Formé en 2013 du côté de Rouen, le trio normand Sordide n’en est pas à son premier coup d’essai, et malgré les années, on ressent toujours cette urgence et ce côté presque viscéral à l’écoute de leur black metal’n roll très brut et austère aux accents punk. Et c’est justement ça que l’on apprécie chez Sordide, que ce soit d’ailleurs en live sur scène, ou bien sur disque. Leur cinquième méfait au titre toujours aussi gai, Ainsi Finit Le Jour, ne déroge pas à cette règle, même si l’on a essayé de bousculer un tant soit peu leurs habitudes à travers quelques questions adressées à deux de ses représentants qui ont bien voulu nous répondre par fidélité à Metal Obs. On les remercie encore ! [Entretien avec Nehluj (guitare/chant) et Nemri (batterie/chant) par Seigneur Fred – Photos live : Seigneur Fred ; autres photos : DR]
Comment allez-vous à présent ? La dernière fois que l’on vous a pu vous interviewer, c’était pour votre quatrième album Les Idées Blanches en 2021 ? (lire notre interview ici)
Nemri : En ce qui concerne Sordide, nous allons très bien : l’entrée récente de Nebhesrt dans le groupe nous a permis de retrouver une énergie énorme. Son arrivée a tout de suite été suivie d’une première tournée en France, puis de la composition et de l’enregistrement d’Ainsi finit le jour, et plus récemment d’une mémorable et cathartique tournée en Finlande. Sur nos états personnels, nous ne nous dévoilerons rien d’autre que ce qui transparaît dans nos paroles.
Aussi, pour le soutien scénique des Idées Blanches, nous avions pu assister à l’un de vos performances live, c’était au Mans en novembre 2021 avec Céphéide. Cela coïncidait alors à la timide reprise des concerts après la pandémie… Une sale époque mais vous voir en live était un bel espoir… Était-ce un bon souvenir pour vous ? (voir notre live report en 2021 ici)
Nehluj : Oui très bon souvenir pour nous, on était contents de pouvoir reprendre la route, Olivier nous a super bien accueillis et c’était notre première fois au Mans !
Nemri : très bon souvenir oui, comme la grande majorité des concerts que nous avons eu la chance de donner. Mais c’est vrai que Sordide ayant été particulièrement affecté par le covid (nous avons dû reporter notre tournée européenne avec Neige Morte quelque chose comme cinq fois), les premiers concerts après les confinements étaient une forme de libération.
Justement comment pourriez-vous résumer ces dernière années d’activité de Sordide ?
Nehluj : Juste après la pandémie, nous avons sorti un petit recueil compilant les paroles des trois premiers albums, chacune illustrée par un artiste différent. Ensuite nous avons sorti Les idées blanches et repris les concerts comme on le disait : deux tournées avec Neige Morte, les festivals Roadburn, Rock in Bourlon, Tyrant Fest, Hellfest… Le marché des producteurs de Chazeaux, trois dates avec Aluk Todolo, le Nordanpaunk en Islande… Et puis en parallèle, nous avons monté un set de reprises de Nirvana pour un concert surprise au Roadburn qui était censé être un one-shot, mais nous l’avons ressorti à la demande de certaines orga où Sordide était programmé (Tyrant Fest, Rock in Bourlon) pour remplacer des annulations de dernières minutes. Nous avons joué ce set Nirvana une dernière fois en septembre 2023 à l’occasion du festival Frisson Acidulé, ce concert étant le dernier avec notre bassiste Nehben.
Nous avons donc par la suite accueilli Nebersth avec lequel nous avons rapidement enchaîné une tournée française, l’enregistrement d’Ainsi finit le jour et la tournée finlandaise de cet été.
Pour cette nouvelle interview, vous n’avez pas souhaité y répondre par vidéo sur Zoom ni une diffusion sur YouTube, chose que nous respectons tout à fait. Mais pourquoi donc ? Quelles sont vos raisons que l’on respecte tout à fait, sachant que traditionnellement nous avons l’habitude de vous publier à l’écrit, bien sûr, mais voilà, les temps changent, et les gens lisent de moins en moins et recherchent l’info sur des réseaux sociaux et de façon multimédia, sur plusieurs canaux, internet étant devenu indispensable pour votre promotion, y compris dans le black metal… (sourires)
Nehluj : Notre but premier en tant que musiciens de Sordide est bien entendu de faire de la musique : la créer, l’enregistrer et la jouer sur scène. Pour ce qui est des activités annexes nous nous réservons le droit de nous limiter à ce qui nous semble pertinent et intéressant, ce qui nous a déjà amené à refuser des interviews par exemple. Le format vidéo ne nous convient pas spécialement puisqu’il nous semble qu’en interview c’est le propos qui doit primer, pas l’image. L’évolution dont tu parles est intéressante : l’utilisation des réseaux, le fait que les gens lisent moins etc. Cela amène à questionner l’idée de progrès et surtout l’attitude à adopter face à ce dernier. Etant donné que nous ne sommes pas particulièrement attachés à l’apparence et qu’il nous semble important de prendre le temps de lire si un sujet nous intéresse, il nous paraît judicieux de dire “non” lorsqu’on nous propose une interview vidéo.
