SPECTRAL SOULS : la fureur de vivre

Alors que la planète football avait les oreilles et yeux rivés dernièrement sur l’Argentine devenue championne du monde du ballon rond fin 2022, non loin de là, en Amérique du sud, éclata au même moment une guerre civile dont personne ne parla (ou très peu) au Pérou… C’est dans ce contexte particulièrement violent et tendu que nous avons tenté de faire connaissance avec Spectral Souls, nouveau combo surmotivé de death metal old school. [Entretien avec Martín Revoredo (guitare/chant) réalisé par Seigneur Fred – Photos : DR]

Comment se porte la scène métal en Amérique du Sud de nos jours, et en particulier la scène métal extrême péruvienne, car depuis l’essor des Brésiliens de Sepultura et Angra dans les années 1990, on ne voit guère de nouveaux groupes qui émergent d’Amérique du Sud ? Hormis Krisiun, Nervosa, Crypta, ou Brujeria (du Mexique), beaucoup de formations demeurent underground…
Eh bien, en Amérique du Sud, tu peux trouver des groupes incroyables, en particulier au Chili, en Argentine et bien sûr au Brésil, mais beaucoup de leurs chansons sont chantées en espagnol, donc je pense que c’est le principal problème pour obtenir de nouveaux marchés. De plus la scène mexicaine est super aussi, ils ont maintenant de gros festivals avec les plus grands groupes du monde qui y jouent, rien à envier aux grands événements européens. Dans le cas du Pérou, chez nous, c’est un peu différent, il y a de nombreux groupes, une petite scène, mais presque tous sont underground et particulièrement dans le métal extrême. C’est vrai que notre scène a grandi ces dernières années, mais pas assez pour être remarquée malheureusement. Il y a beaucoup de très bons groupes de power metal, de thrash et death metal, certains d’entre eux ont signé avec des labels underground mais n’ont pas la meilleure distribution pour être sincère. Donc tout ça reste underground ici.

Parlons maintenant de Spectral Souls : comment le groupe a-t-il été fondé à Lima en 2019 car si mes informations sont exactes, vous n’êtes pas des débutants vous quatre ? Vous n’êtes pas, pourrait-on dire, de nouvelles âmes vierges sur la scène métal underground péruvienne car la plupart d’entre vous ont déjà joué dans d’autres formations par le passé, n’est-ce pas ? (Miserable, M.A.S.A.C.R.E., Blasphemous Division, Metal Crucifier, Cecropsya, Epilepsia, etc.)
Bon, tous les membres sont des musiciens avec beaucoup d’expérience et de nombreuses années dans la scène comme tu l’as en effet mentionné. Sur la façon dont le groupe a été fondé, Spectral Souls est né début 2019 à Lima au Pérou, avec moi-même, Martin Revoredo, aux guitares, Miguel Cabezas au chant et David Suchero à la batterie. Dès le départ, l’idée principale était de travailler dans le style death metal. On avait déjà des chansons composées auparavant. Après les premières répétitions, nous avons eu pour tâche de compléter le line-up et avons décidé de contacter Félix Silva (ex-ancien Trauma) en tant que second guitariste, et en même temps plusieurs alternatives ont été envisagées pour occuper le poste à la basse. Au final, Adrián del Aguila (ex M.A.S.A.C.R.E) a obtenu le poste, et la première composition du groupe a été complétée ainsi. Pendant ce temps, le groupe a poursuivi le processus de composition et a donné son premier concert à la salle impériale de Lima à la mi-2019. Au bout de quelques mois, il fut décidé d’un commun accord que Félix Silva quitterait le groupe, puis Walter Costa le remplaça à la six cordes, entre-temps, il en fut de même pour Miguel Cabezas, qui a quitté Spectral Souls, et n’ayant pas de remplaçant en vue, j’ai pris aussi le poste de chanteur. Et comme dernier changement, Walter costa a été remplacé par Manuel Rodriguez qui a complété le line up final actuel que voici :
– Martin Revoredo : guitare et voix
– Adrián del Águila : basse
– Manuel Rodriguez : guitare
– David (Téo) Suchero : batterie

