La destinée d’Anvil, les légendes du heay/thrash metal canadien, est étrange, voire dérangeante… Eux qui ont influencé des monuments du metal comme Megadeth, Slayer, Anthrax ou encore Metallica, ils n’ont pourtant jamais réussi à s’imposer depuis leurs débuts en 1978. Mais la volonté de fer de son jovial leader « Lips » et de son fidèle lieutenant Robb Reiner, batteur depuis toujours, ont permis de traverser bien des galères (label, etc.). Leur vingtième album One And Only en est encore une fois la preuve… [Entretien avec Steve « Lips » Kudlow (chant/guitares) par Pascal Beaumont et Laurent Machanski– Photos : DR]
Anvil à toujours été très bien accueilli en Europe où vous avez toujours de nombreux fans. Comment expliques tu ce phénomène alors que vous êtes de Toronto ??
C’est une bonne question et je ne sais pas vraiment quoi répondre. Mais je peux te dire qu’on a joué en 1983 au Heavy Sound Festival en Belgique (Ndlr : avec Uriah heep, Gary Moore, Viva, Warning, Golden Earing, Barón Rojo…). On n’était pas vraiment prévu à l’affiche, on était juste annoncé comme surprise. Personne ne savait qu’on allait jouer. On avait aucune idée de comment cela allait se passer. (rires) C’est un peu fou mais c’est la vérité ! Lorsque nous sommes montés sur scène et qu’on a joué, le retour du public fut incroyable. J’ai réalisé alors pour la première fois que nous avions un public en Europe que nous allions garder pour toujours. Le public venait d’un peu partout en Europe et il y avait un feeling particulier, Anvil a toujours été une formation un peu à part. Il s’est passé quelque chose ce jour-là, c’était culturel quelque part, le public a découvert ce qu’était le heavy metal. On était une part intégrante de ce nouveau courant musical, c’était un vrai moment magique. On était juste à la bonne place au bon moment.
Vous avez réellement débuté en 1978, il y a quarante-six ans, même si les balbutiements ayant eu lieu en 1973… Vous êtes en fin de compte des survivants ! Quel regard portes-tu sur votre incroyable parcours ?
C’est vrai, c’est totalement incroyable, on a fait la même chose que tous les autres combos de cette époque. On a souvent pris des décisions qui, en fait, ne venaient pas de nous. Je ne suis pas en train de me plaindre ou accuser certaines personnes du business. Mais je vais te dire je suis satisfait de notre parcours, j’ai beaucoup reçu et j’ai toujours fait ce que je voulais faire. On a enregistré vingt albums et pour moi ce sont tous des succès dans le sens ou nous avons réussi à sortir ces opus, à avoir des contrats avec des labels. J’ai composé à peu près deux cents chansons, ça pour moi c’est un vrai succès d’avoir pu écrire autant de titres, de les enregistrer et de pouvoir sortir des disques. Ce n’est pas le fait de vendre des millions d’albums, ce n’est pas ça du tout, mais pour moi ce qui compte c’est ce que j’ai fait et pas ce que ça a rapporté. Donc ce qui importe, c’est que je suis là en tant qu’être humain et musicien, c’est fondamental. Rien ne reste vraiment, on est oublié, les gens qui viendront sur ta tombe quelques années après ta mort, tu seras oublié. Mais être musicien c’est un peu différent, la musique elle ne sera pas oublié en quelque sorte, que l’on soit célèbre ou pas…
Votre nouvel opus se nomme One and Only. Je suppose que pour toi cela revêt une signification bien précise ?
