Toujours aussi prolifique et puissant telle une usine à charbon allemande, Disbelief enchaîne les productions en y déversant toute sa rage et sa haine envers notre monde en pleine décadence. Si l’heure n’est définitivement pas à la réjouissance, entre la dernière pandémie, les guerres, l’accentuation des écarts sociaux, le réchauffement climatique, et notre déshumanisation dans nos rapports à autrui (notamment sur le web), son chanteur n’a que l’embarras du choix pour alimenter son death metal teinté de sludge et de doom sur Killing Karma. [Entretien réalisé avec Karsten « Jagger » Jäger (chanteur) par Seigneur Fred – Photos : DR]
Comment allez-vous à Gundernhausen depuis la sortie de votre précédent album The Ground Collapses en 2020 ? Car le sol a réellement commencé à s’effondrer d’une certaine manière sur Terre à cette période et après : pandémie de covid-19, catastrophes naturelles, des guerres à l’Est de l’Europe (conflit Ukraine/Russie) et au Moyen-Orient (Israël/Palestine), soulèvements sociaux…
Alors tout va bien en ce moment, j’habite à Gross – Umstadt à présent, près de Francfort. Ouais, ce n’était pas le meilleur moment pour sortir un nouvel album, directement au début de la pandémie, tout le monde confiné ! Personne ne savait à ce moment-là ce qui se passerait ensuite et combien de temps cette situation durerait. Immédiatement après la fin de la pandémie, de nouvelles guerres éclatent. Le sol tremble dans plusieurs régions du monde et, espérons-le, ne s’effondrera pas dans les temps à venir ! On a attendu longtemps pour jouer les premiers concerts en live devant de vraies personnes ! Cela nous montre l’humilité de vivre et de profiter de tels moments de manière plus intensive et plus consciente que par le passé. On a donc créé de nouvelles chansons, commencées fin 2022 – novembre 2023. Nous voici maintenant en 2024 et ce nouveau disque qui sort, intitulé Killing Karma !
J’imagine que tu as été déçu de l’impact de The Ground Collapses si vous n’avez pas pu le défendre live et partir en tournée, comme tous les artistes, à cause de ce satané virurs,, n’est-ce pas ?
Au début de la pandémie, juste après la sortie de The Ground Collapses, nous avons eu la chance de faire un show live sur internet. D’un côté, c’était une bonne opportunité de le faire, d’avoir la chance d’atteindre vos fans d’une manière spéciale. Cela nous a beaucoup aidés à ce stade, c’était assez logique de faire au moins ça ! Mais d’un autre côté, c’était une expérience très étrange… Parce que vous vous comportez comme sur scène, mais après les chansons, vous n’obtenez aucune réaction, aucun applaudissement, rien, seulement le silence ! Je ne veux jamais refaire ça comme ça, promis !
Un mal pour un bien, vous avez donc travaillé rapidement sur un nouvel album après 2020 : Killing Karma ? Alors, quelle était ton humeur durant le processus d’écriture et de composition ? Et pendant l’enregistrement ? Toi et les membres du groupe avez l’air d’avoir faim et d’être particulièrement en colère aussi peut-être parce que vous vouliez rattraper le temps perdu, exprimant là toute votre frustration d’une certaine façon…
L’ambiance n’était pas à la colère, non. C’était plutôt le plaisir de travailler sur de nouvelles chansons, d’être créatif, l’une des choses les plus excitantes que l’on puisse faire à mon avis. Et maintenant je suis très excité par les premières réactions sur le nouvel album !
Pourquoi avoir choisi le titre Killing Karma pour ce onzième album studio ?
Il y a aussi du mauvais « Killing Karma », pour ainsi dire, sur cette planète ! Je veux « tuer le mauvais Karma » en disant cela, et pointer du doigt l’abîme de la racaille humaine, de leurs âmes et de leurs échecs, c’est ma mission en tant que poète lyrique !
Et crois-tu personnellement au karma dans ta propre vie ? (sourires)
Oui, c’est la seule chose que j’accepte et à laquelle je fais confiance. Il n’y a pas de dieux, pas de religion, pas de pensées hérétiques dans ma vie. Je ne fais confiance qu’à moi-même, à ma famille, à mes amis et aux membres de mon groupe.
