L’ancien guitariste de Megadeth, qui vit au Japon depuis plus de vingt ans, a toujours été hyperactif et très prolifique faisant face aux évènements avec une philosophie très personnelle. Sa carrière solo en témoigne allègrement depuis 1988. Mine de rien, Marty Friedman a tout de même enregistré treize albums solo. Il nous a proposé cette année 2024 Drama, son quatorzième effort qui a séduit sans peine tous les amoureux de guitare, mais pas seulement, au vu de la qualité déployée par l’artiste. Mieux vaut tard que jamais, voici notre discussion complète avec l’artiste. [Entretien avec Marty Friedman (guitares) par Pascal Beaumont – Photos : DR]
Tu as eu l’occasion de jouer de nombreuses fois à Paris notamment avec Megadeth mais la toute première fois c’était le 8 février 1989 au Gibus. Te souviens-tu de ce show français ?
Tu te souviens de ce concert au Gibus ?! (rires) C’était la toute première fois que je jouais à Paris, je suis très surpris que tu te souviennes de ce show. Tu y étais, c’était assez incroyable. J’ai adoré l’atmosphère de ce concert parisien. J’ai aussi beaucoup aimé le chocolat, les bonbons. Je me souviens aussi de la douche de mon hôtel qui était très bizarre, c’était très moderne pour l’époque et j’ai eu du mal à l’utiliser, je m’en souviens encore. Ce sont mes premiers souvenirs de Paris. Je me rappelle qu’au Gibus il y avait aussi de très bons guitaristes français. C’était un concert très agréable, on était tous très excité, il y avait tous ces guitaristes qui jouaient. C’était très bien. Un bon moment.
Revenons à notre époque à présent… (rires) En février dernier, tu as aussi eu l’opportunité d’ouvrir pour John 5 sur six shows du 21 au 28 février 2024 !
Oui, c’était juste une petite tournée mais j’ai beaucoup apprécié. I l n’y a pas de raisons particulière, c’était agréable de jouer aux USA, on y retourne d’ailleurs en janvier prochain. (Ndr : du 25 au 22 février 2025). John 5 est quelqu’un de très bien et on a apprécié de jouer à ses côtés, de tourner avec lui et de partager le même tour bus. On s’est bien amusé là aussi !
En 2023, tu as ouvert pour Queensrÿche sur trente-et-une dates aux États-Unis, une tournée qui a duré près deux mois. Apprécies-tu encore cette vie de musiciens sur les routes durant de longs déplacements à l’étranger ?
Ce que j’apprécie le plus, c’est que mes musiciens sont japonais. J’aime les voir découvrir et apprécier de nouveaux pays. Ils n’ont jamais pu aller à Paris et lorsque nous allons venir, ils seront très enthousiastes et moi j’apprécie de les regarder et les voir venir pour la première fois dans la capitale française et jouer devant un public parisien, faire partir de cette scène française. Les regarder jouer et être à leur coté chaque jour, c’est vraiment quelque chose qui me rend heureux.
Drama est sorti le 17 mai 2024. Es tu satisfait des différents retours et réactions que tu as eu depuis ?
Je ne suis jamais satisfait de quoi que ce soit. (rires) Lorsque j’arrête de jouer, je ne pense pas être satisfait. Mais les chroniques et les réactions suscitées par Drama sont les meilleures que j’ai jamais eues dans toute ma carrière solo. J’en suis vraiment très heureux. Je suis satisfait par ce que j’ai produit sur Drama mais je ne contrôle pas la réaction du public qui découvre ma musique. Cette fois-ci ils ont l’air d’avoir vraiment apprécié et je me suis bien senti face à tous ces retours. Drama est certainement le meilleur de tous mes opus, c’est vraiment un plaisir de voir qu’il plaît aussi à ceux qui m’écoutent.
“Song for an Eternal Child“ est un superbe morceau issu de Drama. Ce single est accompagné d’une magnifique vidéo empreint d’une profonde nostalgie à travers lequel on te voit enfant et devenir adulte au fil des années. C’est un peu ton histoire finalement ?