La première chose c’est que c’est mon metal. Comment j’ai rencontré le succès et pourquoi, parce que j’ai toujours suivi cette direction, tout ce que je devais faire c’est d’être unique. Je me devais d’être fort, debout et différent, je me dois d’être qui je suis et pas quelqu’un d’autre, j’ai dû garder mon individualisme, c’est-à-dire conserver ma personnalité, être le seul. On a tous quelque chose en nous d’unique, moi c’est mon vibrato au niveau de la sonorité, je l’ai utilisé comme personne ne l’a jamais fait, c’est devenu ma façon à moi de jouer du metal et c’est ce qu’il faut faire, tu dois créer quelque chose que personne d’autre n’a jamais fait. Il faut être créatif, original, avoir sa marque de fabrique, sa personnalité. La façon dont tu t’habilles dont tu chantes et comment tu joues. Il y a ce côté mais qu’est que tu représentes, les visuels, faire quelque chose que le public n’oubliera jamais. Ce que je fais sur scène avec mon vibrato, personne ne l’a oublié et c’est ce qui fait qu’on se rappelle de moi, ça signifie tout. Je me souviens que pour nos pochettes à nos débuts, on avait cet artwork, nous faisions à nos tout début des reprises, c’est vraiment il y a très longtemps et dans mon approche au début j’essayais de chanter et de jouer comme le chanteur d’origine et le combo, de les copier en fait. Ensuite j’ai chanté à ma façon parce que là tu donnes une nouvelle empreinte au titre. Je chantais comme j’avais envie de le faire et non comme la version originale. Sur notre premier album, il y a une reprise de « Paint It Black » des Rolling Stones, je ne sonne pas comme Mick Jagger, ça sonne comme Lips chantant « Paint it black » et c’est ça qui est important. C’est ce dont je parle à travers ce titre « One and Only », être unique, c’est ce qui fait la différence. C’est comme ça que tu restes et que tu marques l’esprit des gens. Même mon nom, on ne m’appelle pas Steve mais Lips car c’est plus en relation avec mon personnage, ma personnalité et on s’en souvient. Voilà pourquoi One And Only, ça vient de là, c’est ce que je suis moi avec ma personnalité. Il n’y a qu’un seul Lips je suis comme ça pour le meilleur et le pire. (rires)
Après toutes ces années est-il encore facile de trouver l’inspiration et écrire de nouveau morceaux pour un album ?
Oui, c’est quelque chose qui est sans fin. Chaque jour je prends ma guitare et je joue, je trouve des riffs, des idées musicales et je les enregistre. J’ai des centaines de très bons riffs en réserve, tu vois ce que je veux dire, ce n’est pas difficile, chaque jour je trouve quelque chose de nouveau. Si tu laisses ta guitare de côté rien ne se passera, je pratique chaque jour et à la fin j’arrive à obtenir une bonne idée par jour, ça fait des centaines au final. Dans mon ordinateur je pense j’ai des milliers d’idées de morceaux et des centaines de chansons entièrement composés. Parfois ce qui arrive, je commence à travailler une chanson, ça débute toujours par la partie de guitare, je l’écris du début à la fin, tout est écrit, pas seulement la guitare mais la chanson entière. Quelquefois ou c’est totalement spontané et il ne faut qu’une seule prise pour enregistrer le morceau. Et là c’est totalement magique. Je rentre à la maison satisfait, c’est tellement pur et naturellement ce sont des moments uniques. Mais ce n’est pas toujours le cas, il y a une bonne partie des morceaux ou ça ne se passe pas comme ça, j’essaye de capturer tout ce que je peux. Je ne suis pas du genre à m’assoir et à réfléchir au titre. Non je commence à jouer seul, à jammer et laisser l’inspiration prendre le pouvoir, ça vient comme cela. J’enregistre toujours ces moments lorsque je joue et beaucoup deviennent des chansons, certaines sont les meilleures que nous avons conçues. Parfois je joue pendant des heures et il n’y a rien de bon qui sort, j’arrête et je recommence plus tard. C’est comme ça que naissent nos titres, il y a tellement de façons différentes pour écrire et composer…
Tu composes sans cesse alors, et as de nombreux morceaux en réserve finalement. Tu as donc de quoi nous offrir encore de nombreux opus dans le futur, pourquoi pas vingt autres disques ! (rires)
(rires) Oui, mais ce qui est important avant tout, c’est que je reste en bonne santé, c’est ça qui est fondamental : rester en forme et pouvoir continuer à jouer sur les scènes du monde entier.
Cette fois encore vous avez travaillé avec la même équipe Martin « Mattes » Pfeiffer et Jörg Uken aux studios Soundlodge d’Uken en Allemagne. C’est la cinquième fois après Anvil Is Anvil (2016), Pounding The Pavement (2018), Legal At Last (2019) et Impact Is Imminent (2022). As-tu le sentiment d’y avoir trouvé en quelque sorte l’osmose parfaite ?
On a trouvé la bonne combinaison, on est un peu en osmose c’est vrai, et je n’ai pas vraiment envie de changer. Chaque personne est un expert absolu. Martin « Mattes » Pfeiffer est vraiment passé maître pour me faire travailler ma voix et le faire proprement, il me guide et c’est très important. Savoir ce que je suis supposé faire est une chose mais c’est différent lorsque tu es en studio et que on te dit non on va recommencer et je te dirais quand le résultat sera probant. Parfois on sait qu’on tient un très bon morceau et on est en accord, et je me dis : « bon c’est ok pour moi », et là on me répond : « non, on peut mieux faire, refais là ! ». C’est comme ça qu’on fonctionne, certaines fois je peux refaire la prise dix fois de suite mais ce n’est pas un problème. Si le producteur me dit de le faire alors je le fait c’est tout. C’est comme ça qu’on y arrive. Ils sont vraiment bons. Jörg Uken est un génie absolu pour trouver la bonne tonalité, il est totalement incroyable au niveau du mixage.
