ENTHRONED : Black big bang

ES’il ne fallait retenir qu’un seul nom de groupe belge de Black Metal fidèle au Malin et à ce genre musical depuis plus de vingt-cinq ans, ce serait sans aucun doute Enthroned. Figure emblématique et indétrônable de cette scène extrême aujourd’hui malheureusement moins féconde, Enthroned accouche d’un onzième album nommé Cold Black Suns, une nouvelle œuvre mystérieuse des plus noires que nous présente son légendaire leader Nornagest. [Entretien avec Nornagest (chant/guitare) par Seigneur Fred – Photo : DR]

Tu es le membre le plus ancien du groupe étant arrivé en 1994. Malgré les divers évènements parfois tragiques (mort de Cernunnos (R.I.P.) en 1997) et les fréquents changements de line-up, tu n’as jamais connu de démotivation ni baissé les bras durant toutes ces années pour arriver maintenant à ce onzième album ?

Il est vrai que le groupe est passé par de sales moments, mais il n’y a jamais eu de démotivation ou manque de motivation de notre part, du moins pas de ma part. S’il y a quelque chose, ces évènements nous ont plutôt donné de la rage et une force que peu de groupes ont pu connaître. Vivre ces moments difficiles et avoir été confronté à autant d’obstacles a plutôt mis le feu aux poudres que l’effet inverse. Notre volonté et notre détermination sont peut-être les principaux facteurs  qui font que nous sommes toujours là.

En même temps et paradoxalement, il semblerait que vous ayez pris cette fois davantage de temps pour préparer et travailler sur ce nouvel album Cold Black Suns et passer à son enregistrement. Pourquoi un tel délai entre votre précédent méfait Sovereigns paru en 2014 et ce nouveau disque en fait ?

Nous sommes tous passés par des périodes difficiles dans nos vies privées, de nouveaux changements de line-up, nouveau label, etc. Cela a affecté la sortie et le temps de composition de Cold Black Suns. Mais encore une fois, là ou d’autres auraient baissé les bras, nous avons mis toute notre niaque dans le travail de cet album. Je trouve personnellement que ce genre de défi ou challenge est la meilleure source d’inspiration et de motivation qu’il soit. Nous avons néanmoins pris notre temps pour écrire et composer un album dont nous sommes fiers et qui représente à la perfection ce sentiment qui hantait le groupe durant ces cinq dernières années.

Quelques mots justement à propos de l’actuel line-up d’Enthroned car comme tu l’évoquais précédemment, il y a encore des changements de personnel : Norgaath à la basse & chœurs ; Shagàl à tes côtés à la guitare et toujours Neraath (guitare) et Menthor (batterie). Peux-tu nous présenter ces nouveaux membres et ont-ils été impliqués sur ce nouvel album Cold Black Suns ?

Norgaath a rejoint le groupe après le départ de Phorgath, celui-ci ayant des obligations au niveau privé (le Blackout studio et ses autres projets). Norgaath est un ami de longue date et joue également dans Nightbringer avec Menthor, le choix fut donc logique et naturel. Quant à Shagàl, il était notre guitariste de session lorsque ZarZax ne pouvait être présent lors de nos concerts ou tournées en raison de problèmes de santé, donc encore une fois, le choix a été logique. Tous les membres ont participé à la composition et à l’enregistrement de Cold Black Suns. Cependant je n’ai malheureusement pas pu enregistrer mes guitares à cause d’un accident et une main cassée, c’est donc Neraath qui a enregistré mes parties et les siennes sur l’album. Il a fait un très gros travail sur ce onzième opus tant au niveau de l’enregistrement qu’au niveau de la composition.

Pourquoi encore ces fréquents et éternels changements de line-up au sein d’Enthroned ? Comment l’expliques-tu historiquement car à force cela devient une fâcheuse habitude qui ralentit le groupe et ce, depuis vos débuts ? Est-ce un mal nécessaire dans l’évolution d’Enthroned d’une certaine manière ?

