WARDRUNA : En aparté avec le Viking Einar Selvik (Motocultor 2023)

En janvier 2021, Metal Obs avait consacré un numéro hors-série « spécial Wardruna » lors d’un formidable entretien avec le chanteur et multi-instrumentiste Einar Selvik. Entre-temps, de l’eau a coulé dans les fjords norvégiens près de Bergen. Un « faux album live » intitulé First Flight Of The White Raven est paru en 2022. Capté en studio durant la pandémie, il reprenait la plupart des morceaux issus du chef d’œuvre Kvitravn sorti précédemment, et plusieurs classiques de la tribu viking. C’est au calme et en toute simplicité que nous avons rencontré une nouvelle fois l’artiste norvégien, auteur des musiques de la fameuse série TV Vikings (hors générique), quelques heures avant son show très attendu au festival breton Moltocultor en août 2023. Si le retour à la scène était crucial pour lui, quelques mois après son passage à L’Olympia de Paris, rien que ça, mais aussi au Hellfest, il n’a jamais ralenti le rythme. Et ce soir-là, nous n’avons pas été déçus (contrairement au show de Hatebreed la veille dans un tout autre genre musical, bien évidemment). Le concert de Wardruna fut à la fois puissant émotionnellement et rempli de magie païenne (lire notre live report Motocultor 2023 part. I). Le leader incontesté, et incontestable, du renouveau de la scène pagan folk nordique de cette dernière décennie nous en a dit plus sur la recette de son succès, et plus secrètement dévoilé ses projets à venir. [Entretien réalisé avec Einar Selvik (chant, instruments) le 18/08/2023 par Seigneur Fred – Photo backstage & vidéo live Motocultor 2023 : Seigneur Fred – Autres photos : DR]


Comment te sens-tu car il est tôt et vous jouez tard ce soir ici au festival Motocultor ? Comment vas-tu occuper ta journée ici ?
Oui, oui, je vais bien. J’ai une belle journée qui s’offre à moi, et je vais d’abord me relaxer un peu. L’endroit est superbe, il y a des arbres tout autour du site, c’est près de la nature, il fait beau. C’est super donc.

Le festival ayant lieu à Carhaix (Finistère), connaissais-tu la Bretagne en France avant d’y venir ?
Oui, bien sûr. C’est un lieu historique important, plein de signification mais aussi fait de légendes. Ces grandes forêts (NDLR : forêt de Brocéliande), ces mythes, etc. A vrai dire, je suis plutôt enjoué. Et c’est une région qui me parle, assurément, et que j’espère revenir visiter davantage à l’avenir.

Te souviens-tu de ce concert qu’avait donné Wardruna en Bretagne : c’était au château de la Duchesse Anne de Bretagne à sa réouverture à Nantes ? C’était en septembre 2018 si ma mémoire est bonne…
Oui, tout à fait. Bien sûr que je m’en rappelle ! (sourires) Ce fut un concert qui a été sold-out en très peu de temps. C’était un concert très spécial, c’est unique de se produire ainsi au pied d’un aussi beau château. Je m’en souviens vraiment bien, c’était une belle soirée. La ville aussi, c’est une belle ville, et tout le cadre, c’était magnifique.

Tu sais, il existe une polémique ici en France, plus d’ordre administratif qu’historique, qui divise les gens : certains disent que Nantes et le château d’Anne de Bretagne ne sont pas en Bretagne, car Nantes ne fait pas partie de la Bretagne actuelle mais de la région administrative des Pays-de-la-Loire, or au Moyen-âge, et ce château principalement construit au XVème siècle en témoigne. Il porte bien son nom : c’était celui des ducs et duchesses de Bretagne dont Anne ! Et même autrefois, à l’Antiquité, c’était déjà la Bretagne à l’époque celte, puis comme province gallo-romaine…
Je sais, j’en ai déjà entendu parler…

Quelle est la set-list pour ce soir ? (Ndlr : le 18/08/2023)
Il y aura un peu de tout, des extraits de tous les albums, mais en majorité des morceaux du dernier album Kvitravn.

Des chansons peut-être plus énergiques, avec plus de percussions, car on est dans un festival metal ? Tu adaptes la playlist quand Wardruna joue en condition de festival ?
Hé bien, on va faire notre truc. Quand on fait un festival, tu as un temps raccourci et compté pour raconter ton histoire sur scène, alors il faut s’adapter.

