Pas facile d’être une formation de metal extrême située, pour nous, dans la lointaine Australie, et qui plus est expérimental en mélangeant sonorités électro/indus. Pourtant, The Amenta fit parler de lui assez rapidement en signant d’abord un deal avec le label français Listenable Records pour trois albums chocs dans le genre, puis un quatrième opus Revelator en 2021, toujours sur un label français, Debemur Morti Productions. Depuis la crise sanitaire qui ne les épargna pas non plus en Océanie, le quintet de Sydney a de l’énergie à revendre, sortant un split EP avec les Italiens d’Aborym et un autre EP Solipschism. À présent, ils s’attaquent à des classiques ou raretés d’artistes qui les ont influencés dans leur jeunesse durant les années 90 et 2000 à la sauce The Amenta. Cela donne Plague Of Locus, un disque de reprises surprenant ! [Entretien avec Timothy Pope (samples, programmations, textes) par Seigneur Fred – Photos DR]

Eh bien, pour commencer, comment allez-vous en Australie depuis la sortie de votre précédent album studio Revelator en 2021 ? Avez-vous pu votre produire live depuis sa parution et faire une tournée « normale » en Australie, en Asie, en Europe et en Amérique peut-être après la pandémie que l’on a tous connue ?
Nous nous en sortons très bien ici. On se prépare pour une tournée en Australie pour soutenir notre nouvel album Plague of Locus ainsi que pour jouer l’un des plus grands festivals ici, appelé Froth and Fury Festival à Adélaïde. Nous sommes occupés à répéter et à surmonter toutes les aléas techniques et opérationnels que cela implique quand on part jouer en concert quelques temps. On était censé faire une tournée australienne en 2021 après notre album Revelator, en effet, mais nous avons finalement dû annuler tous les concerts sauf un, à cause des confinements liés au covid…
Mais vous n’étiez pas un peu isolés durant la pandémie en Australie étant donné que c’est une île, ou plus vulgairement un très gros caillou dans l’océan ? (sourires) Les festivals n’y ont pas repris par exemple dès 2022 ?
Non, mais heureusement, nous avons pu jouer un concert, qui a été un véritable show au festival Dark Mofo à Hobart. Je ne sais pas si ce festival est connu en France, mais chez nous en Australie, c’est une grosse affaire. Hobart est une petite ville situé sur l’île de Tasmanie qui est complètement envahie par le festival en hiver. La ville regorge d’énormes croix inversées lumineuses et d’un important contingent de monstres. Il existe toute une collection variée d’art étrange et sombre, avec une soirée particulière toujours dédiée au metal extrême. Récemment, des groupes comme Mayhem et Dødheimsgard s’y sont produits, donc nous avons été touchés lorsqu’on nous a demandé d’y jouer ! Mais avec les confinements, nous avons presque dû annuler ce spectacle aussi. Je dis « presque » car notre batteur, Dave Haley (également membre des excellents Prycroptic, Ruins, ex-Pestilence…), qui vit à Melbourne n’a pas pu venir, tandis que certains d’entre nous résident qui à Sydney et notre chanteur, Cain Cressall qui lui vit à Perth avons pu. Tout le monde pouvait se rendre à Hobart, à l’exception de Dave, car Melbourne avait fermé ses frontières plus tôt. C’était plutôt triste et ironique étant donné que Dave est né et a grandi à Hobart. On a eu environ deux semaines de préavis et pour remplacer Dave, on a réussi à convaincre un bon ami du groupe, le légendaire batteur Robin Stone, d’apprendre les parties en deux semaines pour notre show. Heureusement ! Malgré tout cela, le spectacle a été une tuerie, mais tous nos autres concerts ont ensuite été annulés… On n’a pu rejouer avec Dave que cette année, lorsque nous avons joué en première partie d’Emperor lors de leur tournée australienne.