Oui, c’est très mélancolique et ça donne un son à ce morceau qui est très fort émotionnellement. C’est une connexion totale avec la musique. C’est que j’essaye de faire parfois, ça peut être romantique, d’autre fois très sombre. Cette fois, c’est très mélancolique et la vidéo le fait bien ressentir, c’est mon clip préféré d’ailleurs. C’est très puissant en termes d’émotions, certaines personnes ont même pleuré en voyant le clip. Le monde est mélancolique et c’est important de créer une chanson comme celle-là.
On trouve aussi sur Drama ce magnifique morceau “Mirage“ accompagné d’un très beau clip qui là encore est très autobiographique puis que l’on voit défiler en photos toute ta vie accompagné de tes parents. C’est l’histoire de ta vie, et je suppose que cela doit avoir un sens profond pour toi de mettre en scène ta vie privée. Tu avais envie d’offrir ce côté très intime à ton public ?
C’est une très bonne question et une très bonne observation que tu fais là. Je suis vraiment heureux que tu ais ressenti ça de cette manière, parce que j’ai essayé de raconter une histoire a travers ma musique, ma vie, comment les choses évoluent au fil du temps et comment j’ai grandi et changé pour aboutir à ce que je suis aujourd’hui. Je constate que tu as écouté et ressenti la musique de la façon dont j’essaye de la présenter et faire en sorte que le public le ressente. C’est plus profond que l’on peut le penser, j’essaye de ne pas forcément utiliser la technique mais de transmettre de l’émotion. Beaucoup de personnes écoutent de la musique instrumentale en se focalisant avant tout sur la technique et la rapidité mais je ne suis pas intéressé par ça. Ce que je veux avant tout c’est exactement ce que tu as dit, c’est que les gens perçoivent une histoire à travers mes chansons, c’est définitivement une part importante de ma façon d’écrire.
Cela faisait des années que tu n’avais pas composé des morceaux originaux sachant que Wall of Sound est sorti en 2017, comment as-tu abordes cette fois-ci le processus de composition de Drama ?
Cela m’a pris de longs mois parce que pour achever un disque j’enregistre des centaines de démos avec des arrangements différents, des versions alternatives. J’aime enregistrer des démos différentes avant de trouver la version définitive et cela me prend beaucoup de temps pour y parvenir. Il m’a fallu deux ans pour enregistrer Drama, j’ai travaillé dans trois studios différents avec de nombreux musiciens et des instruments multiples avec lesquelles je n’avais jamais enregistré auparavant. Cela m’a donc pris énormément de temps pour obtenir ce que je souhaitais.
Comme tu le disais tu as enregistré Drama dans trois studios différents en Italie au Newsin Audio Design, aux USA aux Woodcliff Studios et au Japon au NK Sound & Sunshine Studios. En Italie tu as travaillé avec des guitares vintage au côté de Luigi Stefanini. Que souhaitais tu obtenir en matière de son précisément ?
Avec tous les morceaux que j’avais composés pour ce disque, je savais qu’il fallait que j’obtienne des options de sons différentes provenant de ma guitare. Un son différent. Je suis donc parti en Italie car j’ai là-bas un très bon ami Franco Piona qui m’a toujours offert cette possibilité de jouer sur ces guitares. Il est à la fois collectionneur et luthier. J’ai enregistré avec peut-être trente ou quarante guitares différentes qui étaient toute très anciennes. Cela m’a permis d’obtenir le meilleur son possible, celui que je n’avais jamais eu sur mes précédents opus solos. On a vraiment fait beaucoup d’effort à ce niveau-là. D’habitude je ne travaille pas autant sur le son. Je me contente souvent de jouer mais cette fois-ci, j’ai passé énormément de temps sur le sujet. C’est aussi une autre raison qui a fait que ce disque a été très long à concevoir. Je me suis donc rendu deux fois en Italie pour enregistrer et travailler et ça a fonctionné, le résultat est très bon. (sourires)
Mais tu ne t’es pas contenté de jouer, tu as aussi produit Drama ?!
