Dom Martin est l’étoile montante de la scène blues rock nord-irlandaise. Par sa capacité à capturer l’essence du blues tout en apportant une touche moderne, il a gagné une certaine notoriété. Son dernier album studio Buried In The Hail (Forty Below Records) a d’ailleurs reçu des éloges des spécialistes pour son authenticité et sa profondeur émotionnelle. À travers cet article, nous explorerons l’histoire de ce jeune guitariste, sa relation avec son père, ses influences musicales et son parcours marqué par des défis personnels. [Entretien réalisé avec Dom Martin (guitare/chant) par Philippe Saintes – Photos : Philippe Saintes]
La quête de l’attention paternelle
Préparant son matériel avant le concert qu’il doit donner ce soir-là au Spirit of 66, petite salle de concert en Belgique, Dom Martin nous gratifie d’une cordiale poignée de mains tout en lançant poliment le fameux « nice to meet you » avec cet accent irlandais. Le guitariste-chanteur nous invite ensuite à l’accompagner dans sa loge. L’homme âgé de 33 ans a un regard mélancolique et un sourire bienveillant. Les Irlandais sont les personnes les plus sympathiques, dit-on souvent… Je constate une nouvelle fois que ce n’est pas une légende (cf. notre récente interview de Pat McManus). Le contact passe bien durant l’interview qui débute avec une première question sur les origines de sa passion pour la guitare.
« Mon père avait toujours une guitare à la main. C’était son échappatoire. Et j’ai réalisé très jeune que ma seule façon de me rapprocher de lui était de m’intéresser à cet instrument. C’était une façon de l’atteindre. Alors je le suivais partout et il me montrait quelques accords en me donnant des conseils, et j’essayais simplement de jouer avec lui. Il aimait faire de la musique dans la rue, tu sais, pour quelques pintes. Il jouait dans les bars et les clubs mais aussi sur les marchés ou des endroits insolites. Il a été mon premier professeur. Il m’a emmené à un concert quand j’avais dix ans, c’était la seule fois où nous avons eu un billet. Il m’a emmené voir Ralph McTell au Waterfront à Belfast. C’était en 2000. C’est à cette période que j’ai réalisé à quel point mon père était doué car il pouvait interpréter les chansons de McTell avec un supplément d’âme. Il était bien meilleur que l’original », raconte avec émotion Dom.
La musique est son seul univers, son unique raison de vivre. Le blues n’est pas un long fleuve tranquille mais il l’accepte. « J’ai réalisé que j’avais perdu tout intérêt pour le reste. Je ne m’intéressais plus à l’école. Je n’avais aucune envie de devenir docteur ou avocat. Même le sport et le football se sont effacés au profit de la guitare. C’est devenu pour moi une évidence. La musique m’a permis de donner un sens à ma vie. »
Lorsque l’on évoque son style, cet adepte du fingerpicking et de la slide esquisse un sourire avant de répondre : « Mon manque de style, tu veux dire ! (rires) C’est une très bonne question. Je me la pose souvent. Je ne suis pas vraiment sûr de ce que c’est. Je suppose que c’est définitivement une musique imprégnée de blues. J’ai grandi avec tant d’influences différentes grâce à mon père. Il adorait Django Reinhardt et Rory Gallagher mais aussi Led Zeppelin, Pink Floyd, Bob Dylan ou John Prine. Il avait une connaissance si diversifiée de la musique et il jouait toutes ces chansons. Grâce à lui, j’ai développé une sorte de mentalité de touche-à-tout. C’est un cocktail musical de tous les genres. Je n’ai aucune idée de ce que c’est, mais c’est définitivement imprégné de blues, plus axé sur le rock et le country blues que sur autre chose. Il y a aussi le jeu de la guitare acoustique qui est devenu une marque de fabrique. Ce n’est pas tout à fait expérimental, mais ce n’est pas standard non plus. »