Entre-temps, vous avez auto-publié en format K7 un split EP 2 titres intitulé Radiophobia/Twined Towers avec le groupe italien Aborym qui autrefois évoluait dans le black metal/indus, et dorénavant dans le rock gothic/indus. Et justement, leur ancien batteur norvégien, Faust, faisait partie d’Emperor à leurs tous débuts avant son arrestation en 1994 mais ça c’est de l’histoire ancienne… Alors comment est née cette collaboration entre vos deux groupes de metal extrême industriel si éloignés géographiquement même si bien sûr il y a internet ? Ce sont des amis à la base ?
Cette cassette est née parce qu’un homme appelé Travis Blackbird, qui dirige un label (Plain Disguise), nous a demandé si nous étions intéressés à faire une cassette divisée en deux faces avec un groupe de notre choix. Évidemment, nous connaissons Aborym depuis l’époque, car ils ont été l’un des premiers groupes à vraiment explorer l’esthétique « industrielle » et noise du black metal (avec le puissant Mysticum, bien sûr !). Notre lien avec eux était cependant beaucoup plus récent. Fabban d’Aborym avait contacté Cain, notre chanteur, il y a quelques années déjà, au sujet de chants à enregistrer en tant qu’invité sur leur album Shifting.Negative et ils sont restés en contact. Lorsque nous avons réfléchi à un groupe avec qui partager le single, on a pensé que leur mélange de rock sombre et d’électronique serait une solution intéressante et donnerait aux fans de chaque groupe quelque chose d’inhabituel. Tout cela s’est fait sur Internet, oui ; nous n’avons encore rencontré aucun de ces gars personnellement.
Après cela, vous avez sorti encore un tout nouvel EP 2 titres intitulé Solipschism, toujours en indépendant. Pourquoi votre label actuel, Debemur Morti Productions, ne l’a-t-il pas sorti pour vous ? Vous sentiez-vous peut-être plus libres artistiquement et vouliez-vous le sortir, sans label, et uniquement en digital ?
L’EP Solipschism a en fait été publié par Debemur Morti Productions. Ils ont sorti un 7″ des deux titres que vous pouvez toujours acheter dans leur magasin en linge et dans sur Bandcamp. Le format 7 pouces est l’une de mes sorties préférées. J’aime le fait que ce ne soit qu’un petit instantané, pas trop réfléchi, juste une collection de musique vraiment étrange. Ces deux morceaux ont été enregistrés à l’origine pour faire partie du précédent LP Revelator, mais ils ne fonctionnaient pas avec la tracklist. Alors on a donc décidé de les sortir séparément. Ils font vraiment partie de la session Revelator, et quand bien même, dans mon esprit, je ne les sépare pas vraiment. C’est juste une coïncidence si ce sont deux des morceaux les plus étranges de la session… En ce qui concerne la liberté, ce qu’il y a de bien dans le fait de travailler avec Debemur Morti (et je peux dire la même chose de notre ancien label, Listenable Records), c’est qu’ils sont entièrement axés sur l’art. Debemur Morti est ouvert à toutes les idées et offre un soutien total. Ils n’ont pas hésité à sortir un single 7 pouces de musique de piano étrange et une chanson qui parle au niveau des textes autant d’absence que de présence. C’est toujours incroyable de les opposer dans ce sens. Et cela constitue cet EP un peu à part.
On ne retrouve pas malheureusement ces 2 morceaux sur Plague Of Locus qui est votre nouvel album qui, là aussi, est un peu spécial puisqu’il est constitué majoritairement de reprises plutôt originales, à l’exception de la chanson titre qui est une toute nouvelle composition de The Amenta. Pourquoi avoir choisi ce titre en fait pour ce nouvel EP ou LP selon votre perception (car il y a 10 titres au total) ? Est-ce que tous les événements récents dans le monde (guerres, l’avancée désert, incendies et intempéries en Australie, la raréfaction de l’eau et ses problèmes, le réchauffement climatique plus généralement, la pandémie de covid-19…) t’ont fait penser à un chaos à venir ? Comme cette idée d’un nouveau fléau avec la peste et les criquets représentés ici, en référence à la Bible, signe d’une Apocalypse à venir, même si c’est « locus » (= lieu) qui est écrit, et non « locust » (= criquet) en anglais ici ?