Oui, être un producteur est une très lourde responsabilité, certainement la plus importante bien plus que de jouer simplement de la guitare. J’apprécie les deux activités mais parfois quand tu as un autre producteur dans le studio, c’est plus simple pour jouer. Tu peux le laisser te proposer son opinion et la développer, il peut décider si la prise est bonne ou pas, il a un rôle très important. Lorsque c’est moi qui produis je dois aussi m’atteler à ce job. Je dois me juger moi-même alors que sinon j’attends un retour, mais je dois le faire. Cela demande beaucoup d’efforts mais c’est ainsi.
Tu as débuté en 1981 avec Hawaii avec qui tu as enregistré deux albums (One Nation Undergrouden 1983, The Natives Are Restless en 1985) et EP (Made in Hawaii en 1983 sous le nom de Vixen, Loud,Wild and Heavyen 1984). Tu as donc vu l’arrivée de toute ces générations de shredders. Quelle serait pour toi la définition d’un bon guitariste ?
Il faut simplement écouter, c’est très simple. Ce n’est pas mauvais de jouer lentement ou rapidement, d’une façon différente, il y a tant de façon de jouer de la guitare. La seule chose importante finalement, c’est toi, tu es le seul qui écoute et peut se faire une opinion. Chaque personne a un avis et un ressenti différent, il n’y a pas de mauvais ou bon guitariste. Il y a seulement ta façon d’apprécier la musique, c’est à toi de décider ce qui est excellent ou pas.
“Dead Of Winter“ est le seul titre chanté de l’album, c’est Chris Brooks (Like A Storm) qui en assure les voix. Quelle était ton idée à la base pour inclure une vraie chanson avec cette fois des paroles ?
C’est le plus vieux morceaux de l’album, il a été écrit il y a de nombreuses années et j’attendais le bon moment pour le sortir. Il fallait aussi trouver le chanteur qui lui correspondait le mieux, la situation devait être adéquate. Pour finir c’est arrivé, Chris était le chanteur que j’attendais. Les chansons sont très romantiques, c’est donc parfait d’y ajouté une balade comme “Dead Of Winter“. Si tu regardes la lyric vidéo tu comprendras que c’est une histoire très romantique. Le public me connaît essentiellement comme un guitariste de heavy metal et là beaucoup de gens vont découvrir le coté sentimental de ma musique.
A l’écoute de Drama, il y a aussi ce côté pop avec tous ces arrangements qui fait que les mélodies te restent en tête et que tu as envie de les chantonner !!
Oui, c’est la chose la plus importante pour moi. Lorsque je compose une mélodie, c’est mon plus gros défi de créer des arrangements qui vont te faire ressentir profondément ces mélodies. Je ne travaille pas avec des textes, c’est instrumental. C’est vraiment délicat de faire en sorte que ceux qui m’écoutent se souviennent d’une mélodie instrumentale. Mais c’est possible notamment quand tu écoutes la musique classique qui perdure depuis des centaines d’années, c’est donc possible de le faire. C’est ce que j’essaye de réaliser, j’ai de nombreuses possibilités pour arriver à faire en sorte qu’on mémorise la mélodie, je les utilise toutes lorsque je compose.
On retrouve sur Drama ce magnifique morceau intitulé « Triumph » qui figurait déjà sur Scenes (1992) que tu as mis des années à finaliser pour obtenir enfin cette version définitive ?
Ça a été définitivement le titre le plus difficile à réaliser. En tant qu’artiste, ce n’est jamais facile de composer la bonne chanson. Je l’ai sortie de nombreuses fois sous différente forme idem pour le style et les influences. Ça a toujours été correct mais j’ai toujours su que la mélodie avait un potentiel bien plus important. Je me suis dit cette fois, je vais me la réapproprier, c’est le challenge le plus difficile que j’ai eu sur Drama à vrai dire. Je l’avais laissée de côté car je n’arrivais pas à obtenir satisfaction sur certaines parties. Mais j’y suis arrivé ! Je crois que c’est un titre très important qui représente une partie importante de ma carrière. Je connais des personnes qui connaisse la chanson, ils s’en souviennent très bien. Mais quand ils ont entendu cette version, ils ont heureusement compris tout de suite que c’était la version finale et la bonne.
