IMMORTAL : En guerre et contre tous

Tout ne s’est pas vraiment passé comme prévu après la publication de Northern Chaos Gods en 2018. Une pandémie a stoppé tout projet scénique (déjà rare) d’Immortal alors que son leader Demonaz ne souffre plus de son bras gauche depuis des années pour jouer de la guitare, et de surcroît, le batteur Horgh s’est fait la malle entre-temps (idem chez Hypocrisy) ! Mais il en faut bien plus à notre vieil ami norvégien pour abandonner Immortal, qui repart en guerre de plus belle avec War Against All. [Entretien avec Harald Nævdal alias « Demonaz » (guitare/paroles/chant) par Seigneur Fred – Photos : DR]


Comment vas-tu mon ami depuis notre dernière interview, c’était lors de la sortie de Northern Chaos Gods ? Tu sembles très occupé dernièrement et difficilement joignable, et d’un autre côté, je présume que c’est plutôt positif pour toi tout ça… (sourires)
Très bien, je te remercie. En effet, là j’ai pas mal de choses à régler à mon travail. Mais je suis content et excité avec ce nouvel album d’Immortal qui arrive. Les choses reprennent. Du coup, oui, je suis très occupé par la promotion à côté. Et depuis que j’ai quitté Bergen, voilà maintenant quelques années déjà, je me plais où je suis, entouré de montagnes, c’est un site magnifique. Je rentre tout juste de balade de plusieurs jours justement. Cela se situe à environ trois heures de route au sud-est de Bergen. Viens me voir quand tu viens en vacances en Norvège la prochaine fois ! (rires)

Et ton bras qui t’avait contraint d’arrêter de jouer de la guitare avec Immortal en 1997 (demeurant alors dans l’ombre en tant que parolier et manager), t’handicape-t’il encore ? Est-ce toi d’ailleurs qui a assuré toutes les parties de guitares sur War Against All ?
Aucun problème à ce niveau-là, depuis un bail. Mon bras gauche va bien, merci. Et oui, je joue toutes les guitares, sauf la basse interprétée par Arve Isdal (Enslaved, Audrey Horne, Drott…).

Pour le précédent album justement, on ne peut pas dire que le plan se soit déroulé sans accroc à vrai dire. Tu avais des projets de concerts, pas de grosses tournées mais quand même, tu voulais donner de bons shows ici ou là, quitte à te focaliser que sur le chant en live. As-tu pu te produire finalement avec Immortal et défendre Northern Chaos Gods qui a reçu un bon accueil en 2018 ?
Malheureusement non. Il y a eu de problèmes internes au moment des répétitions, et puis la pandémie est survenue… Beaucoup de temps s’est passé sans rien, sans activité, puis les concerts ont été annulés, reprogrammés, et c’est devenu impossible. En fait, après ça, j’ai dû réorganiser le groupe, trouver de nouveaux membres, et on a enregistré le nouvel album qui est prêt depuis longtemps à vrai dire.

Mais avec la pandémie, par la force des choses, tu es resté chez toi isolé, et t’es remis à composer et écrire ces huit nouvelles chansons qui figurent sur War Against All, un mal pour un bien en quelque sorte ?
Oui, j’ai écrit et composé les nouveaux morceaux en me focalisant sur le nouvel album., enfin comme je fais habituellement à vrai dire. Comme je t’ai dit aussi, entre-temps, j’ai déménagé de Bergen, en trouvant la maison de mes rêves à l’endroit idéal, entouré de fjords, et quand je regarde derrière chez moi, je vois les sommets des glaciers, il y a encore un peu de neige, c’est fantastique. Cela m’a inspiré. Mais en fait, l’album aurait dû sortir l’an dernier, mais avec toutes les sorties d’albums qui sont arrivés, et les délais de pressage pour les vinyles, on a reporté avec le label.