Pour répondre de l’intérieur, nous considérons cette sortie comme un album de The Amenta, mais un bon conseil de notre équipe de promotion chez Debemur Morti était de le sortir sous forme d’EP et de livrer plus tard. Mieux vaut promettre un EP et livrer au final un LP, que l’inverse ! (rires) Le titre de cette nouvelle sortie, et de la chanson originale de l’album donc, vient encore une fois des sessions de Revelator. Pour les paroles de cet album, j’ai passé des années à trimballer un livre dans lequel j’écrivais des phrases et des mots (souvent des jeux de mots) et finalement c’est devenu le matériau que j’ai utilisé pour créer les paroles de l’album. L’une des phrases que j’avais écrites parmi d’autres, mais que je n’avais pas utilisée, était « plague of locus ». C’est une référence au fléau biblique des criquets, en effet, mais c’est un fléau de locus, c’est-à-dire d’un lieu, et non pas de sauterelles. Un lieu est un point où des choses se produisent. Par exemple, le lieu de la douleur lorsque vous avez mal aux dents, c’est alors dans la dent. Du coup, c’est devenu le titre du nouvel album… Après, je n’aime pas donner trop d’informations sur le « sens » des paroles en général car je pense que cela gâche l’expérience des auditeurs et la mienne en tant que parolier. Donc je te dirai simplement que, dans ce cas, « locus » est censé être le point où tous les stimuli externes sont convertis en expérience par alchimie. Je suppose que c’est un fléau de l’existence. La façon dont j’ai procédé pour écrire les phrases qui sont devenues les paroles de Revelator a été délibérément conçue pour que j’oublie pourquoi je pensais à certains mots. Je voulais qu’ils soient interprétables plutôt qu’évidents dans leur sens, même pour moi. Pour cette raison, je ne me souviens pas vraiment de ce qui l’a déclenché, mais cette phrase a probablement été écrite en 2018 ou quelque chose, donc avant la pandémie de covid même si ce virus était déjà connu sous différentes variantes mais pas auprès du grand public !
Comment est née cette idée de reprendre et d’enregistrer toutes ces chansons très diverses ici et totalement réarrangées ?
Eh bien, encore une fois, tout remonte à l’album Revelator. Quand nous avons commencé cet album, nous pensions enregistrer quelques reprises histoire d’avoir des bonus sympas à offrir si jamais nous en avions besoin. Nous sommes un groupe qui enregistre et sort 99 % de ce qu’il écrit, donc il n’y a jamais de musique qui traîne une fois que nous avons publié un album. Cette fois-ci, nous avons pensé que nous allions prendre les devants et préparer certaines choses. Nous avons enregistré la batterie d’« Angry Chair », la reprise d’Alice In CHains, et « Rise », qui est une reprise d’un groupe australien de doom/noise appelé Halo, en même temps que nous enregistrions toute la batterie pour Revelator. À un moment donné, il y a même eu de sérieuses discussions sur l’inclusion de ces deux reprises dans l’album principal Revelator en 2021, mais l’enregistrement de l’album a été une telle expérience que nous avons décidé de nous concentrer sur les originaux et ces morceaux sont donc restés sur un disque dur pendant quelques années… Plus tard, nous avons pensé à inclure les reprises sur l’EP Solipschism évoqué dans une de tes précédentes questions, mais cela ne nous a pas semblé pertinent, car Solipschsim est l’étrange satellite de Revelator en quelque sorte, et ces reprises ne semblaient plus faire partie de ce monde. On a commencé à réfléchir à quoi en faire… Erik (Miehs, guitares) et moi parlons beaucoup de nos projets et évoquons généralement des souvenirs, et dans ces discussions, nous avons parlé de cette époque que tout le monde connaît (pour nous, c’était les années 90, et début des années 2000) où l’on s’imprégnait simplement de tout. Cette musique incroyable et tout ce qui allait avec est tout simplement époustouflant. Au bout d’un moment, on devient blasé et cynique en vieillissant (rires), mais il y a toujours un moment privilégié où la musique semble illimitée et où tout est nouveau. Les groupes que nous écoutions à l’époque sont ceux qui ont eu un effet fondamental sur notre façon de penser et de travailler. C’était l’idée d’Erik : élargir le nombre de reprises pour rendre hommage à ces groupes qui nous ont tant inspirés.

