DROTT : Troll

Troll - DROTT
DROTT
Troll
Rock progressif/Metal avant-gardiste
By Norse Music

Deux ans après vous avoir présenté en septembre 2021 leur premier opus Orcus (lire notre chronique ici en page 50) basé sur la descente aux enfers de son passager, le mystérieux trio norvégien continue d’explorer sans aucune limite, ni appréhension envers les réactions du public, les méandres du rock progressif dans son spectre le plus large, mais aussi le plus sombre. Pour rappel dans le line-up de Drott, figurent des artistes bien connus appartenant à la scène black metal de Bergen, à savoir l’excellent guitariste Arve Isdal (Enslaved, ex-I, également actuel bassiste/guitariste de session d’Immortal, mais aussi Audrey Horne pour du hard rock de très bonne facture, etc.) et le batteur Ivar Thormodsæter (Ulver). Les présentations étant faites, bas les masques maintenant, et plongeons-nous dans Troll, un second disque moins instrumental (deux illustres chanteurs(euses) se partagent les voix et pas des moindres : Gaahl (Gaahls Whyrd, ex-Gorgoroth, ex-Wardruna), Lindy Faye Hella (Wardruna), auxquels il convient d’ajouter Herband Larsen (ex-Enslaved)), mais tout aussi expérimental et singulier, aux orchestrations savamment arrangées, et à l’ambiance délicieusement inquiétante… Le préambule « Troldhaug » pose doucement mais sûrement cette atmosphère justement grâce à des orchestrations naturelles superbement mises en son (aucun sample ici, chaque instrument est réellement jouée) à la croisée du rock progressif, du jazz d’avant-garde, de la musique classique, et celle aussi électronique/ambiante contemporaine, à la limite d’une bande-originale de film d’angoisse… Cela s’enchaîne en toute fluidité (« Allting ») alors que l’auditeur plonge dans une certaine torpeur, ne distinguant plus le réel de l’imaginaire. Les mélodies presque hypnotiques, puis la voix de Gaahl, ou plutôt des murmures, prennent place sur « Våkenatt » après ces deux premières plages instrumentales. Un petit solo de guitare presque arabisant, simple mais doux à l’oreille, probablement inspiré à Arve Isdal par Pink Floyd, berce un peu plus nos sens alors que la nuit tombe et nous sommes toujours à moitié éveillés… (« Våkenatt » signifiant en norvégien « la nuit éveillée »). « Til Stein » nous happe par son riff monotone de guitare et son violoncelle discret et froid, sous fond de bruits étranges. A la batterie, Ivar Thormodsæter (Ulver) et son jeu jazzy nous accompagnent avec minutie. La nuit tombe…

« Det Ser » et son clip plus moderne détonne quelque peu, et telle une danse nocturne ou un défilé, nos trois protagonistes scandinaves nous emmènent un peu plus dans leur univers si étrange, entraînant, mais toujours inquiétant, musicalement à la croisée de King Crimson et les derniers Ulver, entre prog’ et électro. On assiste presque à une séance de relaxation façon « musique d’ambiance » chez votre dentiste sur « Solskodde ». Sur « Mara », un bruit de remous se fait entendre et d’étranges sonorités, comme un vieux carillon désaccordée, nous font sortir de notre torpeur. Tel un marin, l’auditeur navigue alors dans un épais brouillard le long des fjords, le long des côtes norvégiennes, où l’eau et la terre ne font plus qu’un au pied d’une montagne. On croirait ensuite assister à un défilé balourd de trolls sur la chanson-titre de l’album. Avec son rythme lancinant et maladroit, presque comique, un violoncelle et un riff de guitare presque partiel nous fait peu à peu comprendre qu’un troll peut à la fois être marrant mais aussi cruel et brutal. Mieux vaut ne pas traîner là car les choses peuvent vite mal tourner et nous ne voulons pas devenir le repas de ses géants… « Nattas Blot » avec sa guitare heavy et le chant presque black de Gaahl nous emmènent jusqu’au lendemain et nous fait sentir bel et bien vivant. Mais le point d’orgue de Troll réside probablement dans « Sabbat », superbe morceau varié, passant d’une intro lourde et inquiétante parfaitement enchaînée avec « Nattas Blot », à des incantations de plus en plus oppressantes sur fond de claviers, avant d’évoluer sur une guitare heavy et des synthés typés années 80, rappelant Genesis et sa meilleure période avec Peter Gabriel, donnant un côté dansant à la chose. Et c’est la charmante sorcière Lindy Fay Hella (Wardruna) qui aboutit au climax de cette chanson, avec son chant haut perché et véritablement habité comme d’habitude, l’artiste norvégienne ne faisant jamais les choses à moitié. Le violoncelle et de jolis arrangements nous donnent des frissons jusqu’au bout.

Sur des airs de musique classique mais également folklorique, « Fornjots Born » puis « Grotten » nous ramènent dans les profondeurs de la terre après ce long voyage aux nombreux dangers. Les trolls rentrant chez eux dans leur caverne (« Grotten » rappelle légèrement un ancien titre d’Enslaved, l’outro « Suttungs mjød / Perkulator » de l’album Blodhemn avec son air de guitare au son clair). Enfin, c’est sur une belle, mais presque trop courte, touche folk totalement assumée sur l’ultime « Natt » que s’achève, là encore de façon surprenante, Troll et que la nuit profonde s’installe. On peut y voir là « pourquoi pas un signe d’évolution artistique pour un prochain album studio », nous ont répondu Matias Monsen et Arve Isdal quand on leur a posé la question en interview, tout en restant énigmatiques… Mais pour l’heure, nos trois trublions de Drott ont bien l’intention de donner quelques shows pour promouvoir live ce second voyage sonore dépaysant et inédit qui plaira aux fans d’Enslaved, Ulver, Pink Floyd, King Crimson, et les esprits les plus ouverts emprunts au métissage musical. [Seigneur Fred]


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