Sabïre possède un parcours quelque peu étrange, voire un peu surréaliste. Formé au Canada par le multi-instrumentiste et chanteur Scarlett Monastyrski en 2010, il lui faudra de nombreuses années pour réussir à sortir des méandres du rock business et nous proposer un premier EP, Gates Ajar, en 2018. Six ans plus tard, la formation basée un temps en Australie mais finalement de retour à son pays d’origine, nous offre enfin un magnifique premier album de glam rock, intitulé Jätt, sur le label français nordiste Listenable Records. Il en ressort une œuvre personnelle de la part d’un artiste à la sensibilité accrue. [Entretien avec Scarlett Monastyrski (chant, guitares, basse, claviers) par Pascal Beaumont/Laurent Machabanski – Photos : DR]
En 2020, tu as eu l’opportunité de tourner sur le Vieux Continent à l’occasion du « Europe Under The Whip ». Comment as-tu appréhendé ces dates ?
En effet, nous avons pu donner quelques concerts en Allemagne et tout s’est très bien passé, les shows étaient excellents. J’ai vraiment apprécié l’Europe. C’est vraiment dommage qu’en raison de la pandémie, nous ayons dû rentrer à la maison plus vite que prévu… (Ndlr : la tournée avait lieu du 6 au 20 mars 2020). J’aurai adoré pouvoir jouer en Grèce, en Pologne, en Espagne, etc.
Les shows de Sabïre sont assez spectaculaires avec beaucoup d’hémoglobine, un peu à l’instar de Wasp à son âge d’or. Qu’essayes-tu de transmettre lorsque tu es sur scène en fin de compte ?
La terreur ! (rires) C’est ce que je pense mais en réalité j’aime quand les gens s’amusent et passent un bon moment avec nous. Je suis très heureux avec ça. On fait ce qui nous plait, il y a du sang, des armes, j’aime jouer avec le public. On fait les choses sérieusement pour offrir un bon show mais on ne se prend pas trop au sérieux.
Il y a aussi ce fameux pistolet à eau que tu utilises sur scène, un peu comme Ozzy qui aime arroser le public, et qui est rempli d’alcool ?
Oui, on le remplit de Mezcal, c’est une forme de tequila, c’est quelque chose que l’on fait très souvent sur scène. On adore, j’ai reçu quelques plaintes de personnes qui nous disaient être devenues aveugles pendant quelques jours. (rires) On a eu quelques moments compliqués avec l’alcool mais c’est simplement pour s’amuser, tout ça n’est pas sérieux encore une fois.
Vous avez pu jouer aux USA, en Europe, en Australie, apprécies-tu la vie de tournée en tant qu’artiste ?
J’adore ça ! Mais malheureusement, nous n’avons pas pu énormément tourner pour le moment. On a joué effectivement en Australie mais c’était horrible. (rires) C’est dû au fait que nous n’étions pas assez connus là-bas. C’est toujours surprenant quand tu sais qu’en Europe et aux USA, on y a beaucoup de fans, mais pas en Australie malheureusement, cela n’a aucun sens. Mais la vie de tournée est vraiment agréable, on s’amuse bien. Ce que j’aime c’est qu’il y a toujours quelque chose qui ne vas pas, tu dois gérer et t’adapter à chaque fois. Chaque journée ressemble à un mois de la vie normal. Mais c’est tellement intéressant de vivre ça lorsque tu es loin de ton confort de la maison.
Ce premier album de Sabïre voit enfin le jour. Il s’appelle Jätt et est plutôt long car on y trouve quinze morceaux ! Dans quel état d’esprit était tu lors de l’écriture, j’ai l’impression que ça n’a pas été facile tous les jours ?
Ce qui a été le plus difficile, c’est le processus d’enregistrement. Pour l’écriture elle-même, cela a été assez facile. Je suis ravi que cela se soit passé comme ça. En studio, ce n’est pas nécessairement dur. Le problème c’est qu’enregistrer c’est un peu comme regarder à travers un microscope, tu vois chaque erreur et tu dois faire attention à tout. Par exemple, notre tout nouveau single s’appelle « I’m A Rock », cette chanson a été très compliquée à mettre en boite notamment au niveau des voix et de la tonalité qui est la plus haute que j’ai jamais atteinte. J’ai refait les parties vocales de nombreuses fois. J’avais la tête entre les mains, c’était très difficile, je les ai retravaillées tant de fois, je ne voulais rien lâcher. Je voulais qu’elle sonne d’une certaine manière et il m’a fallu du temps pour y arriver mais j’ai obtenu ce que je souhaitais. La composition a été assez rapide mais il y avait tant de choses qui me rendait fou, je gère tout. Si tu regardes mon studio (Ndlr : L’interview étant en vidéo, il me montre son studio), il y a des papiers partout, je m’occupe des finances, des titres, de tout. J’ai mixé ce disque et j’en ai aussi fait le mastering. J’ai tout enregistré par moi-même, je m’occupe de tout et c’est difficile de tout faire en même temps et de rester pour autant assez éloigné afin de garder toute son énergie pour avancer…
Tu décris souvent ta musique comme étant de l’acid metal. D’où t’est venue cette idée qui peut faire référence à tant de choses ?