Et comment avez-vous effectué la sélection pour le tracklisting de l’album Plague Of Locus ensuite car c’est toujours assez difficile de se mettre d’accord quand il s’agit de choisir des reprises au sein d’un groupe, non ?
Avec ce thème validé, les chansons sont devenues faciles à présélectionner. Tout le monde dans le groupe a des idées, bien sûr… Erik et moi avons grandi ensemble, nous avons donc vécu des expériences très similaires et c’est pourquoi il y a des chansons comme « Crystal Lakes » de Lord Kaos et « Totem » de Nazxul. Ces groupes étaient énormes en Australie pour nous sur la scène de Sydney ! Caïn, de l’autre côté du pays, a vécu une expérience différente. « Sono L’Antichristo » de Diamanda Galas a été sa suggestion. Notre batteur Dave a suggéré la reprise de Killing Joke : « Asteroid ». Tout le monde a fait des suggestions et on a réfléchi à la manière dont nous allions les jouer et comme ça fonctionnerait, puis nous avons voté de manière informelle, je suppose. Il y a certaines chansons et certains groupes dont on sait qu’ils ne fonctionneront jamais, même si l’artiste ou la chanson est incroyablement inspirante. D’autres chansons semblaient avoir plus de possibilités de pénétrer à l’intérieur et de semer le désordre afin de se les approprier à notre manière. Alors nous avons essayé de choisir ces chansons et on s’est mis d’accord relativement facilement en fin de compte.
Quel était votre objectif principal et votre vision de Plague Of Locus avant de l’enregistrer ? Vous vouliez juste adapter des chansons avec la touche The Amenta ? C’était pour sortir de votre zone de confort peut-être ?
Notre objectif avec cette sortie est simplement de rendre hommage à ces artistes qui nous ont tant inspirés. À mon avis, nous nous inspirons de ces groupes pour créer notre propre musique, donc le meilleur hommage que nous puissions faire est de transformer ces chansons en une musique qui ressemble à quelque chose que nous jouerions. J’ai tendance à trouver que les reprises généralement trop proches de l’original souffrent par rapport à l’original. Je ne veux pas d’une autre version de la même chose. Je veux entendre des chansons qui ont été retournées et dont les organes internes ont été retirés et remplacés à l’envers, sans ordre… Si l’on arrive à faire cela tout en gardant « l’esprit » originel, sinon le son, de l’original alors je pense que c’est l’idéal. Ce n’était pas tellement une question de zone de confort, nous n’y restons pas de toute façon, à chaque sortie nous essayons de nous dépasser et cela est dû au fait d’être inspiré par des artistes comme ceux-là. Si on avait joué trop directement les chansons originales en les respectant à la lettre, cela n’aurait pas rendu service à ces grands artistes et à toute l’inspiration qu’ils nous ont donnée au fil des années.
Peut-on affirmer que ces huit chansons sélectionnées avec soin représentent une grande partie de vos diverses influences musicales parmi les membres de The Amenta, avec lesquelles vous avez grandi en Australie étant plus jeunes ? Par exemple, Killing Joke, Alice In Chains, Diamanda Galas, etc.