Quelle était ton humeur durant la conception de War Against All car le titre est plutôt belliqueux et très explicite ?
Bonne question… (rires un peu gênés) Quand j’écris, je vois toujours ça comme des chansons de combat, en fait. Typiquement, quand j’ai écrit la première chanson de l’album « War Against All » qui a donné le titre à l’album, c’est elle qui ouvre et j’ai trouvé que ça correspondait parfaitement. Après, en deuxième temps, j’ai composé et écrit « Return To Cold » et je me suis dit que ça serait bien aussi comme titre d’album pour Immortal, puis finalement non, j’ai préféré cette chanson guerrière, très directe « War Against All ». C’est un hymne de guerre en quelque sorte. Mais tout cela ne vise personne en particulier, Immortal n’a jamais visé de groupes politiques ou religieux, ou véhiculé de messages dans ce sens. Cet univers nous est propre, et les fans comprendront. C’est comme d’habitude en fait. Et mon humeur était donc alors assez similaire aux autres albums.

Contre qui es-tu en guerre précisément ? Contre le monde entier ? Ton batteur Horgh qui est parti ? Abbath ?
Moi et Blashyrkh… !! (rires) Non, comme je te disais, il n’y a personne dans la cible ou le collimateur en particulier, ni aucun ancien membre ici, je t’assure. La première chanson, « War Against All », c’est un peu comme nos précédentes chansons que l’on a pu écrire dans le passé et qui ouvraient chacun des albums d’Immortal : « One By One », « Battles In The North », « All Shall Fall », etc. Tu sais, du genre « Kill’Em All ! ». (rires) Je suis un grand fan des anciennes musiques, donc c’est comme un départ pour un nouveau périple, vers un nouveau voyage vers l’enfer, comme les albums To Megatherion de Celtic Frost, Beyond The Gates de Possessed, Reign In Blood de Slayer, etc.

Sans trop sombrer dans la nostalgie, je constate que cette notion d’album justement, et d’œuvre plus globalement, a tendance à se perdre auprès des nouvelles générations qui zappent et écoutent juste quelques chansons ici et là, aiment ou pas, et vont ensuite à des concerts et festivals, mais ne raisonnent plus en termes d’album… Qu’en penses-tu ?
Je suis plutôt d’accord avec toi, en effet. Personnellement, je raisonne toujours en tant que fan, à vrai dire, et ce, quelle que soit mon humeur… C’est ce que j’ai envie d’entendre quand j’écoute de la vieille musique sur vinyle, et il en va de même pour un nouvel album d’Immortal. Si je vais sur Spotify ou ce genre de trucs, c’est pour trouver rapidement un artiste que j’ai envie d’écouter et dont je n’ai pas le disque. Mais sinon, en général, j’aime et veux écouter un album et prendre le temps de l’écouter, tout comme tu apprécierais un bon whisky. Il y a ici comme un échappatoire. C’est ce que j’ai envie d’écouter, donc je fais pareil pour écrire un nouveau disque d’Immortal. Mais tu sais, c’est aussi pour ça que j’ai quitté la ville et Bergen pour venir m’installer ici, en pleine nature, loin de ce rythme de vie…

Seulement huit morceaux figurent sur ce dixième album studio War Against All, comme à l’accoutumée, tu vas me dire. Mais pourquoi ? Tu préfères en mettre moins, pas de remplissage, et as toujours privilégié la qualité à la quantité, c’est ça ? En tout cas, c’est du foutu Immortal pur jus ! (rires)
Tout à fait. (rires) Merci. Oui, il n’y a que huit morceaux, je pense que c’est bien et ça suffit, comme habituellement, sinon ça perd de son impact.