Lorsque j’ai commencé à écrire, j’ai trouvé que ce qui en sortait n’était pas du speed metal, ni du heavy metal à la Iron Maiden. En fait, le public me disait que c’était bien plus que cela, alors appeler ça du heavy metal serait en quelque sorte une insulte par rapport au style. Ma musique a un coté un peu idiot, avec ce son acid metal qui vient des guitares, des modulations, des refrains, les paroles aussi qui sont un peu sombres et vont dans ce sens… Cela m’a fait réaliser que les gens se demandaient de quoi je parlais : de drogue, des crânes, de la mort, etc. tout ça nous emporte dans un univers qui m’appartient. Et puis notre production est très différente de la plupart des groupes qui sonnent moderne aujourd’huin ou du heavy metal actuel. On aime les variantes qui ne sont pas dans un esprit heavy metal. On a la possibilité de faire lever les foules et faire que tout se déchaine. Depuis que je joue, je n’ai pas vu de jeunes formations nous ressemblant à vrai dire. Je vois des gens hommes ou femmes qui nous regardent et qu’on emporte ailleurs dans notre monde, c’est pourquoi j’ai appelé ça de l’acid metal.
En studio, tu travailles à la maison mais de quelle façon enregistres-tu : en analogique ou avec des systèmes numériques modernes ?
Je fais tout digitalement. Cette façon d’enregistrer permet une grande versatilité et flexibilité, et ouvre aussi beaucoup de possibilité. Je peux faire des choses que je ne pourrais pas faire en travaillant seul d’une manière analogique. C’est certain que cela donne aux prises une couleur que le digital n’a pas. Mais le digital a cette possibilité d’imiter l’identité analogique. Je peux tout travailler, la tonalité, le son comme je l’entends et comme j’ai envie que ça sonne. Tout est digital excepté les voix, mais tout est fait maison quand même.
Lorsque l’on a véritablement découvert Sabïre, son univers, ses vidéos, ses photos, les crânes, le sang, la viande, les pistolets, j’ai immédiatement pensé à Wasp ?!
Oui, bien sûr. J’essaie d’être différent et je pourrais être ennuyé d’entendre ça mais j’ai réalisé qu’en nous voyant sur scène, le public pense à Wasp, mais pour moi c’est vraiment bien. J’apprécie que l’on puisse rappeler Wasp, cela signifie qu’on est différent comme eux l’étaient car ils avaient quelque chose de spécial et personne n’a pu les remplacer. C’est un très grand compliment pour moi. On pourrait dire que je chante un peu comme Blackie Lawless (Wasp) qui lui-même a été complètement influencé par Alice Cooper… (rires) Pour moi, Wasp, Alice Cooper, ce sont des références. Ces artistes ont une vision unique de ce qu’ils font et m’ont donné l’envie de faire mon truc. Ils avaient cette manière si personnelle de développer leur musique, ces éléments de folie en eux, il faut être un individu très spécifique pour faire ça. Je suis heureux et chanceux d’être capable de pouvoir faire ça et de pouvoir l’offrir à la nouvelle génération. C’est très sympa à faire. Mais l’influence ne vient pas que de là, il y a aussi Quorthon et Bathory, Cronos et Venom, qui sont importants pour moi, il n’y a pas que Wasp. Je suis très influencé par ce style avec toute cette mise en scène qu’ils ont su développer.
J’imagine que tu aimerais développer sur scène une mise en scène énorme comme Wasp, ou Venom, qui surent le faire à leur époque ?
Oui, j’aimerais beaucoup. Nous sommes ce genre de formation mais pour l’instant on ne peut se permettre que de petits shows mais tu sais malgré cela, avec notre performance, on arrive à impressionner le public présent et le fasciner. On a tellement envie d’aller plus loin, ça se voit en concert. J’adorerai avoir un show énorme et tu sais quoi nous l’aurons, mais pour l’instant on travaille avec ce que nous avons.
Jätt est un nom pas commun pour un titre d’album. D’où vient cette idée ?