Le problème en Belgique est que le gouvernement ne supporte absolument pas ses artistes. Nous sommes un des seuls pays d’Europe où les artistes sont littéralement sanctionnés et pénalisés si nous voulons tourner ou produire des albums. C’est tout simplement incompréhensible… mais bon, soit, certains membres ne pouvaient plus continuer à tourner, faire des concerts etc. Cela avait des répercussions négatives sur leurs vies privées, pertes d’emplois… D’autres n’avaient tout simplement plus la flamme et ont quitté le groupe et la musique en général ou encore dans de rares cas, nous nous sommes séparés de certains membres pour divergences musicales, attitudes, etc. Le cas de ZarZax, notre précédent guitariste est unique vu que son départ était dû à des raisons médicales et aucune des deux parties ne voulait qu’il s’en aille. Cela dit, du sang frais est toujours positif au niveau de la créativité et de l’apport d’idées nouvelles dans un groupe, le résultat parle de lui-même…

ENTHRONED photo promo 2019

Parlons à présent du ce onzième album Cold Black Suns qui est très froid et noir à l’image de son titre. J’ai noté une certaine tendance musicale vers des sonorités dissonantes Dark et Industrielles, avec des rythmes plus lents et martiaux, presque hypnotiques parfois (comme sur « Aghoria » par exemple). S’agit-il de nouvelles influences chez Enthroned ?

Absolument pas. Cold Black Suns est tout simplement un condensé de cette période noire qui a teinté nos vies en 2017/ 2018 et l’arrivée de nouveaux membres. Nous montrons également une facette du groupe que nous n’avons pas montrée jusqu’alors. Comme tout être vivant, une entité a plusieurs facettes avec chacune son caractère, il en va de même pour Enthroned. De plus, nous ne voulions pas refaire un Sovereigns 2, mais exploiter ce nouveau visage et le développer. Par contre, la touche Indus comme tu dis ne nous est jamais venue à l’esprit, même maintenant… Peut-être un des nouveaux titres, « Vapula Omega », oui, là je pourrais comprendre mais le reste de l’album est carrément plus glauque et rituel qu’industriel selon moi… La vitesse quant à elle doit avoir un sens, il y a une raison. On ne veut pas juste en foutre plein la gueule car après, ça devient juste chiant (rires) et cela n’a plus aucun sens logique. On a des morceaux très rapides sur ce nouvel opus mais seulement lorsque le moment ou les paroles s’y prêtent.

Enthroned est le groupe de Black Metal le plus célèbre de Belgique. La France possède à présent tout un tas de nouveaux groupes de Black Metal nés ces dernières années. Et à l’écoute de Cold Black Suns, cela me rappelle quelque peu les récentes expérimentations musicales de Vindsval du groupe français Blut Aus Nord et notamment son récent projet Yerȗšelem plus électronique et Dark. As-tu suivi justement l’évolution artistique de Vindsval ces derniers temps qui aurait pu t’influencer car au final le résultat sur Cold Black Suns est très Dark, froid, avec toujours cette rage Black Metal qui vous est propre bien sûr même si Blut Aus Nord s’exprime différemment dorénavant ?

Pour être honnête, je ne suis pas super familier avec les derniers albums de Blut Aus Nord… Je pense que le dernier album que j’ai écouté était Odinist ou bien Mort… Mais je ne connais pas du tout ses autres projets, donc je ne peux pas répondre décemment à ta question à ce niveau-là. Mais nous évitons toute influence externe en ce qui concerne d’autres groupes de Black, etc. et spécialement les groupes actuels. 

Parle-nous du nouvel artwork en étroite relation avec ce titre d’album Cold Black Suns… Pourrais-tu nous le décrire avec tes propres mots et nous en expliquer le sens car il semble représenter une éclipse de lune ou bien une planète dans notre galaxie avec une forme de vie primitive autour de ce qui pourrait être le chaos… 