Certainement. Notre écoute, et je suppose que comme la plupart des musiciens (et la plupart des gens, en fait), a été très ouverte et variée. Nous aimons tous et avons adoré le rock, puis le metal extrême. J’ai écouté tant de démos de black metal lituanien de huitième génération que je ne m’en souviens plus… (rires) Mais ce n’était pas notre seule écoute. Je suis sûr que je ne suis pas la seule personne à pouvoir jouer avec plaisir Alice In Chains dos à dos avec Morbid Angel. Et la différence entre les légendaires Killing Joke et Akercocke est assez mince si on la décompose finalement. Notre musique a toujours été inspirée par tout ce que nous avons entendu et apprécié étant plus jeunes. À l’époque où nous avons enregistré notre premier album, qui est probablement notre album de metal extrême le plus pur et simple, Erik et moi écoutions At The Drive In et Massive Attack sans arrêt entre deux créations épiques de blast beats… Cela a toujours mis de l’eau au moulin. On pourrait donc considérer Plague of Locus comme un instantané de quelques-unes de ces inspirations, mais elles sont définitivement le reflet de ces premières années où nous nous imprégnions de toute cette musique différente et étrange qui nous a façonnés en quelque sorte.
Certaines de ces chansons sont très surprenantes par leur résultat si particulier, leur ambiance, mais aussi la raison pour laquelle vous les avez choisies : par exemple « Angry Chair » d’Alice In Chains, et « Black God » de My Dying Bride. Des chansons très mélancoliques et doom, assez loin de votre style froid et direct…
Je suis heureux que ces titres t’aient surpris, nous voulions que cela reste passionnant et spécial. Toutes les chansons ont été choisies parce qu’elles reflétaient cette période d’ultra-inspiration pour nous. Jusqu’à Revelator, je pense qu’on pourrait probablement dire qu’il n’y avait pas de son doom metal évident dans notre musique, mais je peux l’entendre dans Revelator, en particulier dans des morceaux comme « Twined Towers » et « Parse Over ». En fait, le titre provisoire de « Sere Money » était « Doom Song » pendant plusieurs années. Même si cette mélancolie et ce malheur n’étaient pas évidents dans notre musique avant notre album Revelator, ils étaient bel et bien présents en arrière-plan. Avec l’arrivée de Cain au chant dans le groupe en 2009, nous avions une voix qui pouvait la mettre en avant, et je pense qu’elle s’est lentement imposée. Mais même lors de notre tout premier EP (Mictlan en 2002), la chanson titre possédait un gros riff doom. Ce riff a duré jusqu’à la moitié de l’enregistrement, puis il a été coupé pour rendre la chanson plus immédiate et percutante. Donc, ça a toujours été là finalement, sous-jacent ou parfois apparent. Pour les deux titres évoqués, nous les avons toujours adorés justement pour cette ambiance mélancolique et doom dont tu parles. La crasse et l’obscurité imprègnent l’album Dirt d’Alice In Chains. Quant aux maîtres du doom metal, My Dying Bride, en particulier leur album Turn Loose The Swans, il nous a été incroyablement inspirant. On a beaucoup parlé de cet album lors de l’enregistrement de Revelator justement. C’est incroyablement lourd, et il y a une atmosphère tellement unique. On devait rendre hommage à tout ce qu’ils nous ont apporté au fil des années.
Suis-tu toujours l’actualité de ces grands groupes comme Alice In Chains et Killing Joke toujours actifs ?
Certains plus que d’autres… Je vais toujours découvrir de nouveaux albums mais oui, Alice In Chains, et Killing Joke. Je pense qu’Alice In Chains est devenu un groupe de rock phénoménal, même s’ils ont perdu un peu de la crasse et de leur côté grinçant, grunge, que j’aimais tant dans leurs deux premiers albums. De toute façon, les grands auteurs-compositeurs et leurs albums sont toujours intéressants, même s’ils ne me frappent plus comme avant. Killing Joke a un peu divagué au fil des ans. Même les trucs de mi-période comme Night Time, qui sont très éloignés de la fin des années 70 et du début des années 80, sont géniaux. Leurs trucs récents avec l’ancien line-up sont une tuerie. Il y a quelques années, notre batteur Dave (Haley) a regardé le documentaire sur Killing Joke, The Death and Resurrection Show, et il nous a dit à tous de le regarder absolument. Tout le monde l’a regardé et la fois suivante que nous nous sommes revus, on n’a pas cessé d’en parler au lieu de répéter. Quelle bande de personnages sauvages et inspirants !