Nemri : Exactement, et j’ajouterais que la vidéo et les interviews enregistrées impliquent de révéler davantage l’individualité de chacun d’entre nous, chose que nous refusons au maximum. Nous parlons habituellement d’une seule voix, et le fait même que nous répondons à ta demande de préciser qui parle dans cette interview est inhabituel pour nous. En bref, nous sommes un groupe où chacun importe autant que les deux autres.
Alors merci pour vos précisions. À propos maintenant de vos artworks, ils sont toujours relativement abstraits. On se souvient de celui du précédent album, comme une peinture de matières sur fond blanc, relevant plutôt de l’art contemporain… Pour le nouveau d’Ainsi Finit Le Jour, cela n’échappe pas à cette règle mais on est sur un artwork plus sombre mais tout aussi abstrait. Est-ce là une marque de fabrique chez Sordide et que représente la nouvelle pochette ?
Nemri : Cet artwork nous paraît plutôt clair et direct : en fait il s’agit d’un feu. Le feu semble étonnamment nourrir une grande partie de l’album, alors que la réalisation du visuel a lieu après l’écriture de la plupart des paroles. Il a été exécuté par Tryfar, un graphiste italien rencontré grâce à l’un de nos anciens labels (Avantgarde Music). Nous lui avons envoyé une sélection de photographies d’un même feu, dont une photo nous semblait devoir être la cover, et lui avons ensuite laissé une totale liberté, tout en lui suggérant un fond noir et un feu rougeâtre. En ce qui concerne plus généralement les artworks des albums, il y a en effet toujours de l’abstrait, toujours de la texture et du grain résultants de gestes visiblement violents ou du traitement extrême des médiums (qu’il s’agit des photos, de la peinture à huile pour Les idées blanches, ou du monotype pour Hier déjà mort). Mais tout aussi souvent, des pans de réalité ou des formes de représentations transparaissent, qu’il s’agisse d’illusions ou de représentations effectives. Le visuel de Fuir la lumière est par exemple une véritable énigme, dont nous n’avons même pas toutes les clefs. (sourires)
« Ainsi Finit Le Jour », tel est le titre ce cinquième méfait. Cela signifie-t’il donc que les chansons se rapportent au crépuscule et au monde de la nuit, voire une certaine décadence et arrivée des ténèbres dans notre monde moderne ? Une sorte d’apocalypse, mais pas forcément au sens chrétien du terme ? Peut-on parler de black metal nihiliste peut-être chez Sordide ?
Nehluj : “Ainsi finit le jour” est le titre d’une des chansons. Ce titre nous semblait approprié pour désigner l’album dans son ensemble, et il faisait sens avec l’idée de la pochette. Il ne se rapporte pas forcément à l’intégralité des paroles des chansons qui ont chacune une identité propre.
Nemri : Nous avons tous les trois été rapidement convaincus par ce choix de titre de l’album. Sans doute la plus black metal et la plus sombre de l’album, cette chanson peut être lue et comprise de nombreuses façons, à la manière du feu qui couvre l’album.
La première chanson de l’album, « Des Feux Plus Forts », constitue le premier single diffusé sur internet. Elle est très brute, presque sale, avec un larsen en début de piste. Pourquoi ce choix et comment s’est-il opéré ? Conjointement avec votre label LADLO, j’imagine ? Ou bien est-ce l’inverse : un choix imposé de votre label et des membres du comité artistique de LADLO ?
Nehluj : Pour choisir les deux singles dévoilés avant la sortie de l’album, nous avons proposé à LADLO trois chansons qui nous semblaient appropriées. Ils ont ensuite fait leur sélection. Nous avons choisi des chansons suffisamment concises pour remplir ce rôle, qui donnent un aperçu de ce que peut être l’album, sans trop en dévoiler.
La production sonore y est très brute, organique, et live, et cela correspond bien à Sordide que l’on a donc déjà pu voir en live. C’est important pour vous d’avoir ce son sur album et à la fois sur scène, avec notamment une basse relativement mise en avant, chose rare parfois dans le metal extrême ?
Nehluj : Sordide a toujours réalisé ses prises instrumentales en live, c’est pour nous la seule façon de retrouver l’énergie et l’alchimie nécessaires à la bonne interprétation de notre musique. Il est aussi important pour nous qu’il y ait une forte cohérence entre ce qu’on entend sur le disque et ce qu’on entend en concert. La formule power trio nous permet que chaque instrument puisse trouver sa place et être mis en valeur : la basse ressort donc naturellement.