Faut-il considérer ce nouveau brûlot Killing Karma comme un album d’acte de résistance ou de résilience ? Il sonne très colérique et puissant, et d’ailleurs, Jagger, tu as déclaré à son sujet : « C’est une déclaration de guerre au désespoir, au chagrin et à l’impuissance ».
Bien sûr, les nouvelles chansons ne sont pas amicales ! (rires) Ce n’est pas l’ordre de l’incrédulité ! Chaque nouvelle chanson raconte une histoire sans voix, sans paroles, c’est toujours le début ! Vous devez suivre cette connexion que vous entretenez avec chaque chanson, pour trouver les bons mots pour les paroles d’eux. Chaque chanson a sa propre histoire à raconter !
Musicalement, je trouve Killing Karma plus direct et agressif, et plus typiquement death metal en fin de compte par rapport à The Ground Collapses qui était peut-être plus groovy et alors davantage teinté d’influences sludge et de sonorités industrielles. Qu’en penses-tu et était-ce l’objectif en écrivant ces dix nouvelles chansons figurant sur Killing Karma ?
Nous voulions aller plus loin dans le son death metal avec ce nouveau disque, oui. C’est donc correct comme analyse. Nous avons uitté le Rambado Studio pour aller au Kohlekeller Studio, non loin de chez moi, près de ma ville natale. J’ai donc pu réaliser tout le processus d’écriture de chansons directement en studio pour le chant et quelques arrangements sur les chansons aussi ! On a changé précisément de studio pour cette raison, afin d’approfondir cet aspect plus foncièrement death metal. Ce studio a l’ambiance pour. Avec Kai Stahlenberg, le producteur de Killing Karma, nous avons créé un death résolument moderne, je pense. Un son metal qui transporte les nouveaux morceaux vers une bonne et puissante lumière sonore. On est donc très satisfait du résultat de ce monstre !
Deux principaux invités allemands sont présents : Michelle Darkness (End Of Green) et Joschi Baschin (Undertow). Ils apparaissent sur trois chansons de Killing Karma : « The Scream that Slowly Disappeared » ; « Flash of inspiration » et « Reborn ». Pourquoi avoir choisi ces deux invités en particulier ? Comment sont nées ces deux collaborations avec Michelle et Joschi ? Et ont-ils été impliqués dans l’écriture des paroles ou sont-ils simplement venus enregistrer leurs parties vocales en studio ?
Je connais ces deux gars depuis tant d’années maintenant. L’idée de s’intégrer dans nos chansons et de leur demander est née pendant le processus d’écriture de chansons. J’ai eu envie de travailler avec eux parce qu’ils peuvent nous toucher avec leur voix, or je suis fan de leurs voix ! Joschi, par exemple, est un type très sympathique, et j’aime la façon dont il peut me m’émouvoir avec son message personnel, plein de sentiment dans sa voix. La voix de Michelle Darkness est tellement supérieure aussi, profonde et émotionnelle, j’ai tellement de respect pour ce musicien, producteur et qui plus est un ami ! Ce sont des raisons suffisantes pour les inviter, je pense. Et je suis très heureux du résultat, et fier que ces deux gars m’aient soutenu sur ces chansons.
Comme dans la musique punk/hardcore et hip hop, il fut un temps dans les années 80 où c’était très courant de trouver des invités sur des albums, puis également dans le metal ces dernières années. Par la suite, cela a un peu disparu, et avoir des invités relevait généralement d’un acte marketing. Alors, pour Disbelief, quels étaient vos principaux objectifs artistiques lorsque vous avez décidé d’avoir ces invités au chant sur Killing Karma ?
Exactement les raisons que je t’ai expliquées précédemment. Faire de la musique ensemble, créer quelque chose de nouveau, pour s’inspirer et s’amuser !
Quelles sont tes trois chansons préférées de Killing Karma et pourquoi ? Je sais qu’il s’agit d’un exercice difficile, c’est pour ça que je te le demande… (rires)
Pas de problème. Mes chansons préférées sont celles que nous jouerons en live lors des prochains concerts. Les trois titres vraiment favoris sont la chanson-titre, l’ouverture de l’album « Reborn », et la chanson du premier clip de l’album : « A Leap In The Dark ».
