WAYFARER : American Gothic

American Gothic - WAYFARER
WAYFARER
American Gothic
Black/folk metal atmosphérique
Century Media

Si tout un chacun connaît le thème de « Il Était une fois dans l’Ouest », il n’est pas impossible que les Américains de Wayfarer soient en passe de devenir les nouveaux Ennio Morricone du black metal à tendance folk. Sorti entre Killers of the Flower Moon, le dernier chef d’œuvre cinématographique de Scorsese basé sur le fait méconnu de l’or noir volé aux Indiens Osage aux États-Unis au début du XXème siècle, et Halloween, c’est vers des traditions païennes non lointaines que nous emmène aujourd’hui ce splendide American Gothic.

Cinquième chevauchée sauvage dans les hautes plaines du middle-ouest américain, ce nouvel opus n’est pas sans évoquer les talentueux Agalloch, Sólstafir, ou Opeth mais à sa manière. Si l’American dream ne fait plus vraiment recette, la musique du pays de l’oncle Sam est quant à elle bel et bien vivante. Si le pays ne regorge plus d’or, il ne manque pas de talents et de nombreux artistes l’honorent. Parmi eux, Wayfarer qui n’est plus vraiment un inconnu. Ce quatuor originaire de Denver (Colorado) n’en est pas à son premier essai et comprend dans son line-up les trois-quarts des membres de Lykotonon (formation de black/death metal avant-gardiste) ainsi que l’excellent batteur moustachu Isaac Faulk de Blood Incantation qui a d’ailleurs récemment publié un EP. Les présentations étant faites et après quatre albums en plus d’une décennie d’existence, American Gothic se dévoile à nous. Profitant d’une magnifique introduction (« The Thousand Tombs of Western Promise ») d’une minute et vingt secondes qui donne le ton, les sons évoquent un univers amérindien sombre et impitoyable (Dallas !!), sans foi ni loi, avant que les riffs métalliques ne viennent se mêler à tout ça et des growls du plus bel effet. Cette première longue plage se poursuit avec une batterie lourde et lancinante accompagnée donc par le chant guttural et profond de Shane McCarthy. Sur ce disque, sa voix black frôle les codes du death metal, laissant l’auditeur dans une zone d’ombre pendant quelques secondes avant de repartir au galop vers les racines black de la formation lorsque la batterie s’emballe. Le morceau s’achève de manière nette et incisive. Des blast beats déferlent sur un solo de guitare quasi cosmique et sleazy avant que la musique ne se stoppe d’un coup sec. D’une précision chirurgicale, « The Thousand Tombs of Western Promise » nous met plus que déjà l’eau à la bouche. Cette entrée en matière nous offre une musique assez futuriste à la limite d’un stoner « space-cowboy » qui semble coller à l’actualité de notre monde, à son urgence et à sa violence, à un black/death metal féroce mais mélodieux. Wayfarer ne cède ni à la facilité, ni à l’appât de ses origines américaines et du folklore de sa culture natale qui coule dans ses veines de Yankees. Les compositions sont rythmées à souhait et l’appel du headbanging se fait de plus en plus fort. « The Cattle Thief », exemple parfait de cette énergie et de cette cadence croissante, bénéficie d’un superbe riff. Un jeu de guitare simple certes mais entêtant et efficace qui se décline à volonté sur l’ensemble de la piste au fur et à mesure que les tempos changent entre ralentissements et accélérations féroces.

« Reapers on the Oilfields », est quant à elle, la composition la plus mystérieuse. Peut-être en clin d’œil au dernier Scorsese… ? Le son semble y évoquer l’âme solitaire d’un homme perdu qui ne cesse de voyager à travers les grands espaces de l’Ouest sauvage américain. En proposant une musique moins épileptique et moins enragée, l’émancipation musicale du combo de Denver est plus prégnante que sur les albums précédents. Toutefois, des titres comme « To Enter My House Justified » et « Black Plumes over God’s Country » sonnent beaucoup plus black metal et délaissent ce côté folk. Le manque d’originalité stylistique sur ces deux compositions n’en retire pas la grande qualité musicale chez Wayfarer. Les jeux de guitares très recherchés sur les solos sont d’une grande virtuosité. « A High Plains Eulogy » débute en douceur avec un synthé gothic qui n’est pas sans évoquer le titre de l’album mais aussi une douce mélodie à la Pink Floyd (« Comfortably Numb ») période The Wall. Imprégné d’une grande spiritualité musicale, ce morceau précède un petit interlude subliminal (« 1934 ») empreint d’un grand mysticisme, à la limite du chamanisme. Survient le très heavy « Black Plumes over God’s Country », hostile et menaçant, entrecoupé d’un chant clair du plus bel effet. Enfin, le disque se conclut sur un titre tout aussi mystique. « False Constellation », parsemé de notes de claviers, abonde de mélancolie et de spiritisme, avec des relents à la Sólstafir dont un disque tournerait dans un vieux saloon de Lucky Luke. Mais étrangement, on croirait entendre une reprise du « Phoenix » de Satyricon sur son album éponyme, en version cowboys ici disons… Drôle de coïncidence.

Une fois ce voyage musical achevé, on en redemande encore. Wayfarer a réussi un tour de force en faisant de sa musique une véritable drogue. American Gothic est un album contemplatif et introspectif au tempo relativement lent, contrastant nettement avec le black metal scandinave. Le son y est puissant et lourd, probablement emprunté au doom et au death, et n’a rien à voir avec le black metal US proposé de nos jours par ses pairs comme Absu, Wolves Of The Throne Room, ou Abigail Williams. Non, les compositions subtiles et travaillées avec une telle singularité s’éloignent franchement des racines black metal du groupe. American Gothic est un album qui n’a rien de sauvage néanmoins et s’apprivoisera plus facilement qu’un loup ou un coyote. Wayfarer a su tirer ici son épingle du jeu en domptant la nature, l’état sauvage des paysages américains pour en faire son propre style avec un résultat tout à fait à la hauteur de ses prédécesseurs mais qui verse dans l’originalité artistique la plus totale. L’ennui y est proscrit et aucun morceau ne se ressemble. La diversité des chants (black/death/voix claire) partagés entre le guitariste Shane McCarthy et le bassiste Jamie Hansen donne de la profondeur à l’ensemble, et participe à la dimension spirituelle de chaque chanson. Honnêtement, c’est une véritable pépite musicale que Wayfarer nous livre là avec American Gothic. [Louise « Wanted » Guillon & Seigneur « Gringo » Fred]

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