C’est le nom que j’utilise pour « enfer », c’est un langage que j’ai crée il y a de nombreuses années, je crois que je devais avoir dix-huit ans lorsque j’ai inventé ces mots. Je développe à travers ce disque toutes les choses qui font penser à l’enfer d’une certaine façon. Tous ces mécontentements que nous avons et je montre les différents aspects que cela peut prendre. Je devais être créatif afin de partager cela avec les gens, cette partie de ma création, ce langage, toutes ces images et ces idées. Cet opus parle aussi du suicide décrit dans ses aspects physique et métaphysique, tu y es emmené et cela te conduit à des états compliqués. C’est un disque contre la dépression et le suicide.
Ce premier album a mis très longtemps à sortir, tu es tombé malade, tu as fait une dépression… La musique t’a-t-elle aidée quelque part à survivre et surmonter ces épreuves ?
Je devais m’arrêter. La musique à toujours été une thérapie, l’écriture aussi. Mais dans ce cas précis, c’était si sévère que je devais tout stopper et me faire soigner. Il m’a fallu des antidépresseurs et une psychothérapie pour m’en sortir et lutter contre cette maladie. J’ai dû fournir des efforts pour m’en sortir. La musique est mon soutient mais honnêtement là je devais me sauver moi-même et me guérir. J’ai arrêté ce disque pour faire appel à la médecine. J’espère qu’il pourra aider d’autres personnes qui vivent cela ou s’y intéresse. Cela a toujours été mon message depuis longtemps. Il n’y a pas beaucoup de personnes qui savent cela mais il y a une chanson que j’ai écrite lorsque j’avais vingt-et-un ans qui traite de ce thème. Peut-être un jour je la sortirais mais c’est un message que je transmets depuis longtemps.
Jätt contient déjà quatre singles diffusés : « Pure Fucking Hell », « Ice Cold Lust », « Call me Bastard », « I’m a Rock », et un nouveau « The Last Day ». C’est important pour vous de mettre en avant certains titres par rapport à d’autres ?
« Ice Cold Lust », était le premier single et cela devait être un repère un peu comme un « drapeau », le drapeau amiral. Il représente tout l’album. Je voulais avoir une bonne introduction pour montrer un peu à quoi s’attendre sur le disque. Pour « Call me Bastard », le label voulait une chanson avec un rythme rapide pour le prochain extrait. J’ai accepté, je leur ai donné celle-là. (rires) Cette chanson est un peu autobiographique avec des personnalités publiques, lorsque tu fais de bonnes choses, les gens se retournent sur toi. Peu importe ce que tu fais, ils te traitent de salaud. Donne leur quelque chose qu’il désire. Frotte ton visage juste un petit peu. « I’m A Rock », c’est plutôt une chanson ancienne, elle parait nouvelle mais elle ne l’est pas. J’ai terminé la démo en avril 2018, elle traite du thème d’être soi-même, d’être authentique et dans la place, vivre le moment présent. « Soyez vous-mêmes » en quelque sorte, cette devise je la garde toujours pour moi. Ce titre s’adresse à tout le monde. Quant à la toute dernière, « The Last Day » qui est une terrible chanson déchirante, triste, remplie de colère sur la perte et le désespoir. Je suis durement cassé. Je suis impatient que les gens puissent l’écouter.
Tous ces morceaux sont donc très autobiographiques, on sent que tu as souffert et c’est ce que tu exprimes à travers les textes, je suis certains que tu les as écris tous avec sincérité, mais y en a-t-il un plus prenant pour toi ?
Tu as raison, je me sens proche de toutes, je suis fier de le dire et d’être un artiste qui n’a pas besoin de se cacher è propos de ce genre de choses. Celle qui se rapprocherait le plus de mon âme serait « The Last Day ». Cette chanson ne signifie plus grand-chose pour moi. J’ai changé, je n’ai plus ce sentiment horrible, mais je veux le souligner que ce morceau était tout pour moi. Et même si ce n’est plus le cas aujourd’hui, elle pourrait l’être tout spécialement pour un auditeur.
Tu as indiqué que Jätt était un concept mais pas un album concept. Nuance… (sourires) Le premier titre qui ouvre le disque porte d’ailleurs bien son nom : « The Doorway » et le dernier qui le clôt s’appelle « The Stairs (exit) ». C’est un peu la porte ouverte vers un nouveau monde crée par toi, une invitation dans un voyage un peu étrange, c’est ça ?
Oui. La porte de Jätt c’est la structure de l’enfer, les marches représentent le chemin qui t’amène à cet abri. C’est l’antre noire qui est représentée par le morceau « The River (Centre) ». Tous les chuchotements que tu entends, toutes les âmes qui se parlent et qui ne peuvent s’entendre. C’est juste leur dernier endroit où tu peux aller. Les marches c’est un peu un paradoxe, elles sont moins longues en descendant et plus longues en montant. Tu rencontres ça généralement dans la vie. C’est facile de tomber mais c’est plus dur de se relever. Cela demande beaucoup de détermination, de croire, et de grimper ces marches horribles pour sortir de cet enfer. Le dernier morceau est optimiste et tient à dire mais comment te sortir de cette escalade vers l’enfer. Grimper pour s’échapper. C’est comme ça : « The Doorway », « The River » et « The Stairs (exit) » donc.