Ce que j’ai toujours aimé dans les groupes sud-américains, c’est leur dévotion et leur fureur qui s’en dégagent. Cette rage est caractéristique chez vous à travers la musique (Sepultura, Krisiun, Nervosa…). On retrouve donc chez Spectral Souls cette même énergie. D’après toi, pourquoi ? Comment expliques-tu cette énergie, cette férocité commune à tous ces groupes sud-américains dont le vôtre ?
Il y a une expression populaire qui dit : « Nous sommes sud-américains, nous sommes nés pour souffrir ! ». (rires) Beaucoup de nos pays ont souffert de la religion, du terrorisme, des dictatures, des guerres de narcotrafic, de la pauvreté, de l’ignorance, de la corruption, donc je pense que toutes les générations expriment d’une façon ou d’une autre ce qu’elles ressentent dans leur vie. Ici la réalité est plus terrifiante que la fantaisie, donc je pense que c’est la principale raison. La plupart des groupes sud-américains de métal ont ce sentiment de rage à l’intérieur, et nous n’échappons pas à ce destin…

En fait, Spectral Souls a sorti son premier album Towards Extinction en avril 2022, mais il est réédité à présent sur Hammerheart Records. Au départ, vous étiez libres et n’aviez donc alors aucune pression pour enregistrer alors. A-t-il été facile de trouver un contrat avec un label européen comme Hammerheart Records plus tard ?
Nous avons toujours fait de la musique parce que nous aimons le faire, pas pour aimer les gens ou les labels, si dans le processus des gens comme nous font et rejoignent notre passion, super, sinon c’est bien aussi ! Nous n’avons jamais pensé que l’on signerait avec un label, bien sûr tous les groupes ou beaucoup d’entre eux ont pour objectif d’obtenir de nouveaux marchés, de partir jouer en Europe, aux États-Unis ou de faire partie d’un grand label. Dans notre cas, oui, c’est aussi un souhait, mais ne constitue pas la principale raison d’écrire et de jouer de la musique. L’histoire avec Hammmerheart était particulière, j’étais à Washington parce que j’allais au Maryland Death Metal Festival aux États-Unis. J’étais dans ma chambre d’hôtel avec mon ordinateur et là j’ai vu un post de Hammerheart Records sur internet qui annonçait la sortie d’une nouveauté chez eux. Et là je me suis : « et pourquoi pas nous ? ». Alors je leur ai envoyé un message avec le lien de l’album déjà prêt, bien sûr je ne m’y attendais pas et j’ai répondu assez lentement. Mais pendant ce voyage, j’ai eu une réponse et ça m’a surpris, ils avaient déjà écouté l’album et aimé ça. Guido du label m’a écrit en me disant qu’il voulait travailler avec nous ! Depuis ce jour, ce sont des gars formidables, nous sommes ravis de travailler avec eux.

Comment et où avez-vous enregistré ce premier album studio pour retrouver cette vibration old school dans votre death metal ? Aux Giovanni Lama Studios peut-être qui est un home studio d’un des membres de Spectral Souls ? Dans quelles conditions ? Vous avez besoin de voyager et de vous déplacer pour cela ? Existe-t-il de bons studios d’enregistrement au Pérou aujourd’hui ? Par exemple, je me souviens d’Abhorrence en 1999, un groupe de death metal brésilien qui enregistrait son premier LP chez lui et dormait par terre en studio pendant la session d’enregistrement…
Début 2020 et durant la pandémie, a eu lieu le processus d’enregistrement du premier album Towards Extinction. On a commencé aux studios Giovani Lama, oui. Ce fut un casse-tête à cause de la situation sanitaire qui a retardé beaucoup les choses. On a passé plus longtemps que prévu, près d’un an et demi de travail acharné, entre les confinements instaurés par le gouvernement et divers obstacles, l’enregistrement a été terminé. En fait, Giovanni Lama est un ami à nous et est le propriétaire de l’un des studios les plus populaires de Lima, où presque tous les groupes de métal enregistrent leurs albums ici. Bien sûr, il y a d’autres bons studios, mais nous avons décidé de travailler avec Giovanni parce que c’est aussi un métalleux et qu’il comprend notre point de vue. (sourires) En ce qui concerne le son, Adrian del Aguila (bassiste) était l’homme de la situation ! Il a clairement indiqué comment le groupe voulait sonner. On voulait un son comme si des âmes spectrales erraient… Mais avec ce feeling des années 80 : Morbid Angel, Pestilence, les premiers Death, etc. Donc avec ça en tête, il s’est mis à travailler dans le mixage, notamment à la batterie, on voulait être loin des sons modernes, sans trigger (déclencheur) en plus, on voulait des sons les plus vrais possibles, et je pense qu’Adrian a réussi ! On est vraiment satisfaits du résultat, mais bien sûr nous ferons quelques ajustements dans notre prochain album pour le rendre encore plus live et plus old school !!

