Cela faisait onze ans que nous n’avions pas eu de nouvel album de la part de nos cousins de Cryptopsy du côté de Montréal. C’est long onze ans. Alors ok, entre-temps, il y a eu des rééditions, des compilations, deux EP, mais tout de même, c’est maigre pour l’un des piliers de la scène brutal death metal nord-américaine ? Le Canada était-il tombé dans une faille spatio-temporelle les faisant disparaître de notre dimension ? Les fans, et nous les premiers, étions à la fois impatients et inquiets… Heureusement, voici As Gomorrah Burns qui va vous éclater les tympans, et au passage remettre à l’heure les pendules de la brutalité et de la technicité sur la riche scène québécoise. Mais le titre de ce huitième album fait aussi référence aux origines du toujours aussi sympathique groupe francophone, fondé en 1992… [Entretien avec Matt McGachy (chant) par Seigneur Fred – Photos : DR]
Ça fait un bail que l’on n’avait plus trop de nouvelles de Cryptopsy, chers cousins !! Et personnellement, je ne vous ai pas interviewés depuis l’époque avec le guitariste Jon Levasseur qui a quitté le groupe depuis… D’ailleurs êtes-vous toujours en contact et resté en bons termes avec lui ? Que devient-il ?
En effet ! Jon est parti en 2012. C’est vrai que ça fait longtemps. Honnêtement, avec les membres de Cryptopsy, on essaie de rester assez proches en général. Si tu veux, c’est un peu comme une famille ou un couple avec plusieurs personnes ! (rires) Non, mais sérieusement on essaie de toujours rester en contact les uns les autres, même avec les anciens membres. Sinon Jon va bien, je te remercie. Il est heureux. J’ai hâte de le revoir justement car ça fait longtemps que je ne l’ai pas vu.
Comment se porte la scène metal actuelle au Québec (Québec, Montréal…) ? Kataklysm vient d’ailleurs de sortir aussi son nouvel album Goliath comme vous chez Nuclear Blast. Et cet été, nous avons fait connaissance avec le groupe Prowl (thrash crossover) au Riip Fest (près de Tours en France). Son chanteur Max me disait que ça rebougeait bien depuis la fin de l’épidémie de covid-19, et tout particulièrement à Montréal d’où ils sont originaires comme vous. Même s’ils sont issus de la scène hardcore avec de grosses influences thrash metal, les connaissez-vous car ils jouent souvent au fameux club des Foufounes Électriques à Montréal ?
Oui, je connais Prowl. J’ai d’ailleurs vu un peu partout leurs affiches de concerts ici. Je sais qu’ils fonctionnent bien ici maintenant à Montréal et ils donnent pas mal de show un peu partout dans le coin au Québec et au Canada, mais je ne connais pas ses membres personnellement. Ils sont partis jouer à plusieurs reprises en Europe et notamment en France, donc tant mieux si tu les as rencontrés et que ça commence à bien marcher pour eux par chez vous aussi. Comme tu le sais, oui, on a une très bonne scène metal avec des groupes qui ont toujours eu du succès Kataklysm, Voivod, Gorguts, Beyond Creation, Despised Icon, The Agonist, Beneath The Massacre, etc. Elle fonctionne très bien. Et oui, il y a plein de nouveaux groupes, et y’a plein d’endroits où les groupes peuvent jouer, répéter aussi, ici à Montréal ou à Québec. C’est très important aussi pour s’entraîner, faire des résidences. Tiens, hier soir, j’étais à un concert à un bar, le Pirana Bar, où j’ai vu un groupe qui débute nommé Flesh Shrine qui était d’ailleurs super intéressant. Si tu sors à ces endroits, il y a de fortes chances que tu rencontres des artistes de groupes connus. Bref, on a de la chance ici car on a de nombreux lieux pour se retrouver, jouer, rencontrer du monde, pour s’amuser aussi, boire de la bière et sauter dans un mosh-pit ! (rires)
Bon, n’y allons pas par quatre chemins : pourquoi ça a pris onze ans entre votre précédent album éponyme, Cryptopsy, sorti en 2012 (autoproduction) et le nouveau baptisé As Gomorrah Burns ??! Que s’est-il passé ? Le groupe avait-il splitté peut-être ?? C’était le silence radio… Entre-temps, certes, il y a eu des rééditions, des compilations… mais tout de même ??!