Quelques mots s’il-te-plaît sur les deux derniers bonus tracks à la fin de l’album Killing Karma : la reprise « Millenium » de Killing Joke ; et « Fragile Aeon ». Pourquoi avoir choisi de reprendre cette célèbre chanson de Millenium, et la chanson « Fragile Aeon » est-elle en relation avec l’album The Fragile de Nine Inch Nails ? Parce que le metal industriel semble être dans votre ADN death metal dans l’atmosphère de Disbelief depuis vos débuts…
Ce n’était pas la première expérience pour nous de reprendre un morceau de Killing Joke, dans le passé nous l’avons fait deux fois déjà. Au début, nous avons repris « Democraty » sur notre album Spreading The Rage, ainsi que la chanson « Love Like Blood ». Cette chanson a été le premier contact que j’ai eu avec ce groupe. C’était à l’époque de MTV où j’ai vu la vidéo de « Love Like Blood » et je me suis senti amoureux de ce groupe à cause de son son unique et de la puissance qu’il a. « Millenium » est un de mes autres morceaux préférés de Killing Joke. Quant au morceau « Fragile Aeon », c’est une relique du passé en quelque sorte. Nous avons écrit cette chanson plusieurs années auparavant, ça doit être en 2011. À cette époque, on avait un tout autre line-up et donc cette chanson vient du guitariste Wolfgang Rothbauer qui avait rejoint le groupe à cette époque. C’était prévu en chanson bonus pour l’album de l’époque. Mais il ne s’agit pas ici de faire du remplissage pour autant, car cette chanson a sa propre affiliation et s’inscrit pleinement pour faire partie de Killing Karma !
« Millenium », un classique de Killing Joke, a fait l’objet de plusieurs reprises par d’autres artistes avant vous, surtout des artistes metal. Connais-tu sa version réalisée par Fear Factory sur leur album Transgression (2005) ? Si oui, qu’en as-tu pensé ?
Je n’aime pas la version de Fear Factory ! Il me semble qu’ils n’ont pas eu assez de temps pour la faire correctement et ça a été fait à la va-vite en studio. Pour moi, cela ressemble à une production précipitée. Je ne ressens pas la passion ni l’amour derrière tout cela. Je l’ai entendu avant les enregistrements de notre version de cette chanson, et je savais que nous pouvions faire mieux. Maintenant à vous de décider par vous-même laquelle vous préférez !
Avant de conclure, quels sont vos projets maintenant en 2024 pour ce onzième album studio ? Une tournée de prévue dans le futur et des concerts un peu partout plus généralement ? Pouvons-nous espérer vous voir bientôt en concert en France ? Des festivals d’été peut-être ? (Hellfest, Motocultor, Sylak…)
Après la sortie de Killing Karma le 26/04/24 via Listenable Records, nous donnerons un concert spécial pour sa sortie le week-end qui s’en suit, puis des concerts jusqu’à ce que les festivals d’été arrivent. Puis nous avons une pause jusqu’en août, où nous jouerons à quelques festivals. En automne, nous essaierons d’organiser une tournée européenne là où c’est possible, la France incluse. J’espère donc que vous aurez la chance de voir Disbelief en concert dans votre pays cette année. Cela fait longtemps que Disbelief n’a pas eu l’opportunité de jouer en live en France. En fait, il y a toujours eu une très bonne connexion entre Disbelief et le public français dans le passé. Alors j’espère vraiment que nous pouvons refaire ça, on veut vraiment vous impressionner et vous botter le cul !
Et finalement quelles sont les nouveautés pour toi, Jagger, en tant que chanteur aussi de Morgoth ? Quels sont les nouveaux projets avec Morgoth ? Un tout nouvel album studio, peut-être ? Morgoth s’est-il définitivement éteint en 2020, pourquoi ?
Morgoth appartient à l’histoire ! Ce fut une expérience formidable pour moi de faire partie de ce groupe lors du dernier chapitre de leur carrière. Mais à la fin, il n’y avait plus d’inspiration pour travailler sur du nouveau matériel. Pour un prochain album ou autres choses, et pour diverses raisons, il est impossible de rester sur Morgoth ! Merci Fred pour les questions passionnantes et le soutien infaillible de Metal Obs. Merci à tous les lecteurs français, et je vous souhaite le meilleur à tous !
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