Le quintette parisien (à ne pas confondre avec le groupe doom metal suédois) que l’on avait découvert live lors du Superbowl of Hardcore de Rennes en 2022, vient de sortir son tout premier LP, Devotion. Celui-ci confirme tout le bien que l’on pensait d’eux en matière de hardcore ici, vous l’aurez compris. Et clairement, Sorcerer affiche déjà un énorme potentiel. [Entretien avec Dom Lucas (chant) et Guillaume Scaillet (guitare) par Norman « Sargento » Garcia – Photos : DR]
Pour ceux qui vous découvriront avec la sortie de votre LP, pourriez-vous revenir sur la genèse du groupe et nous expliquer ce qui le caractérise ?
Dom : On a monté le projet en 2020 avec l’idée de faire un truc plus « métallisé » que nos précédents groupes. On voulait faire quelque chose d’assez singulier sans vraiment savoir à quoi ça allait ressembler à la fin, puisque c’était la première fois que je prenais le micro. Sorcerer reste un groupe de hardcore dans sa démarche et son attitude, même si nos influences musicales sont larges et peuvent parfois en paumer certains. L’idée principale est de ne pas se mettre de barrières ou de faire un groupe « à la… ». On s’autorise aussi bien à piocher dans le metalcore des années 90, le NYHC plus moderne ou le death metal…
Guillaume : Ce qui ressort surtout, c’est le côté plus mélodique des compos qu’on essaie de joindre à des trucs plus violents. Mais c’est vrai qu’au fil du temps on s’est de moins en moins posé la question des influences, et ce n’est pas plus mal. On a digéré certains trucs, donc certains ressortent de manière inconsciente dans nos morceaux.
Vous avez partagé la scène avec pas mal de combos depuis vos débuts, le(s)quel(s) vous a (ont) le plus marqués et pourquoi ?
Dom : Tous les groupes avec qui on a matché humainement ont été marquants pour nous. Je pense évidemment à Pencey Sloe avec qui on a partagé le studio, ou à Guilt Trip qui nous ont toujours mis bien en tournée.
Je crois savoir que vous n’habitez pas tous dans le même coin en France, alors comment se passent vos sessions de répétition ? Même question pour l’enregistrement de Devotion, comment avez-vous procédé ?
Guillaume : La plupart d’entre nous habitent Paris et alentours mais Morgan (batterie) est à Caen, oui. On se débrouille pour répéter quand on peut, l’avantage c’est qu’on a pu pas mal roder la machine et qu’on est tous bosseurs, donc on peut s’appuyer là-dessus pour rester le plus efficace possible en live. Pour le studio, c’était un peu différent, l’album a été majoritairement composé par Tim (guitare) et moi, et on a enregistré « live » chez Amaury Sauvé, ce qui a nécessité une phase d’apprentissage et d’assimilation commune pour tous les morceaux. C’était en tous cas très cool pour le groupe de fabriquer l’album tous ensemble, ça contrebalançait pas mal avec l’approche habituelle.
L’album contient « seulement » huit titres, ce qui n’est pas quelque chose de rare dans le milieu hardcore, mais pourquoi ce choix : vous vouliez vraiment sortir les meilleurs titres possibles et éviter le « remplissage » ? Ou peut-on s’attendre à un nouvel EP rapidement par exemple, à court terme ?
Dom : Pour être franc, les albums trop longs me font vite chier dans le hardcore. C’est une musique qui se vit en live, les sets durent entre 15 et 25 minutes et c’est parfait. Notre album dure environ 30 minutes, ce qui selon nous est la bonne durée pour ce genre de format. On nous a déjà dit en sortant de scène que notre show était trop court, que les gens restaient sur leur faim, ce qui pour moi est le meilleur compliment que tu puisses faire à un groupe en live.
Guillaume : Comme on n’a pas d’idée précise sur la suite, on va déjà digérer l’album, puis voir après. C’est vrai que l’univers du groupe peut prêter à de l’expérimentation, mais on peut aller dans n’importe quelle direction : revenir à quelque chose d’encore plus hardcore, ou bien s’en éloigner encore plus… On n’en a aucune idée pour l’instant !
Devotion a été enregistré et mixé par Amaury Sauvé, qui n’est pas un inconnu (Birds in Row évidemment, It it Anita…) et masterisé par Thibault Chaumont (Carpenter Brut, Igorrr, Tagada Jones…). Pouvez-vous nous dire un mot sur votre collaboration avec ces deux acteurs de la scène musicale française ?
Guillaume : Comme dit plus haut, enregistrer avec Amaury, c’est enregistrer « live », donc c’était un vrai challenge pour nous dont on ressort grandis en tant que groupe. Ses références ne sont pas très proches de ce qu’on pratique, mais il y avait une logique et une approche qui nous intéressaient et qui nous semblaient aller de pair avec la couleur singulière qu’on voulait donner à l’album. Le processus a été vraiment très enrichissant, et pour ce qui est de Thibault, c’est le partenaire privilégié d’Amaury pour le mastering, donc ça s’est fait naturellement, d’autant qu’on avait déjà travaillé avec lui pour notre précédente sortie. On est vraiment heureux à quel point ces deux gars ont compris les enjeux qui étaient les nôtres, et ce qui en est ressorti a même dépassé nos attentes je dois dire.
C’est l’acteur Alane Delaye (vu notamment dans le Ptit Quinquin) qui figure sur votre pochette d’album, c’est une connaissance à vous ?