L’illustration de l’artwork de Towards Extinction est typique de la vieille école du death metal pour un disque du genre. Qui l’a dessiné ? On peut le comparer un peu au travail de Grave par exemple. Au-delà de la musique, tu voulais logiquement aussi une approche old school pour la pochette en liaison avec ta musique ?
Tout à fait. J’ai contacté Alan Corpse, un artiste incroyable, qui a travaillé avec de nombreux groupes de métal ici, et lui ai expliqué ce que je faisais, ce que je voulais exprimer avec Spectral Souls. Je voulais que chaque chanson de l’album y soit représentée sur la pochette. La particularité est qu’il est un artiste manuel. Il dessine tout, à l’ancienne, comme nous en quelque sorte ! (rires) Il n’a pas utilisé d’ordinateur pour cela, l’artwork a été réalisé sur du papier avec des peintures en couleur. Donc lorsque l’on travaille de cette façon, tu ne peux pas vraiment faire d’erreur car le papier ne peut pas résister à de nombreux changements. A la fin, il a obtenu une grande pièce d’art. Nous avons travaillé conjointement pour arriver à l’artwork actuel. Alan Corpse a été très impliqué dans le processus avec nous.

Pour un premier nom d’album, Towards Extinction sonne très pessimiste. Et le titre des chansons va dans le même sens : « No Hope Humanity », « Fuck The World », « Major Depressive Disorder » … Penses-tu que la pandémie et tout le contexte politico-social au Pérou a affecté votre état d’esprit lors de l’écriture et du processus d’enregistrement de l’album en 2020-2021 ?
Pas du tout, car l’album a été écrit bien avant le début de la pandémie. Pendant la pandémie nous étions déjà en train d’enregistrer. Pour le nom de l’album, je ne dirai pas pessimiste, je dirais plutôt réaliste ! Le thème de l’album s’inspire de la capacité d’autodestruction de l’être humain, explorant la misère de l’Homme et ses grands ennemis, comme la religion, la politique, les réseaux sociaux, les nouvelles générations focalisées sur leurs écrans, etc. En conclusion, tout ce qui éloigne l’Homme de cette race forte qu’il devrait être et nous transforme en êtres faibles, sans caractère, sans âme, détruisant tout par leurs actes dénués de sens et de respect. Cela implique tout un tas de sentiments misanthropiques ici, et tout ce que nous ressentons quotidiennement dans nos vies, tout ce que nous voyons. Nous sommes la pire espèce de la planète, je pense.