En studio, en répétition, sur scène, Dom Martin laisse éclater d’extraordinaires moments de beauté. Des instants magiques qui ne peuvent être restitués sur commande. Son timbre de voix est également atypique. On trouve une certaine forme d’agressivité dans certaines de ses interprétations. « Parfois, oui. Ça dépend de mon énergie », admet-il. « J’ai suivi des cours de chant avec un super gars en Irlande, Cormac Neeson, le chanteur de The Answer. Il fait aussi du coaching vocal. J’ai pris quelques leçons avec lui et il m’a montré des techniques et des astuces pour mieux maîtriser ma voix. Je travaille pour devenir un meilleur chanteur, pour tous ceux qui veulent bien m’écouter. Je ne veux pas rester coincé dans une routine. Je veux continuer à évoluer musicalement et maintenir cette force vocale le plus longtemps possible. Grâce à l’aide de Cormac, les voix s’améliorent progressivement sur album et sur scène, j’en suis conscient. »
L’Influence de Rory Gallagher
Parmi les nombreuses influences musicales du jeune guitariste, Rory Gallagher occupe une place spéciale. Notre interlocuteur se rappelle de la cassette contenant des enregistrements de Rory, que son père lui avait donnée. « Il m’a offert cette K7 audio quand j’avais environ cinq ou six ans. Il y avait Rory Gallagher Live in Europe en face A et Blueprint en face B. Cette cassette est devenue une source constante d’inspiration pour moi. Je l’ai écoutée quotidiennement jusqu’à ce qu’elle s’use complètement. Je l’ai encore, mais elle ne fonctionne plus. Je la garde juste comme un trophée. Alors oui, une grande partie de mon enfance a été baignée par les chansons de Rory. Je les écoute encore aujourd’hui. « Messin’ With the Kid » est la plage d’ouverture du Live In Europe. Je me souviens encore de la première fois que j’ai entendu ce titre, c’était il y a presque trente ans, tu sais, et je m’en souviens encore très bien, mais j’écoute encore « Messin’ With the Kid » tous les jours. La puissance de ce morceau a influencé non seulement mon style musical mais aussi ma philosophie de vie. »
Rory Gallagher est une légende incontournable dont la virtuosité et l’énergie scénique ont marqué des générations. Dom refuse la comparaison, préférant tracer sa propre voie tout en respectant les racines du blues rock. « C’est arrivé au point où les gens ne venaient aux concerts que pour m’entendre jouer des chansons de Rory mais je n’ai jamais voulu être une copie ou une imitation. Les gens disent toujours : « Oh, c’est le nouveau Rory Gallagher ». Non, je ne le suis pas. Il n’y a qu’un seul Rory. De nombreux artistes reprennent sa musique. Je ne veux pas de ce statut, je ne veux pas porter ça. Si on me compare à lui, tant mieux mais ce n’est pas une finalité. Je suis juste heureux de jouer la musique que j’aime. J’interprète principalement mes propres chansons même s’il y a toujours une compo de Rory dans la setlist. Je lui dois bien ça. J’ai toujours dit que je le ferais pour lui. Et j’ai tenu cette promesse car il a été un rassembleur pour tous les Irlandais. Dans les périodes sanglantes des années ’70, peu d’artistes se produisaient à Belfast mais Rory, sensibilisé par les évènements, venait chaque année autour de Noël, peu importe ce qui se passait, peu importe les bombes qui explosaient ou la répression. Il s’en fichait parce que pour lui, il n’y avait pas de frontières dans la musique. Les deux communautés (protestante et catholique) se sont rencontrées, se sont côtoyées à ses concerts. À sa manière, il a contribué au processus de paix en Irlande. »
La musique comme thérapie
Pour l’artiste irlandais, la musique est plus qu’une carrière, c’est une thérapie. « C’est effectivement une force thérapeutique. Je pense que c’était aussi le cas pour Rory. Il a pris une certaine direction et refusé d’abdiquer face à la mode. Il a gardé une approche spontanée et authentique jusqu’au bout. Il détestait le statut de superstar du showbiz. Cette même conviction a guidé mon parcours face aux difficultés financières et aux aléas de la vie de musicien itinérant. »