Guillaume : Je ne le connaissais pas personnellement mais le contact a été très simple, c’est un super gars. Je suis un immense fan de Ptit Quinquin et j’ai vu une forme d’évidence à l’associer à l’idée de la pochette, je suis très content qu’il se soit prêté au jeu.
Rentrons un peu plus dans le cœur des morceaux : les textes ont souvent une grande importance chez les coreux, quels sont les principaux messages délivrés à travers vos paroles ? Il y en a-t-il un qui vous tient le plus à cœur ? En passant, est-ce c’est toi Dom qui les écrit et les paroles sont-elles validées à chaque fois par l’ensemble du groupe ?
Dom : Les textes de l’album parlent principalement de dépression et de toutes les angoisses existentielles qui peuvent graviter autour. Tous mes textes sont importants pour moi, mais si je devais en mettre certains en avant, ce serait ceux où je parle le plus de moi et donc où je me mets le plus à nu. C’est le cas de « Fortress » ou « Someone Else’s Skin »par exemple. Ceci dit, je fais attention à ce que mes paroles restent assez imagées et abstraites pour que chacun puisse y voir ce qu’il a envie. Pour répondre à ta question, c’est moi qui écrit tous et je fais ensuite valider le thème, les textes et les placements par les autres.
La scène hardcore vit une période plutôt faste en ce moment, avec plein de groupes émergents ou qui se confirment. Comment expliquez-vous cette mouvance ?
Dom : Je pense que le confinement a permis à plein de kids de découvrir ce milieu d’un peu plus près en passant des heures sur Spotify ou YouTube. La culture étant beaucoup plus accessible qu’il y a dix ans, les plus jeunes ont pu faire leurs premiers concerts à la reprise en 2021 et apporter un peu de fraîcheur à la scène hardcore française qui battait un peu de l’aile depuis quelque temps. Il y a aussi un effet boule de neige, lorsqu’un bon groupe sort un projet solide et se fait valider, ça donne envie à d’autres d’en faire autant et donc ça crée une dynamique vertueuse. Ajoute à ça les nouvelles orgas de concerts ou encore les podcasts, tu augmentes forcément la force de frappe du milieu. Aujourd’hui on peut dire sans bégayer que Paris est une ville importante pour le hardcore en Europe, ce qui n’était pas le cas auparavant.
Selon vous, le hardcore doit-il cependant rester une musique ou scène dite « underground » ?
Dom : Oui et non, ha ha ! Je pense que c’est important de rester en marge et de préserver l’aspect « contre culture » et « niche » du hardcore. Par exemple, les concerts sont parfois violents et (selon moi) doivent le rester. En parallèle, il y a de plus en plus de mixité (h/f/nb) dans les concerts et c’est une bonne chose, on évolue en même temps que la société et ses mœurs. Si les vegans straight edge sont devenus une norme dans ce milieu depuis les années 80/90, ça devrait être la même chose pour les personnes queers, exemple parmi tant d’autres, qui sont encore trop stigmatisées, même dans une scène soi-disant ouverte d’esprit. Il faut trouver un équilibre entre préserver les valeurs et les codes inhérents au hardcore, et éviter le « gatekeeping » qui selon moi est un move de boomers aigris. Il y a une phrase qui revient souvent dernièrement sur le milieu et que je trouve assez juste : « Tout le monde est le bienvenu mais ce n’est pas pour tout le monde », débrouillez-vous avec ça… (sourires) Certains groupes comme Turnstile ou High Vis ont brisé le plafond de verre et arrivent à se produire dans des festivals plus mainstream, est-ce que c’est une mauvaise chose ? Je ne pense pas. Au contraire, si ça sert de porte d’entrée à des gens qui dans six mois iront à des shows plus intimistes, ça tue.
Guillaume : C’est là qu’on peut se dire qu’Internet est à la fois une bonne et une très mauvaise chose. On ne peut pas se plaindre aujourd’hui de l’exposition du style, qui explose par endroit. Ce qu’il faut se dire, c’est que c’est cool, que ça fait avancer plein de choses, maintenant des touristes, il y en aura toujours, et des « gatekeepers » y en aura toujours aussi. Je pense juste que souvent ces personnes ont tendance à oublier qu’ils ont pour la plupart eux aussi été des touristes, au départ, et il n’y a pas de mal à ça. Que personne ne se fasse de souci, les concerts violents existeront toujours, même s’il y a de plus en plus d’événements mainstream. Ce sont justes des parties de la scène qui s’ajoutent les unes aux autres, il n’y a pas de danger !
J’ai lu dans un live-report daté de 2023 que vous étiez comparé à Indecision sur certains aspects, qu’est-que cela vous inspire ?
Dom : C’est toujours flatteur d’être comparé à un groupe culte, mais on ne cherche pas du tout à ressembler à qui que ce soit. Les gens pourront retrouver diverses influences dans nos morceaux et c’est bien normal, on est pas non plus un ovni musical mais le but c’est de sonner Sorcerer !
Vous êtes en tournée en ce moment, avec aussi une programmation dans pas mal de festivals de renom (Hellfest, Leperfest…). Comment appréhendez-vous ces grands rendez-vous ?
Guillaume : C’est vraiment cool car il y a un peu de tout. Il y a un monde entre le Leperfest et le Hellfest, et je trouve que c’est tout à l’honneur d’un groupe d’avoir des billes à plusieurs endroits. J’ai hâte de voir comment on va gérer les énormes scènes, je le vois comme une expérience excitante dans une « to do list » ; même si chacun a ses préférences, je pense que c’est très bien pour le groupe de ratisser large.
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