L’idée de la pochette part d’un visuel intriguant et qui se veut intemporel. Tout d’abord, les côtés « cold » et « black » nous ont inspiré et amener à faire un artwork plus minimaliste que par le passé et sans logo (quelque part sans référence directe à un groupe de musiciens). Il y a l’unification de cette dimension macroscopique de l’espace avec le microcosme que nous sommes, par exemple au niveau cellulaire, ou ce qui nous compose. Les deux sphères principales sont en opposition, en référence à la matière et son asymétrie envers l’antimatière, dans la construction physique de l’univers observable. C’est l’une des énigmes que la science moderne tente de décrypter : comment la matière a-t’elle réussi à devenir tout ce dont nous pouvons physiquement observer dans l’espace, plutôt que de s’annihiler en énergie résiduelle lors des collisions originelles avec l’antimatière. Le fait d’avoir placé ces deux sphères et leur symbolisme au centre de trois points fait une autre référence à un principe universel. Deux choses qui se ressemblent et le verbe qui exprime leur ressemblance font trois. Le monde physique, le monde spirituel et le monde divin. Le fait d’avoir une référence visuelle au serpent vient aussi, de manière plus lointaine, évoquer la tradition de l’« Ourobouros », qui, dans sa véritable représentation, encercle l’œuf cosmique qui contient la totalité de l’univers. Son apparence squelettique, nous donnes cette balances entre la vie et la mort, le matériel mais aussi l’impalpable.

Cold Black Suns Artwork

Enthroned utilise souvent des titres de chansons ou d’albums en latin depuis ses débuts : par exemple sur le nouvel album figurent les noms des chansons suivantes : « Hosanna Satana », « Oneiros », « Vapula Omega », « Aghoria » (il s’agit de grec par contre ici). Cela m’a toujours interpellé vous qui combattez l’Eglise chrétienne et avez des croyances sataniques. Le latin est tout de même la langue officielle de l’Eglise catholique depuis l’époque romaine et demeure vivante au Vatican. C’est plutôt paradoxal, non ? 

Pas du tout, le latin est très utilisé dans le satanisme traditionnel ou en magie noire par exemple que ce soit pour véhiculer une certaine énergie ou par pure blasphème, d’où la raison pour laquelle nous utilisons cette langue parmi d’autres. La plupart des titres que tu cites du nouvel album ne sont en fait pas en latin, par exemple « Oneiros » c’est du grec ancien, « Vapula Omega » trouve également son étymologie dans le grec mais est une association de mots qui peut très bien être utilisé en anglais, Vapula étant le démon ou seigneur de l’industrie et du labeur et Omega signifiant l’extrême, la fin de… ou encore l’action ultime d’un individu. « Aghoria » vient du Sanskrit signifiant dans les croyances des Aghoris (proche du shivaïsme) l’action d’être dévoué sans peur, de se négliger de tout ce qui est civilisé dans le monde des Hommes ou encore de « Ceux qui ne sont pas Terribles ». Pour nous, c’est une immersion profonde dans le contexte des paroles et du concept lié à celles-ci, tout comme pour un rituel ou une cérémonie ou les détails sonores sont aussi important que le visuel, faisant part entière à l’implication dans une action cérémoniale. Nous employons également de temps en temps, le latin comme forme de blasphème, utilisant les « outils » de la chrétienté contre eux-mêmes. Donc, il n’y a rien de paradoxal là-dedans, bien au contraire…

La dernière chanson, « Son Of Man », sonne différemment en conclusion de l’album. Peut-être dirait-on qu’il y a comme un petit espoir ou bien un rayon de soleil malgré la noirceur générale de Cold Black Suns et ton cri quand tu chantes : « Lucifer ! ». De quoi traitent les paroles ici au juste ? Et y’a-t’il un quelconque lien avec le film d’anticipation Les Fils de l’homme (2006) où jouaient les célèbres acteurs Clive Owen et Michael Cane ?

Il n’y a absolument aucun lien avec ce film ou un truc du genre… La chanson « Son of Man » est une approche anthropologique de l’histoire, de la légende et du mythe de la chute de Lucifer à travers une vision globale de plusieurs cultures mais en un seul morceau. Les similitudes entre les différentes civilisations ou groupes religieux quant à la manière dont le « Porteur de Lumière » a apporté la connaissance à l’Homme sont assez renversantes. J’ai voulu écrire un morceau sur cette histoire assez différent de par son approche tout en restant concis avec les diverses versions que nous retrouvons au travers l’Histoire tout en y incluant notre propre vision.