Quels étaient vos objectifs lors du processus de composition et d’écriture de ces neuf nouveaux morceaux constituant Ainsi Finit Le Jour ? Avez-vous essayé de continuer dans le sens des Idées Blanches, en poussant peut-être encore plus les potards ?! (sourires)
Nehluj : L’objectif était de poursuivre la recherche de ce que peut être l’identité de Sordide en renforçant certains aspects et en essayant d’ouvrir d’autres fenêtres, de trouver d’autres directions. C’est notre album le plus long et sûrement aussi le plus diversifié.
Nemri : Nous avons aussi recherché davantage de violence. Nous avions tous un certain besoin de traduire différentes formes de violences, et la musique est un exutoire incomparable.
À la batterie, on se souvient t’avoir vu live, David Hémery, enfin alias « Nemri ». Tu nous avais particulièrement surpris en concert par ton jeu puissant et démonstratif, presque digne d’Animal dans The Muppets Show, comme ici lors d’une battle culte avec Dave Grohl. Comment t’es-tu préparé sur ce nouvel enregistrement car on a l’impression que tu joues à côté de nous dans notre salon (cymbales ride…) ? Est-ce toi qui assures toutes les parties de batterie ici, et Sordide est-il ton principal groupe à côté de Mälemort et Iffrenet ?
Nemri : Très belle comparaison avec Animal ! Pas de préparation particulière, uniquement beaucoup de travail en groupe. Au rang des plus actifs il y a en effet Sordide, Iffernet et Mòr. Mälemort sortira bientôt d’une longue hibernation.
Une influence palpable dans la musique de Sordide est certainement Darkthrone, sur sa période la plus brute (Total Death et Goatlord (1996), même si Goatlord fut enregistrée auparavant) et surtout punk (2006-2010). Par exemple sur la troisième chanson intitulée « Le cambouis et le carmin ». Suis-je dans le vrai ? Et que pensez-vous de leur évolution musicale de plus en plus proche de leurs racines heavy et doom metal finalement, voire progressives ?
Nehluj : Il est indéniable que Darkthrone est une des références majeures pour qui souhaite s’aventurer dans le black metal. L’évolution de Darkthrone dans l’ensemble est très intéressante car elle révèle une grande liberté artistique, une certaine envie de n’en faire qu’à sa tête et surtout le plaisir de continuer à faire de la musique après toutes ces années.
Vous sentez-vous proches d’autres artistes appartenant au catalogue de LADLO, je pense par exemple à Miasmes, autre groupe français qui a aussi ce côté rugueux dans son style de black metal ? Une tournée avec eux serait-elle envisageable ? Avez-vous des projets avec d’autres formations, hors du label peut-être, pour élargir votre auditoire ?
Nemri : Si on commence à avoir joué avec quelques groupes de LADLO, les concerts en commun restent rares. On se sent plus proches de groupes comme Neige Morte, Mandibula, Cerbère, Aluk Todolo, ou Year Of No Light, car on est particulièrement sensible au côté humain, et c’est plutôt avec ces groupes que nous nous sommes liés d’amitié. Ayant fait quelques dates avec Aluk Todolo et Year Of No Light, nous sommes plutôt restés sur le projet de tourner à nouveau avec eux.
Dans les crédits du nouvel album Ainsi Finit Le Jour, est mentionné « La Harelle », qui, me semble-t’il, est un collectif musical normand de musique de metal extrême. Pouvez-vous nous en dire davantage là-dessus ? Que est son but ? Est-ce une sorte de réseau local ?
Nemri : La Harelle, c’est le collectif qui réunit Sordide, Iffernet, Mòr, Oderg In, Void Paradigm et The True Malemort. Nous participons désormais à la production de nos propres albums, organisons des concerts à Rouen en tentant de faire venir des groupes en tournée (Mizmor et Sunken cette année) et de faire jouer des groupes locaux en supportant les dates avec nos propres groupes. Bref, on essaie autant que possible de participer à la scène locale rouennaise -certaines villes plus grandes ont pas la chance d’en avoir- tout en montrant que le black metal à bien plus à voir avec la tolérance et la libération, qu’avec les idées et les comportements surannés.
Enfin, quels sont les projets de Sordide pour cette fin d’année 2024 ? Un vidéo clip peut-être ? Des participations à des festivals français (LADLO, Muscadeath, Hellfest, Motocultor…) et peut-être aussi à l’étranger malgré le fait que vous chantiez en français ?
Nemri : A priori surtout pas de vidéo clip. Nous espérons pouvoir participer à quelques festivals l’année prochaine. Nous préparons surtout une tournée européenne en février prochain, qui nous emmènera dans des pays où nous n’avons jamais (ou peu) joué : Croatie, Serbie, Bosnie, Hongrie, Autriche, Slovénie et Pologne avant de revenir par l’Allemagne.
Nous venons d’apprendre que la plus grande partie des écoutes des feux singles déjà sortis venait des États-Unis. On y songe des fois ! Merci Lord Fred !
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