Malgré son amour pour la guitare, le chemin de Dom n’a pas été sans obstacles. Il parle ouvertement de ses luttes personnelles, notamment avec l’alcool et les drogues. « J’ai perdu mon père suite à l’alcoolisme. J’ai moi aussi une personnalité addictive. Toutefois, je n’ai plus que deux vices dans ma vie, la nicotine et la caféine. Dans les moments les plus sombres de mon existence, je faisais passer les substances hasardeuses en premier, même avant la musique. Mon amour pour cet art a finalement pris le dessus. Je pense même que je serais mort sans cela. Honnêtement, si je n’avais pas abandonné les drogues et l’alcool, je me serais éteint il y a longtemps. Pour la première fois de ma vie, je suis heureux et j’essaie de tirer le meilleur parti de ça. C’est primordial de se sentir bien et de pouvoir partager des choses positives avec les gens. »
Des paroles sincères de la part d’un musicien qui reste hermétique au tourbillon artificiel du show business. Le regard qu’il porte sur le monde l’a mené à écrire ses propres textes inspirés de ses expériences, de ses passions, mais aussi de ses angoisses. « La plupart des chansons viennent effectivement de mon expérience personnelle. Certaines s’inspirent d’anecdotes et de faits survenus durant mon existence. C’est vraiment du vécu. Sans cela, je n’aurais pas de répertoire car je ne peux pas inventer des histoires. Je n’ai pas assez d’imagination pour ça. »
Plus rien ne le fera dévier de la route qu’il s’est tracée. Jouer en live est une partie essentielle de l’identité de Dom qui souligne l’importance de se produire en direct et de partager sa musique avec le public. « Rien de ce que je fais n’est planifié, rien n’est figé. Je ne sais jamais exactement ce que je vais jouer et comment je vais le jouer. Je n’ai vraiment aucune idée de ce qui va sortir. » Cette approche directe et sincère reflète sa détermination à monter sur scène, une force qu’il a héritée de son père spirituel : Rory Gallagher.
L’Irlande, terre de légendes
L’Irlande du Nord, terre de paysages envoûtants et de riches traditions culturelles, a également donné naissance à certains des plus grands noms de la guitare. De Gary Moore à Simon McBride (Deep Purple) en passant par Herbie Armstrong (Van Morrison), Henry McCullough (Wings), Eric Bell (Thin Lizzy), Pat McManus (Mama’s Boys), Vivian Campbell (Def Leppard), ou Paul Mahon (The Answer). Dom Martin, le plus jeune de cette lignée, continue de porter le flambeau de la guitare nord-irlandaise. « Il y a beaucoup de grands guitaristes de blues ici. Le regretté Gary Moore, bien sûr, mais il y a aussi Eric Bell qui est toujours là. J’apprécie beaucoup le parcours de Simon McBride. Il a connu pas mal de galères au cours de sa carrière, mais aujourd’hui, il tourne dans le monde entier avec Deep Purple. Je n’ai jamais rencontré Simon, mais je suis fier de lui. C’est un exemple. Tous ceux que tu as cités possèdent une réelle maîtrise, une technique sans faille, mais je ne pense pas qu’il y ait de la concurrence ou de mauvais sentiments envers qui que ce soit. C’est plus une question de respect et d’influences. »
Dom vit le blues. Il en est imprégné, il en possède l’esprit. Bien qu’il assume pleinement ses racines, notre artiste se sent marginalisé chez lui : « Je n’ai jamais été intégré à la scène musicale en Irlande du Nord. Pour te dire, je me suis rendu à Moscou il y a quelques années juste pour pouvoir payer mon loyer. Aussi incroyable que cela puisse paraître, je n’ai pas réussi à me produire à Belfast pendant de nombreuses années. Maintenant, je joue là-bas une ou deux fois par an, ce qui est plutôt agréable. J’ai notamment été invité par les organisateurs du festival de blues organisé fin juin là-bas. Cette musique pas forcément grand public, séduit un public plutôt âgé. La majorité des jeunes ne l’écoute pas en Irlande du Nord. Ils sont plutôt branchés rock et rap. Pour être honnête, je suis rarement sorti à Belfast. Donc je n’ai pas une vision objective de la vie nocturne là-bas. Tout ce que je peux dire, c’est que les concerts que j’ai faits ont essentiellement attiré de vieux connaisseurs et quelques curieux. »