Cela fait plus de quarante ans que tu joues de la guitare. Comment décrirais-tu ton évolution musicale ?
Je pense avoir évolué au fils des années car j’ai toujours eu conscience qu’il fallait proposer quelque chose de nouveau. Je ne veux pas que le public dise, j’aime beaucoup le début de sa carrière, il était très bon à l’époque mais plus maintenant. J’ai toujours souhaité que les gens pensent que mes nouvelles créations apportent une évolution. Tu ne peux pas contrôler les goûts musicaux, ce que le public aime ou pas. Mais je peux contrôler mon groove et continuer à grandir en tant que guitariste. C’est ce qui me donne du plaisir.
Avec Cacophony, tu avais enregistré deux albums Speed Metal Symphony en 1987 et Go Off! l’année suivante au côté de Jason Becker. Es-tu toujours en contact avec lui et quel regard portes-tu sur cette époque ?
Oui, bien sûr, je viens de lui envoyer un courriel aujourd’hui. C’est une question qui demande une très très longue réponse. Je dois te préciser que je vais sortir mon autobiographie le 3 décembre 2024 qui s’intitule The Japanese Dreaming. Tu trouveras dans ce livre une multitude de détails qui ont trait à toutes les périodes de ma vie : Hawaii, Cacophony et même les formations avant, il y a vraiment énormément d’informations. Je recommande ce livre, il est très personnel. J’y aborde de nombreux sujets ma vie personnelle, mes groupes, ma musique. Tout ce qui est arrivé au cours de ma vie de musicien. C’est difficile de répondre maintenant à cette question, ça serait trop long. Mais tu peux avoir la réponse dans mon bouquin. C’est en anglais, tu sauras tout sur cette époque.
Récemment, tu as rejoint sur la scène du Budokan de Tokyo ton ancien groupe Megadeth le 23 février 2024 pour interpréter trois classiques à leurs côtés : “Countdown to extinction“, “Tornado of souls“, et “Symphony of destruction“ ; puis une seconde fois le 7 juillet 2024, au Wacken festival (Allemagne). J’imagine que ça été pour toi un moment intense de les retrouver vingt-quatre ans plus tard !?
Oui, j’y ai pris beaucoup de plaisir, il y avait un public merveilleux. Leur réaction a été fantastique, ça été une expérience exceptionnelle pour tout le monde, y compris les musiciens mais aussi pour la foule. On l’a fait parce que les fans avaient ça en tête depuis des années.
Qu’as-tu ressenti en revoyant Dave Mustaine (Megadeth), je suppose que vous avez parlé du bon vieux temps ?! (sourires)
Tu sais, on n’a jamais été réellement des amis. Il n’y a jamais eu rien de plus que des échanges entre nous deux. On n’attendait rien de plus de cette rencontre. Mais cela a toujours été amical. Lorsque la chance de rejouer ensemble s’est présentée après tant d’années, ça s’est fait très naturellement.
Tu t’es installé au Japon il y a plus de vingt ans, tu es même devenu un représentant officiel de ce pays, un ambassadeur nommé par le gouvernement officiel. Tu as composé un morceau “Japan heritage the song“ que tu joues lors d’événements importants comme le marathon de Tokyo. Bref, tu es presque devenu un homme politique ! (rires)
(rires) Tu sais c’est très drôle parce que je me fiche complètement de la politique. Je ne m’y intéresse pas et ne suis pas son actualité. Je participe à des événements du fait de cet honneur que l’on m’a fait mais je suis totalement éloigné du monde politique. J’ai été un musicien au sein de nombreuses formations et c’est dans ce cadre-là que j’ai composé un thème officiel pour le gouvernement. Voilà tout.
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