NOSTROMO : Bucephale

Bucephale - NOSTROMO
NOSTROMO
Bucephale
Post grindcore
Hummus Records

Enfin, la voici la nouvelle bête de Nostromo, représentée ici par Bucephale, la célèbre monture d’Alexandre le Grand sur le superbe artwork noir & blanc de ce troisième véritable album studio. Il faut avouer que nos amis helvètes aiment se faire désirer et prendre leur temps…

En l’espace de vingt-six ans, seulement trois albums studio, ok, quatre si l’on inclut celui unplugged (sans public) Hysteron-Proteron (Wagram Music/2004), entrecoupés, certes, d’une mise en hibernation durant presque douze ans, mais c’est peu pour les fans que nous sommes qui en demandent toujours plus ! Il est vrai aussi que pour leur défense, Nostromo a toujours misé sur la qualité plutôt que la quantité. De toute façon, c’est sur scène qu’il fait mal et prend tout son sens. Un concert des Genevois constitue une violente attaque sur scène, comme si une machine de guerre (un tank) vous fonçait dessus. Pour ça, on est tous d’accord. Et puis, encore à leur décharge, on le sait, les Suisses sont lents en général. Ne dit-on pas d’ailleurs que plus c’est long, plus c’est bon après tout ? Trêve de plaisanterie, même si personne ne vous entend crier dans l’espace…

L’heure de vérité est venue : que vaut ce premier album pour le label suisse Hummus Records (fondé par le groupe Coilguns) ? À l’image des premiers singles livrés progressivement dans le courant de l’été 2022, disons que la bête a muté, un peu comme Alien dans l’épisode 3, et les hostilités brutal hardcore/grindcore plus nuancées. Le parfait exemple pourrait être le titre d’ouverture « Ship Of Fools » faisant lyriquement la transition avec l’EP Narrenschiff paru en 2019 (« Narrenschiff » signifiant en allemand « La Nef des Fous » et dont les paroles s’inspiraient des temps moyenâgeux où comment les sociétés traitaient les fous en les excluant des villes sur un bateau…). Un autre morceau comme « In Praise Of Betrayal » est assez représentatif également, même si l’on retrouve le groove rythmique et ces riffs imparables. La mélodie du riff final est tout bonnement géniale.

Explications. Le célèbre vaisseau de la célèbre saga de SF/horreur, où tout commence par l’invitation sans le savoir d’un passager inconnu à son bord pour semer la pagaille, enfin surtout l’horreur, inspira à sa création le nom du groupe de Genève en 1996. Depuis, la bête est devenue versatile, protéiforme, a grandi, muri, pour aujourd’hui ne plus se limiter au grindcore moderne qu’a su pourtant développer avec des influences mathcore. Si les contretemps sont encore légion (le complexe et rapide « Per Sona »), et la violence du death/grind au rendez-vous (« I.E.D. (Intermittent Explosive Disorder) », « Realm Of Mist »), plusieurs nouveaux passages de Bucephale lorgnent vers un post hardcore lourd et sombre, voire sludge parfois (« Lachon Hara »), le tout s’avérant toujours aussi brutal et rapide, mais plus diversifié, enfin tout est relatif ici, bien évidemment chez Nostromo. Les âmes sensibles s’abstiendront d’écouter. Mais à vrai dire, les deux EP successifs, Uraeus (Noise Addict/2018) et Narrenschiff (autoproduction/2019) avait déjà donné un léger aperçu de cette volonté artistique et tendance, avec des passages plus lourds, moins foncièrement rapides, aux sonorités novatrices, avec divers effets et samples glaciaux en studio comme dans le passé (« Katabaziz » featuring Treha Sektori, contenant des stigmates de Gojira avec lesquels ils tournèrent début 2017). Au chant, Javier éructe derrière sa barbe marxienne, s’époumone de colère. Ses growls sont vraiment impressionnants de rage (« Decimatio »). On l’imagine déjà courir de long en large de chaque coin de la scène avec sa casquette vissée sur le crâne et le fil du micro à la main comme s’il tenait un fouet pour dompter le public.

Aujourd’hui, le quatuor de hardcore/grindcore s’affranchit donc de ses propres influences et de sa bête intérieure pour aller en puiser d’autres naturellement, n’hésitant pas à casser les codes, à se réinventer lui-même, à expérimenter (le riff tournoyant imparable de Jéjé Lapin sur « A Sun Rising West »).

Les membres de Nostromo ont essayé diverses choses en studio, ne se refusant rien du moment que ça colle à l’ambiance de l’album, comme nous l’ont confié Lad (basse, ingénieur du son) et Jéjé (guitare) lors de notre entretien en avant-première cet été 2022 car ils avaient tout le temps nécessaire, travaillant en pré-production dans le studio du bassiste, et puis pandémie oblige, pas de concert. Ils ont retenu certaines idées, se sont fait plaisir, se sont lâchés, mais toujours dans une ambiance lourde, oppressante, froide, même si certaines parties de guitares extrêmement heavy n’ont paradoxalement jamais été aussi chaleureuses malgré leur dissonance écrasante (le final hypnotique « Asato Ma » featuring leurs compatriotes de Monkey 3).

En conclusion, Bucephale de Nostromo est à l’image du cheval d’Alexandre le Grand : résistant, puissant, fidèle, courageux, noir, complexe et au caractère bien trempé, mais heureusement les gars, eux, de Nostromo, restent les mêmes : humains et adorables. Alors quoi, vous n’êtes pas encore partis au galop acheter cet énorme skeud de l’année 2022 ? [Seigneur Fred]

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