Nornagest, tu es le membre le plus ancien au sein d’Enthroned étant arrivé un an après la création du groupe en 1995 en tant que guitariste. Et tu conserves en toi cette flamme, cette rage du Black Metal depuis vingt-quatre ans. Sincèrement, quel bilan artistique pourrais-tu dresser sur l’évolution d’Enthroned même si bien sûr ce n’est jamais facile ce genre de choses ? Et plus généralement, comment vois-tu l’avenir de la scène Black Metal à l’ère des nombreux groupes Post Black Metal à la mode alors que les groupes scandinaves dont ce fut la spécialité durant longtemps déclinent et que leurs légendes font de la résistance (Darkthrone, Mayhem, Immortal, Marduk…) ? Comment se situe Enthroned parmi tout ça aujourd’hui selon toi ?

Honnêtement, je ne pense pas que nous puissions dire que le Black Scandinave se meurt lorsque des milliers de gens écoutent toujours les groupes que tu as cités par exemple. Alors cette branche du Black est moins en vogue, d’accord, mais cela ne veut certainement pas dire qu’elle se meurt. Il y a de nouveaux groupes tout aussi bons que les anciens, moins certes en quantité de nos jours, mais il y en a tout de même. Tiens, prends par exemple Ultra Silvam, Mephorash et Murg de Suède, ou encore Whoredom Rife de Norvège, ces groupes sont phénomenaux, plus underground ok, mais la qualité est au rendez-vous. Sinon, je ne juge pas des groupes de Black sur leur approche musicale mais sur leurs intentions et leurs approches. Je n’ai rien contre un groupe de Post Black si le groupe dit et met en pratique ce qu’il prêche et que le concept est lié à une certaine noirceur ou qui a un lien au mysticisme. Pour moi il n’y a aucun problème à mon sens. Je vais prendre comme parfait exemple Amenra qui est le meilleur groupe de Post Black Metal à mon sens. C’est une histoire de débat bien entendu, mais je n’exprime là que ma propre opinion. En ce qui concerne Enthroned, j’ai une vision assez particulière de ce parcours ; je vois chaque album comme une synthèse ou un catalyse d’une certaine période dans l’histoire du groupe. Un condensé de nos émotions, expériences et visions personnelles d’une période donnée durant laquelle nous avons composé la bande son et lyrique de celle-ci. Nos paroles seront toujours liées a l’Occulte en général ou à nos visions relatives à ce sujet. C’est après tout la raison pour laquelle ce groupe fut créé il y a vingt-cinq ans de cela. Le futur est toujours incertain, donc Enthroned progresse au jour le jour au travers des années et nous ne nous soucions que du présent et au pire du futur proche, sans nous projeter dans un avenir extensif. Nous avons nos projets, etc., mais ce groupe étant une catalyse de nos croyances, expériences et émotions, nous ne pouvons pas vraiment véhiculer quelque chose de non vécu ou d’incertain sinon ce ne serait pas honnête. Je suis fier de ce que nous avons achevé jusqu’à maintenant. Nous avons eu des hauts et des bas, mais je ne me base que sur notre propre expérience et vision du groupe, pas de ce que les gens peuvent penser que ce soit en bien ou en mal. Enthroned est une partie de nous-mêmes. Il évolue et a grandi en même temps que les membres qui le composent.

A quoi peut-on s’attendre sur scène lors de vos prochains concerts en soutien à ce nouvel album Cold Black Suns ? Peut-on espérer vous voir passer chez nous en France en tant que voisin ? Allez-vous partir en tournée cette année et participer également à des festivals d’été en Europe et en Amérique ?

Nous introduirons le nouveau show propre à Cold Black Suns au Throne Fest en Belgique le 8 juin cette année. Pour ce qui est des festivals, nous serons davantage présents l’année prochaine, même si nous participons à quelques-uns cette année. Nous prévoyons une tournée extensive pour la fin de l’année 2019 et début 2020 au travers du monde, des Etats Unis a l’Océanie en passant par l’Europe, etc.

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