Le 8 juin 2019 tu as ouvert pour une véritable légende : Graham Bonnet (Rainbow, Msg, Alcatrazz), c’était à Sydney chez toi. Comment as-tu abordé ce show ?
C’était bien, même très bien. En fait je n’étais pas de bonne humeur lors de ce concert. Malgré cela, on a très bien joué tout en étant de mauvaise humeur. Je ne l’ai pas rencontré, je n’ai pas essayé. J’ai rencontré sa femme qui était très gentille et charmante, mon guitariste était si en colère de voir Graham Bonnet sur scène qu’il en a profité pour lui piquer des sandwiches dans les loges. (rires) En plus le guitariste de Graham Bonnet nous a rendus visite. C’était un bon show.
Mais en fait, tu as débuté en 2010 au Canada, pour ensuite partir pour l’Australie à Sydney, et revenir finalement dans ton pays d’origine, quelle était l’idée au départ ?
J’ai rencontré une femme là-bas avec qui je me suis marié. Je suis divorcé maintenant. C’est la raison pour laquelle je suis parti là-bas.
C’est l’amour qui a motivé ton départ finalement ?
C’était une histoire d’amour. J’ai vécu pendant dix ans là-bas et quand j’ai décidé de revenir au Canada, j’ai compris que j’en avais assez et que ma famille me manquait. Je suis revenu chez mes parents pour pouvoir les voir, épargner, et jouer avec mon groupe.
A propos de l’Australie, qu’as-tu découvert musicalement là-bas ? Qu’est ce qui t’as le plus surpris sur ce continent immense ?
Ce qui m’a le plus surpris, c’est le manque de metal. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de metal là-bas, il n’y a pas le style que nous proposons. Dans la ville de Maldon il y a énormément de musique, qui est incroyable, de la bonne musique punk et garage, tous les styles sont représentés. Ce type de metal est spécifique et n’existe pas à Sydney. Il n’y a pas de gars avec des cheveux longs qui marchent dans les rues de Sydney. Quant à Maldon, les gens cool sont partout, sympas. C’est si bon. Cette ville n’est pas dans cet état d’esprit. J’habitais à Sidney or je voulais vraiment habiter Maldon. Quant au pays par lui-même j’adore l’Australie, je suis fier et citoyen d’Australie. Je ne peux pas croire que j’ai les deux nationalités mais c’est le cas. C’est vraiment beau et unique, il n’y a aucun endroit comme ça. Tu peux vraiment comprendre la culture qui existe depuis mille six cents ans. C’est comme s’il n’y avait pas d’autre au monde. C’est un endroit cool et je me sens comme à la maison mais je suis heureux d’être revenu en Amérique du Nord. C’est juste sauvagement différent. Peut-être qu’un jour, je repartirais vivre là-bas mais je ne sais pas ce qui va se passer par la suite, sincèrement….
As-tu déjà commencé à penser et travailler sur la préparation de ton second album ?
J’ai réfléchi au prochain disque. Cela fait au moins deux à trois ans que j’y pense et j’ai déjà les titres, la direction artistique, j’ai déjà une bonne idée de comment il va sonner. J’ai attendu de pouvoir sortir cet opus si longtemps. J’ai déjà les trois prochains disques de planifiés. J’ai beaucoup de choses en suspens, c’est pourquoi je déteste énormément que Jätt ait pris si longtemps à être finalisé et ne voit le jour qu’à présent.
Au fait, d’où vient ce nom un peu étrange pour nous : Sabïre ? Est-ce le fruit d’une mure réflexion ?
Encore une fois c’est un nom écossais, c’est un nom raccourci. Sabïre était un héros écossais, un libérateur qui a combattu contre un autre tyran. Il s’est libéré à la fin de la campagne et réussi à être célébré par une statue, comme un dieu à son effigie, par les Écossais de son vivant. Depuis sa mort, c’est la tradition en Ecosse de ne pas donner le nom de Sabïre à un enfant. C’est un nom honorifique, donc le seul fait de l’appeler ainsi fait que l’on on pense à Dieu. Quand j’ai pensé à ce nom pour le groupe c’était pour avoir une nouvelle approche professionnelle de la musique, je ne pensai pas que l’on ferait un rapport avec cette histoire. En jouant c’est venu naturellement sans y penser. Si je dois porter un nom, personnellement ce sera Sabïre, et personne d’autre n’aura ce nom. Cela a marché parce que j’ai eu beaucoup de questions à ce propos. C’est bon de pouvoir y répondre correctement.
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