En découvrant One And Only, on a l’impression que vous aviez un peu envie de faire un retour à vos racines en restant très efficace ?
Oui, il est certainement plus dans l’esprit de ce qu’était Anvil à l’origine, je pense. Les voix sont au même niveau qu’au début, on a gardé la même intensité, je sais que c’est dur de chanter de cette manière. Mais cette fois-ci, on a bien plus fait attention à la voix qu’auparavant où on ne s’en préoccupait pas tant que ça du moment que c’était du metal, ça passait. C’est ce qui fait la différence, on a fait très attention à ma façon de chanter, il y a plus d’harmonie, j’ai écrit des chansons que je pouvais chanter. Il y a des titres que je devais énormément travailler pour pouvoir chanter en proposant des parties mémorisables qui puissent rester dans les esprits. Mais tout ça ce n’est que de la musique, il ne faut pas trop s’en préoccuper et prendre trop ça au sérieux.
« Feed Your Fantasy » est votre premier single et te ressemble bien. Tu as toujours suivi tes envies avec Anvil sans jamais te laisser compromettre musicalement !
Oui, c’est un morceau qui nous représente bien tous les trois mais on n’était pas vraiment focalisé sur cette chanson. On ne pensait pas que ce titre était fondamental d’ailleurs, à vrai dire on voulait plutôt le proposer comme un bonus track quelque chose comme ça. C’était notre première ressenti lorsqu’on a fait nos démos. Mais en l’entendant, notre producteur est devenu fou, il pensait que cela pouvait faire un bon single car c’était un morceau très différent. Pour lui ça allait être une surprise pour la plupart des gens et donc il fallait le mettre en avant. Nous on était assez dubitatif. Pour moi ce n’est pas mon titre préféré, ça n’aurait vraiment pas été mon premier choix pour en faire un single et une vidéo. Je suis honnête avec toi et tout le monde, mais c’est arrivé comme ça. On aurait peut-être dû appeler ce disque « Feed Your Fantasy » parce qu’on n’a pas fait de clip pour « One and Only ». C’est un morceau trop long et pas assez catchy, je pense.
Justement qu’aurais tu choisi comme morceau ?
Je n’aurais pas solutionné la deuxième plage. (rires) « Truth Is Dying » aurait fait un bon single. (Ndlr : c’est le tout nouveau qui vient de sortir)
Toi qui joues de la guitare depuis 1973, tu as du débuté bien avant Anvil. Selon toi, qu’est qui fait qu’on reconnait un bon guitariste ?
Hum, je vais te parler de mon guitariste préféré. Lorsque j’ai grandi en tant que musicien, je recherchais à être unique, c’est ce qui est important pour moi. Tu dois sonner par toi-même et avoir ton propre style. Si tu entends un solo et que tu identifies immédiatement le guitariste, c’est qu’il est bon. Si tu ne sais pas qui joue, ce n’est pas bon. C’est pour moi la chose la plus importante en musique. De nos jours les musiciens sont si professionnels, si incroyables qu’au final tu ne peux pas dire qui joue. Si tous les chanteurs chantaient d’une manière parfaite et faisaient tous la même chose, ça serait des bons chanteurs mais si tout le monde sonne de la même manière alors c’est catastrophique. Le problème c’est que maintenant il y a tant de guitariste qui techniquement sont incroyables que tu arrives à un certain point ou n’importe quel auditeur pense qu’ils jouent tous de façon identique. C’est le souci. Ce qui est important et surtout au niveau des solos, c’est d’être mémorisable. Il faut une mélodie qui soit bien formée, c’est ce qui fait que là tu es face à un grand guitariste. Lorsque tu écoutes le solo de « Highway Star » de Deep Purple, la mélodie est immédiatement identifiable. Il y a toute cette technique que Ritchie Blackmore utilise dans le solo avec ces différentes tonalités. C’est un morceau d’anthologie qui fait partie de l’histoire et ça n’a rien à voir avec ces milliers de notes qui sont joué à toute vitesse. J’ai grandi avec ce lead magnifique et original. C’est exactement la même chose avec « Stairway To Heaven » de Led Zeppelin, et les parties leads de Jimmy Page. C’est magique, il y a cette mélodie si belle et mémorisable. Tous les grands solos sont comme ça. On peut dire la même chose du solo de Money avec Pink Floyd. C’est construit et imaginatif, ce n’est pas une suite de notes jouée à toute vitesse, il y a aussi une personnalité dans le jeu. Idem avec Mark Knopfler de Dire Straits et cet incroyable solo sur « Sultan Of Swing », il est joué d’une façon démentielle. Voilà quelque chose d’unique. Pour moi le titre « One And Onl » joué comme ça est très bon, c’est immédiatement reconnaissable que ce soit au niveau des leads mais aussi de la rythmique. La tonalité dans laquelle c’est joué est irremplaçable et inimitable. Les types qui peuvent faire ça où tu sais immédiatement qui joue pour moi ce sont de grands guitaristes. Bien sûr, ce n’est juste que mon opinion et peut être que je me trompe…
En 1982, Lemmy avait fait appel à toi pour remplacer « Fast » Eddy Clarke dans Motörhead mais tu as refusé ?!