Tout à l’heure, tu as rapidement parlé des groupes australiens de metal extrême qui vous influencés, Lord Kaos et Nazxul. Qu’en est-il de la chanson « A Million Years » de Wolf Eyes, inconnue au bataillon. Est-ce le groupe de black metal français Wolf Eyes qui est un tout jeune one man band underground chez nous ?
Je ne connais pas le groupe français ! C’est sauvage. Wolf Eyes que nous avons repris ici est le groupe américain de rock noise et le morceau « A Million Years » vient de leur album Human Animal. Il s’agit en fait d’un groupe très intéressant. J’étais fan de groupes comme Throbbing Gristle et Einsturzende Neubauten ainsi que de tous les trucs de ce genre : death indus, power electronics et dark ambient qui sortaient d’Europe, donc j’étais toujours à la recherche de nouveaux sons bizarres. Wolf Eyes travaillait depuis des années dans l’underground noise américain et avait sorti une énorme quantité de matériel. Chaque membre du groupe avait son propre label et sortait des trucs avec Wolf Eyes, donc il y avait une quantité vertigineuse de matériel, mais c’était réservé à l’underground US et je n’en avais jamais entendu parler. Puis, bizarrement, ils ont signé sur le gros label Sub Pop, qui avait sorti les premiers trucs de Sonic Youth, L7, Mudhoney, Nirvana et beaucoup d’autres artistes de punk et de grunge des années 90. Parce qu’ils étaient sur un grand label, ils ont commencé à avoir toute cette presse et j’ai lu une critique de leur premier album sur Sub Pop, Burned Mind, dans notre journal national ici en Australie. Ils ont fait référence à Throbbing Gristle et King Tubby donc je savais que ce serait intéressant. Je suis sorti immédiatement et j’ai acheté l’album, c’était incroyable ! Ce fut un véritable jet de sable dans les tympans. Le premier single s’appelait « Stabbed In The Face » et son titre était très explicite. Quand ils ont sorti le deuxième album Sub Pop, Human Animal, je m’attendais à plus de la même chose. Cette fois, ils ont ouvert avec « A Million Years », un morceau subtil et atmosphérique de metal dissonnant, d’électronique minimale et de saxophone. Cela m’épate de voir ce qu’ils ont fait avec aussi peu d’instruments. Après cela, j’ai essayé d’acheter autant de leurs autoproductions que possible. Je ne pense pas que tout le monde va aimer notre reprise, ce n’est pas une chanson metal, mais si vous l’aimez, je vous recommande fortement de consulter la discographie approfondie de Wolf Eyes.

Tu vas grincer des dents, mais je ne sais jamais si c’est une boîte à rythmes, une programmation, ou bien une véritable batterie acoustique qui est utilisée dans la musique de The Amenta et notamment sur Plague Of Locus. Il est tellement facile de nos jours d’avoir des sons pré-enregistrés de vraie batterie… Alors je te pose la question : est-ce toujours David Haley (Ruins, Psycroptic, etc.) ici ?
Je trouve ça vraiment bizarre ! On a toujours utilisé un vrai batteur, à l’exception de notre reprise de « Christbait Rising » de Godflesh (bien sûr !) et des chansons « Chokehold » et « The Arc », toutes deux écrites dans le style de Godflesh. Pour moi sinon, j’entends clairement que c’est Dave qui joue. Je suis surpris que tu ne reconnaisses pas. C’est un joueur phénoménal, bien sûr, tous ceux qui l’ont vu ou entendu jouer le savent, mais c’est vraiment un « vrai » batteur. Il suffit d’écouter ses goûts et ses sensations pour savoir que c’est un vrai batteur, je pense. Fait intéressant justement, je pense que Plague of Locus est l’une des performances de batterie les plus organiques de notre répertoire, donc c’est très intéressant d’entendre que tu ne l’aies pas entendu, ou plutôt reconnu. Si ce n’est toujours pas clair pour les autres auditeurs, laissez-moi être clair : c’est un vrai putain de batteur, Dave, il tue ! Allez écouter Psycroptic et son jeu là-bas. Le gars peut tout jouer. (Ndlr : Nous avons déjà vu jouer live Psycroptic et nous confirmons, mais le doute est toutefois permis à l’écoute des albums de The Amenta du fait de ses sonorités indus, mais après tout, Ministry ou Killing Joke ont en genéral recours à une batterie acoustique).
