Double ration de live pour notre collectif d’outre-Rhin toujours aussi généreux quand il s’agit de sortir un nouvel enregistrement (CD, DVD…). Souvenez-vous de leur magnifique coffret Oblivion en 2013 ! The Ocean a décidé de rassembler en tout logique à présent deux concerts filmés en 2021 à huis-clos durant la pandémie, concerts dans lesquels la bande à Robin interprète en condition live, mais sans public (crise sanitaire oblige) l’intégralité de ses deux derniers albums studio conceptuels : Phanerozoic et Phanerozoic II. Ainsi, on retrouve le premier (interview + chronique à retrouver ici dans notre ancien n° 85 de METAL OBS p.15) capté sur scène indoors à Brême dans le quartier du port (près du fleuve Weser, en Allemagne) ; puis idem mais pour le second volet Phanerozoic II (Mesozoic + Cenozoic) (chronique parue en 2020 à retrouver ici) sauf que là ce fut enregistré en version digitale à la maison à Berlin, et diffusé en streaming sur internet dans le cadre du fameux festival néerlandais Roadburn Redux (covid-19 oblige là encore).
Dans une fluidité totale, l’auditeur va pouvoir apprécier pleinement, durant une heure et quarante-deux minutes, la musique du groupe berlinois, riche et subtile, tout à tour atmosphérique ou énervée, que l’on a tendance à qualifier de Post Hardcore/Metal ou de Metal progressif, terme très à la mode de nos jours, parfois fourre-tout mais qui sied à merveille pour le cas de The Ocean, ses deux dernières œuvres étant vraiment abouties et non plus aussi binaires comme pouvait l’être plus simplement en son temps le diptyque Heliocentric / Anthropocentric en 2010.
Sur cet album live, on y entend et voit (merci YouTube) alors des musiciens concentrés dans leur bulle musicale, sans public, sans chichi aussi, mais en interaction permanente entre eux, mis en lumières par de superbes lumières, pour le premier show à Brême du moins, alors que les conditions sont volontairement plus spartiates et intimes dans le second show donné pour le festival Redux auquel nous avions assisté au printemps 2021, mais avec quelques effets visuels spécifiques à Phanerozoic II, signés de l’artiste polyvalente américaine Dana Schecter (Swans, Insect Ark). Le chanteur helvète Loïc Rossetti accomplit là une superbe performance dans un show à la hauteur de son talent, alternant chants plus doux, alternatifs presque, et screams rageurs plus typés Hardcore (l’exemple parfait de « Devonian_ Nascent » où le frontman remplace avec brio le chant clair de Jonas Renkse (Katatonia, Bloodbath, ex-October Tide…) originellement présent sur Phanerozoic, avant de lâcher ses hurlements).
Ce contraste saisissant a toujours ainsi rythmé les différentes vagues mélodiques des compositions fines et complexes de The Ocean depuis déjà plus années. Preuve en est pour les personnes qui n’auraient jamais assisté à un de leurs concerts justement. Et comme le bon vin, la fusion plus brutale et primitive des débuts du collectif berlinois a laissé la place à un Post Hardcore/Metal plus nuancé et singulier. Plus statiquement visuellement, les deux guitaristes Robin Staps (fondateur du groupe allemand en 2000, et principal compositeur depuis) et David Ramis Åhfeldt s’appliquent à restituer du mieux possible les deux albums, et même si c’est propre et répété, l’ensemble ressort solide et live finalement dans le rendu sonore (peut-être retouché en studio mais bon, qui ne le fait pas de nos jours avec les Pro-Tools et autres programmes numériques à notre service). Tout en discrétion, le claviériste Peter Voigtmann distille ses touches de synthétiseurs et divers samples qui s’intègrent joliment dans les chansons.
Comme à l’accoutumée, Paul Seidel assure derrières ses fûts ses parties avec un jeu presque jazzy parfois, très varié, et loin d’être évident. Le bassiste suédois Mattias Hagerstrand, qui a difficilement pu rejoindre ses copains à Berlin sur la seconde partie, bouge un peu plus quant à lui sur scène, malgré l’absence de public qui du coup, ne renvoie certes aucun retour vivant et direct des habituels fans, mais apporte un côté live unique et puissant dans cet environnement sonore tout aussi froid que fut probablement l’ère du Cénozoïque et des différentes phases de glaciation, conclusion thématique du dernier album studio Phanerozoic II. Sur ce second concert donné donc dans le cadre du Roadbrun Redux Festival, l’interprétation intégrale live ressort toutefois comme plus chaleureuse (avec ses lampes verticales aux teintes jaunâtres) alors que les six musiciens étaient quasiment gelés dans leur local d’enregistrement pour leur anecdote.
Phanerozoic Live constitue donc une nouvelle œuvre intense et indispensable pour tous les fans de The Ocean, et permettra aussi aux néophytes de découvrir simplement et sincèrement la musique inspirée à la fois par Neurosis, Isis, ou The Dillinger Escape Plan, et se rendre compte que ce collectif européen a bien grandi cette dernière décennie, s’affirmant comme un réel mastodonte sur la scène Post Hardcore/Metal progressive contemporaine. Maintenant, on est curieux cependant de découvrir la suite à donner en studio, et savoir si Robin Staps continuera l’exploration géologique ou non de son univers musical. Dans l’affirmative, il faudra des millions d’années pour en voir le bout, et une seule vie sur cette terre ne suffira pas malheureusement… [Seigneur Fred]
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