EXOCRINE : De challenger à légend(aire)

C’est à la vitesse de la lumière que les jeunes Bordelais d’Exocrine interprètent leur musique (atteignant parfois 400 bpm sur une chanson !), et multiplient aussi le rythme effréné de leurs productions en studio. Legend est déjà leur sixième album et s’avère d’ores-et-déjà une référence sur la scène techno-death metal européenne. Fort d’un nouveau contrat avec le label français Season Of Mist, Exocrine semble en pleine possession de ses moyens, et bien décidé à battre le fer tant qu’il est chaud ! [Entretien avec Sylvain Octor-Perez (guitare/production) par Seigneur Fred – Photos : DR]

Quelle productivité de la part d’Exocrine ! Déjà six albums studio en l’espace de bientôt onze ans de carrière ! D’où vous vient cette formidable productivité ? Les étoiles semblent alignées et vous avez décidé de battre le fer tant qu’il est chaud, c’est ça, avec ce nouveau contrat avec Season of Mist à présent ? (sourires)
Exactement, nous avions fait The Hybrid Suns de façon très spontanée et dans une période qui étaient très compliquée dans nos vies personnelle. À la signature avec Season of Mist, j’ai voulu immédiatement créer un nouveau chapitre. Je me suis isolé pendant plusieurs mois et n’ai vu quasiment personne pendant la création de l’album. Legend est de loin l’album qui nous a demandé le plus de réflexion et sur lequel nous avons le plus travaillé.

Revenons à votre précédent opus The Hybrid Suns si tu veux bien. 2022 fut une sacrée année pour vous !! : avec la sortie de cet album qui a été très bien accueilli notamment par la critique (on a adoré l’album!), des concerts remarqués aux festivals Hellfest et Motocultor (où l’on a pu vous apercevoir live entre deux interviews). Quel bilan dressez-vous de cette année 2022 qui voyait la plupart des groupes et des artistes seulement revenir à la scène après deux années de disette à cause du covid-19… ?
2022 fut très spécial, un tournant pour nous artistiquement. Les gros festivals furent une bonne expérience, mais la sortie de l’album, nous l’avons très mal vécue… Pour faire rapide, on n’a pas eu du tout la promotion adéquate sur cette période si ce n’est que nos propres vidéos ainsi que nos concerts, les médias français sont trop peu nombreux à soutenir ce style de death metal et clairement on ne s’est pas forcément senti chez nous, en comparaison aux retours provenant du Japon ou de l’Amérique du Nord, c’était hallucinant !

Avez-vous pu tourner aux États-Unis et Canada, et au Japon aussi comme vous le prévoyez pour soutenir live The Hybrid Suns ? Si oui, était-ce la première fois et comment ça s’est passé ? Car vous m’aviez dit avoir cela en projet l’an dernier à la fin de notre précédente interview en 2022. Et grâce à votre précédent deal avec Unique Leader Records, je présume que ça vous a ouvert des portes en Amérique où vous étiez distribué là-bas ?
Nous avons tout annulé car la guerre en Ukraine à fait exploser les coûts d’une telle tournée, le budget a triplé et les deals déjà proposés n’étaient plus envisageables. On a eu une super proposition pour la fin de l’année 2022 au Japon mais je me suis blessé le bras ce qui a sabordé tout projet live de fin d’année. J’ai dû assurer le Motocultor ainsi qu’un festival par chez nous, le Seisachton Fest, avec le nerf cubital abîmé. Heureusement, quelques mois plus tard j’ai tout qui est revenu à la normal.

Du coup, vous battez donc le fer tant qu’il est chaud et revenez déjà avec ce sixième album Legend. Comment a-t’il été composé ? Sur la route en tournée ? C’est très technique tout de même, alors avez-vous cette faculté pour écrire et composer ainsi sur la route entre deux dates de concerts ? Ou bien tranquillement une fois revenu au bercail en Bordelais ? (sourires)
2023 a été une année complément différente pour nous, comme dit précédemment, de fin 2022 à l’été 2023 je me suis énormément isolé. J’ai vraiment passé mes journées dessus pendant plusieurs mois et j’envoyais les bandes démo à mes compères. Jordy à écrit les paroles rapidement et a placé ses voix très spontanément, c’est sa meilleure performance à ce jour. J’ai vu quelques fois Nico pour quelques arrangements et je suis monté sur Paris enregistrer Théo qui avait réécrit les parties de batterie à partir des versions brutes que je lui avais données. Et puis 2023, c’est pas mal de changements dans nos vies. Deux bébés sont nés au sein du groupe ! Cela nous a donné beaucoup de force (mais peu de sommeil !).