Il y a notamment un interlude, ou plutôt un titre instrumental nommé « Nordlandihr » en sixième position. Comment t’est venu l’idée de ce morceau assez inédit dans le répertoire d’Immortal ?
Tout d’abord, quand j’avais écrit cette chanson, il y a au départ du chant avec. Par la suite, j’ai réalisé que non, en fait il n’en fallait pas. Plus je la jouais, plus je me disais : « non » car je jugeais que ce n’était pas nécessaire. En l’écoutant sur mon casque de mon téléphone, à l’air libre, en montagne, je trouvais que la musique était suffisante. Et donc j’ai décidé d’en faire un titre simple, sans paroles, mais avec une certaine énergie, tu vois. Je ne voulais pas d’une chanson rapide, avec plein de solo partout à la guitare, non. Je voulais que ce soit simple, assez primitif, avec une atmosphère sobre que tu découvres au fur et à mesure. Il faut l’écouter à de nombreuses reprises pour en comprendre le sens.

On peut y trouver des influences heavy metal des années 80 dans ton approche à la guitare sur ce titre « Nordlandihr »…
Oui, en effet, il y en a beaucoup. Pas mal d’éléments d’influences heavy, mais aussi thrash metal des années 80…

Étrangement, cet instrumental ne figure pas en outro à la fin de l’album, non, mais à la sixième place donc. Pour conclure, tu as préféré mettre ensuite la chanson tout simplement intitulée « Immortal », puis conclure le disque par « Blashyrkh My Throne », en clin d’œil bien sûr à l’original de 1995 : « Blashyrkh (Mighty Ravendark) ». Peux-tu revenir sur ce royaume imaginaire créé par Immortal dès votre album Battles In The North ? A-t’il été inspiré à l’origine par un lieu-dit près de Bergen, une colline faite de forêt sur les hauteurs des alentours de Bergen où vous alliez traîné étant jeunes… ?
En fait, « Blashyrkh » n’a jamais été un lieu. Non. « Blashyrkh » est une force qui nous conduit vers les ténèbres froides. Il n’y a pas vraiment de nom, tu sais. En résumé, le froid, et les ténèbres. On s’était basé avec à sa création sur les mots « black » (le noir) et « shirk » qui veut se dérober, quelque chose qui t’emmène et disparaît mystérieusement. On a donc rassemblé ces deux mots. Je voulais en faire une sorte de signature pour Immortal : « Mon nom est Blashyrkh, pour le froid de l’hiver et les ténèbres, tout cela est rassemblé à présent ». Un seul mot pour définir tout ça à notre façon. Ainsi, tous les fans reconnaissent ça d’Immortal grâce à ce mot jamais dévoilé vraiment. Pour l’anecdote, je me souviens une fois que des fans en provenance de Suisse avaient été pris une fois dans une tempête de neige en venant ici en Norvège, et avaient dit un truc du genre : « Oh, ma parole, c’est vraiment Blashyrkh ici ! » (rires). Donc si tu as aperçois de chez toi une montagne et que le temps est neigeux, tempétueux, et sombre, alors tu peux dire ça et utiliser ce mot « Blashyrkh » avec ce sentiment qui va avec.

En fin de compte, tu as créé ce nouveau mot, « Blashyrkh » devenant une référence dans le concept d’Immortal depuis au moins 1995. Et on retrouve ce clin d’œil ici à travers cette nouvelle chanson à la fin de l’album, « Blashyrkh My Throne »…
Oui, en quelque sorte, et quand je dis dans le texte de cette chanson : « Blashyrkh My Throne », je veux dire que le froid et les ténèbres que j’évoque sont là, de nouveau réunis, sur mon trône. C’est ce que je vois, je ressens, et je peux les suivre ou les combattre. Les fans reconnaîtront facilement cette trademark d’Immortal. (sourires)

Il y a aussi une chanson simplement nommée « Immortal » sur ce nouvel album. Pourquoi avoir attendu dix albums pour composer cette chanson avec comme titre le nom du groupe ?
A vrai dire, j’en avais l’idée depuis très longtemps, et des paroles aussi. Ça n’a jamais collé ou abouti. Et cette fois-ci, ça correspondait bien. Les riffs sont assez anciens, classiques, avec des influences thrashy techniquement. En fait, j’aime beaucoup cette chanson. Elle est assez variée, il y a différents riffs dont celui en ouverture, il se passe pas mal de choses. C’est du pur Immortal, tout simplement, comme la chanson-titre en ouverture « War Against All ». (Ndlr : il se met à chantonner avec rythme).