Alors pourquoi ça a pris onze ans… Alors on a quand même sorti The Best of Us Bleed Compilation en 2012, puis deux EP successifs : The Book of Suffering – Tome I en 2015 ; et The Book of Suffering – Tome II en 2018. Ces deux EP ont été ensuite rassemblés en 2018 : The Book of Suffering – Tome I & II. Déjà, on avait travaillé très fort sur l’écriture de ces deux EP. Il y avait au total huit chansons : quatre, puis quatre autres qui au départ ont été séparés en deux. Ensuite, entre-temps, on a énormément tourné durant toutes ces années un peu partout dans le monde. En 2019, on a arrêté de tourner pour ensuite se concentrer sur l’écriture d’un nouvel album studio. Puis la pandémie est survenue alors qu’on était en phase de composition et d’écriture. Donc non, pendant les onze ans, on était bel et bien vivants sur Terre, et on était bien occupés finalement avec les deux EP que l’on a sorti, et les nombreux concerts que l’on a donné à travers le monde.
Comment s’est passé le travail de composition et d’écriture par conséquent quand il a fallu vous remettre tous à l’ouvrage et enregistrer ce huitième album studio As Gomorrah Burns ? A-t’il été facile de se remotiver en studio après tant de temps ?
En 2019, on a fini une tournée en Asie, et en revenant, on s’est dit qu’il était temps de se remettre à composer du nouveau matériel en vue de faire un nouvel album. On a commencé début 2020, en mars 2020. On s’était réuni dans une petite maison, un chalet exactement, dans les bois, et la pandémie est survenue ici, au Canada et aux États-Unis, en Amérique du Nord… Pendant la pandémie, on a donc travaillé très fort, d’abord ensemble puis séparément chacun de notre côté. Cela nous a pris beaucoup de temps, mais finalement on a tout fini, et on a été jusqu’au bout. C’est notre guitariste qui a en quelque sorte managé le groupe. Il a su énormément tous nous motiver, nous encourager, et nous mener jusqu’au bout du travail sur l’album. Et ça je dois reconnaître qu’il a fait un sacré travail avec nous. Je suis très content qu’il soit avec nous dans le groupe.
Le titre As Gomarrah Burns fait d’abord référence à la Bible (Ancien Testament) mais pourrait aussi être un clin d’œil à Kataklysm qui a sorti récemment son nouvel album Goliath. Et enfin, le nom de « Gomorrah » renvoie également à votre nom de groupe en 1992, Gomorra (sans la lettre « h » à la fin cependant). Alors qu’en est-il ? Est-ce là un clin d’œil aux origines de Cryptopsy, comme s’il s’agissait maintenant d’une renaissance artistique en 2023 pour vous, et en même temps un clin d’œil à vos camarades de Kataklysm ?
Exactement, c’est ça. J’ai d’ailleurs évoqué cela dernièrement sur ma radio en podcast Vox & Hops. En fait, j’ai fait une entrevue avec l’un de mes invités, Mike DiSalvo (Ndrl : ancien chanteur de Cryptopsy 1997-2001) et il m’avait rappelé le nom d’origine de Cryptopsy qui était alors Gomorra (Ndlr : sans « h ») à sa création en 1992. Il aimait beaucoup ce nom-là. Moi je suis arrivé au microphone qu’en 2007. Et c’est vrai que j’avais toujours gardé ça en tête. Avant même de commencer à écrire et préparer ce nouvel album As Gomorrah Burns, j’avais déjà construit un concept sur Gomorrhe en lien avec la Bible, et j’avais mis ça de côté. Bon, on sait tous l’origine, que dans la Bible, en fait, les deux villes de Sodome et Gomorrhe sont signes d’opulence, de connaissances, de nourriture, de luxure, d’abus, et ses habitants en ont joui et profité. C’était une utopie. Et comme les êtres humains font toujours, ils ont outrepassés les limites. On sait tous après donc que ces villes et ses habitants sont punis par Dieu, selon la Bible. Les deux villes sont ravagées par Dieu qui les brûle… Mon concept à moi, qui était quelque chose de personnel, est parti du constat que j’avais une dépendance avec mon mobile et les réseaux sociaux. C’est quelque chose que j’essaie d’améliorer, je travaille avec ces outils numériques au quotidien mais j’essaie de prendre plus de distance. En fait c’est comme un cercle vicieux car on les utilise pour répondre aux fans, aux interviews, être joignables, communiquer, mais souvent ça devient chronophage et trop prenant. Bien sûr, ça permet de communiquer avec des gens au bout du monde sur toute la planète, mais il n’y aucune limite, et parfois malheureusement des dérives sur internet. Alors jr me suis inspiré de près ou de loin d’histoires vraies par exemple : des suicides en ligne, des désinformations, de la propagande, de l’endoctrinement, du harcèlement, etc. (Ndlr : il donne des faits divers en anglais mais que nous ne connaissons pas forcément tous bien ici en France). En fait j’ai écrit des chansons sur toutes ces histoires en faisant le parallèle à Sodome et Gomorrhe, comme une analogie contemporaine où là encore l’Homme profite d’internet qui est vraiment quelque chose de génial pour nous tous, mais il n’y a pas de limite et le mal s’installe pouvant tourner au drame.