Comme sur The Hybrid Suns, vos dix nouvelles chansons (hors bonus) sont encore une fois assez courtes et très directes pour du techno death metal progressif, contrairement à vos petits camarades de Gorod ou Beyond Creation qui évoluent dans le même style. C’est une habitude et un format que vous vous imposez à chaque conception d’un nouveau morceau et notamment à sa touche finale ? Est-ce dans le but d’un meilleur impact live pour vos futures performances en concert peut-être et vous économiser un peu sur scène tant c’est technique ? (sourires)
On est plus proches d’un Archspire ou Aborted que des groupes plus « prog’ » cités, je dirai. La moyenne des BPM oscille entre 320/350 bpm (avec un pic à 400 sur un morceau ! (sourires) Clairement ce n’est pas la même sensibilité, intensité. On a toujours un morceau « long » sur nos albums, souvent le dernier, qui peut atteindre les 6-8 minutes quand même, mais ce ne sont pas des morceaux pensés dans ce cas pour le live.

The Hybrid Suns s’inscrivait dans une thématique lyrique reliant les précédents albums d’Exocrine. C’était une sorte d’introspection spirituelle, abordant la vie et la mort après la période de covid-19 qui nous a tous touchés de près ou de loin… Qu’en est-il pour Legend ? Quel est le concept ou, à défaut, les idées et principaux thèmes évoqués ici ?
Legend est clairement plus « épique ». On y a trois points de vue, chacune d’une entité différente. On est plus proche de la science-fiction avec des combats épiques digne d’un mélange de kaiju movie et de Warhammer 40k. The Hybrid Suns a été conçu sur une période très très compliquée de nos vies. La, ça va mieux, du coup on repart plus sur une vibe proche de Molten Giant dans le concept.

Même si c’est un peu tôt car tu manques forcément de recul, quelles sont les principales différences notables entre The Hybrid Suns et le nouveau Legend ? Y’avait-il des axes d’amélioration que vous vous étiez fixés dans une sorte de cahier des charges avant l’enregistrement ?
On voulaient plus de relief, plus de mélodie. Prendre le temps d’être satisfait à cent pour cent de chaque titre (ce qui n’est pas le cas pour The Hybrid Suns). Nous avons abordé cet album d’une façon très old school : papier crayon/enregistrement au portable d’idées… Et tout c’est fait de façon plus réfléchie.

Côté enregistrement studio, est-ce toi qui t’es chargé une nouvelle fois de tout en studio (Triceraprod Studio) car tu es est ingé son. Ne faites-vous pas appel tout de même à un regard extérieur pour avoir un autre avis éclairé sur vos compositions et leur rendu sonore ?
Oui, évidemment, surtout que j’ai abordé la prod’ d’une manière différente, utilisant beaucoup de matos analogique, des vrais amplis et pas des simulateurs pour les guitares. J’ai quelques proches à qui je fais écouter les masters et les retours étaient très constructifs. Ce type de death metal ne pourra jamais plaire à tout le monde de toute façon, des bpm aussi élevés ne permettent pas d’avoir un son « lourd » et très naturel même en utilisant des techniques d’enregistrement classique. une grosse caisse à 350 bpm, si elle n’est pas dans une plage de fréquence élevée, ne sera pas audible.

Le premier single et vidéo clip qui n’est autre que la chanson-titre de l’album, « Legend », détonne avec sa trompette. Ne craigniez-vous pas d’effrayer les fans de pur death metal ? Et comment allez-vous assurer cette partie sur scène : par un sample ou envisagez-vous la venue d’un invité prestigieux comme l’artiste Ibrahim Maalouf ? (rires)
C’est bien de la trompette !! (sourires) Il y en avait déjà sur Maelstrom, c’est le talentueux Chris Gendron (père de notre batteur Théo) qui intervient, et d’un point de vue pratique nous le passons en sample sur scène, oui. Nous avions le projet d’en mettre beaucoup plus, mais les agendas ne collaient pas.

Je me permets de rester sur ce talentueux trompettiste Ibrahim Maalouf qui avait déclaré une fois à la TV (sur TMC) en 2022 au moment de sortir son album « spécial Noël » qu’il fallait que les musiciens se détachent de ce qu’ils apprennent au conservatoire et laissent davantage place à l’improvisation… Cela m’avait fait doucement rire, car 1/ Tout le monde ne fait pas le conservatoire pour apprendre de la musique et n’arrive pas à atteindre l’excellence comme lui et 2/ Pour se permettre d’improviser, il faut déjà connaître son instrument, le maîtriser parfaitement, connaître le solfège ou alors avoir l’oreille musicale, et savoir jouer ! Alors vous, en tant que musicien de l’extrême et évoluant dans le death metal technique, qu’en pensez-vous ? Aucune place à l’improvisation n’est permise, et vous jouez uniquement ce que vous avez répété de nombreuses fois et appris par cœur auparavant, non ?
Alors oui et non ! Clairement c’est de la musique écrite et coordonnée sur un clic avec des samples pour les changements de mesures / bpm. Toutes est calibré dans ce style de musique, on n’est pas sur un concept à la Magma avec un solo de triangle de 24 mn ! (rires) Mais dans tout cet amas de rigidité musicale on s’accorde des libertés. Par exemple Théo nous surprend parfois en plein titre en blastant ou en breakant de façon totalement voulu pour donner vie au morceau. Sur certains solos, je ne garde que quelques lignes et j’improvise le reste mais on s’arrête là sur ce qui est de l’improvisation. En studio il y en a beaucoup plus, certaines parties sortent de façon inattendue et je valide si ça me plaît.