Lemmy avait les mêmes influences que moi et il a reconnu ça en moi, il aime les mêmes musiques que j’aime. Et l’autre chose, c’est qu’il connaissait mon amour pour le rock’n’roll et il a vu ça en moi. C’est vrai que j’adore Ted Nugent mais aussi Chuck Berry dont je suis un très grand fan et d’une manière générale tout ce rock des années 1950. Je suis né dans ces années-là et j’ai toujours baigné dans cet environnement. Tous mes frères et sœurs étaient passionnés par cette musique-là. J’écoutais Elvis Presley. Je suis chanceux d’avoir pu grandir entourer de cette musiques des années 50/60. J’avais huit ans et puis à quinze ans, j’ai découvert les Beatles. J’étais là pendant toute cette époque complètement ouvert. J’étais un gosse très impressionné par toutes ces musiques. C’est ce que j’avais envie de faire, je voulais être comme The Beatles.
Angus Young a toujours dit que Chuck Berry était une énorme influence pour lui. Finalement vous semblez avoir les mêmes racines ?
Certaines personnes ne le reconnaissent pas comme tel. C’est le prototype ultime de ce que je fais. C’est le vocaliste, le guitariste, le chanteur. C’est ce qu’il était, et en plus fan c’est un fan de Fender et Gibson (rires), quelque chose comme ça. C’est la vérité il y a une substance que je trouve importante et je le comprends. Je peux me référer à lui, c’est pourquoi j’ai toujours eu ce quelque chose en plus. Même mes guitares sont aussi comme ça. Elles ont été faites sur mesure, généralement ils ne font pas des guitares de ce type. C’étaient mes modèles depuis que je suis môme. Tout ce que tu fais tu dois être individualiste, unique, tu dois te détacher et faire les choses différemment. C’est ce que je fais et c’est la personne que je suis.
Pour conclure vous avez fait une tournée française de quatre dates (Colmar, Lyon, Savigny le Temple (77), et Vauréal (95)) il y a quatre ans en février 2020. Quel est ton avis sur ce périple français et les fans français ?
Nous avons vraiment aimé. Nous étions choqués que cela ait mis si longtemps pour se faire mais après toutes ces années, revenir jouer, nous ne savions pas où étaient tous nos fans et s’ils nous avaient toujours attendu. C’était assez déroutant, d’une certaine manière nous avons été exclus de la France. Nous ne comprenons pas. Pourquoi ? Je ne connais pas les raisons. Nous avons fait quelques shows et nous étions supposés revenir, ils devaient y en avoir beaucoup plus. Les promoteurs n’ont pas voulu. Bizarre… Des shows annulés. Espérant que tout aille dans une direction positive désormais. Je ne sais pas où on va jouer et combien de shows on va donner mais j’espère plus que ce que nous avons fait la dernière fois. Je ne resterai pas à Lyon pendant un weekend à rester assis. On espère venir à Paris, je ne sais même plus si on a déjà joué à Paris (Ndlr : ils ont donné leur premier concert à Paris en quarante ans au trabendo le 25 février 2018), si on l’a fait on ne l’a fait qu’une fois lors toutes ces années. (rires) C’est fou je me souviens dans les années quatre-vingt on devait faire un show avec Accept et quand sommes arrivés le show a été annulé car le guitariste (Wolf Hoffmann) avait raté des marches et est tombé sur le sol. Grand souvenir. Alors quand on nous parle de venir en France, nous croisons les doigts ! (sourires)
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