Mais dans la Bible, Gomorrhe fut aussi l’une des deux villes (avec Sodome) détruites par « une pluie de feu » selon l’Ancien Testament suite aux péchés des hommes… Alors que voulez-vous sous-entendre ici et s’agit-il d’un concept album anti-chrétien ?
Non, pas du tout. C’est vraiment une analogie ici que j’utilise en lien avec la Bible. Et puis j’ai trouvé ça cool étant donné que ça fait aussi référence au nom de l’ancien groupe avant Cryptopsy…
As Gomorrah Burns est donc votre huitième album studio, et il y a huit chansons. Faut-il y voir là aussi un clin d’œil ? Après 666, voici peut-être le nouveau chiffre du malin 88… (rires)
(rires) Peut-être… Qui sait ! (rires)
Clairement, ce nouvel album est une pure tuerie ! As Gomorrah Burns contient seulement huit morceaux donc, mais quelle puissance et intensité ! Cela fait du bien de vous réentendre. Quel était l’objectif sur ce nouvel album de retour ? Prendre votre revanche et montrer aux jeunes groupes nord-américains de quoi Cryptopsy est encore capable en 2023 ? (sourires)
Notre intention avec Cryptopsy est uniquement de composer de la bonne musique, et avant tout pour nous. Il n’y a pas vraiment de compétitions envers d’autres groupes, non. C’est vraiment une compétition contre nous-mêmes, en fait, dans notre bulle. On veut simplement créer la meilleure musique possible. On fait ça en se mettant dans une bulle qui contient les différentes phases de conception musicale chez Cryptopsy a pris du temps pour écouter, faire, défaire et refaire, analyser les morceaux pour arriver à ce résultat. C’est intense. Il n’y a que huit chansons pour trente-trois minutes, certes, mais rien de superflu. Chaque note a sa place et est justifiée.
Avez-vous changé et évolué techniquement dans votre jeu de guitare, batterie, matériel côté musique sur ce nouvel enregistrement ? En studio, là aussi avez-vous changé certaines méthodes ou techniques ?
Alors pour ce qui me concerne, oui. J’ai changé de techniques vocales sur ce nouvel album. Depuis le précédent album éponyme Cryptopsy, je voulais me rattraper et changer car je faisais des « fry screams » qui est une technique vocale extrême mais très bas alors que ce n’est pas trop adapté pour les growls. Entre-temps il y a donc eu les deux EP, et là je voulais changer. Sur la dernière tournée qui a suivi le second tome de The Book Of Suffering (EP), le guitariste Christian m’a dit et demandé qu’il préférait quand je chantais de la façon qu’on appelle « Fourth chord scream », comme George « Corpsegrinder » Fischer justement (Cannibal Corpse). Et ça serait bien si je pouvais chanter comme ça à l’avenir. J’ai donc beaucoup travaillé ça et commencé à chanter ainsi en concert dès 2018. Christian voulait vraiment cette voix-là, et j’avoue que je suis très content de maîtriser maintenant cette technique. J’aime bien cette voix, et en plus c’est assez facile pour moi.
Côté vocal, quelle performance hallucinante et hallucinée, Matt !! Tu pourrais presque remplacer George « Corspegrinder » Fisher quand il est en vacances dans Cannibal Corpse !! (rires)
Merci. C’est très gentil. Comme tu l’as bien compris, j’ai donc changé ma technique vocale ici pour ce nouvel album en adaptant cette méthode « Fourth chord scream » par conséquent. Mais non, je ne pourrai jamais rivaliser avec George « Corpsegrinder ». Il reste le meilleur ! The best !! Et puis, pas qu’en matière de chant et growls, en matière aussi de headbanging !!