Vous avez parfois fait appel à une chanteuse, Clémentine Brown (Matrass). Il ne m’a pas semblé l’entendre sur Legend ou très peu cette fois… Pourquoi ? Vous ne vouliez pas abuser de cette collaboration systématiquement peut-être ?
Si, elle nous fait juste des chœurs sur le morceau « Life » où je l’ai appelé à deux semaines de rendre le master. J’avais fait des chœurs assez lointains et il me fallait juste deux syllabes chantées et elle nous a encore une fois dépannés avec rapidité et professionnalisme. J’adore sa voix et c’est une fille formidable. Si nous en avons l’occasion, nous ferons plus de choses ensemble !

Pour les incroyables parties de batterie de Theo Gendron, avez-vous travaillé d’ailleurs de nouveau dans le home studio de Mathieu Pascal (Gorod) comme sur les albums Molten Giant et Maelstrom (et pas The Hybrid Suns me semble-t’il) ?
Non. Comme sur The Hybrid Suns, c’est moi qui ai enregistré les parties de batterie. On voulait prendre le temps, à l’époque de Molten Giant et Maelstrom, je mixais et enregistrais dans mon appartement, donc une batterie m’aurait valu un paquet d’emmerdes avec le voisinage ! (rires) Depuis, j’ai monté ma structure et cela nous donne plus de souplesse et de temps pour faire nos enregistrements.

Une chanson bonus figure en onzième position à la fin de Legend : « Cryogenisation ». Peux-tu nous en dire plus sur celle-ci (sujet, technique, pourquoi ce choix…) et sur quelle version du disque va-t’on pouvoir la retrouver en exclusivité : en digital ? Vinyle ? CD ?
C’est un bonus track qui provient du prochain ré-enregistrement de l’album Ascension. En fait, Ascension Rebirth est un projet qui nous a été demandé plusieurs fois et d’ailleurs c’est actuellement en cours de production. Un réenregistrement et remixage avec de nouveaux arrangements, pas mal de changements et de trucs inédits figureront sur cette réédition ! Aucune idée de sur quel format Season of Mist va le sortir par contre, mais ils ont toute ma confiance.

Au fur et à mesure que vous avancez dans votre carrière, constatez-vous ou ressentez-vous une certaine compétition technique entre les groupes à l’échelle international dans le même genre musical (que l’on qualifiait autrefois de « techno death metal » ou maintenant « death metal technique progressif ») ? Par exemple avec des groupes étrangers comme Archspire ou Beyond Creation, Rings Of Saturn, ou bien en France Gorod ou Catalyst, car à force ça devient écœurant pour les néophytes qui veulent se mettre à la guitare ou à la batterie, tant le niveau monte à chacun de vos nouveaux albums ?! (rires)
Il n’y a aucune compétition inter-groupes, ou en tout cas pas de notre part. Je suis beaucoup plus effrayé par le niveau de guitaristes comme Tosin Abasi ou David Davidson. La musique doit être un facteur motivant. Étant petit, j’écoutais Steve Vai, Megadeth et Dream Theater. Cela me motivait à travailler et comprendre l’instrument.

L’année 2023 s’est achevée, mais au fait, avez-vous pensé à célébrer les dix ans du groupe fondé en 2013 du côté de Bordeaux ? Un anniversaire d’une décade, ça se fête, non ? Autour d’un bon verre de vin de Bordeaux (Château Latour ou Saint-Émilion) par exemple… ? (Ndlr : à consommer avec modération, bien sûr) (sourires)
On y a pas mal penser, mais Jordy et moi-même nous avons eu chacun un nouveau-né dans les pattes (à cinq mois d’écart) et sommes mutuellement parrain de l’enfant de l’autre. Les derniers mois ont donc plutôt été axés là-dessus. Mais je pense que nous allons fêter la sortie de l’album et les onze ans du groupe par la même occasion.

Enfin quels sont les projets pour 2024, voire plus loin ? Une tournée européenne en tête d’affiche, en Amérique ou en Asie par exemple ? Des festivals d’ores-et-déjà de prévus l’été prochain peut-être comme le Hellfest ou le Motocultor ou le Sylak ?? Ou carrément le Download ou Bloodstock en Angleterre ou bien le Wacken Open Air ?
Nous sommes actuellement sur la préparation de la promotion en 2024. On va commencer la promo avec l’Amarok Festival. Une tournée Europe/France est envisagée mais les coûts pour aller tourner aux USA sont trop élevés pour nous pour le moment.

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