le premier à briller en tant que musicien. Quand nous étions gamins on ne se rendait pas compte de ce que c’était ; il y a avait de la beauté là-dedans. Maintenant à travers notre expérience de la vie, nous réalisons que nous sommes très chanceux et reconnaissants de pouvoir le faire. Je pense que nous réalisons aujourd’hui ô combien c’est impressionnant.

Est-ce pour cette raison que tu essayes de tout contrôler, le label, la production, le mastering de l’album… Tout faire tout par toi-même et ne dépendre de personne.
Les deux. Il y a deux histoires. Au début des années 1990, avant l’arrivée des ordinateurs, tu pouvais vendre des disques, alors le rôle des maisons de disques avait du sens. Comme tu sais il n’y a pas beaucoup d’infrastructures pour financer tous ceux qui veulent faire des disques à moins que tu te mettes à en vendre par toi-même. Ce n’était pas nécessairement important pour moi de faire tout, manager tous mes amis. Ce n’était pas important dans le sens où je voulais le faire pour avoir le contrôle de tout et tous. C’était pour avoir du rythme. Je voulais que ce groupe avance. Je devais les porter et faire tout ça. Car personne ne va t’aider. Il y a des gens en dehors du groupe qui croyaient en nous et c’est bien d’avoir des gens qui se collent à toi. Mais il y a un temps où tu dois savoir ce que tu veux faire et je le savais. On est plus ou moins dans une situation où le travail est nécessaire. Voilà pourquoi.

Vous avez en 1995 fait une tournée des stades aux USA en ouverture de Van Halen et Bon Jovi !
C’était super ! Pour nous, Eddie Van Halen est un héros. Nous sommes de grands fans. Je l’adore. Bon Jovi était en tête d’affiche et nous n’avons pas trop trainé avec eux ; ils étaient très occupés. Parce qu’ils ouvraient pour Van Halen aussi, on trainait avec eux toute la journée, et toutes les nuits. Nous jouions au foot tout le temps. J’aurais adoré filmer nos parties de football et avoir des images de ces moments. Je vais te raconter l’expérience que je faisais tout le temps. Pendant les sessions de solos d’Eddie Van Halen devant des milliers de personnes, il pouvait jouer des trucs insignifiants, ce n’est pas grave, il nous aimait et on l’aimait aussi. On se mettait derrière en coulisses avec une bouteille de whisky mais nous n’en buvions même pas. On lui disait de venir pendant les solos de guitares avec nous. J’étais à côté de la basse au niveau de la balance, je faisais semblant de boire du whisky et entre les armoires devant 80 000 spectateurs il y avait Eddie Van Halen, faisant du tapping à la guitare avec son doigt et me regardant avec la bouteille de whisky dans sa main. C’était au-delà de l’amusement. Quand j’étais gosse, j’avais dans ma chambre, qui s’appelait la chambre de la destinée, des posters de Jimmy Hendrix, Judas Priest, mais aussi des posters de Van Halen. Quand j’avais quatorze ans, je posai le regard sur les posters de Van Halen et je me disais que j’adorerai faire ça. Alors des années ont passé et je me suis retrouvé à l’intérieur du poster. Cette tournée était si impressionnante, c’était cool de sortir aussi avec Bon Jovi, des gars sympathiques. C’était incroyable.

Est-ce que vous êtes dans ce même état d’esprit qu’en 1992 pour vos tournées actuelles ?
Nous avons fait quelques tournées auparavant. Nous avions le line up original Ugly Kid Joe dans le bus donc on a vécu la même chose qu’en 1992, en plus fort comme tu peux l’imaginer. La dernière tournée on avait un nouveau batteur (Ndlr : Zac Morris) avec le guitariste de la tournée. Ces gars ont beaucoup d’énergie et dans le bus sont totalement sérieux. Ça dépend qui est dans la formation et les réactions sont complètement différentes. Et ce que je peux dire aussi, c’est que je vais m’installer vivre à Brighton pour un mois. Six semaines avant que la tournée commence le 2 novembre, je ferai de l’entrainement et du sport car je veux que ça marche. Oui, je le veux. Ça va si on fait quelques fêtes avant la vraie tournée, mais maintenant on se concentre sur la tournée pour tout déchirer.

Comment décrirais tu le succès du premier EP et du premier album ?
Nous avons commencé de zéro et nous sommes devenus des héros. (sourires)

En conclusion, quelle est la philosophie d’Ugly Kid Joe ?!
Mon but c’est avant tout d’être un musicien.


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