
Déjà le neuvième effort longue durée pour nos Finnois d’Insomnium qui nous gratinent une nouvelle fois d’un petit chef d’œuvre de death metal mélodique, après l’interlude Argent Moon sorti en 2021 histoire de se remettre en piste après la crise sanitaire. Eh oui, désolé de vous spoiler d’emblée ou de tuer dans l’œuf cet Anno 1696, nos cinq musiciens nous habituant régulièrement depuis quelques années déjà à des sorties de qualité en général, sans faux pas. Dans le sillage des pionniers du genre que sont Amorphis, ils ont façonné leur propre personnalité au fil d’albums conceptuels de plus en plus développés et passionnants, alors qu’à leurs débuts à la fin des années 90, on avait tendance à les comparer systématiquement à de simples clones d’Opeth ou Amorphis justement. Sur ce millésime 2023, ou plutôt 1696, le combo de Joensuu (Finlande orientale) nous renvoie au temps des chasses aux sorcières (tiens donc, comme dans le premier et récent album de Fredlös justement où l’on retrouve divers membres de Wormwood, Månegarm, et un certain Alex Hellid d’Entombed… lire notre interview p. 19 dans le n° de METAL OBS de janv-avril 2023).
Après un Winter’s Gate audacieux en 2016, suivi de Heart Like A Grave en 2019 tout aussi réussi, Anno 1696 débute donc par la chanson-titre en quelque sorte, « 1696 », qui nous charme déjà : une superbe intro avec quelques percussions en fond et une guitare rythmique folk, rapidement accompagnés par la mélodie d’une seconde guitare folk. Le décor sombre et mystérieux est ainsi planté au Pays des Mille Lacs. Très vite, la violence s’abat par les blasts beasts de Markus Hirvonen et les growls incroyablement puissants du bassiste Niilo Sevänen, le tout sur des riffs costauds et plus mélodieux que ceux de leurs compatriotes de Wolfheart. Le chant principal se rapproche du coffre de Johan Hegg (Amon Amarth) d’ailleurs. Ce même premier titre se conclut sur la même petite mélodie d’intro à la guitare folk, avec comme un effet de guimbarde en fond. Autre chanson, autre ambiance, avec là un duo vocal improbable sur « White Christ » avec l’un des frères Tolis, le guitariste/chanteur grec Sakis, des respectables Rotting Christ. Sur ce mid-tempo, on reconnaît d’ailleurs la patte Rotting Christ. Cette chanson métissée nous renvoie à A Dead Poem des Grecs mais avec une mélancolique nordique. Superbe. Si la chose peut cependant paraître inédite à première vue en matière de collaboration entre un artiste de la scène metal extrême méditerranéenne et des artistes scandinave, elle ne l’est pas tant que ça. Déjà dans les années 90’s, il y avait de fortes connexions entre les premiers groupes de la scène death et black metal scandinave et ceux de l’Attique. Plus récemment, souvenons-nous simplement du magnifique clip « Holy Mountain » de Rotting Christ justement, avec en invité vocal l’excellent Lars Nedland (Borknagar, Solefald) en 2022.
Maintenant, on monte encore d’un cran dans ce nouvel album avec « Godforsaken » (un clin d’œil au groupe culte finlandais de doom ?), probablement l’un des points d’orgues d’Anno 1696 qui constitue, là encore, une belle surprise pour les fans d’Insomnium. Cette chanson aux accents pagan voit pour la première fois la présence d’une chanteuse, en l’occurrence en la personne de Johanna Kurkela (Altamullan Road, Eye of Melian). Si les duos vocaux du genre La Belle et la Bête sont généralement monnaie courante dans le gothic metal et le death metal mélodique, il s’agit d’une nouveauté pour notre quintet finlandais. Peut-être que le nom de cette dame ne vous dit, mais si on vous précise qu’il s’agit là de la femme du claviériste et principal compositeur de Nightwish, Tuomas Holopainen, vos yeux et cages à miel s’ouvrent alors subitement. Qu’apporte-t’elle donc, vous direz-vous ? Une touche délicieusement féminine et païenne qui sied à merveille pour interpréter les charmes des dites « sorcières » du XVIIème siècle. Avec son grain de voix, quelque part entre celui d’Anneke Van Giersbergen et Lindy-Fay Hella (Wardruna), elle s’intègre avec maestria dans l’univers musical d’Insomnium sans non plus trop en faire comme c’est parfois le cas dans le genre. Il n’y qu’à voir le nouveau vidéo clip de « Godforsaken » pour en juger, et l’émotion parlera d’elle-même…
Sur un format plus classique et un rythme soutenu, on retrouve après cela le premier single extrait d’Anno 1696 diffusé dès 2022, « Lilian », qui aurait presque pu figurer sur l’EP Argent Moon. Il passera sans problème le cap de la scène lors des concerts, entre deux morceaux plus longs et complexes auxquels nous a habitués dernièrement nos compères finnois. Son break central permet une belle respiration. Sur « Starless Paths », la mélodie de guitare nous renvoie au meilleur d’Amorphis, avec toujours cette puissance dans les guitares bien heavy et les growls de Niilo Sevänen. Mais son break avec une guitare folk, permet là encore une brève respiration, avant de réattaquer de plus belle, sur un pont galopant et où la batterie pilonne à la double pédale. On pense un peu à Opeth par moment, mais ce n’est qu’un lointain souvenir tant l’univers d’Insomnium est riche désormais, avec ce concept fort autour de la chasse aux sorcières ici en Finlande et Suède. D’ailleurs, le titre suivant résume bien les choses : « The Witch Hunter » avec, comme bien souvent, des mélanges de guitares électriques et folk, et où l’on entend également de magnifiques chants clairs assurés par la paire de guitaristes, Jani Liimatainen et Markus Vanhala, aussi bien à l’aise au micro que sur leur six cordes.
Enfin, les deux dernières chansons de l’album, « The Unrest » et « The Rapids », s’inscrivent dans veine de « The Witch Hunter », avec une tonalité plus folk et dramatique, l’épilogue approchant. À noter que dans la version CD limitée, un second disque intitulé Songs Of The Dusk est inclus sur lequel figure un artbook et trois chansons bonus supplémentaires, preuve de la générosité habituelle d’Insomnium envers ses fans : « Flowers of the Night », « Stained in Red » ; « Song of the Dusk ». Maintenant, reste plus qu’à retrouver nos cinq amis finlandais prochainement sur scène pour que prenne vie ce charmant bal des sorcières auquel nous avons succombé à l’écoute d’Anno 1696. [Seigneur Fred]
Interview
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