Revenons sur le départ de ton célèbre batteur, si tu veux bien… Alors pourquoi Horgh a-t’il quitté Immortal en 2020 ? À noter qu’entre-temps, il a aussi quitté Hypocrisy l’an dernier dans lequel il jouait…
A cause de désaccords entre nous deux, tout simplement. On n’arrivait pas à se mettre d’accord sur les choses. Selon moi, c’est mieux ainsi d’avoir un nouveau batteur. Mon batteur de session, Kevin Kvåle (Gaahls Wyrd) est très bon dans ce qu’il fait, il est jeune en plus. De toute façon, Horgh n’a rien composé ni joué sur le nouvel album, ni sur Northern Chaos Gods d’ailleurs où il avait juste enregistré la batterie.

C’est ironique car j’avais posé la question à Peter Tägtgren il y a trois ans en lui demandant pourquoi il ne recrutait tout naturellement pas son propre fils qui est jeune batteur, un peu comme Max Cavalera avec son fils Zyon dans Soulfly. Peter m’avait alors répondu : « pourquoi jouer avec un autre batteur alors que j’ai déjà Horgh dans mon groupe, l’un des meilleurs batteurs de metal ? (rires) ». Et aujourd’hui Horgh n’est plus ni dans Hypocrisy, ni dans Immortal… Sinon côté live, y’a-t’il alors des projets de concerts à présent pour Immortal avec tes deux musiciens de session (Arve Isdal (Enslaved, Drott, Audrey Horne, ex-I, etc.) et Kevin Kvåle (Gaahls Wyrd, Svartelder)) car tes fans commencent sérieusement à s’impatienter… ?
Eh bien, si les conditions sont justes et bonnes, oui, mais pour l’heure, non. Actuellement, je suis en train de voir un tour manager et on va en discuter avant l’été. S’il y a des projets dans ce sens, il faudra que je sois libre de mon côté, donc c’est pas évident. Je n’en sais rien pour le moment. Dans tous les cas, je veux bien jouer en concert mais si la musique et le spectacle sont au coeur des choses, mais je ne veux pas répéter le même set chaque soir dans des petits clubs, et jouer juste pour jouer sans plaisir. Cela doit vraiment être génial et unique pour les fans. A défaut sinon, je jouerai tout seul live devant les montagnes…

Enfin, as-tu d’autres projets studio, que ce soit en solo avec Demonaz, pour donner une suite par exemple à ton premier album March Of The Norse paru en 2011, car certaines chansons de War Against All plus heavy/thrash, mid-tempo, avec un feeling à la Bathory, auraient pu figurer sur un album solo, ou bien déjà un autre album en vue pour Immortal peut-être ?
Peut-être, je ne sais pas trop. March Of The Norse était un album spécial en solo, à un moment donné où j’avais envie de faire un album de heavy metal à ma façon. Si je voulais faire un album d’Immortal, ce doit être des chansons guerrières, si c’est plus épique et heavy, à la Bathory période Blood On ice, alors je fais appel déjà à un batteur de heavy metal, comme je l’ai fait avec cet album solo de Demonaz. Mais j’espère que d’ici octobre, un prochain album d’Immortal sera prêt, disons d’ici l’automne prochain. Je ne veux pas encore attendre cinq ans entre War Against All et un prochain album d’Immortal. Si cela n’en tient qu’à moi, j’espère oui, achever le onzième album d’ici la fin de l’année car j’ai déjà pas mal d’idées là-dessus, de riffs, donc j’en enregistre parfois, j’écris, et ce serait parfait si je pouvais sortir ça bientôt. Voilà.

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