Sur ce premier album, on entend bien qu’il y a eu un gros travail en studio sur chaque instrument. L’implication de chacun se ressent : batterie, chant, basse et guitares. Les riffs sont très puissants, mais il y a aussi un gros travail dans les leads de guitare (shredding principalement). Par exemple, j’aime beaucoup la chanson « Ego man ». Quelles sont vos principales influences en la matière, et comment vous partagez-vous les rôles principaux entre toi, Martín, et Walter Costa aux guitares ?
J’ai écrit l’album complet, mais la formule n’est pas toujours la même, pour les solos de guitare. J’ai juste l’idée typique de combiner les guitares, donc je montre à Walter où sont les parties qu’il doit jouer, et le laisse s’exprimer, donc la combinaison a été donnée naturellement. Bien sûr nous avons deux styles totalement différents, donc je suppose que cela nous a donné plus de dynamisme au sein des morceaux. Concernant la chanson « Ego Man », j’ai été inspiré par de nombreuses personnes que j’ai connues dans ma vie et encore aujourd’hui. C’est à propos des gens qui prétendent être les meilleurs dans tout ce qu’ils font, dans certains cas des gens talentueux, dans d’autres disent des conneries… (rires) Donc tu peux être talentueux, mais ça ne veut pas dire que tu as le droit de te sentir puissant sur le reste, de discriminer ou de juger le travail des autres ! L’ego est le défaut le plus terrible et le plus dangereux des hommes ! Évidemment, nous devons tous lutter contre notre propre ego, c’est un combat de tous les jours, mais dans certains cas, l’ego est comme un mode de vie chez certaines personnes ! (rires)

Il y a une chanson intitulée « Scum Politic » qui figure sur votre album. Elle est très directe mais ne sonne pas grindcore comme la chanson de Napalm Death « Scum » et son album culte… (sourires) Peut-être que cela se rapproche davantage de Terrorizer ou de Repulsion finalement. Apprécies-tu aussi la musique death/grindcore et pourrais-tu à l’avenir ajouter des influences old school grindcore dans vos chansons dans un deuxième album dans le futur ?
Oui, mais rien à voir ici avec Napalm Death. À la limite peut-être que c’est plus proche de vieux Carcass, mais je ne suis pas un gars fan de grindcore, je suis plutôt issu du death metal. Je pense que le prochain album (déjà écrit) sonnera d’ailleurs encore plus death metal que celui-ci, peut-être moins thrash mais il n’y aura pas d’esprit grindcore, du moins à ce que je vois actuellement. Tu sais, à la fin, ce sont les gens qui ressentent cela quand ils écoutent, et c’est ok du moment que ça leur va.

Enfin, peut-on espérer voir se produire live Spectral Souls en Europe et notamment en France l’année prochaine ? Lors d’une tournée peut-être ou dans des festivals d’été par exemple ? Ou alors c’est trop compliqué pour vous et trop cher pour partir en tournée à travers le monde, même comme support d’un plus grand groupe (comme Obituary par exemple) (sourires) ?
C’est notre objectif principal, nous nous attendons vraiment à ce que l’album soit bien accepté après la sortie par Hammerheart en février et, si l’album reçoit un bon accueil, nous parlerons peut-être avec le label pour avoir l’opportunité d’aller jouer en Europe ! Ce n’est pas infaisable ni trop difficile, il faut juste le planifier, et bien sûr ouvrir en première partie d’un gros groupe, ce serait un rêve qui deviendrait alors réalité ! Personnellement, je suis allé en France deux fois, la dernière fois en octobre 2022. C’est l’un de mes endroits préférés au monde. En fait j’ai fait ma demande de mariage à ma femme à Paris, alors avoir la chance de jouer là-bas serait l’une des meilleures expériences pour moi et bien sûr pour le reste du groupe !

Avant de se quitter, aimez-vous le football et suivez-vous la coupe du monde de football masculin au Qatar et la finale entre la France et l’Argentine ? (NDLR : entretien réalisé juste avant la finale du 18/12/2022) Ou bien vous vous en fichez et le death metal est votre seule religion ? (Car les argentins sont fous de Messi et du foot en général, un peu comme nous en France avec le joueur français Mbappé)
Nous sommes des fous de football ! Surtout Adrian, mais Manuel, Adrian et moi jouons depuis notre enfance ; Teo est plutôt un gars de jeux vidéo ! Le Pérou est un pays de football très fou aussi, et nous adorons. Bien sûr nous célébrons la victoire de l’Argentine, mais nous reconnaissons que la France a une équipe incroyable ! (sourires) Le Pérou et l’Argentine ont une relation historique, tu sais, à cause de la guerre des Malouines, il y a une forte relation amicale entre nous. Nous sommes donc heureux que l’Argentine soit la nouvelle championne !!


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