Lorsqu’on lui demande combien de spectacles il réalise par an, la réponse témoigne d’une situation complexe : « L’année dernière, nous avons fait plus de 130 concerts. Donc, oui, pas tant que ça si on y pense. C’est environ la moitié de l’année, quelque chose comme ça. Ce n’est pas autant que je voudrais. Honnêtement, je ne gagne pas beaucoup d’argent en tant que musicien de blues. »
Selon plusieurs études, un artiste sur Spotify gagne en moyenne entre 0,003 et 0,005 dollars par écoute, une somme dérisoire. Les mutations du marché imposent aux artistes de se réinventer continuellement et de trouver de nouvelles façons de rentabiliser leur talent. Dom Martin ne veut toutefois pas se montrer fataliste : « Je ne peux pas vivre de la musique ni en tirer un revenu car je n’intéresse que quelques passionnés. Ce serait trop facile d’être négatif à ce sujet ou de me sentir frustré parce qu’il n’y a plus d’argent dans ce business et qu’il n’existe plus d’intérêt pour la production discographique. Mais encore une fois, revenons à Rory qui jouait avec le cœur et les tripes. Le public veut juste voir ça. »
Martin mesure l’abîme qui le sépare du succès. Il a connu des désillusions et subi des déceptions, mais il est résolu et déterminé à réussir sans compromettre sa musique. Il doit pour cela travailler sans relâche, apprendre, persévérer, progresser, repousser ses propres limites… En tournée, il est entouré de musiciens fidèles avec qui il partage une profonde complicité : « Ben Graham joue de la basse. Il vient de Portrush, dans le comté d’Antrim, en Irlande du Nord. Et nous avons Aaron McLaughlin à la batterie. Il est originaire de Greencastle, sur la côte nord du comté de Donegal. C’est un bon gars. Ce sont tous les deux de très bons gars et ils contribuent à la cohésion du groupe. Le line-up actuel tourne depuis environ un an. J’espère continuer à jouer avec ces musiciens pendant très longtemps, mais c’est à eux de décider. »
Un quatrième album en préparation
Malade, Dom Martin a tenu tout de même à assurer son concert au Spirit of 66 à Verviers, en Belgique en mai dernier (et cet entretien). Pour lui, il était impensable de ne pas monter sur scène et offrir le meilleur spectacle possible à ses fans. « Il aurait été facile de dire : Non, je ne peux pas jouer ce soir, désolé. Mais je ne suis pas ce genre de personne. Je ne peux pas faire ça. Je ne pourrais pas laisser tomber les gens. Je suis content que les gens assistent à mes concerts, même s’il n’y a que 40 individus dans la salle. C’est juste une question de respect. »
En dehors de la scène, Dom consacre beaucoup de temps à composer de nouvelles chansons. « Je suis au stade de l’écriture du prochain disque en ce moment. J’ai juste besoin d’un peu de temps et d’espace pour tout assembler. Le matériel est là, j’essaie juste de trouver des chansons taillées pour la scène afin de les jouer tous les soirs en tournée et renouveler mon répertoire. Il y a certaines chansons dont je suis vraiment fatigué. Pas qu’elles soient mauvaises, c’est juste qu’après les avoir jouées si longtemps, elles deviennent un peu fades à mon goût. Je pense à « Maxwell Shuffle ». J’aime remodeler mes chansons, les remanier d’une manière plus brute sur scène. J’adore les trucs acoustiques comme « The Fall » dont tu entendras une version très différente ce soir. « Buried In The Hail », le titre éponyme du dernier album, est joué de façon moins sophistiquée : c’est juste trois mecs dans une salle qui font de la musique. Je veux me sentir plus libre, m’amuser et jouer en concert des chansons rapides et garder les morceaux plus calmes pour moi. Je compte écrire davantage des morceaux comme « Unhinged » ou « 12 Gauge » qui sont de véritables hymnes, des titres taillés pour les salles de concert. »
Le voyage musical du sympathique Dom Martin est une histoire d’héritage, de passion et de résilience. Malgré les défis personnels, il continue de jouer avec son cœur, inspiré par la légende Rory Gallagher, mais aussi tout simplement par son paternel, Sa capacité à narrer de vrais récits à travers ses chansons et son énergie positive font de lui un artiste attachant.
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