Quelques mots à présent sur le superbe artwork d’As Gomorrah Burns signé Paolo Girardi s’il-te-plaît ? Cela change de vos précédentes pochettes et on revient à un artwork plus traditionnel du death metal. On retrouve le diable dans le ciel comme sur Whisper Supremacy (en 1998) mais dans une autre couleur…
Oui, il y a beaucoup de clins d’œil avec cet artwork. On avait discuté entre nous et voulait une peinture réelle traditionnelle pour la nouvelle pochette d’As Gomorrah Burns, un peu comme sur l’album None So Vile. Quand j’ai trouvé mon concept au niveau de l’album autour d’internet en l’assimilant à celui de Sodome et Gomorrhe donc, j’ai pas mal recherché d’illustrations autour de ça, autour du concept biblique. En fait, je recherchais des peintures du style Renaissance sur ce sujet-là. J’en ai trouvé trois ou quatre super, et j’ai alors envoyé plusieurs screenshots aux gars du groupe. Je ne sais plus trop si c’est Olivier, notre bassiste, ou bien Christian qui a eu l’idée de retenir le visuel de la destruction des villes… Et là aussi c’est un clin d’œil à notre ancien album Whisper Supremacy, en effet, tu as vu juste là encore et nous connais bien… (sourires) On a envoyé ça à l’artiste Paolo Girardi qui a réalisé et achevé ça en une semaine. Dans le metal extrême, il fait beaucoup de pochettes d’albums, il est très demandé (Aeon, Acod, Revocation, Inquisition, Bell Witch, etc.). C’est vraiment un génie.
Votre bassiste Olivier Pinard joue également dans l’excellent groupe américain Cattle Decapitation. Comment va-t’il faire pour mener de front les deux groupes alors que Cattle Decapitation est basé à San Diego (Californie/USA) et vient de sortir aussi son nouvel album Terrasite (Metal Blade Rec.) cette année ?
Oui, alors Olivier nous avait prévenus qu’il avait été demandé par Cattle Decapitation. Nous, on lui avait dit oui, vas-y, car c’est une opportunité dans ta carrière. C’est tellement un bon groupe, et de bonnes personnes que l’on aime en tant qu’individus, et ils font vraiment de l’excellente musique. Alors comment va-t’on faire pour qu’il puisse mener les deux groupes simultanément ? Olivier va être capable de faire les deux car on est dans un monde où déjà où peut voyager facilement, on peut répéter à distance, chacun de son côté, et prendre l’avion depuis Montréal pour se voir, répéter, et partir en tournée. On n’est pas obligé d’habiter dans la même ville, tu sais, pour faire partie d’un groupe de nos jours. Il peut voler et aller aux États-Unis pour répéter à San Diego, puis partir en tournée. Donc ça devrait aller pour lui et nous avec Cryptopsy. Tu sais, on est chanceux d’avoir Oli au sein de Cryptopsy.
En concert, pour jouer les nouvelles chansons live d’As Gomorrah Burns, allez-vous embaucher/prendre un second guitariste de session live ou vous restez à quatre membres sur scène car les compositions de guitare nécessitent assurément l’apport d’une deuxième guitare en live, non ?
Alors, on va partir en tournée d’ici peu en septembre (Carnival of Death Tour) en commençant aux Etats-Unis. On va donc jouer pas mal de nouvelles chansons en concert. Mais on va rester à quatre dans le groupe sur scène, comme lors des précédentes tournées, car on est bien comme ça, on se connait bien et ça fonctionne bien comme ça. On est le line-up le plus long historiquement en termes de durée dans le groupe. Tu sais, on est comme une petite famille, ça nous convient bien. Et la deuxième guitare sera présente sur une piste audio diffusée sur chaque chanson parallèlement. On fonctionne ainsi depuis déjà un moment en tant que quatuor, depuis 2012, et on reste comme ça. Là encore, aucun problème.
Enfin, quand peut-on espérer vous revoir justement en Europe en concert et notamment en France, chers cousins ? Des festivals d’été peut-être d’ores-et-déjà de programmés par chez nous (Hellfest ou Motocultor) ? On vous y attend !!
A l’heure actuelle, on est en train de monter des tournées un peu partout notamment en Europe. Pour le moment, je ne peux rien de te dire d’officiel mais on y travaille. Dans tous les cas, je suis très excité de revenir jouer en Europe et surtout en France, tu penses bien. On adore jouer chez vous, les festivals, alors revenir au Hellfest, ça serait super ! Merci beaucoup les amis, et à bientôt !
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