Alors maintenant, la seule nouvelle chanson fraîche de la création de The Amenta en 2023 s’appelle « Plague Of The Locus », donnant le nom à ce nouvel album. Elle sonne très moderne, froid, brute et industrielle, et plutôt « in your face ». Est-ce le visage musical et la direction artistique d’un prochain album de The Amenta sur lequel vous travaillez peut-être déjà pour le futur ? Comment allez-vous procéder pour le prochain disque ?
Il est difficile de dire si Plague of Locus représente une véritable indication de l’orientation du prochain The Amenta, sur lequel, en effet, nous commençons à travailler et avons l’intention de sortir dès que possible sur Debemur Morti Productions… Notre processus lors de la rédaction de nouveaux documents consiste à commencer par une « page blanche » à chaque fois. On ne part pas avec une idée du genre : « Cette fois, on veut sonner comme ci ou comme ça… ». Non. Il s’agit plutôt de rassembler des idées jusqu’à ce que des étincelles jaillissent et de les suivre jusqu’à ce que nous découvrions quelque chose que l’on trouve passionnant. Parce qu’il s’agit de notre processus, on ne sait pas où il aboutira. Et même si nous pensons savoir où va quelque chose, cela finira dans une direction complètement différente à la fin, une fois que nous l’aurons mutilé… Par exemple, notre deuxième album, n0n (Listenable Rec./2008), sonnait comme s’il s’agissait d’un album de death metal psychédélique et ambiant sur les démos. Au moment où nous avons terminé le tout, le groupe était proche de ce que l’on appellerait « industriel » et c’est probablement la seule raison pour laquelle nous sommes toujours appelés un groupe industriel aujourd’hui même si nous ne le sommes manifestement pas. La nouvelle version de The Amenta sera comme toutes nos autres versions dans le sens où elle sera le produit de ce que nous trouvons passionnant à l’époque. En conséquence, cela ne ressemblera probablement en rien à nos autres albums. Je pense que ce sera quelque chose de complètement nouveau pour nous. Au cœur de tout ce que nous faisons se trouve du metal extrême laid et sombre, mais à partir de là, nous progressons vers l’extérieur pour trouver des sons nouveaux pour nous et, espérons-le, pour notre public.
Et quand pourra-t-on espérer vous (re)voir en concert en Europe et surtout en France où The Amenta s’est produit quelques fois dans le passé ? Même si nous sommes un petit pays metal, vous avez toujours eu des connexions avec la France puisque vous avez été début sur le label français Listenable Rec. et à présent Debemur… (sourires)
J’espère vraiment que nous pourrons bientôt revenir en Europe. Ça fait très longtemps. Et nous aimons particulièrement la France, nous avons une longue histoire avec la France, ayant toujours été signés par un label français, d’abord Listenable Records puis Debemur Morti Productions. Nos pochettes pour les trois dernières sorties ont été réalisées par Valnoir (Metastazis) d’ailleurs, un artiste français et donc une autre connexion française. Certains de mes concerts préférées étaient en France donc j’aimerais personnellement y retourner le plus tôt possible. Il s’agit simplement de trouver le bon circuit. Comme tu peux l’imaginer, c’est incroyablement cher d’amener un groupe d’Australie vers n’importe où ailleurs dans le monde, notamment en Europe. Nous sommes extrêmement isolés et les vols sont incroyablement chers, donc avant même de payer pour un van ou un bus, nous avons déjà dépensé des milliers d’euros pour le voyage en avion et on est dans le roug ! Mais nous aimons faire ça, donc si une bonne tournée se présentait, nous viendrons en un clin d’œil. (sourires)
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