Pourtant vous jouez ce soir en tête d’affiche ?
Exact. On va jouer quand même soixante-quinze minutes.

WARDRUNA live @festival Motocultor Open Air 18-08-2023 (DR : Seigneur Fred)

Cette année 2023, Wardruna s’est également produit à la mythique salle de l’Olympia en avril (concert qui avait été repoussé à cause de la pandémie), et au Hellfest en juin dernier. C’est une année faste pour Wardruna et quelle carrière pour toi quand tu regardes en arrière ! Toi qui as commencé comme batteur dans des groupes de black ou doom metal (Gorgoroth, Sahg…) sous le pseudonyme de « Kvitrafn »… C’est beaucoup de travail, je présume ? (sourires)
Je travaille beaucoup, ça oui. Tu sais, les choses n’arrivent pas comme ça gracieusement, par hasard. Si tu veux que ça fonctionne dans ce business, cela nécessite beaucoup de travail comme tu dis, beaucoup d’abnégation. Je crois que les gens ne s’imaginent pas vraiment tout le travail en amont que cela implique en fait. Il faut travailler sans cesse, être patient. Et bien sûr que je suis fier du travail accompli et du succès de Wardruna, mais je suis surtout reconnaissant face à tant de monde pour qui notre musique résonne et parle. Ça, tu ne peux pas l’acheter, tu ne peux pas acheter les gens, et c’est ce qui est vivant ! Tu vois ?

Oui, c’est un tout aussi, de la musique, mais aussi un état d’esprit, des valeurs, une atmosphère. Tu fais d’ailleurs ma transition : connais-tu d’ailleurs ton public ? Qui écoute Wardruna car j’ai l’impression que c’est large, et qu’il n’y a pas que des métalleux… (rires)
Dans le public, c’est un peu tout le monde. Dans un concert courant de Wardruna (Ndlr : hors festival), que ce soit en Norvège, en France, en Allemagne ou en Amérique, il y a de tout comme personnes. Des jeunes et des moins jeunes. Il y a des enfants, des gens de toute origine ethnique. C’est ça qui est formidable, on dirait comme une grande famille de tous horizons autour d’une musique. Tu trouves aussi bien des fans de metal, de jazz, de musique classique, des fans de folklore viking, bref, ce sont des gens différents, et en même ça réunit beaucoup de gens. Et je pense que c’est ça qui rend les choses uniques, on créer notre musique unique, car Wardruna peut parler à tous, à chacun.

La musique de Wardruna est en quelque sorte universelle. Il faut tout de même être très ouvert d’esprit pour comprendre votre musique et avoir une certaine culture pour la comprendre et l’approcher, non ?
Je ne pense pas. Ah… (sourire un peu embêté) Oui, d’un autre côté pour les gens qui veulent aller au fond des choses, je pense que si tu veux rentrer en profondeur dans la musique, comprendre les paroles, les runes, oui, mais pas forcément. Il n’y a pas besoin de connaître les éléments, de comprendre les paroles pour autant en apprécier notre musique. La plupart des gens, tu sais, ne comprennent pas les paroles que je chante, en norvégien ou vieux norrois. C’est ça le pouvoir de la musique aussi, tu vois, cela transcende les genres et les frontières.

Mais comment est le public américain ? Les fans doivent être différents tout de même là-bas, non ? Car les Américains n’ont pas la même culture et sont loin de leurs racines sauf les Amérindiens…
Hum… Non, c’est pareil étonnamment. C’est la même chose ! Il y a des gens de couleur, des Amérindiens, des blancs, des noirs, comme en Norvège ou ailleurs. Et c’est ça encore une fois qui est fantastique !

Je ne savais pas que Wardruna se produisait et avait déjà tourné là-bas, sincèrement…
L’Amérique, paradoxalement, est peut-être l’endroit où l’on a joué le plus et tourné le plus, et fait les plus gros concerts (Ndlr : il parle là de concerts en configuration classique, et non de festivals comme Hellfest ou autre). C’est tellement grand.

Je pense que les Américains ont besoin de ce retour à la nature, et plus que jamais, sont à la recherche de leurs racines aussi car ils n’ont pas autant d’histoire, de patrimoine (château, etc.) que nous sur le continent européen.
Oui, beaucoup de gens là-bas ont besoin de se reconnecter à quelque chose de plus ancien. Ce sont des nations « jeunes », et qui n’ont pas connu notre histoire, même s’ils ont eu un passé avant l’arrivée des Blancs,  mais nous n’avons très peu de sources, car c’était des traditions orales. Nos chansons, nos musiques sont en lien avec la nature. C’est universel comme tu disais. On chante, on parle de nature essentiellement avec Wardruna, donc voilà pourquoi ça parle plus ou moins à tout le monde, y compris aux Américains.

À présent, quel bilan dresses-tu à présent de ton dernier album studio Kvitravn sorti début 2021 (Columbia Rec./Sony Music) ? L’album a été repoussé à maintes reprises, puis les concerts, etc. Ce ne fut pas une période facile pour les artistes…
Hé bien, je suis très content de ce que l’on a fait, plutôt ravi même dont ça s’est passé malgré ces temps difficiles du covid. Cela aurait pu être pire, mais en fait, les réponses que l’on a eues de la part de nos fans et tous ceux qui nous suivent furent bonnes dans l’ensemble. Beaucoup de groupes, d’artistes, ont arrêté de travailler, ont fait une pause, alors que nous, on a toujours continué plus ou moins. On n’a pas fait de break. On a sorti le single « Lyfjaberg », puis l’album Kvitravn, on a fait des concerts en streaming à huis clos qui ont donné l’album Kvitravn – First Flight Of The White Raven en 2022. En fait, on a toujours été présent, et pour beaucoup de nos fans, c’était donc important et ils ont vraiment apprécié cela. Certains ont dit alors que c’était malin et une nouvelle manière de faire du business, mais je m’en fous ! Si c’était juste et sensé pour nous, cela avait du sens aussi pour nos fans, ceux qui suivent Wardruna. Du moment que c’était humain et sincère, et ça l’était pour moi, alors c’était la bonne chose à faire.

Et dans ce contexte de crise sanitaire, c’est là que l’on s’est vite aperçu en effet que sans musique, sans théâtre, sans cinéma, sans concert, la vie n’était plus si agréable, et que l’on avait besoin de ça, notamment psychologiquement, pour continuer à vivre…
Oui, tout à fait, on a besoin d’art, tout ce qui touche à l’art, mais de nature aussi. Tout ça a un sens, et fait partie de nous. Sans tout cela, on est peu de chose.

En parlant de nature justement, paradoxalement donc Wardruna est très présent sur internet à travers les nouvelles technologies. Et toi, es-tu familier avec tout ça ? Es-tu connecté non-stop car je vois que tu as un mobile sur la table ici présent ? (sourires)
Euh, j’essaie. Je fais toujours partie de ce qui se passe sur internet à propos de Wardruna et suis plus ou moins cela, oui. J’aime avoir la main là-dessus.

Tu es souvent connecté à internet pour observer par exemple les réactions des fans à propos des nouvelles chansons ?
Hum… Ouais, pas trop. Un peu, entre-deux, c’est un équilibre à trouver car je ne suis pas connecté non-stop et il faut savoir prendre du recul. De toute façon, je n’ai pas toujours le temps pour cela à vrai dire. Je dois aussi travailler même si cela en fait partie de nos jours… (rires)

Les jeunes générations sont connectées non-stop, les yeux rivés sur les écrans de leur mobile, et peu en lien avec la nature généralement. Mais bien souvent cela provient de leur éducation et des parents à la maison… Ils reproduisent leur entourage, qui leur paye ces mobiles, ces écrans… Mais c’est un grand débat. Je change complètement de sujet à présent. Parlons de ta chanteuse qui t’accompagne depuis déjà quelques années : Lindy-Fay Hella. Elle n’est pas à notre table là, mais je l’ai croisée tout à l’heure avec sa nouvelle coupe de cheveux au carré. (sourires) Elle sera donc ce soir à tes côtés sur scène. Sa voix est si unique, elle apporte tant d’émotions aussi dans Wardruna. Elle mène une carrière solo également à côté de Wardruna, et a déjà effectué de nombreuses collaborations avec d’autres artistes, je pense par exemple à son duo avec My Dying Bride sur la chanson « The Solace » sur leur album The Ghost Of Orion. As-tu éventuellement des projets de collaborations avec d’autres chanteurs/chanteuses dans Wardruna sur des chansons ? Des artistes folk metal, par exemple ? Bien sûr, c’est un avis de fan totalement personnel, mais je pense à Fabienne Erni (Eluveitie) qui joue de la harpe, ou bien pourquoi pas Anna Murphy (Ex-Eluveitie) qui joue aussi de la vielle ? As-tu des projets de ce genre avec Wardruna ?
Heu… Je n’ai pas de projet spécifique comme ça du moins actuellement, ou alors il y en a certains, mais dont je ne peux pas te parler à l’heure actuelle. Désolé… Mais oui, pourquoi pas ? Du moment que cela a un sens, artistiquement, ou à un niveau plus personnel, et avec un concept, alors oui, pourquoi pas.

Connais-tu personnellement ces deux artistes : Fabienne Erni et Anna Murphy ?
Non, comme ça, non.

C’est étrange, car tout à l’heure, on parlait de Wardruna qui tourne en Amérique où tu disais que les spectateurs étaient finalement les mêmes profils tout aussi variés qu’ici en Europe lors de tes concerts, hé bien le chanteur Chrigel Glanzmann (Eluveitie) me disait pareil à propos de l’Amérique et surtout de l’Asie où ils jouent beaucoup aussi là-bas, chose qui pourrait paraître assez surprenante de prime abord car par exemple les Chinois ou les Japonais n’ont pas notre culture celte…
C’est vrai, c’est pareil, en Asie aussi. Bien sûr, il ne faut pas généraliser. Ça reste de la musique. Et il faut aussi se rappeler ô combien c’est grand là-bas, combien d’habitants ils sont. C’est énorme ! (sourires)

À propos de ton projet parallèle avec Ivar Bjørnson (guitariste et co-fondateur d’Enslaved) qui ont donné naissance aux deux albums Skuggsjá puis Hugsjá, quelles sont les nouvelles de ta collaboration avec ton ami ? Y’a-t’il un prochain album studio en prévision avec lui ?
On a sorti un EP en 2021. Sinon, non, il n’y a rien de nouveau là-dessus. On est d’accord tous les deux pour refaire quelque chose et retravailler ensemble, à un moment donné, quand on a un peu de temps, car on est pas mal pris par nos activités principales.

Oui, Ivar est pas mal pris par votre label commun By Norse Music, et bien sûr Enslaved, et toi aussi avec Wardruna, donc pas évident…
Mais on aime vraiment beaucoup jouer tous les deux, donc tôt ou tard, on refera de la musique ensemble. On enregistrera quelque chose, c’est certain…

Concernant la célèbre série TV Vikings et Vikings Walhalla, quelles sont les nouvelles de ce côté-là ? Tu n’avais pas réalisé le générique de la première série, mais tu avais composé et interprété toutes les musiques de la série. Tu apparaissais également en tant que barde (skald) dans un ou deux épisodes de la saison 2, je crois ?
Oui, j’ai fait de nombreuses musiques pour Vikings. Le générique par  contre, c’est de Fever Ray (Ndlr : groupe suédois). Je jouais en effet dans deux épisodes de Vikings. Concernant Vikings Walhalla, je n’ai rien refait de spécial.

Aucun projet avec les chaînes TV History ou Netflix donc, ou tout ce qui tourne de près ou de loin à Vikings ?
Non. Il n’y a aucun projet là-dessus, je ne travaille plus du tout sur le programme Vikings. De toute façon, je n’ai plus vraiment le temps pour ça à présent.

Le groupe français HRAFNGRIMR au festival Motocultor 2023 après leur concert

Par hasard, connais-tu le groupe français Hrafngrímr qui a joué plus tôt aujourd’hui (Ndlr : le 18/08/2023) au festival Motocultor et qui évolue dans le même style que Wardruna ? En connais-tu d’ailleurs la signification ?
Non. Je ne connais pas. (Ndlr : il le prononce alors en vieux norrois) Cela veut dire « le masque du corbeau ».

Avant de se quitter, quels sont alors les projets maintenant de Wardruna : un nouvel album studio ? Un nouveau DVD/Blu-ray live… ? (sourires)
Euh… Ouais, on va donner notre dernier concert pour ce cycle de tournée européenne en jouant à l’Acropolis d’Athènes (Grèce). Ce sera en septembre (Ndlr : 2023).

Et ce sera enregistré en live ?
Peut-être… Et alors ensuite, je commencerai à travailler sur du nouveau matériel (pour un nouvel album studio)…

Enfin, travailles-tu toujours avec le luthier français Benjamin Siamo qui t’avait conçu des instruments spécialement pour toi pour l’album Skald paru en 2018 ?
Oui, parfois. Il avait fait la reconstitution de la lyre de Trissangen et le projet de Crowth (un Taglharpa). Je suis sûr que je retravaillerai avec lui un jour.

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